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I
ОглавлениеQuand Jacques Mirmont entra, madame-de Bar roy s’élança à sa rencontre d’une longue, glissade, et après – un coup d’œil jeté vers la porte, se serra contre lui, cherchant à se blottir entre ses bras. Il la repoussa doucement et dit, l’air agacé mais la voix aimable:
–C’est fou, ma chérie, ce que vous faites là!... Elle s’éloigna à regret:
–C’est qu’il y a si long temps que je ne vous ai vu!...
Ils’approcha de la cheminée et, présentant alterna tivement ses semelles à la flamme, il répondit:
–Si longtemps!... je suis venu dimanche...
–Et c’est aujourd’hui vendredi... ça fait quatre jours... qui m’ont semblé très longs, à moi!...
–En admettant qu’ils vous aient semblé très longs., ce n’est pas une raison pour faire une imprudence comme celle-là... vous n’avez même pas regardé si le domestique était sorti...
–Je vous demande pardon... j’étais en face de la porte, je voyais que nous étions seuls...
–Et votre mari!... qui pouvait entrer aussi par l’autre côté...
–Il est sorti...
Le visage très jeune, presque gamin de madame de Barroy s’attrista, ses longs yeux se remplirent de larmes et elle fixa, inquiète, Jacques qui évita son regard.
C’était une femme si mince qu’elle paraissait maigre tout d’abord. Ses mouvements souples, vigoureux et nonchalants à la fois, étaient empreints de cette grâce caressante et gauche qu’on ne trouve guère que chez les tout petits enfants et les très jeunes animaux. Ses cheveux blonds et légers s’arrangeaient d’eux-mêmes en bouclettes soyeuses sur son front large et pur, que coupait pourtant une grande ride transversale. Les dents superbes éclataient entre des lèvres un peu trop épaisses peut-être, mais d’un dessin charmant, et toujours relevées dans un sourire heureux et plein de bonté.
Le nez était fin, droit, avec des narines délicates. Les yeux longs, d’un vert très clair, voilés de cils épais et sombres, contrastaient par leur expression presque douloureuse avec le joyeux sourire de la bouche. Et malgré cette tristesse des yeux, qui donnait par instant au visage une sorte de reflet décou ragé et las, la jeune femme avec sa taille flexible, ses dents de petit chien et ses cheveux d’enfant, paraissait au premier abord avoir vingt ans.
Sans cesser de se chauffer, Mirmont continua:
–Il pourrait être rentré sans que vous le sachiez... vous ne serez jamais raisonnable!...
Elle répondit dans un éclat de rire:
–Jamais!...
D’un ton sec, Jacques reprit:
–Vous êtes pourtant d’âge à le devenir...
Elle leva la tête, et sa physionomie étonnamment mobile se fit soudain inquiète:
–Vous me trouvez vieille?... c’est vrai!... j’ai aujourd’hui trente-quatre ans!...
Elle indiqua de sa main fluette des corbeilles de fleurs posées un peu partout, sans ordre, dans le salon, et acheva:
–Vous voyez?...
Il s’excusa avec embarras.
–Je suis d’une impardonnable étourderie...
Mais déjà madame de Barroy s’était assise tout près de lui sur le divan, et disait de sa voix grave et tendre:
–Embrassez-moi, voulez-vous, c’est la meilleure façon de me souhaiter ma fête?...
Du bout des lèvres il toucha le joli front qui se tendait vers lui, et se leva en regardant craintivement la porte. Alors elle demanda:
–Qu’est-ce que vous avez donc aujourd’hui?... vous êtes tout drôle?..
–J’ai aujourd’hui, comme toujours, l’énervement que cause une situation fausse...
–Mais cette siluation dure depuis six ans et jamais vous ne m’avez dit ce que vous venez de me dire?... jamais je ne vous ai vu nerveux et agacé comme vous l’êtes, non seulement aujourd’hui, mais depuis...
Elle sembla chercher et reprit:
–Depuis un mois à peu près... je crois que vous m’aimez beaucoup moins, sinon plus du tout?...
