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AVANT-PROPOS

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Il y a lieu de s'étonner que la France, qui, depuis si longtemps, accueille si généreusement les productions littéraires de l'Allemagne, n'ait jusqu'ici fait, en quelque sorte, aucun emprunt au génie néerlandais. Cependant la littérature hollandaise suit de près, si elle ne les égale pas, les littératures allemande et anglaise, sans parler de la bonhomie pleine de malice et de bon sens de Cats, de Vondel, ce génie dramatique dans le Lucifer duquel Milton a peut-être taillé son Paradis perdu.—Le Hooft, ce Tacite du XVIe siècle,—le Bilderdyk, ce génie qui s'est éteint la même année que Gœthe, et qui était aussi universel et peut-être aussi puissant que le patriarche de Weimar; sans parler de tant de poëtes si dignes d'être connus et étudiés, la Hollande et la Flandre comptent, aujourd'hui encore nombre d'écrivains éminents qui mériteraient leurs lettres de naturalisation en France. Nous ne citerons que mademoiselle Toussaint, chez laquelle la plus exquise délicatesse de sentiment s'unit à une étonnante profondeur d'observation; M. Van Lennep, romancier d'un ordre supérieur, le Walter Scott de son pays, et dont les œuvres peuvent être placées, sans trop redouter la comparaison, à côté de celles du célèbre conteur écossais; et enfin l'écrivain dont nous voudrions signaler aujourd'hui au public français l'une des plus remarquables productions.

Il y a plusieurs années déjà que parut en Hollande, sous le titre de Camera obscura, un livre qui ne tarda pas à obtenir un succès considérable. Les deux premières éditions se succédèrent à six mois d'intervalle; les deux dernières datent de 1853 et 1854. Dans celles-ci surtout, l'œuvre primitive s'est accrue de pages nouvelles, et a un tiers environ de plus que lors de sa première apparition. Camera obscura renferme une série de tableaux de mœurs, de croquis, de fantaisies empruntés à la vie hollandaise. Le livre est signé Hildebrand, pseudonyme sous lequel se cache (ce n'est un mystère pour personne) un des plus grands poëtes de la Hollande, et le livre même nous autorise à ajouter, un des observateurs les plus fins, un des esprits les plus délicats de la grande famille littéraire: M. Nicolas Beets. Il naquit à Harlem, le 13 septembre 1814. Son père était un chimiste qui eut de la réputation et écrivit sur la science qui était sa spécialité divers ouvrages intéressants. Nicolas Beets a eu une existence calme, paisible et peu accidentée. Après avoir fait ses études à l'université de Leyde, il fut promu au doctorat en théologie, et l'année suivante s'accomplirent pour lui deux événements importants: il épousa mademoiselle Adélaïde de Foreest, petite-fille, par son père, de l'illustre Van der Palm, l'une des gloires de l'université de Leyde, un des hommes les plus éloquents de son siècle, et le dernier prosateur vraiment classique de la littérature néerlandaise. La même année, M. Beets fut nommé pasteur à Heemstede, village considérable situé dans les riants environs de Harlem; il y demeura pendant près de quatorze années, s'occupant avec un zèle vraiment évangélique des devoirs de sa charge. Il passa ensuite en la même qualité à Middelbourg, et c'est là que lui fut offerte, à deux reprises différentes, la chaire de théologie de Stellenbrek, au cap de Bonne-Espérance. Il refusa chaque fois cette mission, et fut nommé en 1854 pasteur à Utrecht, fonctions qu'il occupe encore à l'heure qu'il est.

