Читать книгу Essai sur les livres dans l'antiquité, particulièrement chez les Romains - Hercule Géraud - Страница 5

CHAPITRE PREMIER.
Des substances sur lesquelles on a écrit dans les temps anciens.

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Table des matières


ES anciens ont écrit sur une foule de matières diverses; chacun des trois règnes de la nature a fourni son tribut à leur industrie.

Nous possédons, écrits sur la pierre et sur la brique, des documens historiques de l’antiquité la plus reculée; mais il faudroit remonter à l’origine du monde si l’on vouloit admettre, sur la foi des historiens, certains faits d’une authenticité douteuse. Ainsi, d’après une vieille tradition conservée par Josephe, un fils d’Adam auroit gravé sur deux colonnes, l’une en pierre et l’autre en brique, les premières découvertes dues au génie de l’homme. Un fait qui trouvera moins d’incrédules, c’est l’usage où furent les Babyloniens, pendant720années, de consigner sur des briques leurs observations astronomiques. Peut-être quelques débris de ces registres antiques se retrouveroient-ils aujourd’hui parmi les briques écrites qui couvrent encore le sol de Babylone, ou parmi celles que divers voyageurs y ont recueillies pour enrichir les musees et les bibliothèques de l’Europe. C’étoit sur des tessons, que les Grecs écrivoient leurs suffrages, d’où le nom d’ostracisme donne a la peine du bannissement infligée par le peuple. Les plus beaux monumens de l’art étrusque sont aussi sur la terre cuite couverte d’inscriptions. Qui ne connoît les nombreux monumens épigraphiques de ce genre publiés par Fabretti, Baldini, Muratori, Gherard, etc.? Enfin nous citerons comme spécimens très-curieux d’écriture sur brique les tessons découverts, il y a près de vingt années, aux environs de Sienne et d’élephantine, sur les bords du grand désert: ils sont écrits en langue grecque, et portent des quittances d’impositions délivrées sous les règnes de Marc-Aurèle, d’Adrien, d’Antonin et de Vespasien.

La pierre et les métaux assuroient à l’écriture une bien plus longue durée. Aussi voit-on les peuples, dans l’enfance de leur civilisation, confier au bronze ou à la pierre leurs lois, leurs traités, tous les monumens d’une haute importance. Avant l’invention du papyrus, dit Lucain, les Egyptiens écrivoient leurs hiéroglyphes sur la pierre. Les nombreuses inscriptions qui, en Egypte, couvrent les statues, les obélisques, les murailles des temples, sont autant de pages de son histoire. Après leur sortie d’Égypte, les Hébreux gravèrent sur des tables de pierre la loi qui leur fut donnée sur le mont Sinaï. Une des plus anciennes sources de l’histoire grecque est, sans contredit, la chronique de Paros, tracée sur les marbres d’Arondel, conservés à Oxford. Parmi les marbres écrits qui ornent le musée du Louvre, est-il besoin de citer les marbres de Choiseul, dans la salle des Cariatides, registres des dépenses faites par le gouvernement d’Athènes pendant la22e année de la guerre du Péloponnèse? et les marbres de Nointel, espèce de nécrologe, où sont inscrits les noms des soldats grecs morts pour leur patrie en Egypte, en Chypre, à Mégare, etc.? Ces précieux monumens sont antérieurs à notre ère de plus de quatre siècles.

Le jaspe, la cornaline, l agate et plusieurs autres pierres précieuses, ont également servi à perpétuer le souvenir des faits historiques par le moyen de l’écriture. On peut voir plusieurs échantillons de ces pierres écrites au musée du Louvre, et dans le cabinet des antiques, a la Bibliothèque royale. Ce riche dépôt renferme aussi un des plus curieux spécimens d’écriture sur pierre que l’on connoisse. C’est un cône de basalte qui a été trouvé dans l’Euphrate: il est couvert de caractères cunéiformes dans le genre de ceux qu’on a copiés sur les ruines de Persépolis et de Van.

L’usage d’écrire sur la pierre s’est perpétué pendant tout le temps de la civilisation grecque, et même longtemps après l’époque où les livres sont devenus d’un usage universel. A Pompeï, en avant de l’édifice appartenant à la corporation des foulons, est une façade divisée par des pilastres, entre chacun desquels on écrivoit les décrets et autres actes de l’autorité. Il paroît même qu’au temps de Polybe on traçoit de courts résumés historiques sur les murs intérieurs des maisons. Peut-être étoient-ce des inscriptions placées au-dessous de certaines peintures à fresque, et destinées à en faciliter l’intelligence aux spectateurs Les Scandinaves confioient jadis à la pierre les principaux événemens de leur histoire; ils écrivoient sur l’os, la corne ou le bois les faits d’une moindre importance. On trouve même quelques chartes sur pierre, et nous pourrions en citer plusieurs d’une époque assez récente qui existent encore en original. Nous nous contenterons d’indiquer la charte de liberté accordée, en1198, aux habitans de Montélimart par Gérald-Aymar et Lambert, fils du seigneur du lieu: elle est encastrée dans un des murs de l’hôtel de ville de Montélimart.

Que les anciens aient grave sur le bronze leurs statuts religieux, leurs lois, leurs traités, c est un fait qui n’a pas besoin de preuves. Il suffit de rappeler, pour les Grecs, les deux tables d’Héraclée, publiées par Mazzochi; pour les Romains, les lois des Douze Tables, les traites avec Carthage, rapportés par Polybe, qui avoit vu les originaux; enfin les trois mille tablettes de bronze, qui périrent dans l’incendie du Capitole, sous Vitellius. Des actes moins solennels, des sénatus-consultes, par exemple, ont été consignés sur des tables de bronze; tel est celui qui défendit, l’ an566de Rome, la célébration des bacchanales, et dont une copie, trouvée par un laboureur calabrois, vers le milieu du dernier siècle, est aujourd’ hui conservée dans le musée de Vienne. Quelques autres décrets, dictés, à la vérité, par la flatterie, furent écrits, vers l’an71de Rome, en lettres d’or sur des colonnes d’argent. C’est sur une table de bronze qu’Annibal fit graver cette longue inscription bilingue, qu’il consacra au cap des Colonnes, dans le temple de Junon Lacinienne, inscription qui contenoit, en lettres grecques et puniques, l’état de ses troupes et la suite de ses exploits. Schwarz a soupçonné que les Romains étoient allés jusquà faire des livres de bronze; il s’appuie d’un passage où Cicéron met le livre des Douze Tables au-dessus des bibliothèques de tous les philosophes. Il auroit pu citer deux passages encore plus formels d’Hyginus, qui prouvent que les concessions faites à des colonies, l’arpentage et les délimitations de ces terrains étoient consignés dans les livres de bronze, in œris libris, qu’on déposoit ensuite dans les archives de l’empereur. Et ce n’étoient pas seulement des actes publics que l’on inscrivoit sur des tablettes de bronze; on conserve encore à Lyon un exemplaire sur bronze du discours prononcé par Claude, en l’an48, lorsqu’il fut question de compléter le sénat par l’adjonction des principaux habitans de la Gaule chevelue. Des monumens bien moins importans, des lettres de recommandation, des congés donnés aux soldats étoient aussi gravés sur des tablettes de bronze; il nous reste de ces sortes d actes une foule d’originaux.

