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PAUVRE THÉODORE!

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Le vicomte de Raffinay s'ennuyait prodigieusement. Il avait beau, grâce à un intérim prolongé, jouir, lui, simple deuxième secrétaire, de toutes les grandeurs de la position de chargé d'affaires, il s'ennuyait. Déjà plusieurs fois il avait pesé sérieusement s'il ne conviendrait pas de mettre la clef sur la porte et de laisser la boutique se tirer d'affaire toute seule. La simple pensée de laisser la «Légation» seule faisait frémir d'horreur l'excellent chancelier, qui craignait sans doute que la «Légation» ne fût prise de mélancolie. Raffinay avait déjà écrit trois magnifiques dépêches au sujet de la peste bovine qui s'était déclarée à X..., et son gouvernement se trouvait parfaitement informé sur ce sujet; il avait aussi médité une quatrième dépêche sur les relations du grand-duché de X... avec la France, mais il avait conclu de s'en tenir à l'intention; heureusement que la chancellerie était ornée de fauteuils fort confortables; on y dormait à ravir, on y jouissait du calme le plus favorable pour fumer poétiquement un nombre illimité de cigarettes. La cire rouge, d'ailleurs, est une source de loisirs très-innocents: aussi Raffinay s'exerçait à l'étude des grands cachets, et était arrivé à une perfection remarquable; il espérait devoir à cette spécialité un avancement rapide.

Un matin qu'il bâillait avec plus d'entrain que d'habitude,—il venait de passer une heure à la fenêtre dans l'espoir d'apercevoir quelque collègue errant qui serait venu partager sa solitude,—il fut tiré de sa torpeur par la perception très-distincte d'une voix féminine discutant avec le cerbère de la légation, et d'un frou-frou de jupes des plus harmonieux. Le chargé d'affaires sonna violemment, mais au même instant le frou-frou et la voix firent une invasion violente dans le sanctuaire de la diplomatie française à X...

—Monsieur, oh! monsieur!

Et l'aimable personne qui apparaissait d'une façon si inattendue tomba sur une chaise et se mit à sangloter.

Raffinay la regardait avec une sorte de terreur respectueuse: les larmes d'une femme avaient le don de le rendre parfaitement stupide; cependant il répondit au Monsieur si expressif par un Madame bien senti; puis, observant mieux l'extrême jeunesse de sa visiteuse: Mademoiselle.

—Non, non, madame, oh! monsieur!... seulement depuis quatre jours...

Et un nouveau déluge de larmes.

Quand on est nourri des mystérieuses traditions de la diplomatie, on sait que, pour arriver à se bien comprendre, rien n'égale une attitude conciliante; et comme Raffinay ne comprenait rien à la présence inopinée, mais agréable, de la dame inconnue, il répéta après elle et avec la même conviction:

—Seulement depuis quatre jours?...

Mais au lieu de la calmer comme il l'espérait par cette concession, elle parut saisie d'un nouveau paroxysme, et s'emparant des mains de Raffinay, sur lesquelles elle courbait sa jolie tête, elle se mit à répéter presque avec des cris:

—Vous me le rendrez, monsieur, n'est-ce pas, vous me le rendrez?... Ah! Théodore!...

Puis, comme suffoquée par le même souvenir:

—Depuis quatre jours, quatre jours, ah! mon Dieu!...

Raffinay sentit la nécessité d'éclaircir la situation, qui devenait ridicule; il fit rasseoir la belle éplorée, car elle était positivement très-jolie et mise comme un ange qu'aurait habillé le bon faiseur; puis, prenant son attitude la plus officielle, il se mit en devoir de l'interroger:

—Pardon, madame, mais je n'ai pas parfaitement compris la situation. A quoi dois-je l'honneur de votre présence ici?

—Mais on l'a arrêté, monsieur, oui, les monstres l'ont arrêté! Et elle se leva comme prête à saisir à la gorge les monstres évoqués; le visage impassible du jeune secrétaire la fit retomber anéantie à sa place.

—Maintenant, madame, je continue et vous prie de me dire qui a été arrêté?

—Mais lui, mais Théodore, mon mari; ah! mon cher mari!

—Ainsi, madame, votre mari a été arrêté; à cela, il y a certainement une raison.

Raffinay arriva peu à peu à la faire s'expliquer; elle le fit avec une éloquence, une fougue, une abondance de paroles qui lui plurent singulièrement, car elles le transportaient bien loin des us et coutumes de X...

—Oui, monsieur, ils l'ont arrêté, un ange... notre voyage de noces. Ah! si ma pauvre maman savait... lui, lui... des faux billets; ah! ce changeur à Strasbourg! ce voleur! ce tigre! Lui, monsieur, c'est un homme qui lui a donné les billets. Est-ce que nous connaissons les billets de ce vilain pays? Et il en avait pris pour quatre mille francs. En pleine gare, oui, monsieur, en pleine gare, on a emmené mon mari, mon cher Théodore. Je suis sûre qu'ils l'ont jeté dans un cachot. Est-ce que vous croyez qu'ils vont le fusiller? Ah! ah! ah! ah! je me tuerai. C'est Théodore qui m'a dit de venir ici, car il a montré un sang-froid... Ah! mon Théodore... et seulement depuis quatre jours... rendez-le-moi, mon mari... oh! je vous aimerai tant!...

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