Elle parlait presque bas, implorant une rassurante parole. II répondit, l’airennuyé:
–Vous êtes folle, ma pauvre Charlotte!
Elle le regarda stupéfaite:
–Charlotte voilà que vous m’appelez Charlotte à présent!...
–Enfin, on ne peut pourtant pas vous appeler éternnellllemeentnt Totote!... c’est ridicule à la fin!.... vous l’avez dit tout à l’heure,– vous n’êtes plus une enfant... vous avez trente-quatre ans... on n’est plus «Totote» à trente-quatre ans!...
Elle répondit, la voix assourdie, les yeux à terre:
–Je croyais qu’on était toujours Totote pour ceux qu’on aime?...
–Vous avez parfois des pensées sentimentales et mirlitonnesques qui jurent étrangement avec votre air évaporé...
Elle se leva, retenant ses larmes et, se regardant dans la glace, elle demanda, redevenue gamine tout à coup:
–Ai-je l’air évaporé?...
Il haussa les épaules sans... répondre. Alors elle expliqua:
–Moi, je ne me trouve pas cet air-là!... je n’ai certainement pas l’air austère, je ne suis pas à la pose, je suis comme je suis... et comme j’étais quand je vous ai plu...
Et se penchant contre la glace qu’elle toucha presque de son visage aimable et frais, elle acheva:
–C’est vrai!... bien que j’aie six ans de plus, je suis toute pareille!...
Il regarda la jolie silhouette longue et fragile et dit, convaincu malgré lui:
–Vous êtes très jolie!...
Elle se redressa:
–Non, je ne suis pas jolie!... Oh!... je le sais très bien! je me connais à merveille!... je ne me fais sur moi-môme aucune illusion, ni en bien, ni en mal...
Et elle conclut en riant:
–Je sais que Totote n’est pas du tout jolie, mais qu’on ne la trouve pas laide tout de même!...
Il murmura narquois:
–Vous tenez à «Totote?...»
–Oh! mon Dieu, non, je n’y tiens pas!... mais j’y suis habituée... je suis Totote, non seulement pour vous, mais pour tout le monde... On trouvait affreux le nom qui m’avait été donné à cause de mon parrain, on ne m’a jamais appelée Charlotte... Et, au contraire de ceux–et cest le plus grand nombre–qui ne sont pas satisfaits de leur nom, je l’aime, moi, le mien!... il n’est pas trop vulgarisé... et, sans être une musique, il est plus harmonieux que Totote...
–Ça n’est pas difficile!...
Elle s’approcha de lui et demanda, prête à pleurer, cette fois:
Je vous en prie, Jacques, dites-moi ce que vous avez aujourd’hui contre mon pauvre nom et contre moi?...
Mais rien!... que voulez-vous que j’aie?...
Je nen sais rien en vérité!... je n’ai rien fait qui puisse vous déplaire... mais je vous aime tant!... j’ai toujours si peur!...
–Peur de quoi?...
Que vous ne m ’aimiez plus!... mais vous savez ce que vous m’avez promis?...
Il demanda, l’air inquiet:
–Qu’est-ce que je vous ai promis?...
Oh! rien d’essentiel, rassurez-vous!... vous ne m’avez jamais promis de m’aimer toujours... et vous avez même pris soin de me faire remarquer que vous ne me le promettiez pas... mais vous m’avez promis autre chose, et ça, c’est facile à tenir?...
–Quoi?...
–De me dire franchement, sincèrement... et doucement aussi, quand vous ne m’aimerez plus... de ne pas me laisser m’en apercevoir à ces méchants riens qui me feraient tant souffrir... et de ne pas non plus me laisser l’apprendre par les potins du monde... Je vous ai demandé de me parler en ami... et vous me l’avez promis?...
Jacques Mirmont hésita un instant avant de répondre, mais Charlotte, la tête inclinéè, les yeux à terre, ne s’en aperçut pas. Alors, il murmura:
–A quoi bon penser à toutes ces choses?...
Elle répondit: .
–J’y pense toujours depuis quelque temps...
–Mais pourquoi?...