Les exemples de l’écriture sur plomb remontent à l’antiquité la plus reculée. «O, s’écrie Job, répondant au subite Bildad, si «mes discours étoient consignés dans un livre!... s’ils étoient

tracés sur du plomb avec un poinçon de fer!» Dion Cassius dit qu’avant la mort de Germanicus on avoit découvert, dans la maison qu’il habitoit, des ossemens humains et des lames de plomb, sur lesquelles le nom du héros étoit écrit avec des imprécations. Nous apprenons du même auteur que le consul Hirtius, assiégé dans Modène, écrivit à Decius Brutus sur une lame de plomb très-mince qui fut roulée comme un morceau de papier, et qu’un nageur fut chargé de porter à sa destination. Néron, pour entretenir sa voix, couvroit sa poitrine d’une lame de plomb; c’est l’expression de Pline. Suétone, rapportant le même fait, nomme cette lame du papier de plomb, plumbea charta, désignation qui se trouve aussi dans Josephe, Cette dénomination remarquable atteste l’usage où étoient les anciens d’écrire sur des lames de plomb. Il paroît même qu’ils avoient le secret de les rouler en volumes. Ainsi les actes publics, au rapport de Pline, ont été, avant l’invention du papyrus (ou plu tôt avant son importation en Italie), consignés dans des volumes de plomb. Pausanias raconte qu’Épaminondas trouva, dans un vase déterré sur le mont Ithome, des lames de plomb fort minces ployées en forme de rouleau, et sur lesquelles étoit écrit tout ce qui concernoit le culte et les cérémonies des grandes déesses. Nous aurons occasion, plus tard, de parler des tablettes composées de plusieurs lames de plomb jointes ensemble, et des tablettes de cire d’un usage universel dans l’antiquité.

Ulpien, énumérant les différentes sortes de livres carrés en usage de son temps, nomme les livres de parchemin, de papyrus, d’ivoire ou de toute autre matière, et les tablettes de cire. Il y avoit donc, au commencement du IIIe siècle, des livres en ivoire différens des tablettes. Vopiscus les nomme libri elephantini, et dit que les sénatus-consultes qui concernoient les empereurs furent longtemps écrits sur des livres de ce genre. Les tablettes ou pour nous servir d’une expression moderne, les feuillets qui composoient les livres d’ivoire, ont dû être gravés comme les plaques de bronze ou les lames de plomb, lorsqu’on leur confioit des monumens auxquels il falloit assurer une longue durée; mais des passages formels d’anciens auteurs ne permettent pas de douter qu’on n’ait aussi écrit sur l’ivoire avec de l’encre noire. Ainsi, dans une comédie de Plaute, une servante répond à sa maîtresse, qui lui demande de la céruse pour se blanchir les joues: «Autant vaudroit vouloir blanchir de l’ivoire avec de l’encre.» Et un flatteur répond: «Voilà un bon mot sur l’encre et sur l’ivoire.» Mais un passage plus formel encore, c’est l’épigramme de Martial, intitulée Pugillares eborci, où l’on voit que ceux dont la vue affoiblie distinguoit difficilement l’écriture sur la cire écrivoient à l’encre noire sur des tablettes d’ivoire.

Quelquefois, pour épargner aux enfans l’ennui des premières leçons, on tailloit, à leur usage, des morceaux d’ivoire en forme de lettres. Quintilien approuve cette méthode, qui étoit déjà répandue de son temps, et que, trois siècles plus tard, saint Jérôme recommandoit encore.

Quelques commentateurs ont pris les libri elephantini, dont parle Vopiscus, pour des livres faits avec des intestins d’éléphant. Nous apprenons, en effet, par Isidore de Séville que cette matière a voit anciennement servi à recevoir l’écriture. La bibliothèque de Constantinople, incendiée sous l’empereur Basiliscus, renfermoit, dit-on, un exemplaire de l’Iliade et de l’Odyssée, écrit en lettres d or sut un intestin de dragon long de120pieds. Pour en finir avec les faits d une authenticité douteuse, nous mentionnerons ici le diplôme tracé en lettres d’or sur une peau de poisson, diplôme que Puricelli indique parmi les monumens curieux conserves dans la bibliothèque ambroisienne de Milan.

Venons à des faits plus certains. Les Juifs se servoient encore, au siècle dernier, dans leurs cérémonies religieuses, d’exemplaires des livres saints écrits sur des rouleaux de peau tannée. On sait avec quelle scrupuleuse fidélité, dans tout ce qui touche a leur religion, les sectateurs de la loi de Moïse se sont toujours conformés aux traditions antiques. On peut donc regarder d avance comme très-ancien chez les Hébreux l’usage d’écrire sur le cuir tanné. Nous trouvons, en effet, dans Josephe, que les soixante-douze interprètes envoyés par le grand pontife Eléazar à Ptolémée Philadelphe, pour faire la version grecque des livres saints, offrirent au roi, entre autres présens, une copie de ces livres en lettres d’or sur des peaux très-minces. Chez les Grecs, ces sortes de peaux étoient appelées diphthères Les Ioniens, dit Hérodote, nomment diphthères même les livres de papyrus, parce que, lorsque cette dernière substance leur manquoit, ils écrivoient sur des peaux de chèvre et de brebis. S’il faut en croire Diodore de Sicile, une loi prescrivoit aux Perses de consigner leurs annales sur des bandes de cuir qu’on appeloit diphthères royales. L’emploi de cette substance, pour recevoir l’écriture, n’a pas été étranger aux Romains. Ulpien en fait mention dans un passage remarquable, où l’on voit que les testamens étoient parfois écrits, soit sur du parchemin, soit sur le cuir tanné de quelque animal. Enfin nous trouvons encore, chez les Celtes, les diphthères sacrées nommées, suivant Hesychius, .

Parmi les curieux exemples d’écriture sur cuir, qui ne connoît la fameuse veste où Pétrarque fixoit les pensées qui se présentoient à son esprit lorsqu’il étoit à la promenade, et qu’il manquoit de papier ou de parchemin? Ce vêtement, couvert d’écriture et de ratures, étoit encore, en1527, conservé par Sadolet comme un précieux monument littéraire. Du reste, il ne faut pas attribuer au célèbre poëte italien l’ honneur de cette invention. Les Parthes du temps de Pline, écrivoient sur leurs vêtemens, et, dans le moyen âge, un abbé recommandoit à ses moines, lorsqu’ils trouveroient quelque ouvrage de saint Athanase, de le transcrire sur leurs habits, si le papier leur manquoit.

Le cuir tanné étoit écrit d’un seul côté, et ordinairement du côté où avoit été le poil; mais il y avoit encore une autre manière de l’ employer. Autant qu’on peut en juger, en combinant ensemble deux passages assez obscurs d’Hesychius, les Cypriotes écrivoient avec un style sur des peaux d’animaux enduites de cire, ce qui avoit fait donner à leurs maîtres d’école le nom de mot composé de peau, et de oindre.

Il faut bien prendre garde de confondre les diphthères, qui étoient, comme nous l’avons dit, de simples peaux tannées, avec le parchemin, en latin membrana, pergamenum, en grec et dans le moyen âge, et même Le parchemin se fait avec la pellicule intérieure de la bête, celle qui adhère immédiatement à la chair. On distingue aujourd’hui le parchemin proprement dit, qui est lait avec de la peau de mouton, du vélin fabriqué avec de la peau de veau. L’un et l’autre étoient probablement connus des anciens, quoique nous ne trouvions pas qu’ils les aient distingués.

Il est assez difficile d’assigner une époque précise à l’invention

du parchemin. Varron, cité par Pline, raconte qu’Eumène; roi de Pergame, voulant fonder une bibliothèque, la jalousie en

gagea Ptolémée à prohiber l’exportation du papyrus, et qu’à cette

occasion le parchemin fut inventé à Pergame. Nous apprenons de Strabon que le fondateur de la bibliothèque de Pergame fut Eumène, deuxième du nom, dont le règne commença l’an197 avant Jésus-Christ, et dura39ans; mais il faut bien remarquer que Varron n’attribue pas expressément l’invention du parchemin à Eumène; il dit seulement qu’à l’occasion du démêlé survenu entre ce prince et Ptolémée, le parchemin fut invente à Pergame. Cette découverte a-t-elle eu lieu sous Eumène, ou bien sous Attale II, son successeur? c’est ce qui reste dans l’incertitude. Il n y a donc aucune contradiction entre ce passage de Pline et l’opinion d’Elien et de saint Jérôme, qui fixent au règne d’Attale II l’époque de l’invention du parchemin.

