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II

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Table des matières

Madame Dorsay tendit un petit bouquet de violettes à la jeune femme, qui s’était levée pour aller à sa ren contre, et avançant son museau aimable, elle dit:

Je vous embrasse et je vous souhaite une bonne, très bonne fête, ma chère petite Totote...

Madame de Barroy, heureuse de sentir quelqu’un entre elle et Jacques, répondit presque gaiement:

Une vieille fête!... qu’on ne devrait plus me souhaiter...


La tante Claire protesta:

–Allons donc!... vous avez l’air d’avoir dix-huit ans!

–De très loin!...

–Non, de très près aussi!.. vous avez l’air d’une jeune fille... A propos de jeune fille, la petite Préaux se marie... ma sœur va être désolée... elle la guignait pour Paul...

–Paul ne m’a pas l’air d’avoir le nez tourné du côté du mariage...–dit Mirmont en riant.

Il a bien raison!... un homme qui se marie est toujours un serin... mais s’il se marie à vingt-cinq ans, il est un fou, et un fou nuisible, parce que, alors, il fait le malheur de deux personnes au lieu de ne faire que le sien propre...

Madame de Barroy dit:

–Vous n’êtes pas pour le mariage...

–Des hommes?... Ah! non!... les femmes, il faut bien qu’elles en passent par là, puisqu’on n’a pas encore trouvé autre chose et qu’on s’obstine, en France, à faire aux vieilles filles une situation absurde... mais, à mon sens, un homme qui se marie se suicide intellectuellement... à moins d’être de ceux qui traitent la femme en servante et ne lui accordent pas la moindre place dans leur vie...

Mirmont observa:

–Vous n’êtes pas féministe...

–Pourquoi?... je suis au contraire pleine de pitié pour les pauvres femmes victimes du mariage... voyez-vous, par exemple, cette petite Préaux qui est gentille comme un amour...

–Un amour un peu trop éveillé...

–Éveillé, oui,–mais pas trop... Jaime mieux ces petites filles drôles, gamines, un peu «gosses», que les demoiselles qui, dans le monde, baissent les yeux, quitte "à flirter en cachette avec leur professeur de piano ou les frères de leurs amies... Je sais bien que vous n’êtes pas de mon avis...

–Mais si...–dit madame de Barroy–tout à fait...

–Oh! vous, j’en suis bien sûre!... vous êtes une rieuse, vous!... non, c’est à Jacques que je disais ça... parce que lui, quand une femme ne regarde pas les hommes en face, il la juge propre à être l’honneur et la joie de leur foyer...

Moqueusement, elle examinait Mirmont. Charlotte tourna vers eux ses longs yeux clairs qui semblaient questionner. Alors il s’empressa de demander à madame Dorsay:

–Tout à l’heure, quand je vous ai coupée... qu’est-ce que vous alliez dire?...

–Ah! bien!... si vous croyez que je sais encore ce que j’avais l’intention de dire tout à l’heure!...

–Mais si!... vous disiez, à propos des femmes qui sont victimes du mariage: «Voyez-vous, par exemple, cette petite Préaux qui est gentille comme un amour» Et puis?...

–Eh bien, voyez-vous cette petite épousant un garçon de l’âge de Paul?... je l’adore, d’ailleurs, mon filleul!... mais voyez-vous cette pauvre vie à côté de l’horrible petit égoïste qu’il est?... non pas lui seulement, mais tous les petits jeunes!... Et on parle de l’égoïsme des vieux, ah bien!...

Madame de Barroy demanda:

–Vous croyez qu’il faut, entre le mari et la femme, une différence d’âge très marquée?...

–Pour que la femme soit heureuse, ou à peu près?... oui, je le crois...

–Quelle différence exigez-vous?...

–Quinze ans au moins... j’aimerais mieux vingt...

Et, comme Mirmont semblait approuver, elle reprit vivement:

–Notez bien que je me place ici exclusivement au point de vue de la femme... L’homme, s’il est jaloux, même sans motif–a des chances d’être très malheureux... mais il l’est discrètement, avec le tact que donne nécessairement l’expérience, et, s’il aime sa femme, au lieu de l’aimer brutalement, maladroitement, il l’aime avec une tendresse indulgente, il lui aplanit toutes les difficultés de la vie, il l’aime pour elle et non pour lui, parce qu’il s’est aperçu que cest encore la plus douce façon d’aimer...

–Alors,–demanda en riant Charlotte–vous admettez qu’il y a de bons hommes?...