–Parce que, quoi que vous puissiez me dire, vous n’êtes plus le même!... Je vous vois moins souvent et je vous vois toujours ou distrait, ou préoccupé, ou désagréable... Vous m’aimiez tant, vous aviez tant de peine à vous passer de moi!... vous comprenez... ça me change?...
–Vous rêvez?... mais je ne peux pas vous en empêcher, n’est-ce pas?...
–Non... je ne rêve pas!... j’ai plutôt une tendance à voir les choses en rosé... mais je comprends si bien qu’au bout de tant d’années vous pouvez être las de moi!... je ne vous en voudrais pas, vous savez?... je trouverais ça tout naturel... il faudrait seulement me le dire bonnement, sans me brusquer, mais aussi sans me mentir... Qu’est-ce que vous écoulez?...
–Je croyais qu’on remuait chez votre mari?...
–Pourquoi donc aujourd’hui vous occupez-vous tant de lui, alors que, jusqu’ici, vous vous en êtes occupé si peu?... pas assez même....
— Comment, pas assez?...
–Dame!... c’était votre ami!... il m’aimait tendrement, et vous le saviez?...
–Eh bien?...
–Eh bien, ça ne vous a pas empêché de me prendre...
–Je vous aimais!...
–Moi aussi, je vous aimais!... et je vous aime encore!... ce qui n’empêche que, tous les deux, nous avons commis une vilaine action... une action dont j’ai, non pas le regret, mais le remords, ... et ça depuis la première minute...
––Moi aussi...
–Je crois que vous ne lisez pas en ce moment très clairement en vous-même...
–Parce que?...
–Parce que, si, avant aujourd’hui, vous aviez éprouvé ce que vous dites, vous n’auriez pas pu, tel que je vous connais, vous empêcher de m’en parler sans cesse?...
–Et vous?... m’avez-vous confié ce que j’apprends à l’instant pour la première fois...
–Moi, c’est tout différent!... outre que je n’ai jamais été libre avec vous comme vous l’êtes avec moi, j’ai toujours redouté, vous connaissant, de vous causer le plus petit ennui... vous savez que vous n’aimez pas les ennuis que vous jugez contraires à votre hygiène...
Oh! oh!... voilà que vous devenez méchante!...
–Non... je ne serai jamais méchante pour vous, quoi qu’il arrive... je vous aime trop pour ça!... je ferais tout aujourd’hui et toujours pour vous épargner un chagrin ou même un ennui... et je me suis gardée de vous laisser voir ce qui se passait dans ma tête...
Elle s’arrêta et reprit en souriant:
–Si peu faite pour les complications... Jacques quitta la cheminée et répondit, narquois, en s’installant dans le meilleur fauteuil:
–Vous avez bien dissimulé en effet... car j’ai toujours cru que vous trompiez votre mari avec le sans façon que vous avez en toutes choses...
Madame de Barroy affirma, et ses doux yeux avaient une expression désolée: ., .
Oh! non!... je sais qu’Henry m’aime et je l’aime aussi... oui!... pas comme il aurait fallu... mais sincèrement et tendrement tout de même... j’ai eu .du chagrin, un chagrin très grand, de reconnaître si mal sa bonté infinie et son amour profond... mais la pensée de lutter ne m’est pas venue... j’étais sans force contre moi-même et contre vous...
Le fait est que je n’ai pas attendu longtemps ce que, certes, je n’espérais pas obtenir aussi vite...
Et vous avez très mal auguré de la femme qui vous faisait ce brusque don d’elle-même... Dans ce cas, le sentiment qu’un homme éprouve est du dégoût et non de la reconnaissance...
Et comme il faisait un mouvement pour protester:
–Oh! ne vous en défendez pas, cest si naturel!... je comprends si bien l’horreur que doit inspirer la femme facile... je le comprenais si bien déjà à ce moment-la... Et j’étais atterrée de ce que j’avais fait... tout en me disant que si c’était à refaire, je le referais...
–Comme le caissier des Brigands?...
–Tout à fait!...