L’auteur inconnu d’un ancien traité sur le papyrus va jusqu’à nommer l’inventeur. D’après lui, le grammairien Cratès, qui étoit à la cour du roi de Pergame, jaloux de ce qu’Aristarque avoit décidé Ptolémée à envoyer du papyrus aux Romains, parvint à tirer de la peau des animaux des membranes propres à recevoir l’écriture. Il persuada au roi Attale d’en expédier à Rome, où on leur donna le nom de pergamenum, en mémoire de celui qui les avoit envoyées. Ce passage s’accorde merveilleusement, avec celui de saint Jérôme, que nous venons de citer plus haut, et dans lequel il ne manque, pour être parfaitement identique avec celui-ci, que le nom du grammairien Cratès. Or nous savons que ce Cratès fut envoyé en ambassade à Rome par un des Attales; et l’on peut présumer que ces précieux parchemins, qui furent expédiés aux Romains, faisoient partie des présens adressés par le roi de Pergame à un peuple ami, et dont l’alliance lui étoit si précieuse. Sué tone fixe de cette manière l’époque de l’ambassade de Cratès

Cratès de Mallos, dit-il, contemporain d’Aristarque, fut envoyé «au sénat par le roi Attale, entre la seconde et la troisième guerre

punique, vers l’époque de la mort d’Ennius.» Aristarque vivoit sous Ptolémée Philométor, dont il avoit élevé le fils, vers là 156e olympiade, an de Rome598-601. La troisième guerre punique a commencé vers l’an de Rome602; et la mort d’Ennius tombe vers l’an584de Rome. Toutes ces dates, à l’exception de la mort d’Ennius, qui arriva sous le règne d’Eumène, concordent avec celui d’Attale II, commençant vers l’an de Rome594, et finissant vers l’an615(av. J.-C. 159-138). C’est donc à peu près au milieu du IIe siècle avant notre ère qu’il faudroit placer l’invention du parchemin. Nous ne devons pas dissimuler que des savans dont le nom fait autorité, assignent à cette substance une origine bien plus ancienne; car ils traduisent par parchemin le mot grec

dans les passages d’Hérodote et de Josephe que nous avons rapportés plus haut. Mais ils s’accordent tous pour reconnotre qu on trouva à Pergame le secret de le perfectionner, et que de là vint le nom de membrana pergamena ou simplement pergamenum, dont nous avons fait le mot parchemin. Cette opinion ne diffère de la nôtre qu’en ce qu’elle attribue improprement le nom de parchemin à ces peaux tannées très-minces, dont on se servoit avant la découverte faite sous les rois de Pergame.

Les premiers essais ne furent pas très-heureux; on ne fabriqua d abord qu’un parchemin jaunâtre, peu fait pour contenter ce besoin d’élégance que les Romains apportoient en toutes choses. Aussi trouvèrent-ils bientôt le secret de fabriquer du parchemin blanc. Ils ne tardèrent pas à s apercevoir que cette nouvelle substance avoit le double inconvénient de fatiguer la vue et de se salir très-vite; mais probablement ces défauts étoient compensés par quelques qualités; car on continua a fabriquer du parchemin blanc; seulement on lui donna, sur un des côtés, une teinte jaune artificielle, ce qui le fit appeler membrana bicolor. Voilà, à notre avis, la seule manière d’expliquer l’apparente contradiction qui existe dans le chapitre d’Isidore de Séville, consacré au parchemin.

Pour que cette teinte jaune pût remédier au double inconvénient signalé par Isidore, il falloit qu’elle fût appliquée au recto du parchemin, c’est-à-dire au côté qui devoit recevoir l’écriture. C’est probablement de ces feuilles à deux couleurs que parle Quintilien, lorsqu’il recommande aux personnes qui ont de mauvais yeux l’usage du parchemin comme favorable à la vue.

Dans les tablettes où l’on écrivoit des deux côtés, la couleur jaune étoit sans doute appliquée au verso comme au recto de la feuille. Du moins, Juvénal, parlant de tablettes de parchemin, n’emploie pas le mot de membrane à deux couleurs, mais celui de membrane jaune.

Croceæ membrana tabellæ

Impletur.

Outre le parchemin blanc et le parchemin jaune, les anciens se servoient encore de parchemin pourpre. Ce dernier, au dire d’Isidore, étoit réservé pour les encres d’or et d’argent. On peut en voir des nombreux échantillons à la Bibliothèque royale. Ils sont aujourd’hui, pour la plupart, non plus d’un rouge vif, mais d’un violet foncé. Montfaucon avoit remarqué la même altération dans tous les manuscrits en vélin pourpre qui avoient passé sous ses yeux. Aussi penchoit-il à croire que cette teinte violette étoit leur couleur primitive.

Muratori a publié un petit traité remontant au temps de Char lemagne sur l’art de colorer le parchemin, le marbre et les métaux Cependant, à cette époque, la fabrication du parchemin commen çoit à être négligée; elle le fut bien davantage par la suite. En général, la ténuité et la blancheur sont, dans les manuscrits en parchemin, des caractères d’ancienneté. Parmi ceux qui remontent au delà du vie siècle, on en trouve que l’on diroit, au premier cou d’œil, écrits sur du papier glacé.

La cherté du parchemin fit naître l’usage de gratter les vieux livres pour en faire servir les feuilles une seconde fois; usage funeste, qui détruisit beaucoup d’écrits anciens, et leur substitua des compositions mystiques. Les parchemins sur lesquels on a effacé la première écriture pour en mettre une nouvelle se nomment palimpsestes: on en trouve un exemple dans la première moitié du vie siècle. L’usage s’en répandit au IXe, et dura jusqu’à l’invention du papier de chiffe. On effaçoit l’écriture de plusieurs manières. Tantôt on trempoit le parchemin dans l’eau bouillante tantôt on le passoit à l’eau de chaux vive; d’autres fois on enlevoit la superficie écrite. Ordinairement on grattoit le parchemin avec la pierre ponce; mais, pour que cette opération ne nuisît en rien à la netteté de l’écriture, on passoit ensuite sur la feuille de la craie en guise de sandaraque. C’est pour cela que, dans les statuts de l’ordre de Citeaux, la craie est comptée parmi les choses nécessaires à l’écrivain, et que Jean de Garlande, énumérant les instrumens dont se servent les clercs ou copistes, termine sa liste par la pierre ponce, le grattoir et la craie.

Les bénédictins du dernier siècle, à force d’adresse et de patience, parvenoient à déchiffrer, sur les palimpsestes, quelques lignes de la première écriture; mais, depuis que la chimie est venue en aide aux archéologues, on a pu faire complètement revivre les pages effacées; et c’est ainsi qu’ont été rendus à la jurisprudence les institutes de Gaius; a la philosophie, le traité de Cicéron sur la république; à l’histoire, des fragmens de Tite-Live et les sommaires des neuf derniers livres de Denys d’Halicarnasse.

C’est au règne végétal que nous devons les matières les mieux appropriées à l’écriture, et celles qui ont été le plus universellement répandues. Les feuilles d’arbre sont, d’après Pline, la première substance sur laquelle on ait tracé l’écriture. Quelquefois on écrivoit sur de simples feuilles; ainsi Ænée supplioit la sibylle de Cumes de prononcer elle-même ses oracles, au lieu de les écrire sur des feuilles d’arbre, que le vent pouvoit enlever: ainsi les Syracusains, dans leurs délibérations, consignoient leurs votes sur des feuilles d’olivier, d’où leur mot pétalisme, qui, chez eux, correspondoit à l’ostracisme des Athéniens. Mais il paroît que, dans l’antiquité la plus reculée, on faisoit avec les feuilles de palmier une espèce de tissu qu’on pouvoit ployer en volume: In palmarum foliis primo scriptitatum, dit Pline; et Isidore ajoute aux feuilles du palmier celles de la mauve: Libri... scribebantur... textilibus malvarum foliis atque palmarum. Il appuie son assertion d’un passage d’Helvius Cinna, envoyant à un de ses amis les vers d’Aratus, écrits dans un livre de feuilles de mauve:

Hæc tibi Arateis multum invigilata lucernis

Carmina

Levis in aridulo malvae descripta libello.