–J’en connais d’exquis... ainsi Pourville, par exemple... et votre mari...

–Mon mari–fit madame de Barroy, devenue soudain sérieuse–est l’être le meilleur, le plus parfait qui soit... il m’a rendue aussi heureuse qu’on peut l’être...

–Et il a quatorze ans de plus que vous!... vous voyez qu’il y a du vrai dans ce que je disais tout à l’heure?, .. Oh! les belles fleurs!...

Elle regardait un véritable buisson de boules de neige que deux domestiques apportaient difficilement dans le salon.

Charlotte se leva et dénoua la carte attachée à l’une des fleurs par un fin ruban de satin gris, d’un gris vert, tout à fait particulier.

Mirmont regarda le ruban et dit, d’un ton aigre:

Ah!...–c’est quelqu’un qui connaît bien votre couleur favorite?...

–«Marquis de Morières»...–lut madame de Bar roy, qui jeta la carte sur une table.

Sans voir l’œil moqueur de la tante Claire fixé sur lui, Jacques prit une mine renfrognée et sévère, tandis que la jeune femme murmurait, ne se rendant pas compte de ce qui se passait derrière elle:

Pourquoi M. de Morières m’envoie-t-il un pareil cadeau?... il a dîné deux fois à la maison cette année, et il m’a donné il y a quinze jours des fleurs pour le1er janvier... Et puis, comment sait-il que c’est ma fête?...

Madame Dorsay répondit, en lançant un regard narquois à Mirmont, qui semblait rageur et embarrassé:

–Morières a certainement une raison de faire cç qu’il fait!... cest un malin, Morières, et qui n’agit pas sans but... avec lui il y a toujours des dessous...

Et, enfin réchauffée, elle quitta le coussin pour aller admirer le superbe arbuste, qui étalait jusqu’au plafond, ses branches chargées de grosses boules blanches.

–Le fait est qu’il est beau, cet arbre!... Si au lieu d’habiter un vieil hôtel du Faubourg, vous habitiez une petite maison comme la mienne, il aurait fallu le laisser dehors... il a plus de trois mètres de haut... il fait bien les choses, Morières!!...

Jacques affirma:

C’est d’un goût détestable!... on n’envoie pas à une femme un cadeau de trente ou quarante louis– car je suis sûr que cette bête de plante a coûté ça– sans avoir été reçu chez elle à la campagne... ou à Paris continuellement.

–Je trouve ça aussi!...–dit Charlotte.

Madame Dorsay ne fut pas du tout de cet avis:

–On peut,–dit-elle–donner des fleurs ou des bonbons pour n’importe quelle somme... çana jamais l’air d’un cadeau... il y a là pour quarante louis de fleurs, mais elles sont plantées dans un pot qui vaut bien trois francs...

Et s’approchant d’un gros azalée blanc, qui émergeait d’un très beau vase cloisonné, elle continua:

–Ici... c’est la potiche qui vaut quarante louis et les fleurs, cinq ou six francs... si ça n’est pas donné par un intime, c’est bien certainement offert par un rasta...

–A peu près!... c’est d’Antin qui m’a envoyé ça!...

–Ce doit être un des. cadeaux que madame de Bouillon a reçus au premier janvier d’un Salomon ou d’un Sinaï quelconque, et qu’elle lui aura repassé pour vous...

Charlotte se mit à rire et dit:

–C’est bien possible!...

Madame Dorsay reprit:

–Qu’est-ce que vous voulez?... à force de vivre avec des mufles, on le devient plus ou moins soi-même.... Tiens!... quand on parle du loup....

La baronne de Treuil entrait, plus .maigre et plus élégante que jamais, suivie de madame Guérande.

La tante Claire ne pouvait pas souffrir les deux femmes. L’une, parce qu’elle lui représentait le type juif dans toute son horreur et sans les qualités de la race, l’autre parce qu’elle supposait qu’elle était la maîtresse du baron Sinaï.

Comme elle se levait pour partir, Charlotte la retint en disant:

Ne vous en allez pas encore... voici justement votre neveu....

Paul Mirmont, un joli garçon grand et souple, avec des cheveux châtains, des moustaches très blondes et une peau de bébé, s’avançait, l’air heureux. Après avoir serré la main à madame de Barroy et à la tante Claire et salué mesdames de Treuil et Guérande, il dit à son frère d’un ton de reproche affectueux:

–On ne te voit plus, toi!....

–Tais-toi donc!...–fit à demi-voix Jacques Mirmont–il est inutile de parler de ça pour l’instant....

