Читать книгу Essai sur les livres dans l'antiquité, particulièrement chez les Romains - Hercule Géraud - Страница 3
INTRODUCTION.
ОглавлениеIL a tenu à peu de chose que les Romains n’aient connu l’imprimerie dès les premiers siècles de notre ère. Il semble qu’ils auroient dû l’inventer; l’usage des anneaux et des cachets les mettoit sur la voie. Ils auroient pu aussi la trouver dans leurs courses militaires à travers le monde qu’ils vouloient conquérir. Ah si j’étois plus jeune! s’écrioit Trajan sur le rivage de la mer Erythrée, les yeux tournés vers l’Inde. L’idée fixe de Trajan, dans ses expéditions d’Orient, étoit de dépasser Alexandre. S il eût été plus jeune, il seroit entré dans l’ Inde, et auroit franchi le Gange. De là à la frontière chinoise il n’y avoit qu’un pas, et Trajan l’eût probablement fait; car il avoit pris au sérieux la mission que s’attribuoit Rome de commander à tout l’univers et la Chine n avoit pas encore vu les aigles romaines. Or en Chine, l’ imprimerie existoit à cette époque. Importée en Occident quels immenses résultats n’auroit pas produits cette belle invention sous les auspices d’un prince aussi puissant, aussi éclairé, aussi libéral que Trajan! Les destinées de l’Europe auroient été tout autres.
Mais il ne devoit pas en être ainsi: les Romains n’alerent point dans l’Inde; ils continuèrent à imprimer avec leurs anneaux, sans se douter de ce que renfermoit d applications utiles cette première invention, et l’écriture a la main resta, pendant quatorze siècles encore le seul moyen de publication connu. Ce procédé si imparfait a, néanmoins, joué un si grand rôle dans les cividiverses écritures sont si nombreux et d’une si haute importance, qu’avant d’étudier ces monumens dans leur forme extérieure, il ne sera pas hors de propos de jeter an coup-d’œil sur l’art cl écrire considère enlui-même, sur ses origines, ses progrès, ses transformations successives. Malheureusement cette question, l une des plus intéressantes peut–être que présente l’histoire civilisation, est aussi l’une des plus obscures.
L’alphabet des principales langues vivantes de l’Eu rope est le même que l’ancien alphabet latin. Celui-ci, a son tour, étoit, sauf quelques légères modifications semblable à l’alphabet grec originaire, et les écrivains de l’ancienne Rome connoissoient bien cette analogie. On trouve aussi des similitudes frappantes les lettres européennes et celles qui composent le système d’écriturc de quelques nations asiatiques, telles que les Hébreux les Syriens, les Phéniciens. La se bornent les notions positives, incontestées, relativement à l’origine de l’écriture ; s’aventurer au delà de cette limite, c’est s’exposer à se perdre sans retour dans le dédale inextricable de mille opinions diverses et souvent contradictoires. Contentons-nous donc de constater un fait remarquable c’est que l’art de peindre la parole existait antérieurement aux temps historiques, et qu il étoit connu simultanément par des peuples que séparoient de distances immenses. La Grèce le possédoit avant l’ arrivée, dans ce pays, du Phénicien ou de l’Égyptien Cadmus. Les lois de Manou, composées et probablementécrites dans le XVe siècle avant notre ère, font mention de conventions entre particuliers consignées dans des actes écrits. Antérieurement à cette époque Moïse avoit ré digé ses livres historiques et donne des lois au peuple hébreu. On cite des inscriptions chinoises qui ont rante siècles d’antiquité; enfin l’ Egypte se glo rifie d’avoir fourni les plus anciens monumens écrits que l’on commisse; l’Europe lui a ravi de frêles morceaux de papyrus qui remontent à1700ans avant notre ère, et une planche de sycomore dont l’inscription a, dit-on, été tracée il y a quelques six mille ans! Ces monumens nous reportent au berceau du monde, suivant la chronologie sacrée.