Les peuples de la Perse, de l’Inde et de l’Océanie écrivent encore sur des feuilles d’arbre. Dans les Maldives, on se sert de la feuille du makarekau, qui a un pied de large sur trois pieds de long. La Bibliothèque royale possède plusieurs manuscrits tracés sur des feuilles d’arbre. Quelques-unes sont simplement taillées et polies; d’autres sont vernissées et dorées de telle manière, qu’au simple coup d’oeil on ne sauroit reconnoître leur nature.

Après les feuilles des arbres, on employa l’écorce, et d’abord l’écorce extérieure, que, sans doute, on se contentoit de dégrossir pour en enlever les aspérités. Les premiers habitans de l’Italie en faisoient, dit-on, des tablettes pour écrire leurs lettres. Elle servoit parfois à des usages plus solennels; les prophéties des prêtres de Mars avoient été transcrites sur de l’écorce. Cassiodore après s’être plaint de la rudesse de cette substance, sur laquelle les anciens pouvoient à peine tracer les caractères, ajoute: «Il étoit «peu convenable de confier de doctes écrits à des tablettes qui

n’étoient pas même polies.» L’écorce lisse et brillante du cerisier faisoit cependant une exception. On pouvoit graver des vers sur le tronc même de l’arbre, et enlever ensuite, pour la conserver la partie écrite de l’écorce. C’est ce qui semble résulter des vers suivans de Calpurnius, poëte bucolique de la fin du3e siècle:

Dic âge, nam cerasi tua cortice verba notabo,

Et decisa feram rutilanti carmina libro.

Et plus loin:

Nonnullas licet cantare choreas

Et cantus viridante licet mihicondere libro.

L’expérience, en éclairant les anciens peuples sur les inconvéniens de l’écorce proprement dite, les conduisit à essayer l’écorce intérieure, celle qui touche immédiatement à l’aubier. Cette substance, qu’on empruntoit au pin, au sapin, au hêtre ou au tilleul, pouvoit être employée de plusieurs manières. Quelquefois on gravoit simplement les lettres sur l’écorce fraîchement arrachée; c’est ainsi que les coureurs, envoyés en avant pour observer ou reconnoître l’ennemi, correspondoient avec les généraux.

Le plus souvent on en fabriquoit une espèce de papier; du moins est-il certain qu’il y a eu des volumes d’écorce.

Saint Jérôme, Cassiodore, Isidore de Séville prétendent que, de la coutume d’écrire sur l’écorce nommée en latin liber, est venu l’usage de ce mot liber, pour désigner les livres, et du mot librarius, signifiant copiste, on faiseur de livres. On peut regarder comme assez généralement adoptée dans l’antiquité une étymologie émise par ces trois auteurs; aussi, tout inepte qu’elle est au jugement de Saumaise, elle n’en prouve pas moins ce que nous avons à établir, c’est qu’on a fait des livres en écorce. Les lois romaines nous fournissent, d’ailleurs, deux passages qui mettent le fait hors de doute. «Le mot de livres, dit Ulpien, s’étend à tous les

volumes de papyrus, de parchemin ou de toute autre matière: «il embrasse aussi les volumes d’écorce, comme en font quelques «personnes, ou de toute autre substance du même genre»

Paulus dit à peu près la même chose: «Un legs de livres com«prend les volumes en papier, en parchemin et en écorce.». Il faut remarquer les mots philyra et tilia; le second signifie proprement tilleul; l’autre est un mot grec qui a la même acception. Il semble qu’on n’auroit pas donné à ces deux mots la signification générique d’écorce employée à recevoir l’écriture, si l’écorce du tilleul n eût été consacrée à cet usage de préférence à toute autre. Du reste, ces deux mots, quoique se traduisant l’un par l’autre, n avoient pas tout à fait la même signification; les bandes les plus déliées de l’ écorce intérieure se nommoient philyræ; les tilioe étoient moins fines.

On a, sans doute, remarqué, dans le passage d’Ulpien, les mots ut nonnulli conficiunt; ils prouvent qu’au IIIe siècle les livres d’écorce commençoient à devenir rares; Martianus Capella, écrivain du siècle suivant, ou tout au moins de la seconde moitié du Ve, distingue encore les livres d’écorce des livres de papyrus ou de parchemin, et dit aussi que les premiers sont rares. Cependant l’écorce de hêtre fut encore employée, pour le commerce épistolaire, au moins jusqu’à la fin du vie siècle. Fortunat écrit à son ami Flavius: «Si «vous manquez de papyrus, écrivez-moi sur de l’écorce de hêtre; «vos lettres ne m’en seront pas moins agréables.»

Scribere quo possis discingat fascia fagum;

Cortice dicta legi fit mihi dulce tua.

Enfin, BernhardPez donne l’indication d’un livre écrit en832 sur de l’écorce d’ormeau. C’est une histoire manuscrite de Charlemagne et de la fondation du monastère de Kempten, par un certain Gotfridus Kerren, qui s’intitule le plus petit des scribes dans la chancellerie de Charlemagne. A la fin du manuscrit, on trouve l’annotation suivante: Exemplarfait scriptum Campidonœ, pro tibraria, super cortice ulmio; mais ces deux dernières lignes sont d’un scribe du XVIe siècle, qui a peut-être confondu du papyrus avec de l’écorce. Bien des paléographes habiles, sans en excepter Mabillon, sont tombés dans la même erreur; aussi, quoique ce fondateur de la diplomatique, quoique Montfaucon, D. Toussain, Schwarz et bien d’autres soutiennent avoir vu du papier d’écorce, on peut douter qu’il en existe aujourd’hui quelque échantillon dont l’authenticité soit parfaitement constatée.

Nous n’avons pas encore épuisé la liste de toutes les substances employées autrefois pour recevoir l’écriture. Déjà, pourtant, on peut dire qu’il n’y a eu aucune matière propre à cet usage qui n’ait été connue et mise en œuvre dans l’antiquité. On ne s’étonnera pas, sans doute, que, dans cette longue énumération, nous n’ayons pas introduit un certain ordre chronologique; que nous n’ayons pas noté le moment où telle substance a commencé à être en usage, celui où elle a cessé d’être employée pour faire place à une autre. Une pareille précision est impossible. Toute recherche à ce sujet n’aboutiroit qu’à des conjectures plus ou moins plausibles, et qu une découverte nouvelle pourroit à chaque instant démentir. Qui auroit cru, il y a cent années, qu’un savant de notre siècle iroit arracher aux tombeaux de la vieille Egypte des fragmens de papyrus beaucoup plus anciens que les plus anciens marbres de nos musées? Et, lorsque Champollion a révélé à l’Europe ces frêles débris d’une antiquité si prodigieuse, il n’y a peut-être pas eu un seul archéologue assez présomptueux pour oser concevoir l’idée qu’on put faire un pas de plus dans la nuit du passé. Et pourtant ce pas a été fait. L’Angleterre possède une planche de sycomore, auguste fragment d un cercueil royal, trouve en1837dans la troisième des pyramides de Memphis. Si l’ inscription gravée sur ce morceau de bois a été bien lue, comme tout porte à le croire, voilà un monument qui remonte, oserons-nous le répéter? à cinq mille neuf cents ans!!! C’est à donner le vertige. Rétrogradons de quelques siècles: avant l’ invention du papier de Chine, qui date à peu près de deux mille ans, les Chinois écrivoient sur des planches de bois, sur des tablettes de bambou, ou sur des plaques de métal, dont quelques-unes sont encore conservées comme des restes curieux de temps très-anciens, Nous retrouvons, en Grèce et en Italie, l’usage de graver sur des planches de bois les monumens de quelque importance. Vers le milieu du1er siècle de notre ère, il existoit encore à Athènes, dans le Prytanée, quelques débris des tables de bois,

sur lesquelles, quatre cents ans auparavant, Solon avoit écrit ses ois. Ces tables, jointes en forme de prismes quadrangulaires, et traversées par un axe, furent d’abord dressées perpendiculairement dans la citadelle, où, tournant au moindre effort sur elles-mêmes, elles présentoient successivement le code entier des lois aux yeux des spectateurs. Celles de Dracon avoient, sans doute aussi, été publiées sur bois, ce qui faisoit dire, longtemps après, à un poëte comique cité par Plutarque: «J’en atteste les lois de Solon et «de Dracon, avec lesquelles maintenant le peuple fait cuire ses «légumes.»