Je ne comprends pas très bien le chagrin que vous dites avoir ressenti... car, si je ne m’abuse, vous professez à l’égard des femmes qui trompent leurs maris une grande indulgence...
––Oui, quand le mari vit de son côté, peu soucieux de sa femme, mais n’admettant pas qu’elle le trompe par peur du ridicule, et en vertu de ce principe que l’homme et la femme, ça n’est pas la même chose...
–Dame!... c’est un peu vrai!...
Je ne trouve pas!... et, dans ce cas, j’ai non seulement de lindulgence, mais de la bienveillance même...
–C’est charmant!...
C est comme ça!... mais une femme qui trompe un mari. comme le mien... un être bon, distingué, exquis et qui l’adore... Ah! pour celle-là, je n’ai pas d’indulgence, ah! non!...
Cependant, l’action, en principe, est la même...
–En principe!... si vous saviez comme ça m’est égal, le principe!... je ne trouve répréhensible que ce qui nuit à un être inoffensif qui n’a pas mérité qu’on lui nuise... je nuis à mon mari qui m’aime en aimant un autre que lui... Le jour où j’ai séparé nos deux vies, j’ai fait une infamie... s’il ne m’avait pas aimée, je ne lui nuisais en rien, par conséquent j’étais à mes propres yeux très innocente...
A vos propres yeux, c’est possible, mais aux yeux du monde, la situation est identique...
Eh! le monde!... qu’est-ce qu’il vient faire la?... laissons-le donc un peu tranquille, le monde!..
Précisément, votre tort est de le laisser trop tranquille... vous devriez vous occuper un peu plus de lui... ce serait très opportun, je vous assure...
Qu’est-ce que vous voulez dire?...
–Oh!... rien de précis!... je fais allusion à votre façon d’être générale, qui est...
–Qui est?...
–Enfin, vous manquez de tenue... je ne vous l’apprends pas, je pense?...
–De tenue n’est pas le mot... de décorum serait plus exact...
Enfin, quand je vous ai rencontrée, vous passiez pour avoir été la maitresse du tiers et du quart...
–Eh bien, vous avez été mon premier... et vous serez mon seul amant!...
–On dit toujours ça!...
–Oh! je ne me défends pas!... je sais que vous êtes là-dessus aussi renseigné que moi-même!... vous avez bien vu quelle naïve jétais quand je vous ai aimé, et depuis, vous avez, quoi que vous puissiez dire, connu ma vie heure par heure...
–Avec les femmes, est-ce qu’on connaît jamais rien?... Ah!... à propos de femmes, et de femmes qui roulent les hommes...
–Est-ce moi qui vous fais penser à celles-là?...
–Non!... c’est ce pauvre petit Paul qui est bien roulé pour l’instant!...
–Ah!...
Oui... et, si ça n’était pas mon frère... et un frère que j’ai élevé, je trouverais ça drôle comme tout!...
Quel âge a-t-il, votre frère ?...
— Vingt-cinq ans !… juste quinze ans de moins que moi…
— Il est très gentil… il vient souvent me voir ?… Est-ce qu’il est toujours aux Affaires Étrangères ?…
— Toujours… mais c’est à ses propres affaires qu’il est étranger !… Figurez-vous qu’il a fait, il y a six mois, la connaissance d’une petite femme, la petite Ruth...
–Une Juive?...
Nonon... du moins pas que je sache!... mais les noms bibliques sont, pour le moment, très à la mode parmi les cocottes... Or, ce n’est pas avec les100francs par mois que ma belle-mère lui donne pour ses menus plaisirs qu’il peut subventionner la demoiselle en question, laquelle est, d’ailleurs, correctement entretenue par le vieux Lacombe... le sénateur d’Indre-et-Saône...
–Eh bien, c’est ça qui est drôle?...
Non... pas ça!... quoique, au fond, je ne puisse pas trop en vouloir à Paul de ce rôle plutôt... disons incorrect pour être poli, mais auquel le force l’état de ses finances... Ce qui est drôle, c’est que la petite bonne femme a raconté à Paul,–qui est jaloux comme tous les naïfs,–que le père Lacombe n’a jamais obtenu de lui embrasser autre chose que le bout des doigts, et qu’il est là suppliant, se roulant à ses pieds, et attendant son bon plaisir!... Et ce garçon intelligent, futé même–pour tout ce qui n’est pas l’amour–croit éperdument cette invraisemblable bourde...