M. Beets débuta de bonne heure dans la vie littéraire. Dès l'âge de vingt ans, il publiait un volume, intitulé José, dans lequel il imite la manière de lord Byron, et qui, tout en se ressentant de la jeunesse de l'auteur, renferme déjà de grandes qualités. Plusieurs autres poëmes suivirent ce premier essai, de 1834 à 1840. La plupart de ces poëmes, parmi lesquels on remarque surtout Guy le Flamand, Kuser et Ada de Hollande, après avoir obtenu séparément l'honneur de plusieurs éditions, ont été réunis par l'auteur en un volume, il y a quelques années. M. Beets a publié, en outre, deux recueils de poésies intimes, l'un simplement intitulé Poésies, l'autre tout récent, quoiqu'il en soit déjà à sa seconde édition, les Bleuets. On doit encore au révérend pasteur d'Utrecht un nombre considérable de sermons, de volumes et de brochures ayant trait à la religion, à la littérature, à l'instruction publique. Nous n'avons pas à nous occuper ici du talent poétique de M. Beets; il nous suffira de dire qu'il est placé au premier rang par ses compatriotes, et nous nous hâtons d'en revenir à Camera obscura, qui forme une œuvre tout à fait à part et des plus originales.

Hildebrand (gardons-lui ce nom, puisqu'il ne l'a pas abdiqué officiellement) fait précéder son ouvrage des lignes suivantes qu'il emprunte, dit-il, au livre inédit d'un anonyme.

«Les ombres et les apparences qu'évoquent la méditation, le souvenir et l'imagination, tombent dans l'âme comme dans une chambre obscure, et quelques-unes sont si frappantes, si séduisantes, qu'on trouve plaisir à les dessiner, et, en les ornant un peu, les coloriant et les groupant, à en faire de petits tableaux qui peuvent être envoyés aux grandes expositions, où un petit coin leur suffit. On ne doit cependant pas y chercher des portraits: car non-seulement il arrive cent fois qu'un nez de souvenir s'y adapte à un visage d'imagination, mais aussi l'expression de la physionomie est si peu déterminée, que souvent une même figure ressemble à cent personnes différentes.»

Ceci posé, caractérisons rapidement la manière et les procédés d'Hildebrand.

On s'est beaucoup occupé, depuis vingt-cinq ou trente ans, de l'art pour l'art; on s'est demandé jusqu'à quel point l'art doit réfléchir la réalité, et tout récemment encore, le réalisme s'est réveillé en France, aussi bien dans le domaine des arts que dans celui de la littérature. M. Beets est un réaliste, mais un réaliste tellement à part, que nous aurions peine à trouver à qui le comparer. Il rend la nature telle qu'elle est, mais sans parti pris, absolument à la manière de la Chambre obscure, dont il invoque le nom, avec une surprenante fidélité, sans faire grâce du moindre détail et avec la coopération si peu sensible, au premier abord, de la main de l'artiste, qu'on croirait qu'elle n'a pas touché à ces portraits pris sur le vif. Peu de livres répondent mieux à leur titre que Camera obscura; les personnages qui y apparaissent sont pleins de vie; ils marchent, ils sentent, ils pensent sous vos yeux;—vous les connaissez; ils sont autour de vous; il n'en est pas un que vous n'ayez rencontré et auquel vous ne puissiez appliquer un nom; car, si ces personnages sont vêtus à la hollandaise et ont les mœurs de leur pays, l'homme domine toujours en eux; il perce sous l'enveloppe des coutumes et des habitudes locales et en fait des types cosmopolites, universels, dont les originaux se rencontrent partout. Si les héros mis en scène par Hildebrand portent ce cachet de vérité tellement saisissante qu'on les sent vivre au premier coup d'œil, il n'y a pas moins d'art dans la façon dont ils se groupent, se rencontrent, agissent, se combattent ou sympathisent: le jeu de leurs passions et de leurs intérêts est le calque fidèle de la vie réelle. Les scènes se déroulent, se succèdent naturellement, sans effort, sans recherche; l'imagination semble n'être pour rien dans leur agencement, tant il est simple et facile. De tous les tableaux qui composent Camera obscura, il n'en est pas un seul auquel puisse s'appliquer, je ne dirai pas le nom de roman, mais même la qualification plus humble et plus vague de nouvelle. Ce sont de simples calques de la réalité, qui la reproduisent avec une fidélité dégagée de tout ornement, et où l'on ne trouve ni ces combinaisons péniblement amenées, ni ces coups de théâtre imprévus, ni ces types exceptionnels, excentriques et si souvent faux, qu'on rencontre à chaque pas dans les compositions littéraires à la mode et si rarement dans le monde tel qu'il est. La Hollande telle qu'elle est, les hommes tels qu'ils sont, voilà ce qu'on trouve dans Camera obscura; la Hollande décrite avec une finesse de touche et une profondeur d'observation telles qu'on ne les rencontre presque jamais dans aucun voyageur, si délicat et si profond observateur qu'il soit;—les hommes peints avec une vérité frappante et naïve qu'on retrouve chez bien peu d'écrivains moralistes. J'ajouterai qu'on y voit l'auteur lui-même, Hildebrand, jouant son rôle dans les scènes qu'il décrit; je n'ai pas besoin de dire que c'est une véritable bonne fortune. Esprit fin, caustique et pénétrant,—humour incisif et du meilleur aloi,—sentiments nobles et touchants, voilà ce qui caractérise l'homme et ne peut manquer de lui attirer les sympathies du lecteur.