A Rome, avant l’usage des colonnes et des tables de bronze, les lois étoient gravées sur des planches de chêne qu’on exposoit dans le Forum. C’est ainsi que les lois de Numa furent publiées par Ancus Marcius d’abord, et plus tard par le grand pontife Papirius. Les annales des pontifes, où s’inscrivoient, jour par jour, les principaux événemens de l’année, étoient écrites, probablement à l’encre noire, sur une planche de bois blanchie avec de la céruse et qu’on appeloit album. Cette planche étoit exposée devant la maison du pontife, et des peines sévères étoient portées contre celui qui auroit osé l’enlever ou la changer, en raturer ou en altérer le texte. Les annales des pontifes cessèrent vers l’an633de Rome; mais l’usage de l’album se maintint longtemps encore, puisque nous trouvons dans le code théodosien des lois publiées sur une table enduite de céruse. Le bois étoit encore en usage pour les actes privés; un passage du Digeste, que nous avons déjà cité, prouve que les testamens étoient parfois écrits sur des tablettes de bois. Enfin, au ive siècle, on faisoit aussi des lettres en buis pour apprendre à lire aux enfans.

L’usage des tablettes de bois s’est perpétué jusqu’après la chute de l’empire d’Occident. Fortunat, dans sa lettre à Flavius, se plaignant de la rareté de ses lettres, lui dit: «Si vous êtes fatigué du latin, écrivez-moi du moins en hébreu; écrivez-moi en grec... Peignez sur des tablettes de frêne les caractères barbares de l’alphabet runique, ou qu’une petite verge unie vous tienne lieu de papyrus.»

Barbara fraxineis pingatur runa tabellis,

Quodque papyrus agit virgula plana valet.

L’écriture runique dont parle ici Fortunat, ayant pour caractère distinctif l’absence presque totale de lignes courbes, étoit formée, dans le principe, par un certain nombre de petites baguettes (virgules planœ), que l’on combinoit ensemble; d’autres fois elle étoit tracée à l’encre (pingebatur) sur des tablettes de bois de frêne. Les paysans de la Norwége et de la Suède se servent encore de calendriers gravés sur de petits bâtons et de tablettes de bois indiquant les principales fêtes de l’année.

Enfin il paroît qu’on a parfois écrit sur des copeaux, ou rubans de bois que le rabot enlève en glissant sur une planche. Nous en avons deux exemples à deux époques bien éloignées. Le premier remonte au ive siècle avant l’ère chrétienne. «Celui-là, dit Théophraste, est d une avarice sordide, qui, lorsqu’il a remporté le prix de la tragédie, consacre à Bacchus un ruban de bois, « sur lequel est inscrit le nom du Dieu.»

L autre exemple est plus moderne, mais aussi plus remarquable. Pancirol dit avoir eu en sa possession quelques pages très-ancienne? composées de minces rubans de bois collés ensemble, et portant des caractères lombardiques; d’où il conclut que les Lombards fabriquoient une espèce de papier à leur usage, en réunissant des copeaux avec de la colle.

Nous avons déjà cité le passage où Pline énumère les substances sur lesquelles on a écrit avant l’invention du papyrus. Après les feuilles d’arbres et l’écorce, il nomme les volumes de plomb pour les actes publics, et ceux de toile, lintea, pour les affaires privées. Est-ce à dire que du temps de Pline on ne se fût jamais servi du linge pour les actes publics? La religion, du moins, paroît avoir consacré, chez tous les peuples, l’usage de l’écriture sur toile; on peut citer, pour l’Egypte, les linges écrits trouvés dans les boîtes de momies, et les rituels conservés au musée égyptien dans le palais du Louvre. A Athènes, les noms de ceux qui s’étoient signalés dans un combat étoient inscrits sur le voile de Minerve. L’an de Rome459, les Samnites préludèrent à la guerre contre les Romains par un sacrifice solennel; un vieux rituel écrit sur de la toile régla l’ordre et les détails de la cérémonie. C’est dans des livres semblables qu’étoient consignés les oracles sibyllins. Les livres historiques simplement nommés par Tite-Live libri lintei dévoient avoir aussi quelque caractère religieux, puisqu’ils étoient déposés dans le temple de Monéta, où le vieil annaliste Licinius Macer les avoit consultés. Enfin, sous les premiers empereurs chrétiens, nous trouvons l’usage de publier les lois sur des morceaux de toile de lin, , mappœ lintea.

La toile servit aussi à des usages moins solennels. Aurélien avoit fait écrire jour par jour toutes ses actions dans des livres de lin qui furent conservés, après sa mort, dans la bibliothèque ulpienne, à Rome. Les plans cadastraux tracés sur des toiles étoient déposés dans les archives de l’empereur. Enfin des compositions littéraires furent aussi écrites sur des livres de toile; ils sont nommés carbasina volumina dans le passage de Martianus Capella, que nous avons cité plus haut. Sidoine Apollinaire, au Ve siècle, écrivoit ses poésies légères sur des morceaux de linge.

S’il faut s’en rapporter à un passage des lettres de Symmaque, l’usage des volumes de soie étoit répandu dans la Perse; mais nous ne le trouvons pas ailleurs, du moins bien constaté. En France, jusqu’au siècle dernier, on avoit coutume, dans les universités, de faire imprimer sur du satin les exemplaires de thèses que l’on destinoit à des personnages d’importance. De là cette boutade du poëte satirique qui, ayant à peindre une femme avare, et faisant profit de tout, l’affuble d’un

Jupon bigarré de latin,

Qu’ensemble composoient trois thèses de satin.

Il est impossible d’assigner une date à l’invention du papyrus. Varron ne la fait remonter qu’à l’époque de la fondation d’Alexandrie; mais Pline, qui rapporte cette opinion, la réfute par le témoignage de Varron lui-même, de Cassius Hemina et de plusieurs autres écrivains, relatif à la découverte, faite l’an de Rome571, des livres de Numa écrits sur papyrus. Pline ajoute d’abord que la sibylle de Cumes avoit présenté à Tarquin le Superbe trois livres sur papyrus, dont deux avoient été brûlés par elle; le troisième n ayant péri que dans l’incendie du Capitole, arrivé du temps de Sylla. Il raconte enfin que le consul Mucianus avoit lu dans un temple de Lycie une lettre écrite sur papyrus par Sarpédon du temps de la guerre de Troie. Il existe maintenant, dans les divers musées de l’ Europe, un nombre considérable de papyrus grecs, démotiques et hiéroglyphiques. Plusieurs papyrus grecs ont été publiés; ils remontent à125, 127, 145ans avant notre ère. Le musée de Berlin possède des manuscrits démotiques de la même antiquité. Parmi les papyrus démotiques du musée du Louvre, il existe un contrat daté de la12e année de Ptolémée Philadelphe, 273 avant J.-C.. Mais ces vénérables débris des siècles passés paroîiront presque modernes à côté de ceux que Champollion le jeune a fait connoître au monde savant, dans ses lettres sur la collection du musée de Turin.

La deuxième lettre, adressée au duc de Blacas, fait mention de contrats portant leur date, qui remontent à quinze, seize et dix-sept cents ans avant l’ère vulgaire. «J’eusse été moi-même, dit-il, effrayé d’une telle antiquité, si ce frêle morceau de papyrus ne sortoit des hypogées d’Égypte, où aucune autre cause de destruction, si ce n est l’ homme seul, ne peut faire disparoître les objets qu’on y renferma jadis avec tant de soin, et si, surtout, je n’avois trouvé, dans les papyrus tirés de ces mêmes catacombes, une nombreuse série de pièces pareilles, formant une chaîne presque continue de dynastie en dynastie, et qui lient, pour ainsi dire, cette époque, si prodigieusement reculée dans l’ordre actuel de nos idées, avec des temps plus rapprochés; je veux dire avec l’époque, comparativement plus moderne, où les successeurs d’Alexandre usurpèrent à leur tour le trône des Pharaons.»

