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III

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Une maison hospitalière: comme l'était celle de madame de Barizel devait s'ouvrir facilement pour le prince Savine.

En relations avec Dayelle depuis longtemps, Savine n'eut qu'à attendre une visite de celui-ci à Bade pour se faire présenter à la comtesse, et bientôt on le vit partout aux côtés de la belle Corysandre.

Ce ne fut qu'un cri:

—Le prince Savine va épouser mademoiselle de Barizel.

C'était ce que Savine voulait. On parlait de lui, on s'occupait de lui, lorsqu'il paraissait quelque part, il avait la satisfaction enivrante pour sa vanité de voir qu'il faisait sensation; il était revenu à ses beaux jours, Otchakoff serait éclipsé.

Pensez-donc, un mariage entre le riche Savine et la belle Corysandre, quel inépuisable sujet de conversation!

Il levait les yeux dans un mouvement d'extase, mais il ne répondait pas.

Cette femme adorable serait-elle la sienne? Serait-il ce mari bienheureux?

Cela ne faisait pas de doute pour aucun de ceux qui avaient assisté à ces explosions d'enthousiasme, et cependant personne ne pouvait dire que Savine s'était nettement et formellement prononcé à ce sujet.

Il voulut davantage, mais, sans s'engager, sans qu'un jour madame de Barizel ou même tout simplement le premier venu pussent s'appuyer sur un fait positif et précis pour soutenir qu'il avait voulu être le mari de Corysandre, car il avait une peur effroyable des responsabilités, quelles qu'elles fussent.

Si ordinairement et en tout ce qui ne lui était pas personnel, il n'avait que peu d'imagination, il se montrait au contraire fort ingénieux et très fertile en ressources, en inventions, en combinaisons pour tout ce qui s'appliquait immédiatement à ses intérêts ou devait les servir.

Ce qu'il trouva ce fut une fête de nuit en pleine forêt, avec bal et souper, organisée en l'honneur de Corysandre. En choisissant un endroit pittoresque qui ne fût pas trop éloigné de Bade, de façon qu'on pût y arriver facilement, il était sûr à l'avance de voir ses invitations recherchées avec empressement. Sans doute la dépense qu'entraînerait cette fête serait grosse, et c'était là pour lui une considération à peser; mais, tout compte fait, elle ne lui coûterait pas plus qu'une séance malheureuse, comme celles qu'il avait eues en ces derniers temps à la table de trente-et-quarante, et l'effet produit ne pouvait pas manquer d'être considérable et retentissant. D'ailleurs il n'était pas dans son intention de prodiguer ses invitations: plus elles seraient rares, plus elles seraient précieuses, et les malheureux qu'il ferait parleraient de lui autant que les heureux,—ce qu'il voulait.

Après avoir soigneusement étudié les environs de Bade, l'emplacement qu'il adopta fut un petit plateau boisé situé entre le vieux château et l'entassement de roches sillonnées de crevasses qu'on appelle les Rochers; il y avait là une clairière entourée de superbes sapins au tronc et aux rameaux, recouverts d'une mousse blanche, qui pendait çà et là en longs fils, et dont le sol était à peu près uni, c'est-à-dire tout à fait à souhait pour qu'on y pût danser et pour qu'on y dressât les tentes sous lesquelles on servirait les tables du souper.

En moins de huit jours, tout fut organisé et Savine eut la satisfaction de se voir poursuivi et assiégé de demandes d'invitations.

Quel chagrin, quel désespoir pour lui de refuser; mais le nombre des invités avait été fixé à cent par suite de l'impossibilité de dresser sur ce terrain tourmenté des tentes assez grandes pour recevoir autant de convives qu'il aurait désiré. Ce désespoir avait été tel qu'il s'était décidé à porter le nombre de cent, à cent cinquante; puis, devant les instances dont il avait été accablé, et pour ne peiner personne, de cent cinquante à deux cents.

Mais s'il se donna le plaisir pour lui très doux de refuser de hauts personnages qui ne pouvaient pas le servir, par contre il n'eut garde de ne pas s'assurer la présence des journalistes qui se trouvaient en ce moment à Bade.

En réalité c'était pour eux que la fête était donnée.

Aussi ce fut entre eux et Corysandre que pendant cette fête il se partagea, n'ayant d'attentions et de gracieusetés que pour elle et pour eux; pour tous ses autres invités, affectant une morgue hautaine.

