Читать книгу Le château de Maisons : son histoire et celle des principaux personnages qui l'ont possédé - Henri Nicolle - Страница 6
RENÉ DE LONGUEIL ET MANSART.
ОглавлениеConduite de René de Longueil sous le cardinal de Richelieu. — Son caractère politique. — Ses goûts élégants. — Son projet d’élever le château de Maisons. — Ses acquisitions et le choix qu’il fait de Mansart pour son architecte. — Détails biographiques sur Mansart. — Les causes qui lui firent retirer les travaux du Val-de-Grâce, et à quoi tint qu’il ne fut pas l’architecte du Louvre. — Mansart à l’hôtel Carnavalet, et la cheminée de madame de Sévigné. — Mansarade. — Les principales œuvres de Mansart, sa mort et ses héritiers.
René de Longueil est assurément la plus grande illustration de sa famille, dont il poursuit la carrière au Parlement; mais il rompt avec la tradition de ses ancêtres. Ce n’est plus le magistrat tel qu’on se le représente, cette grande figure qui emprunte à l’intégrité du caractère public et à l’autorité des mœurs privées quelque chose de la majesté même de la justice. Il fit ses débuts sous le cardinal de Richelieu, alors, on peut le dire, que l’Éminence demandait à la cour du Parlement plus de services que de justes arrêts; il grandit au milieu des troubles de la Fronde; il y trouva l’apogée de sa fortune politique, et nécessairement dut subir l’influence de ces temps de démoralisation générale. Pauvre, il eût peut-être conservé fièrement son indépendance, mais il était riche, il tenait à ses grands biens; le cardinal en avait abattu de plus hauts que lui, il fut complaisant, et le maître le récompensa. Très-jeune encore, il pouvait avoir de vingt-deux à vingt-quatre ans, de conseiller au Parlement il devint conseiller au grand conseil en 1618, puis premier président à la cour des aides le 7 mars 1620, et président à mortier en 1642 , l’année même de la mort du cardinal.
Les services cependant qu’il rendit ne sont pas de ceux que l’histoire enregistre, et ce n’est qu’à partir de la minorité de Louis XIV qu’on voit sa personnalité s’élever à la hauteur d’un rôle politique. Arrêtons-nous à l’année 1642.
Si M. de Longueil était dans la vie publique un ambitieux et un homme de peu de conscience, c’était, en son particulier, un seigneur tenant haut son rang et sa distance, d’aspect grave et courtois, de bel esprit néanmoins, un peu sceptique, aimant le plaisir, la table et le jeu, mais sachant couvrir ses vices, ses défauts et ses faiblesses d’un vernis de bon air qui les célait aux gens d’en bas et le faisait passer, parmi ses égaux, pour un noble vivant, un délicat et un homme de goût. Homme de’ goût, il l’était tout à fait, et en donna la preuve en choisissant Mansart pour son architecte, lorsqu’il voulut construire son château .
La construction de ce château était un projet qu’il caressait depuis longtemps, et en vue duquel il achetait à petit bruit les petites propriétés enclavées dans son domaine. Il voulait avoir ses coudées franches, et que rien ne gênât les perspectives qu’il rêvait.
Aux premières acquisitions, les paysans ne firent aucune façon pour céder à leur médiocre valeur leur médiocre bien. Ç’avait été de tout temps la manie des Longueil d’acheter dans leur voisinage pour s’arrondir ou plutôt pour isoler leur domaine; M. René ne faisait en cela que suivre l’exemple de son père, qui, lui-même, avait suivi les errements du sien. Mais, au premier propriétaire qui éleva des difficultés et près de qui M. de Longueil insista en déliant largement les cordons de sa bourse, les autres ouvrirent les yeux; force fut au président de payer la convenance. Le mystère dès lors n’étant plus nécessaire, il fut entendu que le seigneur de Maisons allait bâtir, et qu’il achèterait, avec la condition de les relever ailleurs, les demeures qui se trouvaient sur l’emplacement du château projeté. De telle sorte que le tout, comme disent les bonnes gens de campagne, finit par lui coûter bon.