Est-ce à dire que l’écriture soit aussi ancienne que la société humaine? Cette opinion ne seroit pas neuve; nous la trouvons émise aussi bien dans les ouvrages de l’antiquité que dans les livres des philosophes modernes. Les Indiens croient avoir reçu du ciel l’art d’écrire, et les Crétois, au rapport de Diodore, donnoient aussi à cet art une origine divine. Toutefois l’écriture porte les caractères d’une invention humaine. Il est impossible, sans doute, d’assigner son origine, son point de départ, et de détailler la route qu’elle a suivie pour se répandre insensiblement dans l’univers entier; mais nous la voyons, pour ainsi dire, en état d’enfance, et nous suivons facilement ses progrès et ses transformations successives, depuis les procédés les plus grossiers jusqu’à la magnifique invention de l’imprimerie.
On peut distinguer chez les anciens deux sortes d’écriture, l’écriture monumentale et celle que j’appellerai usuelle ou pratique. La première, dans son origine, ne différoit pas de la peinture; au lieu d’écrire le nom d’une chose, on en dessinoit la forme. Ce système méritoit le titre d’universel, en ce sen s qu’il étoit intelligible partout et pour tous; en revanche, il étoit doublement incomplet, ne pouvant rendre ni certaines idées abstraites, ni les noms propres, qui devoient pourtant se rencontrer à chaque ligne des inscriptions monumentales. Voici comment on remédia à ce double inconvénient: d’abord on choisit, pour représenter les idées dont l’objet ne tombe pas sous les sens des images de corps matériels, images auxquelles on convint de donner une certaine valeur symbolique. Ainsi en Egypte, le scarabée étoit le symbole du monde; le serpent tortueux désignoit le cours des astres, etc. Ensuite on attribua aux signes figuratifs une valeur alphabétique, au moyen de laquelle ils pou voient représenter les sons du langage parlé, et se combiner entre eux pour exprimer les noms propres. L’ensemble de ces trois écritures, figurative, symbolique et alphabétique ou phonétique, compose tout le système hiéroglyphique des Égyptiens, des Chinois et probablement aussi des anciens peuples du Mexique.
Appliqué aux inscriptions lapidaires ou métalliques, ce système d’écriture ne présentoit pas de graves inconvéniens, mais il se prêtoit difficilement à la transcription d’un ouvrage historique, par exemple, encore moins à celle des actes publics et privés, des correspondances, de cette foule d’écrits que nécessitent les relations d’homme à homme, de famille à famille, de nation à nation, et par qui ces relations elles-mêmes sont créées, modifiées et entretenues. Pour ces usages de chaque jour, il falloit un mode de communication plus simple, dont l’emploi exigeât moins de temps et les résultats moins d’espace. Divers expédiens furent imaginés dans les diverses contrées. Au Pérou, les livres consistoient en un certain nombre de cordelettes, dont la signification varioit suivant leur couleur et le nombre de nœuds dont elles étoient chargées. Le même procédé fut longtemps usité chez les Chinois. L’emploi d’une écriture si imparfaite et si peu commode ne peut guère s’expliquer que par l’absence complète de toute substance maniable et portative, susceptible de recevoir l’écriture. En Égypte, où le papier de papyrus étoit en usage dés l’antiquité la plus reculée, nous trouvons un système graphique bien différent dès le XVIIIe siècle avant notre ère. Les signes figuratifs furent abrégés par les prêtres egyptiens, seuls en possession de recueillir, d’étendre et de perpétuer les notions historiques et scientifiques. L’écriture qui résulta de cette première modification a reçu le nom d’hiératique: bien qu’elle fût déjà beaucoup mieux appropriée que l’écriture monumentale aux besoins de la littérature, elle n’étoit pas encore assez expéditive pour se plier aisément aux exigences des affaires et des relations sociales; de nouvelles réductions produisirent l’écriture démotique ou populaire. L’écriture chinoise actuelle a passé par des transformations analogues. Mais toutes ces modifications n’ atteignoient que la forme des caractères; le fonds même du système graphique restoit toujours affecté d’une imperfection radicale, je veux dire le mélange des trois élémens, figuratif, symbolique et phonétique. Et n’ est-il pas surprenant que le dernier de ces trois élémens, le plus simple sans contredit, le plus naturel et le plus commode, n’ait pas fini par prévaloir dans l’écriture de deux nations telles que les Égyptiens et les Chinois, chez qui la civilisation fut si précoce et l’art de peindre la parole si anciennement répandu? Néanmoins on peut, jusquà un certain point, expliquer celte espèce d’anomalie.