La plante nommée papyrus par les Égyptiens., et CÎCxoç par les Grecs, est une espèce de roseau de la famille des cypéracées.. «Sa tige est nue, triangulaire au sommet, au moins de la grosseur du bras, haute de huit à dix pieds, rétrécie à sa partie supérieure, et terminée par une ombelle composée très-ample, d’un aspect élégant, entourée d’un involucre à huit larges folioles en lames d’épée.» Du temps de Pline, le papyrus croissoit dans les marais de l’Égypte ou dans les endroits où le Nil débordé s’élevoit de deux coudées au-dessus du sol; il venoit aussi en Syrie et dans l’ Euphrate, aux environs de Babylone, où l’on avait aussi le secret d en faire du papier. Aujourd’hui le papyrus croît naturellement en Sicile; Bruce l’a trouvé en Syrie, dans le Jourdain; en deux différents endroits de la haute et de la basse Egypte, dans le lac de Tzana et dans le Goudero, en Abyssinie. Mais les témoignages des voyageurs sont trop peu d’accord entre eux, pour qu on puisse affirmer positivement que cette plante existe encore maintenant dans le pays dont elle faisoit jadis la principale richesse.

Tous les détails relatifs à la fabrication du papyrus nous ont été conservés par Pline; mais les trois chapitres qu’il a consacrés à cette matière sont parfois si obscurs, que, malgré de nombreux commentaires et même diverses expériences tentées sur du papyrus de Sicile, l’interprétation de quelques passages reste toujours incomplète. On sent que nous ne pouvons discuter tous les points difficiles dans lesquels nous croirons devoir nous éloigner des explications proposées jusqu’ici: pour cela seul il faudroit un volume. Nous nous contenterons de renvoyer nos lecteurs aux travaux de Guilandinus, de Saumaise, de Cyrillo, de Caylus, de Montfaucon; et nous allons exposer la fabrication du papier d’Égypte, telle que nous l’entendons d’après le seul guide que l’antiquité nous ait laissé pour cette matière.

La tige seule du papyrus, longue d’environ quatre pieds, étoit bonne à faire du papier; on la séparoit longitudinalement en deux parties égales. Ensuite, avec une aiguille, on enlevoit des bandes de papyrus aussi minces et aussi larges que possible. Ces bandes se nommoient, en latin, philyrœ. Les meilleures étoient les deux qu’on enlevoit d’abord dans chaque partie de la tige, c’est-à-dire celles qui formaient le centre de la plante; les autres diminuoient de qualité, à mesure qu’elles se rapprochoient de l’écorce. Avec les premières, on fabriquoit le papier de première qualité; avec les secondes, le papier de seconde qualité; avec les troisièmes, celui de troisième qualité, ainsi de suite. La première qualité de papier se nomma d’abord hiératique ou sacrée, parce qu’elle étoit réservée pour la composition des livres saints: la flatterie lui fit donner ensuite le nom de papier auguste ou royal; par le même motif le papier de seconde qualité fut appelé livien, du nom de Livie, femme de l’empereur. La dénomination de hiératique ne s’appliqua plus, dès lors, qu’au papier de troisième qualité. Une autre espèce de papier étoit connue sous le nom d’amphithéâtrique, parce qu il étoit fabriqué à Alexandrie, dans le quartier de l’amphithéâtre; mais ce papier étoit susceptible de grandes améliorations. Fannius, grammairien de Rome, parvint, en le remaniant, à étendre un peu sa largeur et à polir sa surface. Le papier, ainsi refait, prit le nom de papier fannien et rivalisa avec le papier auguste; celui qui n’avoit pas subi ce remaniement garda le nom d’amphithéâtrique, et resta au quatrième rang. Le papyrus qui croissoit aux environs de Saïs, en grande quantité, mais en qualité inférieure, servoit à faire le papier de cinquième qualité, qu’on appeloit papier saïtique. En sixième lieu venait le papier ténéotique, ainsi nommé d’un quartier d’Alexandrie où on le fabriquoit; de qualité inférieure, il se vendoit au poids. Au dernier rang se plaçoit le papier emporétique ou papier marchand; il n’étoit nullement propre a recevoir l’écriture, et ne servoit qu’à faire des serpillières ou des enveloppes pour les autres espèces de papier.

Isidore, qui ne dit rien du papier amphithéâtrique, place le ténéotique au quatrième rang; au cinquième, le saïtique; au sixième, un certain papier cornélien, qui auroit été fabriqué par Cornélius Gallus, préfet d’Egypte sous Octave; mais, comme ce dernier n’est point nommé dans Pline, écrivain pourtant bien plus rapproché qu’Isidore du temps où vivoit Cornélius Gallus, il est permis de croire qu’il y a confusion dans le passage de l’évêque de Séville, et qu il a voulu parler peut-être du papier claudien, dont nous aurons à nous occuper tout à l’heure.

Nous terminerons cette énumération en indiquant le papier de grand format, qu on nommoit macrocolle, et qui avoit un pied de largeur (16doigts). Pline signale un inconvénient grave dans ce papier, c’est que, si on arrachoit une seule bande, on endommageoit un plus grand nombre de pages. Nous tâcherons d’expliquer plus tard cette remarque presque énigmatique: contentons-nous d’observer, pour le moment, que ce désavantage ne fit pas renoncer les anciens aux macrocolles. Il paroit même que, dans le moyen âge, on augmenta encore la dimension de ces feuilles, car il existe des chartes sur papyrus dont la largeur est de deux pieds françois.

Voici comment on procédoit à la fabrication de ces diverses espèces de papier: Sur une table inclinée, et mouillée avec de l’ eau du Nil, on étendoit, les unes à côté des autres, des bandes de papyrus, aussi longues que la plante avoit pu les fournir, après qu on en avoit retranché les deux extrémités, c’est-à-dire l’ombelle et la racine; on les humectoit encore avec de l’eau du Nil. Cette eau, pénétrant les lames du papyrus, délayoit les sucs qu’elle pouvoit contenir; par là elle perdoit sa limpidité, devenoit trouble et acquéroit une viscosité suffisante pour tenir lieu de colle et assujettir entre elles les bandes de papyrus, dans le sens de leur longueur. Sur ces bandes longitudinales on en posoit transversalement d’autres, qui, coupant les premières à angle droit, formoient, avec elles, une espèce de claie. Les feuilles, plaguloe, ainsi faites, étoient soumises à l’action d’une presse, puis séchées au soleil; ensuite on les réunissoit en un rouleau, scapus, qui, du temps de Pline, contenoit vingt feuilles. Au IVe siècle, la main de papyrus, comme nous dirions aujourd’hui, n’étoit plus que de dix feuilles. C’est d’une main de papyrus que Cassiodore dit, dans une de ses lettres: Hœc tergo niveo aperit eloquentibus campum, copiosa semper assistit et quo fiat habilis in e revoluta colligitur dum magnis tractatibus explicetur.

Il y avoit une grande différence de largeur entre les diverses espèces de papier d’Égypte. Les meilleurs, c’est-à-dire les papiers auguste et livien, avoient treize doigts; le papier hiératique en avoit onze; le fannien, dix; l’amphithéâtrique, neuf; le papier saïtique étoit beaucoup plus étroit: il n’égaloit même pas la largeur du maillet; enfin, le papier emporétique ou marchand n’avoit que six doigts de largeur. Dans toute espèce de papier, ce qu’on estimoit c’étoit la finesse, le corps, la blancheur, le poli.