–De quoi?....

–Eh bien, mais... de mon plus ou moins d’assiduité à la maison

Dame!... il est pourtant bien naturel que....

–Mais tu es un impitoyable bavard!... veux-tu te taire, voyons?....


–Ah!... je ne savais pas que c’était un secret!... un secret de Polichinelle, d’ailleurs, car Le Gaulois de ce matin en parle.

–Ah!... fit Jacques contrarié, en louchant sur Le Gaulois qu’il apercevait posé sur un coin de la table à côté de madame de Barroy.

Oui... il en parle assez aimablement même... c’est les de Lorme qui ont dû rédiger le filet... il n’est question que de leurs ancêtres!...

Il se mit à rire et Jacques le toisa d’un air mécontent.

Les deux frères se ressemblaient beaucoup. C’étaient Les mêmes tailles droites et hautes, les mêmes cheveux ondulés, les mêmes moustaches pâles, les mêmes yeux d’un brun roux, à l’expression intelligente et câline. Seulement, alors que la silhouette de Jacques s alourdissait un peu, celle de Paul était d une minceur extrême.

Très haut, les femmes causaient, assises près de la petite table à thé. Charlotte servait, attentive, ne s’occupant que de la couleur du thé et de la chaleur des petits gâteaux. Paul demanda:

–Comment veux-tu que tout le monde ne le sache pas?... on ne parle que de ça!...

Jacques Mirmont répliqua brusquement:

–On ne parle pas de ça dans le monde de madame de Barroy!... elle voit des gens d’un milieu tout autre que les de Lorme....

–Elle ne t’en dit rien par discrétion, mais je parie bien qu’elle le sait?...

–Je parie, moi, qu’elle ne le sait pas?...–dit Jacques en regardant la. jeune femme qui allait et venait souriante.

–Alors, tu devrais le lui dire?... tu es trop lié avec elle pour lui laisser apprendre ton mariage par les journaux... et puis, elle t’aime beaucoup et ça lui ferait plaisir...

Jacques. Mirmont coula vers son petit frère un regard tout plein de bienveillant mépris et répondit:

C’est possible!... mais j’aime mieux le lui dire quand il n’y aura personne... d’ailleurs, il faut que je parte... il est quatre heures et demie... je devrais être déjà boulevard Malesherbes...

Il sinclina devant madame de Treuil et madame Guérande et serra la main à Charlotte et à la tante Claire. En sortant, il croisa d’Antin qui arrivait, habillé d’un pantalon au pli immuable, d’une jaquette qui lui descendait aux jarrets, et d’un mirobolant nœud de cravate.

A peine assis, d’Antin s’écria:

–Il a l’air radieux, le fiancé!...

–Patatras!...–fit entre ses dents madame Dorsay tandis que Charlotte, qui versait du thé dans une tasse, s’arrêtait, demandant la main en l’air:

–Quel fiancé?...

–Eh bien, mais, M. Mirmont!... vous ne le saviez pas?...

–Pas du tout!–dit madame de Barroy dont le fin visage demeura immobile. Et, après un instant, elle ajouta:

–J’aurais dû m’en douter, pourtant!...

–A quoi!...–demanda la tante Claire.

Elle répondit simplement:

A mille petits riens... il était changé depuis quelque temps... il paraissait préoccupé, pressé... on le voyait à peine... Qui épouse-t-il?...

Madame de Treuil dit:

–Mademoiselle de Lorme...

–Est-elle jolie?...

–Très jolie...–affirma Paul,–mais pas rigolote!... ah! non!... c’est pas une belle-sœur comme ça que je rêvais!... Enfin!... pourvu que Jacques soit content.!... et il l’est, ça ne fait pas question!...

La tante Claire regardait attentivement madame de Barroy, et, devant son visage souriant, elle sentait diminuer la conviction qu’elle avait toujours eue qu’une liaison entre elle et Mirmont existait. Si, comme elle l’avait cru, la jeune femme aimait Jacques passionnément, elle ne pourrait pas être à ce point maîtresse d’elle-même. Et, peu à peu, elle se reprochait d’avoir calomnié la gentille créature. Charlotte acceptait si gaiement l’annonce d’un événement qui, si elle était la maîtresse de Mirmont, la remplirait certainement de tristesse, qu’elle ne savait plus que croire.

Quant à Paul, il s’étonnait à part lui que, puisqu’elle aimait bien son frère, madame de Barroy ne parût pas plus heureuse d’un mariage qui le comblait de joie. Il demanda, s’adressant à sa tante:

–N’est-ce pas qu’il est ravi, Jacques?... et que la jeune fille est jolie?...