Ceci conclu, table rase fut faite, et le président, un matin, vint, avec son architecte, à Maisons. L’œuvre allait commencer, le moment était solennel. L’un devant l’autre et tous les deux silencieux, ils montèrent des bords de la Seine jusqu’au sommet de la butte qui la domine. L’artiste à chaque pas faisait une pause, projetait son œil de tous côtés, puis, après avoir branlé la tête, continuait sans mot dire; lorsqu’il s’arrêtait, le président s’arrêtait, suivait la direction de son regard, et, branlant aussi la tête lorsqu’il la remuait, partait du même pied quand l’architecte avançait d’un pas. Au haut de la colline, Mansart ouvrit enfin la bouche. «Ce sera là !» dit-il.
Nul endroit, en effet, ne pouvait être mieux choisi pour élever son œuvre, son futur chef-d’œuvre. La Seine, à ses pieds, sert de bordure à la plaine qui s’étend des coteaux lointains d’Herblay au Mont-Valérien, et montre Paris dans ses fonds bleuâtres. Paris qui, paresseusement, au matin, sort de ses voiles de brumes, paraît blanc de lumière à midi, et, le soir, au soleil couchant, embrase toutes les flèches et tous les dômes qui sont les fleurons de la couronne murale de cette reine du monde. Sur la droite, depuis ce même Mont-Valérien, qui alors portait sa croix du Calvaire, se poursuivent, en demi-cercle, les coteaux boisés de Bougival et de Marly, dont l’aqueduc, qui désaltère les naïades de Versailles, profile sur le ciel ses arcades superposées; puis voici Saint-Germain et sa terrasse, qui, pour un peu, si elle n’avait craint d’écraser deux petits villages blottis dans l’échancrure de la forêt, relierait sa grande ligne de verdure à Maisons. — Sur la gauche, la rivière, dont les méandres se jouent dans des îles verdoyantes, va disparaître au détour de la colline arrondie en croupe et bosselée par des frondaisons; — courte, mais gracieuse perspective où l’œil suit les bateaux et les voit tour à tour poindre ou disparaître. C’est de ce côté, les soirs, que la voix des mariniers monte jusqu’à vous, avec le bruit du fouet et le hennissement des chevaux de hallage. Quand le lourd chaland apparaît, une fumée s’élève au-dessus de son pont; c’est le repas du soir qui s’apprête; puis une lumière, par une petite fenêtre, comme un point rouge, scintille à la coque du navire. La nuit tombe, la lune à l’horizon monte au milieu des étoiles, sa lueur incertaine découpe au loin de vagues silhouettes; la paroisse de Sartrouville, de l’autre côté de la Seine, envoie le salut de ses cloches à l’église de Maisons qui lui répond. Le feu du bateau s’éteint, et tôt après s’éteignent ceux du village. La journée est finie; tout bruit cesse; le coq ne chantera plus qu’à minuit.
C’est donc à dire que tout se trouve en ce bel endroit: la grandeur ou la pompe avec la grâce et, pour ainsi parler, l’intimité de la nature, et que Mansart l’avait bien choisi. C’était un palais en même temps qu’une maison des champs qu’il fallait à ce grand seigneur de robe qui rêvait de recevoir la cour, afin qu’après les fatigues de la représentation, le lettré, lisant Horace et Virgile, pût se reposer sous quelque ombre silencieuse, propice à la méditation, ou promener son livre dans les sentiers d’une vraie campagne.
C’est dans cette contemplation, sans doute, et dans ce moment, que Mansart, entrevoyant ses plans, dut demander à M. de Longueil carte blanche pour son génie. Or ce que le grand architecte entendait par là pouvait être ruineux; on l’avait vu souvent, mécontent de son œuvre, faire démolir pour reconstruire. Mais cette liberté de pouvoir toujours mieux faire était sa condition sine qua non. De plus puissants que le président n’avaient pas voulu y souscrire; il l’accepta, et ce fut son honneur, sa bonne fortune aussi, d’avoir laissé l’artiste maître de la disposition de ce vaste édifice et de la dépense qu’il exigerait; cette généreuse confiance lui valut la gloire de faire naître un des plus purs morceaux dont l’architecture française s’honore. Mansart, d’ailleurs, ne la lui fit pas trop payer; on rapporte, — et c’est un fait certain, — qu’après avoir élevé une aile du château, il la démolit pour la rebâtir sur un autre plan; mais il n’eut pas d’autre écart; ce fut donc quelques cent mille livres de plus à mettre au chapitre des dépenses imprévues; pas davantage.
