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XXVI - Ce que l’on disait autour du comptoir de Mme Labotte, marchande fruitière, 26, rue de la Maraîcherie

Mlle Victoire, cordon-bleu de M. Le doyen de la faculté de Balançon, Mlle Gertrude, servante de M. Le recteur de ladite faculté et Mlle Anastasie, gouvernante de M. L’abbé Beaufleury, curé de Sainte-Eulalie, tel était le respectable cénacle qui se trouvait réuni un jeudi matin autour du comptoir de Mme Labotte, marchande fruitière, 26, rue de la Maraîcherie.

Ces dames, partant au bras gauche le panier aux provisions, coiffées d’un petit bonnet blanc coquettement posé sur les cheveux, enjolivé de dentelles et de tuyautages et dont les cordons leur pendaient sur le dos, écoutaient avec intérêt Mlle Anastasie qui leur racontait comme quoi, la veille même, M. L’abbé Beaufleury avait exorcisé une pauvre femme possédée de cinq démons.

Tout à coup Mlle Honorine, gouvernante du docteur Héraclius, entra comme un coup de vent, elle tomba sur une chaise, suffoquée par une émotion violente, puis, quand elle vit tout le monde suffisamment intrigué, elle éclata: «Non c’est trop fort à la fin, on dira ce qu’on voudra: je ne resterai pas dans cette maison.» Puis cachant sa figure dans ses deux mains, elle se mit à sangloter. Au bout d’une minute elle reprit, un peu calmée: «Après tout ce n’est pas sa faute à ce pauvre homme, s’il est fou. – Qui? Demanda Mme Labotte. – Mais mon maître, le docteur Héraclius, répondit Mlle Honorine. – Ainsi c’est bien vrai ce que disait M. Le doyen que votre maître a perdu la tête? Interrogea Mlle Victoire. – Je crois bien! S’écria Mlle Anastasie, M. Le Curé affirmait l’autre jour à M. L’abbé Rosencroix que le docteur Héraclius était un vrai réprouvé; qu’il adorait les bêtes, à l’exemple d’un certain M. Pythagore qui, paraît-il, est un impie aussi abominable que Luther. – Qu’y a-t-il de nouveau, interrompit Mlle Gertrude, que vous est-il arrivé? – Figurez-vous, reprit Honorine en essuyant ses larmes avec le coin de son tablier, que mon pauvre maître a depuis bientôt six mois la folie des bêtes et il me jetterait à la porte s’il me voyait tuer une mouche, moi qui suis chez lui depuis près de dix ans. C’est bon d’aimer les animaux, mais encore est-il qu’ils sont faits pour nous, tandis que le docteur ne considère plus les hommes, il ne voit que les bêtes, il se croit créé et mis au monde pour les servir, il leur parle comme à des personnes raisonnables et on dirait qu’il entend au-dedans d’elles une voix qui lui répond. Enfin, hier au soir, comme je m’étais aperçue que les souris mangeaient mes provisions, j’ai mis une ratière dans le buffet. Ce matin, voyant qu’il y avait une souris de prise, j’appelle le chat et j’allais lui donner cette vermine quand mon maître entra comme un furieux, il m’arracha la ratière des mains et lâcha la bête au milieu de mes conserves, et puis, comme je me fâchais, le voilà qui se retourne et qui me traite comme on ne traiterait pas une chiffonnière.» Un grand silence se fit pendant quelques secondes, puis Mlle Honorine reprit: «Après tout, je ne lui en veux pas à ce pauvre homme, il est fou.»

Deux heures plus tard, l’histoire de la souris du docteur avait fait le tour des cuisines de Balançon. A midi, elle était l’anecdote du déjeuner des bourgeois de la ville. A huit heures, M. Le Premier, tout en buvant son café, la racontait à six magistrats qui avaient dîné chez lui, et ces messieurs, dans des poses diverses et graves, l’écoutaient rêveusement, sans sourire et hochant la tête. A onze heures, le préfet qui donnait une soirée s’en inquiétait devant six mannequins administratifs, et comme il demandait l’avis du recteur qui promenait de groupe en groupe ses méchancetés et sa cravate blanche, celui-ci répondit: «Qu’est-ce que cela prouve après tout, monsieur le préfet, que si La Fontaine vivait encore, il pourrait faire une nouvelle fable intitulée «La souris du Philosophe», et qui finirait ainsi:

Le plus bête des deux n’est pas celui qu’on pense.»

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