Читать книгу Vieille vénerie : souvenirs et traditions - Henri de Chézelles - Страница 4
ОглавлениеSOUVENIRS ET TRADITIONS
Il faut d’abord poser en principe que l’art de bien chasser est fort peu commun, et exige un ensemble de qualités très rares à rencontrer chez un chef d’équipage, — surtout d’un grand équipage. — N’est pas bon maître d’équipage qui veut. Plus le nombre des hommes qu’on doit faire manœuvrer est grand, plus la besogne devient difficile, pour mettre tout le monde à sa place de combat, et faire rendre à chacun les services qu’il est capable de rendre. Savoir faire chasser des chiens est un talent qui se perd.
Réunir à une grande affabilité, à une parfaite courtoisie, à des façons distinguées et aimables, un caractère ferme et décidé, un coup d’œil prompt en chasse, un grand calme dans les défauts, la connaissance parfaite de la valeur de chacun de ses chiens, le don du commandement sans en faire sentir le poids, une supériorité de connaissances telle qu’elle soit reconnue de tout le monde, ce qui vous donne le prestige du savoir, telles doivent être les premières qualités d’un chef d’équipage soucieux de conserver les anciennes traditions.
Quand le maître d’équipage n’est pas là, il faut que l’équipage tout entier ait la crainte de ne pas bien chasser sans lui.
Un piqueur n’est pas pour le maître un serviteur vulgaire; il doit être, je dirai presque un ami, un compagnon fidèle de ses joies et de ses peines, honnête homme avant tout, respectueux et dévoué autant à son maître qu’à son art. Mais pour que les hommes restent dans cette note, il faut que le maître ait des formes, une distinction et une manière d’être supérieures à celles de ses piqueurs. La distinction des maîtres se communique aux hommes, cette distinction qui laisse chacun à sa place, sans familiarité déplacée de la part des hommes, sans morgue ni hauteur de la part des maîtres.
La familiarité vis-à-vis des hommes est toujours cause de leur perte; ils ne savent pas rester dans la note voulue, deviennent avantageux, insupportables, et on est obligé de s’en séparer.
Les bonnes façons des hommes d’un équipage, et surtout du premier piqueur, sont un des grands charmes de la vénerie. Il ne faut pas longtemps pour perdre les façons d’un homme, même d’un homme formé à très bonne école. Un séjour de deux ou trois ans dans un équipage mal commandé, et le mal est fait: l’homme s’en ressentira toute sa vie, tout en laissant cependant encore percer les traditions et grandes façons qu’il a reçues, quand il a été formé d’enfance aux grandes manières d’un équipage souverain. Si bas qu’il soit tombé, les façons prises d’enfance à cette école sont les seules qui ne se perdent pas. Les réprimandes du maître doivent se faire en particulier et jamais devant la présence en chasse, excepté dans des cas excessivement graves et qui ne doivent se présenter jamais avec des hommes bien formés et respectueux vis-à-vis des maîtres.
Quand il y avait une école, c’est-à-dire au temps de la vénerie du Roi et des Princes, tout était appris aux enfants par principes, jusque dans les moindres détails; ils y entraient après leur première communion et formaient ainsi une pépinière d’hommes à traditions qui se répandaient dans les équipages de petite vénerie. Maintenant ces écoles nous manquent; aussi que reste-t-il en fait d’hommes de vénerie? des traîne-chiens, mais non des piqueurs.
La dernière école a été la vénerie de l’Empereur. Ce qui reste d’hommes d’équipage ayant un peu de traditions, sort de cette dernière vénerie souveraine. Ceux qui ont connu et suivi ces grands équipages reconnaissent à un rien ceux qui ont été formés à cette école; parce que là seulement, tel geste, telle maniéré, je dirai même tel son de voix particulier, étaient en usage.