Telle était l’humeur de François Mansart, grand artiste dont la réputation fut continuée, mais non point surpassée par son neveu Hardouin, à qui l’on doit les Invalides. Cette humeur, qu’on pouvait appeler, chez lui, le tourment du génie, lui coûta cher. Qu’on nous permette ici quelques détails biographiques.
Anne d’Autriche s’était adressée à son talent pour la construction du Val-de-Grâce; ceci se passait en 1645, et déjà Mansart avait démoli, au château de Maisons, l’aile droite dont il était mécontent. On disait qu’il l’avait fait sans en avertir le propriétaire; le bruit, grossi par les malveillants, en vint jusqu’à la reine, qui prit peur. Les temps étaient difficiles pour Ja cour, et la cassette royale, à qui les Parlements venaient de couper les sources de l’emprunt, pouvait craindre d’être entraînée, par les instabilités d’un architecte, plus loin qu’elle ne voulait s’engager. Sa Majesté remercia Mansart. On fit choix, pour lui succéder, de Lemercier, Lemuet et Gabriel, avec injonction de suivre les plans de leur prédécesseur. Malheureusement, on dit qu’ils y mirent du leur. Jacques Lemercier est l’architecte de la Sorbonne et de l’Oratoire; on peut juger par là de ce qu’il sut faire. Pour ce qui concerne Pierre Lemuet, les critiques du temps lui reprochent d’avoir altéré les dispositions de Mansart, et surchargé le monument de sculptures trop lourdes, surtout dans la voûte. Quant à Mansart, lorsqu’on lui retira la direction des travaux, le Val-de-Grâce n’était encore élevé que de neuf pieds; il sentit vivement l’injure, et, pour se venger, fit élever la chapelle du château de Fresnes sur les plans du Val-de-Grâce, réduits au tiers de leur proportion. Fresnes appartenait à M. Guénégaud, secrétaire d’État.
Mais cette déconvenue ne put l’engager à prendre sur soi. C’était, au reste, une exagération de conscience aussi respectable qu’elle est rare; il la faut honorer, mais en même temps regretter; car, dans une autre occasion, Mansart y sacrifia jusqu’ aux intérêts de sa gloire.
Il s’agissait de la construction du Louvre; Colbert, qui estimait Mansart à sa valeur, l’alla trouver tout d’abord, et lui demanda des projets. Mansart accepte l’offre, et, à quelque temps de là, ouvre son portefeuille au ministre, et lui montre plusieurs dessins, tous très-beaux, très-magnifiques. Seulement, aucun n’était entièrement arrêté ; tous portaient, à la sanguine, à l’encre et au crayon, le tracé de deux ou trois pensées différentes. Le ministre approuve, il admire, et, dans son embarras à choisir, il veut s’en rapporter à la préférence de Mansart. Que Mansart décide celui de ces traits pour lequel il penche, et celui-là sera adopté. Par exemple, il est indispensable que ce plan soit irrévocablement arrêté. Mansart comprend l’honneur qui lui est fait; il comprend aussi les justes exigences du grand administrateur, mais il a ses scrupules d’artiste que rien ne saurait vaincre, et se retire après avoir témoigné au ministre «qu’il ne pourrait jamais se décider à se lier les mains, et que, pour se rendre plus digne de l’honneur que Sa Majesté lui destinait, il voulait se conserver le pouvoir de toujours mieux faire.»
Dans toute sa carrière d’ailleurs, et dans quelque travail qu’il entreprît, Mansart se montra le même homme de conscience. Nous en trouvons la preuve à l’hôtel Carnavalet, qu’il eut ordre, en 1634, de compléter et de terminer. Au lieu de substituer sa personnalité à celle de ses prédécesseurs, qui avaient été Jean Goujon, Androuet Ducerceau et Jean Bullant, il prit soin de s’effacer devant leur œuvre, et la respecta autant que possible. Il faut croire que cette manière de procéder dans une restauration était déjà bien rare à cette époque, car elle excila la sympathie générale et l’étonnement. «En voyant cet ouvrage, dit Félibien, on ne sait lequel estimer le plus, ou l’art dont il s’est servi pour conserver, comme il l’a fait, ce qu’il y a de beau dans le portail, ou la science avec laquelle il a rebàti le devant de cet hôtel.»