L’empereur Claude fit fabriquer une espèce de papier auquel il donna son nom, et qui enleva le premier rang au papier auguste; celui-ci, en effet, étoit si mince, qu’il pouvoit à peine supporter le bec du roseau, buvoit l’encre et laissoit paroître au verso, comme autant de ratures, les lettres écrites au recto. Claude fit donc fabriquer son nouveau papier avec deux élémens différens: la chaîne étoit composée de bandes de seconde qualité, qui servoient à faire le papier livien, et la trame de bandes de la première espèce, avec lesquelles on faisoit le papier auguste. Nous avons vu que les papiers auguste et livien avoient treize doigts de large; Claude augmenta encore cette largeur; il la porta à un pied et demi, ou24doigts: ces avantages firent préférer son papier à tous les autres. Le papier auguste continua à être employé de préférence pour les lettres, et le papier livien, qui étoit composé entièrement de bandes de la seconde qualité, garda son nom et son rang.

Dans le quatorzième livre de Martial, où les titres des épigr animes sont de Martial lui-même, et où il a voulu noter alternativement les présens de luxe et les dons plus modestes qu’on s’envoyoit réciproquement à l’époque des saturnales, les chartæ majores sont mises en opposition avec les chartæ epistolares. On ne peut guère douter, d’après ce qui précède, que ce papier à lettres ne soit le papier auguste, et que, par le nom de chartæ majores, le poëte n ait voulu désigner le papier claudien ou la macrocolle, qui seuls étoient plus grands que le papier royal. Ailleurs, le même écrivain parle de la macrocolle ou du papier claudien, charta major, et des chartæ minores, par lesquelles il entend, sans doute, toutes les autres espèces de papier de moindre dimension.

Avant de parler des remaniemens que le papyrus subissoit à Rome, il est naturel de rechercher à quelle époque il y a été importé pour la première fois. La découverte faite, en571, des livres de Numa, découverte racontée par Tite-Live et par Pline, étoit attestée, au rapport de ce dernier, par Cassius Hemina, L. Calpurnius Piso, Sempronius Tuditanus, Varron, Valerius Antias. Ces livres renfermoient des statuts religieux libros juris pontificiï. Or on sait que Numa avoit écrit, en effet, des livres de ce genre; ils avoient été consultés par Tullus Hostilius, et des extraits en avoient été publiés par son successeur. La découverte d’un exemplaire de ces livres, faite à une époque où les Romains, dans toute hypothèse, connoissoient bien le papyrus et en faisoient usage, est attestée par un annaliste presque contemporain, Cassius Hemina; par Pison, qui a écrit moins de soixante ans après l’événement; par Antias, qui florissoit du temps de Sylla. On ne peut guère opposer, à un fait aussi positif, que le fameux interdit jeté si longtemps sur l’Egypte, qui auroit empêché l’exportation du papyrus jusqu’au milieu du vie siècle avant notre ère. Mais comment admettre que cet interdit ait été aussi sévère qu’on le suppose, lorsque dans cette étroite vallée du Nil, si anciennement civilisée, on découvre journellement des objets d’art de la plus haute antiquité dont la matière première ne se trouve pas dans le pays; lorsque, dans les temps les plus reculés de l’histoire hébraïque, on voit les fils de Jacob en communication avec le royaume des Pharaons? Peut-on supposer que les ports de l’Egypte aient été fermés aux Tyriens et aux Phéniciens, ces grands entrepositaires des premiers temps? Et si, comme on ne peut guère en douter, ces peuples apportent à l’Égypte les productions des autres pays, peut-on croire qu’à leur tour ils n’aient pas disséminé dans l’univers, alors connu, les richesses de l’Egypte? Eux, les inventeurs de l’écriture, regardés tels du moins dans l’antiquité; eux qui importèrent cet art sublime dans la Grèce, qui déjà y avoient transporté, sans doute, les câbles de papyrus, dont nous trouvons, dans Homère, la mention formelle, n’auroient ni connu ni répandu le papier de papyrus! Mais, dit-on, avant le règne d’Amasis, la Grèce n’avoit eu que des poëtes; depuis, la prose prit un rapide développement. Il n’y a que cinquante ans de Denys de Milet à Hérodote, quarante d’Hérodote à Thucydide, preuve que jusqu’à Denys les procédés de transcription avoient été fort imparfaits. Sans examiner ici jusqu’à quel point la poésie peut se passer du secours de l’écriture, connoît-on tous les essais de prose qui ont précédé Thucydide, Hérodote et surtout Denys de Milet? Il s’est écoulé quatre cents ans entre Villehardhuin et Bossuet, et Villehardhuin n’a pas été notre premier chroniqueur.

En résumé, on ne peut assigner une époque à l’introduction du papyrus en Italie ou en Grèce; mais tout porte à croire que l’une et l’autre l’ont connu au début même de leur civilisation.

Pline signale, dans le papier d’Égypte, plusieurs défauts, dus les uns à la négligence, les autres à la cupidité des fabricans égyptiens. Pour cacher ces défauts le plus possible, ils ne manquoient jamais lorsqu’ils ployoient le papier en rouleau, de mettre en dessus les plus belles feuilles, en dedans celles qui offroient quelques imperfections. Ces défauts étoient de plusieurs sortes: il y avoit des papiers grossiers et raboteux sur lesquels il étoit difficile d’écrire. Pour remédier à cet inconvénient, on donnoit dans un excès contraire; on polissoit les feuilles avec un morceau d’ivoire ou une coquille; cette opération donnoit plus d’éclat au papier, mais l’encre pénétrait bien moins une feuille parfaitement lissée, et l’écriture étoit moins durable. Quelquefois on avoit mal mesuré la quantité d’eau nécessaire pour coller les bandes; ce vice du papier se reconnoissoit à l’odeur, et encore plus sûrement par un battage des feuilles; car alors l’eau mise en trop grande abondance sortoit sous les coups du maillet. Souvent les feuilles de papyrus étoient couvertes de taches. Enfin, si, par hasard, sur une feuille de papyrus terminée, il se trouvoit quelque solution de continuité, soit dans la chaîne, soit dans la trame, le fabricant remplissoit le vide par une petite bande de papier si adroitement collée, que l’oeil le plus perçant n’y pouvoit rien découvrir; mais, lorsque le roseau de l’écrivain arrivoit à cette espèce de soudure, la lettre disparoissoit sous une tache d’encre qui s’imprégnoit dans le papier.

Le papier d’Egypte se vendoit parfois à Rome avec ses défauts. Ainsi Pline le jeune se plaint des feuilles grossières ou spongieuses sur lesquelles on ne peut pas écrire chartæ scohrœ bibulœve. Mais ordinairement on le colloit de nouveau avant de l’employer, et ce procédé étoit déjà en usage du temps des Gracques. La colle commune se composoit de fleur de farine délayée avec de l’eau bouillante dans laquelle on jetoit quelques gouttes de vinaigre. La mie de pain fermenté, détrempée dans l’eau bouillante, formoit une colle de meilleure qualité, moins épaisse, et qui donnoit au papier une finesse égale à celle d’une étoffe de lin; l’une et l’autre devoient être employées dans les vingt-quatre heures. Après avoir couvert avec cette colle la feuille de papyrus, on la pressoit dans la main pour l’égoutter, ensuite on la déplioit et on l’étendoit à coups de maillets; chaque feuille subissoit deux fois cette opération.

Rome n’avoit donc pas des fabriques de papier proprement dites, mais seulement des ateliers où celui qui arrivait d’Egypte recevoit une nouvelle préparation. Ce fait explique un phénomène remarquable que présentent les travaux exécutés à Naples, pour le déroulement des manuscrits d’Herculanum. On vient à bout, quoique avec beaucoup de peine, de dérouler les papyrus grecs; mais les volumes latins sont tellement saturés d’une espèce de colle résineuse, que les feuilles épaissies se déploient très-difficilement: on ne peut même en obtenir que des fragmens qui, s’échappant sans aucun ordre, présentent à l’oeil des mots, des syllabes ou même des lettres isolées, et que des lacunes considérables ne permettent pas de rattacher à un texte un peu suivi. Aussi, en1825, sur2,366pages qu’on avoit obtenues en déroulant des manuscrits, il n’y en avoit que quarante de latines: toutes les autres étoient en langue grecque. M. le chanoine A. de Jorio, à qui nous devons ce fait, ajoute: «Les experts croient, avec raison, que les difficultés particulières que présente cette espèce de papyrus naissent non-seulement de sa souplesse (le lini lenitas de Pline), mais encore de la différence de son apprêt.» Il nous semble évident que les manuscrits grecs ont dû arriver d’Alexandrie tout confectionnés, tandis que les volumes latins ont été écrits à Rome, sur des papyrus retravaillés d’après les procédés que nous avons décrits.