La vénerie n’est pas un art de fantaisie: pour tout il y a des règles qu’il est choquant de ne pas observer. De même qu’il y a une langue de vénerie, de même il y a une façon de s’habiller qui ne doit pas être de fantaisie. Pour prendre sa trompe, pour la remettre sur son épaule, pour prendre la pose voulue pour sonner un bien aller, pour dépouiller un cerf à la curée, pour tout en un mot il y a des règles dont on ne doit pas s’écarter. Pour sonner, l’homme à pied ou à cheval doit pencher le haut du corps légèrement en avant, la main basse ainsi que le bras et le coude, l’ouverture du pavillon de la trompe un peu en l’air. La tradition est à suivre en toute chose; ce qu’il y a de plus pratique et de plus distingué, c’est de tâcher de l’apprendre et de s’y conformer. Un homme d’équipage ne doit jamais non plus faire sortir l’eau par l’embouchure de sa trompe, mais faire tourner celle-ci dans sa main pour faire sortir l’eau par le pavillon, le contraire est commun.
Les grandes et belles façons des hommes ont toujours été en dégringolant, suivant ainsi la décadence de celles des maîtres; de nos jours, elles n’existent pour ainsi dire plus dans nos équipages particuliers.
Il y a aujourd’hui peu de gens assez âgés pour avoir connu les Namur, les Obry, les Duval, à la vénerie du Roi et des Princes. Quelques personnes ont encore connu La Trace, mort à Dangu, après avoir été nommé maire de cette commune. La Trace avait été à la vénerie du Roi, et était devenu ensuite premier piqueur commandant à la vénerie impériale. Il avait aussi commandé, comme premier piqueur, l’équipage du comte de Lagrange, ayant sous ses ordres Lafeuille, devenu lui-même valet de limiers à la vénerie impériale. Les rares veneurs de l’époque qui restent encore, comme M. Quiclet, ancien capitaine des chasses à courre de Monseigneur le duc d’Aumale, M. de Villeplaine et quelques personnes de nos âges, se souviennent avec enchantement des grandes façons de La Trace, quand, après avoir reçu le rapport de ses valets de limiers, il allait faire le sien au commandant; ou bien encore, prévenant le commandant en chef de la vénerie, le comte Edgard Ney, que la curée étant prête elle pouvait être servie aux chiens; soulevant avec élégance et distinction son tricorne de la main gauche par les quatre premiers doigts, les ongles en dessous; le fouet déployé dans la main droite; se découvrant quatre ou cinq pas avant d’arriver à hauteur du maître, et lui disant: — Le bon plaisir de monsieur le comte. — Ces grandes façons n’avaient rien d’affecté ; elles étaient toutes naturelles et grandioses dans leur noble et élégante simplicité.
Tous ont pu voir, en forêt de Compiègne, à l’un de ses rendez-vous, ce maître d’équipage plein de distinction, affable pour tous, gardien fidèle des grandes traditions de sa race. J’ai nommé le marquis de l’Aigle, qui vient de disparaître après avoir passé sur la terre près d’un siècle consacré d’abord au. bien, ensuite à la vénerie. Ce type parfait de distinction doit servir de modèle à la génération actuelle, et lui montrer quelles étaient les façons des hommes d’autrefois.
Monseigneur le prince de Joinville nous faisait l’honneur de nous dire, à l’un de ses rendez-vous: «Je tiens à mener ma petite-fille (Madame la princesse Marguerite) faire un rendez-vous en Compiègne, pour voir monsieur le marquis de l’Aigle; je ne veux pas laisser cette noble figure de la vénerie française quitter ce monde sans l’avoir fait connaître à mes petits-enfants».
Les grandes façons de l’ancienne vénerie se transmettaient aux habitants des forêts, qui avaient si bonne tenue il y a peu d’années encore. Je tiens à consacrer un souvenir à ces anciennes familles de gardes de la couronne, comme les Bombars à l’Étoile de la Reine, forêt de Compiègne, entrés au service de la couronne sous Louis XIV; les Bacqüet aux étangs de la Ramée, forêt de Villers-Cotterets, restés à ce poste de père en fils pendant deux cents ans; les Lecomte, dont l’un fut porte-fusil du Roi Louis XV: les Vallerant, Darras, Fillon, Conétable, Cochemet, Tourneur, Démarqué ; Langelé, dont le nom était déjà connu dans l’historique du Valois à l’époque de Charles VII, toutes familles de gardes que je prends entre mille, et dont les descendants se sont succédé pendant plusieurs siècles dans leurs postes forestiers.
Je me souviens avoir entendu dire, dans ma jeunesse, en parlant de Morizet, qui était premier piqueur à notre équipage: «Morizet a épousé une Obry» : c’était un titre de noblesse dans la vénerie. Les Obry sont restés, de père en fils, pendant deux cents ans à la vénerie du Roi et des Princes.