En Egypte, l’instruction étoit concentrée dans le cercle étroit de la caste sacerdotale. La possession exclusive des traditions de l’histoire et de la science faisoit, aux yeux de la nation, toute l’importance de cette caste. Aussi, loin de se prêter à des innovations, qui auroient facilité l’étude et favorisé la diffusion des lumières, les prêtres égyptiens dévoient ils faire tous leurs efforts pour en conserver le précieux monopole, et rendre à jamais inaccessible aux profanes le mystérieux sanctuaire des lettres. Le progrès des études a trouvé, en Chine, des obstacles différens. On connoit toute l’ exagération du respect, on peut même dire du cuite religieux que les Chinois ont voué à leurs anciens livres. Cet engouement fanatique va si loin, que la moindre altération introduite volontairement, dans les ouvrages de Confucius, par exemple, seroit regardée comme un crime punissable. L’incendie des livres, exécuté vers l’an240avant J.-C., par les ordres de l’empereur Chi-Hoang-Ti, fut véritablement une calamité nationale. Depuis ce funeste auto-da-fé, les lettrés chinois se sont appliqués, avec un zèle opiniâtre, à rechercher les anciens monumens écrits de leur histoire qui avoient échappé au désastre, à les interpréter, à les reproduire. Leur vénération ne se borne pas à la doctrine contenue dans ces livres; les caractères mêmes, les formes extérieures de l’écriture sont aussi l’objet de leur culte, et ils consument dans des études paléographiques un temps et des soins qui seroient bien mieux employés, s’ils les consacroient au perfectionnement de leur écriture actuelle.
Ces vues, je le sais bien, ne sont pas à l’abri de toute objection. Ainsi l’alphabet existoit dans l’Inde et chez les peuples de la race de Sem, quoique le sacerdoce y constituât, comme en Egypte, un corps savant héréditaire. Sans doute; mais sont-ce les prêtres qui ont introduit dans l’écriture le système alphabétique? rien ne le prouve: ce système se montre, dès l’antiquité la plus reculée, dans les langues sémitiques et indo-germaniques, sans qu’on puisse dire s’il a succédé à un procédé purement idéographique, ou s’il remonte jusqu’à l’origine des peuples de l’Inde et de l’Asie Mineure. D’ailleurs, sans vouloir affecter, sur les langues orientales, des connoissances qui me manquent, je crois pouvoir avancer que, dans ces langues, comme dans celle de l’Egypte, il est facile de reconnoître l’influence fatale de l’esprit de caste. Le peuple hébreu, par exemple, qui peut jusqu’ici revendiquer les plus anciens monumens de l’écriture alphabétique, en quoi consiste sa littérature? elle n’a produit qu’un seul livre, un livre religieux, et sa langue, de l’ aveu des savans, est une des plus pauvres qui aient été parlées dans le monde connu des anciens.
La plus riche, au contraire, est celle de la Grèce: c’est aussi dans la Grèce que l’écriture alphabétique a pris un rapide essor. La tout favorisoit son développement: les prêtres se bornoient a faire parler leurs oracles; l’étude aride des temps passés étoit peu goûtée. En revanche, le caractère ardent, l’ esprit actif, l’imagination brillante des Grecs firent naître les arts, la poésie, les études spéculatives. L écriture dut à la fois contribuer aux progrès et participer aux bienfaits de cette civilisation. Mais à quelle époque, d’où, par qui et comment l’art d’écrire fut-il importé en Grèce? ce sont autant de questions qu on ne résoudra jamais d’une manière positive.