M. de Laborde, dans son ouvrage sur le palais Mazarin et les habitations de ville et de campagne au dix-septième siècle, fait remarquer que madame de Sévigné, qui plus tard habita l’hôtel Carnavalet, n’eut pas le même respect que Mansart; il s’en rapporte à la lettre du 18 octobre 1679 de la célèbre marquise, dans laquelle on lit qu’elle fait demander par son homme d’affaires, à M. d’Agauri, en Daupliné, «d’attaquer la vieille antiquaille de cheminée,» qui probablement blessait ses goûts de luxe moderne. Ce petit trait est curieux; il prouve que l’intelligence des lettres n’admet pas toujours celle des arts.
Malgré l’honorabilité de son caractère, Mansart, pas plus qu’un autre, ne fut à l’abri des calomnies. Il était Mazarin, il travaillait pour le cardinal; il n’en fallait pas davantage pour qu’il eût son mot dans les Mazarinades. Il eut mieux qu’un mot: on lui consacra toute une pancarte, avec caricature et texte explicatif. La gravure représente François Mansart, traînant après lui son attirail d’architecte et se dirigeant vers un gibet. Elle est intitulée Mansarade, ou portrait de l’architecte partisan. Après mille calomnies sur la manière dont il exécute les constructions à son profit, il est dit: «A la galerie Mazarine, il fut menacé de la corde pour châtier sa mauvaise conduite et le péril imminent où il l’avait réduite. Bref, si je voulais faire recherche des dommages qu’il a causés dans les bâtiments qu’il a faits, il faudrait un volume entier pour les contenir, aussi bien que les inventions de plafonds et de lambris qu’il se veut mêler de conduire, tous remplis de golifichets où il n’a préparé que des nids pour les araignées, au lieu de donner place, comme il le devait, à quelque excellent peintre, pour y produire quelque riche pensée.»
Mais ces outrages sont de ceux qui consacrent un grand homme; ils ne troublèrent d’ailleurs en rien la vie paisible de Mansart, qui mourut en septembre 1668, à l’âge de soixante-huit ans, et ne portèrent pas davantage atteinte à son crédit, si l’on en juge par la fortune que, fils de ses œuvres, il avait pu acquérir. N’ayant point d’enfants, il institua pour légataires universels deux de ses neveux, fils de ses deux sœurs, l’un nommé de Lisle, l’autre Hardouin, et leur laissa à chacun trois cent mille livres de bien. Mais ce fut à la condition qu’ils joindraient son nom au leur, et qu’ils prendraient ses armes et sa livrée . On obéirait pour moins que cela à des clauses plus désagréables. Les conditions du testament furent acceptées sans aucune réserve du bénéfice d’inventaire. L’on sait que, sous le nom de Mansart, Hardouin devint un architecte célèbre.
Parmi les monuments que le génie de François Mansart créa, il convient de citer: l’hôtel de Toulouse, — le portail de l’église des Feuillantines, — le château de Berny, — de Balleroi, en Normandie; — une partie de celui de Choisy-sur-Seine (que le chemin de fer acheva, l’an dernier, de faire disparaître); — l’église des Filles-Sainte-Marie, rue Saint-Antoine, en 1632; — le château de Blois, réparé en 1635; — celui de Gèvres et une partie de celui de Fresnes, dont nous avons parlé à propos du Val-de-Grâce. — Mais pas un ne lui fit plus d’honneur et ne lui valut plus de réputation que le château de Maisons.
Perrault, dans son Éloge de Mansart, dit que «le château de Maisons, dont il (Mansart) a fait faire tous les bâtiments et tous les jardinages, est d’une beauté si singulière, qu’il n’est point d’étrangers curieux qui ne l’aillent voir comme une des plus belles choses que nous ayons en France.» Et tous ceux qui depuis en ont parlé n’ont pu que reproduire le sentiment de Perrault.
A notre tour, essayons de le décrire; aussi bien, maintenant que nous connaissons le propriétaire et l’architecte, en est-ce ici le lieu.