Le dernier grand piqueur, récemment disparu, a été Jean Leroux, ancien piqueur des véneries du Roi Charles X et de l’Empereur Napoléon III, décédé à Avon le 26 septembre 1892, dans sa quatre-vingt-seizième année. Leroux était un homme superbe et de grandes manières, dont le père était aussi à la vénerie du Roi.
Dans tous les équipages, et aussi dans les grandes chasses à tir, il est d’usage de tenir un livre sur lequel on inscrit exactement chaque année les comptes rendus des chasses de la saison. C’est une excellente habitude à conserver; on éprouve un véritable plaisir à relire dans sa vieillesse ces intéressants souvenirs de jeunesse, ainsi préservés de l’oubli. Dans les véneries royales on n’avait garde d’y manquer. J’ai sous les yeux le livret des chasses du Roy pour Vannée 1822; laissé par testament par le père Leroux, dont je viens de parler, à Victor Cauvain, fils et neveu des Cauvain, de l’équipage de l’Aigle, ancien valet de chiens à la vénerie impériale, actuellement premier piqueur à l’équipage de Picard Piqu’hardi.
Ce document peut être intéressant pour les personnes qui s’occupent de vénerie, et que rien de ce qui concerne la vénerie ne laisse indifférents.
Composition de la vénerie du Roy:
M. le comte de Giradin, premier veneur.
CHASSES A COURRE.
M. le baron d’Hanneucourt, commandant de la Vénerie.
M. le comte de Vienne, lieutenant de la vénerie.
M. le vicomte de Saint Pern, lieutenant en second.
M. d’Hybouville, lieutenant honoraire premier page.
M. de Champs de Blot, second page.
CHASSES A TIR.
M. le baron Cazin d’Honincthun, lieutenant de chasse à tir.
M. de Vinfrais, porte arquebuse.
M. de Beauterne, page honoraire.
Vingt-cinq hommes de vénerie étaient employés à pied ou à cheval, comme piqueurs, valets de limiers montés et non montés, valets de chiens à cheval et à pied. Je ne veux mettre sous les yeux de mes lecteurs que le nom des hommes les plus connus, dont quelques-uns ainsi que leurs descendants ont été à la vénerie impériale.
Premier piqueur, Dutillet.
Piqueur piquant, Delaunay père.
Piqueur de vénerie, Leroux père.
Valet de limiers à cheval, Obry père.
Valet de limiers à pied, Duval (que l’on avait appelé ensuite le Duval de Charles X).
qui devinrent tous deux premiers piqueurs à la vénerie impériale.
Valets de chiens à pied, Leroux Pierre, Obry fils.
Le nombre des chevaux était de go.
Le nombre des chiens était:
L’habillement complet du premier piqueur coûtait à l’époque..... 540 fr.
Liste des personnes à qui le Roi a bien voulu accorder la permission de porter l’habit de ses chasses à courre.
LE PORTENT SANS AUTORISATION.
Les officiers de la maison du Roi qui sont de service auprès de sa Majesté.
Les officiers des maisons des Princes, qui sont également de service auprès de leurs personnes.
ONT REÇU L’AUTORISATION.
MM. Le duc de Reggio,
le comte Charles de Beaumont,
le comte de l’Aigle,
le marquis de la Grange,
MM. le général comte de Lauberdière,
le prince de Montmorency,
le baron de Montmorency,
le comte de la Rochejacquelin,
le comte de Harcourt,
le marquis de Crillon,
le comte de la Poterie,
le marquis de l’Aigle,
le comte de la Guiche,
le comte de Sesmaisons,
le comte de Crillon,
le marquis de Boisgelin,
le duc de Wellington,
le colonel Freemantel,
le comte de Bonneval,
le comte de la Briffe,
le comte du Halay,
le marquis d’Esclignac,
Jules de Montbreton,
le comte James Pourtalès.
le baron Adolphe de Maussion,
le comte de Chastenay,
MM. le comte d’Oilliamson,
le marquis de Gontaut-Biron,
le comte de Vence,
le colonel Talon,
Achille Delamarre,
le comte de Potier,
le vicomte de Melleville,
le comte François Potocki.