Madame Dorsay répondit brusquement:

–Pour ravi, il l’est!... quant à la jeune fille, elle est superbe... seulement, tu sais, c’est pas mon modèle...

–Ni le mien, fichtre!...

La tante Claire dit en riant:

–Non, ton modèle à toi, c’est une petite bonne femme blonde, ébouriffée, avec un nez en l’air et une belle peau bien fraîche...

–Mais...–fit-il embarrassé.

–Ne dis pas non?... je t’ai rencontré l’autre jour!... tu ne m’as pas vue... ou tu as fait comme si tu ne me voyais pas, et je t’en sais gré... parce que, tu sais, quand on sort accompagné de la sorte, on ne doit pas reconnaître les gens de la famille...

–Je vous demande pardon, tante... mais ne croyez pas... ce n’est pas...

–Une cocotte?... j’en suis convaincue, mon petit!...

–Tiens, comment ça?...

––Parce que la femme qu’on a n’est jamais une cocotte... pendant, car après...

Ils parlaient à demi-voix, isolés de la conversation. Tout à coup madame Dorsay s’interrompit et se tourna vers madame de Treuil qui disait, en élargissant dans un sourire méchant sa terrible mâchoire:

–On ne croyait pas qu’il se marierait, M. Mirmont!... on prétendait qu’il avait une liaison indestructible...

Et comme Paul écoutait, l’air ahuri, madame Guérande s’écria, s’adressant directement à lui:

–Mais c’est à son frère qu’il faut demander ça!...

–Tiens!...–fit sèchement la tante Claire–c’est le dernier à qui je songerais à le demander... je n’aurais même pas eu l’idée d’en parler devant lui...

Paul affirma, naïvement sincère:

–On peut me demander tout ce qu’on voudra sans me donner l’occasion d’être indiscret... je ne sais rien!... et j’aurais parié qu’il n’y avait, dans la vie de mon frère, rien qui pût être considéré comme sérieux... il va, il vient, il se déplace du jour au lendemain sans avoir le temps de crier gare... il me paraît libre comme l’air!...

C’est vrai...–dit lentement madame de Barroy –à moi aussi, il me parait libre comme l’air!...

Elle songeait que toujours, depuis six ans, elle avait ignoré les projets de Jacques. Jamais il ne lui disait s’il comptait voyager, ou rester, ou revenir. Il avait une crainte ridicule, à force d’être excessive, de s’engager, d’entraver en quoi que ce fût sa liberté. Ilétait impossible, si l’on voulait organiser une partie, ou un pique-nique, ou une excursion, d’obtenir de lui une promesse formelle. Et, d’autre part, si lui décidait quelque chose pour le lendemain, il paraissait stupéfait et mécontent que tout le monde ne fût pas immédiatement libre. Vivant seul, il n’admettait pas qu’on pût avoir des parents, ou des enfants, ou des obligations quelconques à remplir à l’heure qu’il choisissait pour un dîner ou un départ. Et alors qu’elle-même mariée, et ayant autour d’elle toute une théorie de vieux parents et de gens de qui elle dépendait plus ou moins, s’appliquait de tout son pouvoir à se rendre indépendante et organisait toute sa vie en vue de lui, il affectait très convaincu d’ailleurs du contraire–de croire qu’elle se souciait peu de lui être agréable ou non.

Certes, elle ne découvrait pas aujourd’hui l’étonnant égoïsme qui le faisait se poser en victime, alors que tout gravitait autour de sa volonté. Depuis très longtemps elle connaissait,–sans que son amour en fût diminué–tous les défauts de Jacques; mais jamais elle n’avait souffert comme en cette minute de l’égoïsme qui lui avait fait redouter tout à l’heure l’ennui d’une explication. Il savait bien, pourtant, qu’elle pliait toujours, ne protestant que pour la forme. Et cette fois, n’ayant plus rien à espérer, elle eût plié sans même protester. Mais elle l’adorait si fort qu’elle ne lui en voulait pas de sa mauvaise foi. Elle était désespérée, mais aimante quand même, et souhaitait– et cela de toute son âme–que Jacques fût absolument heureux.

D’une voix un peu enrouée, elle demanda, indifférente, en offrant à d’Antin la tasse de thé qu’elle venait de servir:

–Alors, elle est très jolie, la fiancée de Mirmont?...

–Très!...