Suivant l’opinion la plus commune, Cadmus apporta les lettres en Grèce plus de quinze siècles avant notre ère. Mais Cadmus étoit-il d’Egypte ou de Phénicie? enseigna-t-il aux Grecs les lettres égyptiennes ou les phéniciennes? Voilà déjà deux points sur lesquels on n’est plus d’accord. Il est impossible d’admettre qu’un système d’écriture purement alphabétique soit sorti tout fait de l’Egypte. D’un autre côté, les Grecs figuroient, par des caractères séparés, les voyelles que les Phéniciens n’exprimoient pas du tout; l’alphabet grec, jusqu’à la guerre de Troie, se composa seulement de seize consonnes, tandis que celui des Phéniciens en comptoit vingt-deux. Les deux nations avoient donc un système d’écriture fort différent. Concluons de là, avec le judicieux et savant Fréret, que la Grèce ne put devoir à Cadmus autre chose que des modifications dans la forme des lettres dont elle faisoit usage avant lui; mais ces modifications sont incontestables, si toutefois on admet que la Grèce n’ait pas primitivement, reçu l’écriture de l’Asie Mineure, et que les anciens caractères pélasgiques aient été inventés dans le pays. On ne peut nier, en effet, qu’il n’existe une similitude frappante entre les caractères ordinaires de l’écriture grecque et ceux des langues phénicienne, hébraïque, syrienne et chaldéenne. De plus, les noms des lettres grecques et C, qui composent le mot d’alphabet, se retrouvent dans tous les dialectes sémitiques. Enfin il est certain qu’après avoir écrit perpendiculairement, à la manière des Chinois, les anciens peuples de la Grèce ont, à une certaine époque, dirigé leur écriture de droite à gauche comme les Orientaux. Le boustrophédon, dont il nous reste encore des monumens fort anciens, ne fut chez eux qu’un système de transition entre le premier procédé et celui dont Pronapis fut l’ inventeur, qui consiste à écrire de gauche à droite comme le font aujourd’hui tous les peuples de l’Occident. Cette écriture en boustrophédon, dans laquelle les lignes sont alternativement dirigées de droite à gauche et de gauche à droite, se montre particulièrement dans les inscriptions des Étrusques. Ceux-ci, dit Tacite, avoient reçu l’art d’écrire du Corinthien Démarate, tandis que l’Arcadien Évandre l’avoit enseigné aux Aborigènes établis en Italie. Les Pélasges, selon Pline, apportèrent l’art d écrire dans le Latium. Ces trois opinions s’accordent sur un point important, c’est que les Romains ont reçu de la Grèce leur système graphique, de même qu’ils en ont reçu leur langage.
L’alphabet latin, insuffisant d’abord, de même que l’ alphabet grec, se compléta et se perfectionna insensiblement; il dut être entièrement formé avant le siècle d’Auguste. Cependant l’empereur Claude s’avisa d’y introduire trois nouvelles lettres, entre autres le digamma, qu’on retrouve, en effet, dans quelques inscriptions du temps de cet empereur, avec la valeur de notre V. Quelle que fût l’utilité de cette lettre pour distinguer l’U voyelle du V consonne, l’innovation de Claude n’eut aucun succès. Au vie siècle, le roi franc Chilpéric eut aussi la prétention d ajouter à l’alphabet quatre lettres nouvelles; mais cette réforme, quoiqu’elle pût faciliter la représentation de quelques sons de la langue germanique, ne fut pas plus heureuse que celle du César romain. Depuis cette époque jusqu’au XVIe siècle, l’alphabet latin n’a eu à subir en Europe que des modifications de pure forme. En1524, le Trissin, dans une lettre au pape Clément VII, proposa un assez grand nombre de rectifications à introduire dans l’orthographe italienne. La distinction de l’i et du j, de l’ u et du v est la seule de ses réformes qui ait été adoptée.
Dans les langues grecque et latine, comme dans toutes celles qui en sont dérivées, nous retrouvons toujours les deux formes graphiques que nous avons distinguées en commençant cette préface, savoir: l’écriture monumentale et l’écriture usuelle ou pratique. Les inscriptions lapidaires et métalliques de la Grèce et de Rome sont composées av ec un caractère anguleux, de grandes dimensions, à traits bien marqués et bien arrêtés; c’est la lettre appelée capitale, presque en tout semblable à nos grands caractères d’imprimerie. Deux formes d’écriture furent usitées pour les livres. D’abord l’onciale, grande écriture aux traits arrondis, qui étoit à la capitale ce que sont aux lettres majuscules de l’imprimerie les lettres majuscules de notre écriture manuelle; ensuite la minuscule sur laquelle a été modelé le caractère romain de nos livres modernes. La capitale eté onciale forrnoient ensemble un seul genre d’écriture qu’on appelle majuscule ancienne; l’écriture des affaires, des comptes de famille, des correspondances étoit la cursive dont nous ne pourrions guère donner une idée sans en produire des spécimens. Elle a été remplacée, mais avec d’immenses avantages, par notre écriture à la main, et, dans l’imprimerie, par le caractère qu’on appelle italique. La majuscule, la minuscule et la cursive répondoient, dans la Grèce et dans l’ Italie, aux écritures hiéroglyphique, hiératique et démotique des Égyptiens. Quelque rapide que fût l’écriture cursive, les Grecs et les Romains avoient senti la nécessité d’un système graphique encore plus expéditif; ils inventèrent la sténographie: les principes de cette écriture particulière, connue sous le nom de notes tyroniennes, n’ont pas encore été suffisamment éclaircis; on peut dire seulement que, quoique bien différente de la tachygraphie moderne, l’écriture tyronienne offroit les mêmes avantages et la même économie de temps.