–Eh bien, qu’est-ce que ça fait?...
–Ça fait que c’est idiot!... on n’est pas bête à ce point-là!...
–Que si!... à l’occasion, vous seriez tout comme lui si vous tombiez dans des mains habiles...
–Permettez?...
–Ils sont rares, allez, les hommes intelligents, qui s’aperçoivent qu’ils sont trompés!...
–C’est vrai!... votre mari, par exemple...
Elle murmura pensive, la bouche sérieuse et les yeux inquiets:
–Mon mari?... il saurait tout que ça ne m’étonnerait pas!...
Jacques Mirmont haussa les épaules:
–Et il ne dirait rien?... et il laisserait ainsi s’écouler paisiblement nos vies, en acceptant un rôle ridicule?...
–Ridicule?... en quoi ridicule?... encore un préjugé stupide, celui-là!... Ridicule un homme, parce qu’il a épousé une drôlesse ou une créature sans vo lonté et sans force telle que moi?...
–Enfin, que vous le vouliez ou non, c’est la façon de voir du monde, et votre mari qui, lui, fait aux con ventions mondaines les concessions qu’il faut, n’aurait pas accepté un tel état de choses...
–Vous oubliez qu’il m’aime?...
–Raison de plus!...
–Qu’il m’aime... non pas seulement comme vous m’aimez... mais aussi avec son cœur!... et puis, après tout, je me trompe peut-être... et je souhaite sincèrement me tromper...
–Mais enfin, qu’est-ce qui peut vous faire croire...
–Tout et rien!...
–Mais encore?...
Eh bien, ce matin, par exemple, je lui ai demandé s’il était vrai qu’on lui eût offert d’aller à Londres comme premier secrétaire?... il m’a répondu que oui, mais qu’il n’avait pas voulu m’en parler, craignant de me contrarier...
–Ça ne prouve rien!...
Ça prouve qu’il sait que je ne voudrais pas quitter Paris aujourd’hui, alors qu’il sait également qu’autrefois je partais sans seulement demander pour où...
Comment avez-vous appris qu’on lui avait offert ce poste?...
–Par Pourville, que j’ai ramené hier en sortant de chez votre tante Dorsay...
–Madame Dorsay n’est pas ma tante, vous savez?...
–Enfin, cest la tante de votre frère... et elle vous aime comme si vous étiez son neveu...
–Un neveu presque de son âge... D’ailleurs, vous avez raison, je l’appelle souvent, comme Paul: «La tante Claire...»
–Tout le monde l’appelle la tante Claire...
–Vous disiez, quand je vous ai coupée, que vous aviez ramené Pourville?... ramené comment?...
–Dame! en voiture...
–Tout seul?...
–Mais oui... pourquoi?...
–Parce que, décidément, je disais vrai tout à l’heure, .. vous avez une singulière tenue!...
Il se leva, et se mit à marcher, arpentant le salon, touchant brusquement les bibelots posés sur les tables, redressant les tableaux, l’air embarrassé de son attitude, et évitant de rencontrer les yeux de madame de Barroy qui le suivait d’un regard étonné. A la fin, elle demanda:
–Une singulière tenue?... pourquoi?...
–Parce que une femme de votre âge ne reconduit pas un homme comme Pourville...
La nature gamine reparaissant, elle s’écria en riant:
–Décidément j’ai un mauvais âge!... il est trop avancé pour qu’on m’appelle Totote et pas assez pour que je. reconduise Poùrville!... c’est pas commode!... qu’est-ce qu’il me permet de faire, voyons, mon âge?…
–Il vous permet de vous tenir comme une femme du monde se tient... d’éviter des promiscuités compromettantes, et en elles-mêmes et parce qu’elles font potiner...