Un mot encore: les Hollandais sont-ils flattés dans Camera obscura? demandera-t-on peut-être. Nous avons dit que les portraits sont ressemblants, ressemblants comme l'image qui se peint au fond d'une chambre obscure. Un portrait ressemblant flatte bien rarement, mais un portrait au daguerréotype a-t-il jamais flatté personne? Quoi qu'il en soit, nous empruntons à la préface de la seconde édition de Camera obscura la constatation de l'effet produit sur les amis et les connaissances des modèles par l'œuvre de l'artiste, et nous ne serions pas étonnés que la même impression se renouvelât en France, car ces portraits ont le rare privilège de ressembler à tout le monde et de ne ressembler à personne. Voici comment s'exprime Hildebrand dans son avertissement:

«On s'est beaucoup ingénié à désigner les originaux des personnages que j'ai mis en scène, et j'ai vu, à ma grande satisfaction, que, dans chaque ville, que j'y sois jamais allé ou non, on a su nommer six ou sept personnes qu'on affirmait très-formellement avoir posé pour tel ou tel de mes portraits. Je ne croyais vraiment pas que, dans ce bas monde, tant de Nurks et de Stastok exhibassent leurs aimables qualités, et suis étonné du zèle obligeant qu'on met à les montrer du doigt. Toutefois, je ne puis interdire ce petit plaisir au bon public, ni m'en formaliser; mais je prends la liberté de rappeler les paroles de l'anonyme dans son livre toujours inédit, et de déclarer en conscience que ma Chambre obscure est toujours placée sans intention malicieuse, que je ne la tourne ou ne la retourne et ne lui imprime jamais le moindre mouvement avec le dessein de la pointer d'une façon indiscrète. Que je n'aie encore pu l'installer au sommet du Godesberg ni sur le dôme de Milan, j'en suis particulièrement fâché pour ceux qui aiment les choses grandioses et étrangères; mais il est évident pour moi que le plus grand nombre s'est trouvé satisfait de mes petits tableaux, de mes tableaux hollandais. Il faut savoir que, grâce aux vivants et aux morts, nous connaissons si bien les étrangers, que ç'a été une chose toute charmante de faire un peu attention à nous-mêmes, à titre de changement.»

Les lignes qui précèdent étaient destinées à servir de préface à un volume renfermant la traduction de quelques-uns des principaux épisodes de Camera obscura. Ce volume a paru, il y a deux ans, sous le titre de Scènes de la vie hollandaise. Les petits tableaux de Hildebrand ont été fort visités et appréciés dans le petit coin de la grande exposition qui leur était ouverte, et l'on a bien voulu oublier un instant pour eux les choses grandioses et étrangères. C'est ce qui nous décide à compléter notre travail en offrant au lecteur dans le présent volume la seconde partie de Camera obscura.

La chambre obscure

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