Les détails qui précèdent paroîtront peut-être un peu longs à ceux qui prendront la peine de les lire; mais, en considérant l’importance de l’écriture et tout ce que les hommes doivent à cette sublime invention, on sentira, comme moi, combien ils sont incomplets, combien les mystères d’un sujet si riche et si neuf encore, quoique si souvent traité, mériteroient un plus digne interprète! mais je ne pouvois guère me dispenser d’en effleurer au moins les données principales, en tête d’un travail spécialement consacré à la bibliographie des anciens.
Ici encore, je crains bien d’être souvent resté au-dessous de ma lâche; mais, si je ne m’abuse, l’intérêt et la nouveauté du sujet doivent suppléer à l’insuffisance de mes recherches, et solliciter en faveur de cet opuscule l’indulgence du lecteur. Tant que le système actuel d’éducation se maintiendra en Europe; tant que les universités offriront à la jeunesse studieuse les chefs-d’œuvre de l’antiquité grecque et latine comme les meilleures sources où elle doive puiser l’ara de penser, de parler et d’écrire, les auteurs classiques seront toujours lus avec autant de plaisir que de profit, même au milieu des plus grandes préoccupations politiques, industrielles ou commerciales. Mais comment ceux qui trouvent encore quelques charmes à cultiver la littérature ancienne ne seraient-ils pas curieux de connoître par quels moyens leur auteur favori s’est fait connoître à ses contemporains, par quels moyens ses œuvres se sont conservées et perpétuées, de siècle en siècle, jusqu’à l’époque mémorable où l’invention de l’imprimerie est venue leur assurer une impérissable publicité? Si, de plus, on réfléchit au grand nombre d’auteurs grecs et latins dont les ouvrages, quoique mutilés pour la plupart, sont parvenus jusqu’à nous, au nombre bien plus considérable de ceux que nous ne connoissons que de nom, et dont les travaux sont entièrement perdus, enfin à la foule innombrable des écrivains de bas étage dont le nom même n’a pas survécu à leurs productions éphémères, on se demande avec surprise comment une littérature si riche a pu subsister avec des moyens de publication nécessairement fort restreints, comment le foible roseau du copiste a pu réaliser une publicité qui ne semble possible qu’à la merveilleuse puissance de la presse. Tout ce qui tient à la bibliographie ancienne, les matières premières; la transcription, la confection, le commerce des livres; la condition des auteurs, des copistes, des éditeurs, des libraires; tous ces mille détails, auxquels on ne pensoit même pas d abord, acquièrent alors un vif intérêt, excitent au plus haut point la curiosité. La connoissance de ces détails constitue d’ailleurs une partie fort importante de l’histoire littéraire de l’antiquité: de plus, elle est souvent indispensable pour la parfaite intelligence de certains auteurs, plus difficiles à comprendre par cela môme que leur style est plus familier, et qu’ils font de fréquentes allusions à des circonstances de la vie privée tout à fait étrangères maintenant à nos mœurs et à nos usages.
Des notions détaillées sur la librairie ancienne doivent donc être aussi instructives qu’intéressantes, et cependant on les chercheroit vainement dans les auteurs modernes qui ont écrit l’histoire de la Grèce et de Rome; on ne les trouve même qu’en petit nombre, incomplètes et disséminées dans les savans ouvrages par lesquels les Bénédictins ont créé et si fort avancé la science des anciennes écritures. La matière a été traitée, il est vrai, avec plus de suite et plus d’étendue en Allemagne et en Italie; mais, si l’on met à part un ou deux ouvrages plus considérables, il n’existe guère, sur la paléographie ancienne, que des dissertations tronquées, des préfaces, des articles de journaux, des thèses soutenues par des jeunes gens pour arriver aux grades dans les facultés. Ces ouvrages sont peu répandus, peu connus et presque toujours insuffisans, d abord en ce que les auteurs n’embrassent pas le sujet dans toute son étendue; de plus, en ce que, même pour la question spéciale dont ils s’occupent, ils n ont pas eu le secours de plusieurs monumens importans, dont la découverte est postérieure à la publication de leurs travaux. Le lecteur que n’effrayeroient pas six longs mémoires, en assez bon latin du reste, sur les livres des Hébreux, des Grecs et des Romains, pourvoit prendre une idée de l’insuffisance des traités de ce genre, en parcourant l’ouvrage de Schwarz, le moins incomplet peut-être qui existe, et celui que je citerai de préférence, parce que, venu l’un des derniers, l’auteur a connu, a reproduit les résultats des recherches de ses de vanciers.