–Quel genre de beauté?...

–La beauté grecque...–dit en riant madame Guérande. Et s’adressant à la baronne de Treuil:

–N’est-ce pas, Giselle?...

En entendant ce nom, la tante Claire fit un mouvement et demanda, étonnée:

–Comment?... madame de Treuil s’appelle Giselle?... je croyais qu’elle s’appelait Agar?...

–Oui...–répondit madame Guérande–elle...

La baronne l’interrompit vivement...

–C’est vrai!... mais c’est un nom prétentieux!... il faut être ravissante pour porter ce nom-là, ou alors il devient ridicule... alors je me suis décidée à changer...

La tante Claire écoutait poliment, atténuant son petit sourire narquois, et pensant qu’on avait espéré, en supprimant «Agar», effacer définitivement le dernier vestige de la juiverie originelle.



Et elle souhaitait à. part elle d’être–oh! pour un instant seulement–l’un de ces Juifs qui, grâce au tempérament et aux traditions de la race, font la fortune de leur maison. Comme elle s’arrangerait vite pour ôter jusqu’au dernier sou de cette fortune à ces élégantes renégates et à leurs écœurants maris! Jusqu’ici elle avait considéré «Agar»–qu’elle rencontrait quelquefois chez madame de Barroy– avec une indifférence absolue. Depuis cinq minutes, elle regardait «Giselle» avec un mépris qu’elle s’efforçait de dissimuler.

Paul, trouvant qu’on ne renseignait pas suffisamment Charlotte sur la beauté de sa future belle-sœur, prit la parole pour expliquer:

Elle est très belle, vraiment!... elle a des cheveux bruns, lourds, épais, c’est superbe à voir!... de grands beaux yeux qui sont souvent baissés, et des cils!... les traits sont beaux, les dents aussi, tout est beau!... avec ça, très bien faite... et froide, froide, glaciale!... Brrr!... c’est égal!... si tout ça peut s’animer, je ne plains pas celui qui l’animera...

–Espérons que ça sera ton frère?...–fit paisiblement observer madame Dorsay.

Paul, voyant qu’on riait, reprit vivement:

Naturellement!... c’est ce que je disais... seulement ça n’a pas l’air facile!...

Il se tourna vers sa tante et ajouta à demi-voix:

Mais mâtin!... si ça arrivait, je crois qu’on ne s’embêterait pas!...

Tu sais,–fit la tante Claire en riant–tu peux garder pour toi tes appréciations!...

Et elle ajouta sérieuse:

Et puis, cest de mauvais goût de parler ainsi de celle qui sera la femme de ton frère!... elle me déplaît, elle m’est antipathique même, et Jacques ne m’est rien... mais je ne me permettrais pas de parler comme tu le fais de la jeune fille qu’il va épouser... et qui est honorable, après tout...

–Vous avez raison, tante Claire... et je ne l’aurais probablement pas fait, s’il eût été question d’une femme comme les autres... d’une femme qu on peut supposer accessible... mais celle-là est tellement d un autre tonneau!... on peut plaisanter du plus ou moins de tempérament d’une statue... et c’est une vraie statue...

–Galatée aussi était une statue...

C’est pas la même chose!... voulez-vous mes pronostics, tante Claire?... ça vous est égal?... ben, je vous les dirai tout de même... Jeanine sera...

Ah!... elle s’appelle Jeanine?...

–Vous ne le saviez pas?...

Non... c’est d’ailleurs une de ces femmes qui n’ont pas l’air d’avoir un petit nom...

Eh bien, Jeanine subira son mari...

–Espérons-le!...

–Mais elle sera imprenable pour les autres...

–Espérons-le aussi!... et pourtant, il n’est pas de femme imprenable... chacune a son heure, le tout est d’arriver au moment psychologique... et puis, Jacques est trop amoureux pour être adroit...

Oui... mais il est si intelligent et si bon...

–Bon pour celle-là, il le sera certainement!... mais je me demande s’il l’a toujours été pour les autres…

Inconsciemment, madame Dorsay glissa son œilmalin dans la direction de Charlotte. Elle n’était plus auprès de la table à thé. Assise à l’extrémité du salon, elle écoutait, avec une attention aimable, les potins que lui racontaient d’Antin et les deux jeunes femmes. Son regard était distrait, mais sa physionomie souriante, et la tante Claire pensa:

–Je me suis bien trompée, moi!... Et dire que tout à l’heure encore, jaurais juré qu’elle l’aimait à en mourir!...


Totote

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