–Alors, nous avons dû faire terriblement potiner, nous deux!... car ce que je vous ai reconduit de fois en voituré... et vous n’avez pas l’âge respectable de Pourville!...
–Moi, ça n’est pas la même chose!....
–Comment, pas la même chose!... pour vous, je lé veux bien, mais pour le monde?... vous qui parlez de potins, il me semble...
–Il vous semble mal et faux, ... vous avez des façons de cheval échappé, de femme qui fait tout ce qui lui passe par la tête, et qui se fiche du qu’en diraton?... –
–Oh! quant à ça, vous pouvez le dire, que je m’en fiche!... et c’est heureux pour vous!...
–Pour moi?...
–Oui!... car si je ne m’en fichais pas, vous n’auriez pas vécu comme nous vivons depuis six ans, sans nous gêner vraiment...
Il allait entamer une discussion. Tout à coup, il changea de tactique et, bon enfant:
–Eh bien, c’est le tort que nous avons eu!... oui, vous voyez très juste en cette occasion... nous avons eu grand tort de vivre comme nous l’avons fait... d’afficher une liaison...
Elle l’interrompit brusquement:
–C’est vous qui l’avez affichée, et ça, malgré mes prières... Oh! je ne dis pas que vous l’avez affichée pour me compromettre... ça non!... mais tout bonnement parce que ça vous était plus commode...
Mirmont était en train de s’humilier, il reconnut avec bonhomie:
–C’est vrai!... j’ai été très coupable... c’était à moi de vous retenir sur cette pente au lieu de vous y pousser...
Comme elle ne répondait rien, il ajouta:
–Vous pensez si je le regrette?... moi qui aime précisément les femmes effacées, incolores, un peu fadasses même, si vous voulez...
Elle fit, stupéfaite:
–Vous!... c’est nouveau, alors?...
–Non, pas précisément, mais c’était à l’état latent...
Comment, c’«était»?...
–C’est, si vous aimez mieux!... Je trouve que la femme qui sera la compagne de toute la vie doit être une douce créature, saine et calme, qui reste chez elle...
–A filer la laine?...
–Vous avez l’air de rire... c’est la vérité pure, ça!... une femme doit être, non une maîtresse toujours en l’air, mais une amie assise au foyer dont elle a la garde...
–Ça ne vous amuse pas trop?...
–Quoi?...
–Ce que vous dites?...
–Mais...
Elle éclata de rire:
–Non!... je vous assure, je voudrais que vous vissiez votre tête?...
Il dit, rageur:
–C’est excessivement drôle!...
Mon Dieu, oui, c’est drôle!... je ne vous ai jamais vu dans ce rôle-là, moi!... il faut me donner le temps de m’y habituer... c’est tellement imprévu...
Et comme il continuait sa promenade, grincheux, cherchant quelque phrase agressive, elle dit:
Laissez-moi seulement vous demander une chose –si ce n’est pas indiscret toutefois?...
–Demandez!...
–Eh bien, comment se fait-il que, pouvant facilement trouver dans votre monde des femmes du modèle que vous me dépeignez, vous soyez venu me chercher dans un autre monde très différent...
–Un hasard!...
Et un hasard qui ne fait pas bien les choses... car dans ce monde, qui est le mien, je suis une exception dans le genre qui vous déplaît si fort... depuis quelques jours...
–En voilà une idée!...
Une idée juste!... il y a quelque chose qui vous a tout à coup heurté en moi, dans mes allures, dans mes habitudes, dans tout... et comme, dans tout ça, rien n’a été modifié...
Eh bien?... qu’est-ce que vous croyez?...
Oh!... comme je ne saurai rien, quoi que je fasse, j’aime mieux ne rien croire!... c’est moins compliqué... et plus pratique...
Une femme entrait, très vive, avec pourtant une figure douce et reposée, où les yeux seuls brillaient d’une vie intense. Petite, mince et fine, très modestement habillée d’une robe de laine grise bien coupée et toute simple, elle s’avança le visage souriant, les yeux rieurs. Absorbée, madame de Barroy ne la voyait pas; alors Jacques dit:
–Ah!... voilà justement la tante Claire!...