Mais tandis qu'avec Corysandre il affichait l'empressement, l'entourant, l'enveloppant, ne la quittant presque pas, de façon à bien marquer l'admiration et l'enthousiasme qu'elle lui inspirait, avec les journalistes, au contraire, il se tenait sur la réserve et c'était seulement quand il croyait n'être pas vu ou entendu qu'il leur témoignait sa bienveillance, prenant toutes les précautions pour qu'on ne pût pas supposer qu'il était en relations suivies avec ces gens-là.

—Comment trouvez-vous cette petite fête?

—Admirable.

—Vous en direz quelques mots?

—C'est-à-dire que je lui consacrerai mon prochain article tout entier.

—Avec discrétion, n'est-ce pas? C'est un service, que je vous demande; si vous pouvez ne pas parler de moi n'en parlez pas; j'ai l'horreur de tout ce qui ressemble à la réclame.

—Si cela vous contrarie trop, je peux ne rien dire de cette fête.

—Oh! non, je ne veux pas, vous demander ce sacrifice: je comprends qu'un sujet d'article est chose précieuse, et je ne veux pas vous priver de celui-là; seulement je vous prie d'observer une certaine réserve en tout ce qui me touche personnellement, ou mieux, vous voyez que j'agis avec vous en toute franchise, je vous prie si vous n'envoyez pas votre article tout de suite, de me le lire. Voulez-vous?

—Volontiers.

—Comme cela je serai responsable de ce que vous aurez dit et je ne pourrai avoir pour votre obligeance et votre sympathie que des sentiments de reconnaissance. A demain, n'est-ce pas?

Le lendemain, aux heures qu'il avait eu soin d'échelonner pour que ceux qui devaient trompéter son nom ne se trouvassent point nez à nez, il entendit la lecture des différents articles qui allaient chanter sa gloire aux quatre coins du monde; et alors ce furent de sa part des éloges sans fin.

—Charmant, adorable! quel talent; mon Dieu! C'est une perle, cet article, je n'ai jamais rien lu d'aussi joli, et quelle délicatesse de touche, quelle grâce! Je ne risquerai qu'une observation. Vous permettez, n'est-ce pas?

—Comment donc.

—C'est une prière que je veux dire: la réserve que je vous avais demandée, vous ne l'avez peut-être pas observée aussi complète que j'aurais voulu, mais passons; ce que je désire, ce n'est pas une suppression, c'est une addition: je serais bien aise que vous glissiez un mot sur mon titre et sur le rang que j'occupe dans la noblesse russe; il y a tant de princes russes d'une noblesse douteuse,—ce n'est pas positivement pour Otchakoff que je dis cela,—je ne voudrais pas que le public français, mal instruit de ces choses, me confondît avec ces gens-là; voulez-vous?

—Avec plaisir.

—Alors je vais vous donner des renseignements... authentiques.

Avec le second les éloges reprirent:

—Charmant, adorable! quel talent, mon Dieu!

Il ne présenta aussi qu'une observation, «non pour demander une suppression, mais pour indiquer une addition qui lui serait agréable».

—Ce serait de glisser un mot sur ma fortune, il y a tant de fortunes russes peu solides que je ne voudrais pas qu'on confondît la mienne avec celles-là, et qu'on crût que parce que je donne des fêtes je me livre à des prodigalités et à des folies; si vous le désirez je vais vous donner des renseignements... authentiques. Pour ma noblesse, il est inutile d'en rien dire, elle est, grâce à Dieu, bien connue.

Avec le troisième, il commença aussi par des éloges et ce ne fut qu'après avoir épuisé toute sa collection d'adjectifs qu'il demanda une petite addition, non pour parler de sa noblesse ou de sa fortune: elles étaient, grâce à Dieu, bien connues; mais pour qu'on rappelât son duel avec le comte de San-Estevan et pour qu'on glissât un mot discret sur la fermeté et le courage qu'il avait montrés en cette circonstance.

Avec le quatrième, l'addition ne dut porter ni sur la noblesse, ni sur la fortune, ni sur son courage, toutes choses qui, grâce à Dieu, étaient de notoriété publique, mais sur sa générosité; parce qu'il donnait des fêtes qui lui coûtaient fort cher, il ne voulait pas qu'on crût qu'il ne pensait pas aux malheureux.

Otchakoff était battu.


Corysandre

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