La première feuille du scapus ou rouleau de papier portoit une inscription qui contenoit le nom du fabricant, la date et le lieu de la fabrication, et le nom du comes largitionum, sous la juridiction d quel étoient les papeteries. Cette feuille se nommoit protocole ce qui signifioit première feuille collée. On peut voir un singulier exemple de protocole dans le facsimilé publié par M. Champollion Figeac, de la bulle donnée l’an876par le pape Jean VIII faveur de l’abbaye de Tournus. L’inscription elle-même, qui étoit en tête de la main de papyrus, fut appelée protocole, et c’est cette inscription, et non la première feuille entière, que Justi nien défendit aux tabellions d’arracher dans le papier destiné aux actes publics; car jamais on ne se seroit avisé de détruire comme inutile, une feuille de trois ou quatre pieds de long, parce qu’elle auroit porté une inscription de deux lignes.

Les fragmens les plus modernes que nous possédions de papier d’Egypte ont au moins sept siècles d’antiquité; ils sont, en général d une couleur sombre, et si fragiles, que pour les conserver on est obligé de les coller sur du carton ou sur du fort papier. Le papyrus neuf, au contraire, avoit de la consistance; il suffit, pour le prouver, de rappeler les rudes épreuves que lui faisoient subir, afin de l’améliorer, les marchands de Rome. De plus, sa couleur étoit parfaitement blanche, et plusieurs auteurs anciens ont comparé cette blancheur à celle de la neige. Combien de temps falloit-il pour détruire, dans le papier d’Égypte, ce gluten d’où venoient sa souplesse et sa couleur? c’est ce qu’on ne pourvoit dire. Un passage de Symmaque nous apprend seulement que cette substance se détérioroit promptement, et, chose singulière, qu’on lui préféroit l’écorce pour transcrire les ouvrages dignes d’être conservés?

Il paroît qu’anciennement tout le papier qui se consomment en Europe y étoit importé de l’Egypte. Le tyran Firmus, qui s’étoit révolté sur le bord du Nil, se vantoit d’avoir assez de papyrus et de colle pour nourrir une armée; assertion que Casaubon entend du prix des objets, et Saumaise des objets mêmes. Les principales fabriques étoient à Alexandrie, «celte riche, opulente et productive cité, dans laquelle personne ne vivoit inactif; les uns y «fabriquoient du verre, les autres du papier.» Nous avons avancé que le papyrus étoit connu, en Grèce du temps d’Homère, à Rome sous Numa, mais sans pouvoir appuyer cette opinion d’ancun passage positif. Le plus ancien passage que nous connoissions propre à constater un grand commerce de papier d’Egypte se trouve dans Théophraste, disciple d’Aristote. Après avoir décrit les divers usages de la plante de papyrus, il ajoute: et les feuilles à écrire, si renommées parmi les nations étrangères, Mais il arrivoit quelquefois que la récolte de papyrus manquoit en Egypte; l’importation alors étoit peu considérable, et la disette de papier se faisoit sentir en Europe. Il y en eut une si considérable sous Tibère, qu’elle causa des troubles dans Rome. Pour les apaiser, le sénat fut obligé de nommer des commissaires, qui distribuèrent à chaque citoyen du papier selon ses besoins. A la fin du ive siècle, le papyrus étoit rare en Afrique. Saint Augustin, écrivant à Romanius sur du parchemin à défaut de papier, lui annonce qu’il lui enverra prochainement son livre sur la religion catholique, pourvu que le papier ne lui manque pas. Au VIe siècle, les marchands égyptiensapportoient du papyrus à Marseille; mais il paroît que le commerce inteneur n’ avoit pas assez de vie pour répandre cette denrée dans le nord de la Gaule. Grégoire de Tours, répondant à un livre diffamatoire, de Félix, évêque de Nantes, s’écrie: «O si Marseille t’a«voit eu pour évêque! ses vaisseaux t’auroient apporté non de

l’huile ou d’autres épices, mais seulement du papier, pour que «tu pusses plus à l’aise écrire contre la réputation des gens de «bien; mais le manque de papier met des bornes à ton bavar

dage.» On peut encore citer la lettre où Fortunat, se plaignant de la rareté des lettres de Flavus, lui indique divers moyens de suppléer au manque de papier.

Les Arabes, maîtres de l’Egypte au VIIe siècle, continuèrent à fabriquer du papier avec le papyrus; la bulle de Jean VIII, en faveur du monastère de Tournus, qui est datée de l’an876, porte, sur sa première feuille, un protocole de trois lignes en grosse écriture arabe cursive. Il est néanmoins probable que l’invasion musulmane ralentit considérablement le commerce extérieur de l’Egypte, et que le papyrus devint plus rare en Europe et dans l’empire grec de Constantinople, où cette rareté devoit principalement se faire sentir. D’un autre côté, l’usage des palimpsestes, qui se répandit beaucoup au ixe siècle, annonce une disette de parchemin, dont nous ne saurions, du reste, démêler la cause. Ces circonstances favorisèrent en Orient, et parmi les Grecs, la vogue du papier de coton, qui avoit été inventé à la Mecque vers la fin du VIIIe siècle. Ce papier, nommé en grec dans le latin du moyen âge, charta bombycina, cuttunca ou damascena, se répandit promptement dans tout l’Orient, et finit par y faire tomber le papier d’Égypte. Au XIIe siècle, l’évêque Eustathe, dans son commentaire sur Homère, dit formellement que l’art de faire du papyrus n’est plus pratiqué. Vers le même temps, notre papier de chiffon servoit déjà à faire des livres. Pierre le Vénérable, nommé abbé de Clunny en1122, dit, dans son Traité contre les Juifs: «Les livres que nous lisons tous les jours sont faits de peaux de «mouton, de bouc ou de veau, de papyrus ou de papier de chif« fon.» En1189, Raymond Guillaume, évêque de Lodève, donna à Raymond de Popian plein pouvoir de construire, au milieu de l’Hérault, un ou plusieurs moulins à papier, sous l’obligation d’un cens annuel de trois mines d’excellent froment et de trois mines d’orge. Le papier de chiffon devoit donc être assez commun dès la fin du XIIe siècle; son invention, qui remonte au moins au commencement du même siècle, acheva de ruiner, en Occident, le commerce de papyrus, et, de plus, mit fin à l’usage, trop longtemps répandu, de faire de nouveau servir les anciens parchemins après avoir enlevé la première écriture.

Le papyrus même, dans l’Occident, servoit à bien d’autres usages qu’à recevoir l’écriture. A Rome, on en faisoit les bûchers sur lesquels on brûloit les corps morts. Saint Grégoire le Grand raconte que dans l’église de Saint-Étienne, près d’Ancône, l’huile ayant manqué pour les lampes, le moine qui étoit chargé de leur entretien les r emplit d’eau, et, suivant l’usage, mit le papyrus, qui brûla comme s’il avoit été dans l’huile. Mais c’étoit la plante ou une partie de la plante travaillée exprès, plutôt que le papier de papyrus, qu’on employoit à ces divers usages. Dans les passages que nous venons de citer, nous trouvons bien le mot papyrus, mais jamais le mot charta, qui désignoit le papier d’Égypte. De plus, nous savons que les marchands apportoient en Europe non-seulement du papier, mais encore des plantes égyptiennes, et probablement des plantes de papyrus. Grégoire de Tours parle d’un saint anachorète d’une sobriété remarquable, qui se nourrissoit, pendant le careme, avec les racines des herbes égyptiennes dont les ermites se servaient, et que lui fournissoient les marchands.

Nous n insisterons donc pas sur ces faits, qui ne rentrent point, du reste, dans le plan que nous nous sommes tracé.

Essai sur les livres dans l'antiquité, particulièrement chez les Romains

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