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LIVRE PREMIER.

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Table des matières

Occasion de cet Ouvrage. *Jérôme Bignon Avocat Général.

I.

ous souhaitez, Monsieur*, de savoir quel est le précis des livres que j'ai faits en Flamand, pour prouver la vérité de la Religion Chrétienne. Vôtre curiosité ne me surprend point. Une personne qui, comme vous, joint à une lecture fort vaste un discernement parfaitement juste, ne peut ignorer, que la subtilité du Philosophe Raimond de Sébondea, l'agréable variété des Dialogues de Vivèsb, l'érudition & l'éloquence de Mr du Plessis-Mornaic, ont en quelque sorte épuisé cette matiére, & ne nous ont laissé que le soin de copier ou de traduire ces Auteurs.

Note a: (retour) Raimond de Sebond étoit Espagnol, sa Théologie naturelle fut composée en Latin, & le célèbre Montagne l'a traduite en François. TRADUCTEUR DE PARIS.

Note b: (retour) Louis Vivès, Espagnol, Professeur de Belles Lettres à Louvain & à Bruges, un des plus habiles Critiques du seizième siécle, cinq Livres de la Vérite de la Religion Chrétienne, en Latin. TRAD. DE PAR.

Note c: (retour) Philippe de Mornay, Sieur du Plessis Marly, de la Vérité de la Religion Chrétienne, contre les Athées, Épicuriens, &c. à Paris in-oct, 1582, en François, à Genève 1590. à Leyde 1651. On le trouve aussi en Latin & en Italien. TRAD. DE PAR.

Cependant, quelque jugement que d'autres puissent faire d'un nouvel ouvrage sur ce sujet, j'espère que vous serez assez équitable pour ne désaprouver pas qu'après avoir lu non seulement ces ouvrages dont je viens de parler, mais aussi ce que les Juifs ont écrit pour l'ancienne Religion Judaïque, & ce que les Chrétiens ont fait pour la défense du Christianisme, je ne me sois pas contenté de ce qu'ont dit tous ces Auteurs: mais qu'ajoûtant mes lumiéres aux leurs, j'aye donné à mon esprit la liberté dont j'étois moi-même privéd, lors que je fis cet Ouvrage. Je savois qu'on ne doit employer pour défendre la Vérité, d'autres armes que la Vérité même; que je ne pouvois apeller Vérité que ce qui m'avoit paru l'être; & qu'en vain j'entreprendrois de persuader les autres par des raisons qui ne m'auroient pas convaincu. Je choisis donc dans les Auteurs anciens & modernes les preuves qui m'avoient le plus frapé, je laissai celles qui me paroissoient les plus foibles, & en particulier je ne voulus tirer aucun avantage de certains livres dont les uns sont évidemment suposez, & dont les autres m'étoient suspects. Ayant fait ce choix, je donnai à mes preuves l'ordre le plus naturel qu'il me fut possible, je les énonçai d'une maniére proportionnée à la portée du peuple, & je les mis en vers, afin qu'elles fussent plus aisées à aprendre & à retenir.

Note d: (retour) L'Auteur étoit en prison quand il fit cet Ouvrage en vers Flamands; car ce fut à Paris qu'il le traduisit en Latin. TRAD. DE PAR.

Mon dessein étoit de travailler pour l'utilité de tous ceux de mon païs; mais j'avois sur-tout en vûe ceux qui vont sur mer, à qui je voulois procurer par là les moyens de bien employer le loisir qu'une longue navigation leur donne, & dont la plupart tâchent à dissiper l'ennui par des ocupations peu raisonnables.