Je me suis attaché particulièrement à la bibliographie latine; c’est seulement en passant que j’ai parlé de la Grèce. J’ai dû m’imposer cette réserve pour ne pas dépasser la mesure de mes forces; ceux qui désireroient, à ce sujet, des détails plus circonstanciés, trouveront dans la Paléographie grecque de Montfaucon de quoi satisfaire leur curiosité. Voici, maintenant, quelques explications nécessaires sur le travail que j’offre au public, et les moyens que j’ai eus de le rendre aussi utile que possible dans les étroites limites que j’ai dû lui assigner.
Le fond de l’ouvrage est le résultat des longues et savantes recherches de M. Guérard, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et professeur à l’École royale des Chartes. Son cours, dont j’ai soigneusement recueilli et rédigé les leçons en1836, m’a fourni le plan, les divisions et les données principales de mon livre; mais le temps que M. Guérard pouvoit consacrer à la Paléographie proprement dite ne lui ayant pas permis de donner à cette partie de son cours tout le développement dont elle étoit susceptible, j’ai dû parfois compléter, et je me suis permis, en quelques endroits, de modifier les données du savant professeur d’après les résultats de mes propres recherches. J’ai fait une étude attentive des chapitres dans lesquels Pline l’ancien décrit la fabrication du papyrus: serai-je parvenu à les bien saisir et à les bien faire comprendre? c’est une question qui pourra être résolue de plusieurs manières; je me persuade néanmoins que j’ai tiré, de ce document unique, toutes les lumières que peuvent fournir des textes toujours obscurs et souvent peut-être altérés. Le mode d’édition des livres, chez les Romains, étoit une question presque neuve; j’espère l avoir éclaircie, autant, que le permettoit la disette des documens. Si J ai cru devoir lue en entier quelques ouvrages originaux, tels que les lettres de Cicéron, Catulle, Tibulle, Properce, les poésies élégiaques d’Ovide, Martial, Pline le jeune, il est d’autres auteurs dont je n’ai connu d’utiles passages que par les citations de Casaubon, de Saumaise, de Juste-Lipse, de Schwarz, etc. J’ai cru pouvoir, sans scrupule, m’approprier ces citations, excepte dans les cas, fort rares, ou il ne m’a pas été possible d’en vérifier par moi-même l’exactitude.
Le mode de publication que j’ai été contraint d’adopter n’est pas, on s’en apercevra sans doute, pour le texte d’un livre, une garantie de pureté et de correction.
On ne me refusera pas, j’espère, un peu d’indulgence pour les nombreuses inadvertances qui m’ont échappé dans la correction des épreuves; il est même inutile de les signaler: avec un peu d’attention, chacun saura bien les découvrir et pourra les corriger. Une seule, peut-être, exige un avertissement spécial. Aux pages26, 27et28, la largeur du papier macrocolle est donnée pour celle du papier claudien, et vice versâ. Il faut donc lire, page26, ligne dernière, et page27, ligne première– macrocolle, et qui avoit un pied et demi de largeur (24doigts). Page28, ligne18, il faut lire,–il la porta à un pied, ou16doigts.
Du reste, le titre seul de ce petitlivre indique suffisamment ce que j’ai eu l’intention de faire: ce n’est point un traité complet; c’est un Essai, fort imparfait sans doute, mais qu’il sera possible de compléter un jour, s’il atteint le but que je me suis proposé en le composant, celui d’être utile à mes futurs confrères de l’École des Chartes, et de procurer une lecture intéressante au petit nombre de personnes qui goûtent encore les chefs-d’œuvre de la littérature ancienne.