Je commence cet ouvrage par les éloges des habitans de nos Provinces, auxquels aucun autre peuple ne peut sans doute disputer la gloire d'exceller dans l'art de la navigation. Je leur fais regarder cet avantage comme un éfet de la bonté de Dieu. Je les exhorte sérieusement à l'employer comme un moyen pour étendre le Christianisme, aussi bien que pour s'enrichir. Je leur fais remarquer que leurs longs voyages leur en fournissent l'occasion; qu'ils trouvent des Payens dans la Chine & dans la Guinée, des Mahométans dans la Turquie, dans la Perse & dans la Barbarie; que pour les Juifs, les plus déclarez ennemis du Christianisme, il y a peu de lieux sur la terre où ils ne soient répandus; qu'enfin, parmi les Chrétiens mêmes, il se trouve des Impies, qui dans l'ocasion versent adroitement dans l'esprit des Simples le venin de leurs sentimens, que la crainte leur fait ordinairement cacher; que c'est contre ces ataques que je voulois leur fournir des armes, dont les plus éclairez pourroient se servir pour combatre vigoureusement l'erreur, & les autres, pour s'en garantir.

Après cela j'entre en matiére; & afin de faire voir que la Religion n'est pas une chose vaine & imaginaire, j'en établis d'abord le fondement, renfermé dans cette proposition, qu'Il y a un Dieu. C'est ainsi que je le prouve.

Qu'il y a un Dieu.

II. Le sentiment & l'aveu de tout le monde mettent hors de doute qu'il y a des choses qui ont commencé d'être. Or ces choses ne se sont point produites elles-mêmes; car produire c'est agir. Or pour agir il faut exister. Par conséquent si elles se sont produites elles-mêmes, elles ont existé avant que d'être, ce qui est contradictoire. Il s'ensuit donc qu'elles ont tiré l'être de quelqu'autre principe. Pour fortifier cette preuve, j'ajoûte, qu'elle ne porte pas seulement sur les choses que nous voyons ou que nous avons vûes, mais aussi sur leurs causes, & sur les causes de ces causes; jusqu'à ce qu'enfin l'on remonte à un premier Principe, c'est à dire, à un Être qui n'ait jamais commencé, & qui existe nécessairement & par lui-même. Et c'est précisement ce Principe que nous apellons Dieu, & dont nous essayerons tantôt de découvrir la nature.

Ma seconde preuve est tirée du consentement manifeste de toutes les Nations du monde à croire une Divinité; au moins de celles en qui un naturel sauvage & farouche n'a point éteint les lumières de la Raison, & les idées du bien & du mal. Je dis donc que les choses qui ne viennent que d'un établissement purement humain, ont deux caractéres qui ne se trouvent point dans ce consentement unanime. Le premier, c'est d'être diférentes selon les païsA & selon les inclinations des peuples: le second, d'être sujettes à changer. Or comme l'a remarqué Aristote même, lequel on auroit tort de soupçonner de crédulité sur ce sujet, la créance d'une Divinité est généralement répandue par tout. D'ailleurs, comme l'a aussi reconnu ce Philosophe, le tems qui change toutes les choses de pure institution, n'a jamais pu altérer celle-ci. D'où vient donc cette créance, sinon d'une cause qui agit naturellement sur l'esprit de tous les hommes du monde? Or cette cause ne peut être que l'une de ces deux-ci: une révélation expresse, émanée de Dieu, ou une tradition, qui de main en main ait passé des premiers hommes jusques à nous. La premiére décide la question en notre faveur; puis qu'il n'y peut avoir de révélation divine, qu'il n'y ait un Dieu. Si l'on dit que c'est une tradition, qu'on nous aporte quelque raison, qui puisse nous faire croire que ces premiers hommes ont eu dessein, dans une afaire de cette importance, d'en imposer à toute leur postéritéB. Ajoutez à cela, que soit que nous jettions les yeux sur toutes les parties de l'ancien Monde, soit que nous regardions toutes celles du nouveau, nous ne verrons aucuns Peuples, (je ne parle pas de ceux qui n'ont presque de l'homme que la figure) nous ne verrons, dis-je, aucuns Peuples qui ne reconnoissent une Divinité, quoi qu'à dire vrai, la connoissance qu'ils en ont soit distincte ou confuse, à proportion de leur politesse & de leurs lumiéres. Or peut-on se persuader que ceux d'entre ces Peuples qui ont eu des lumiéres, ayent pu être trompez ou que ceux en qui l'on remarque de la stupidité, ayent pu entreprendre de se tromper les uns les autres?

Note A: (retour) On pourroit dire que la Religion est diférente selon les inclinations des peuples, mais ce n'est qu'à l'égard de telle ou telle Divinité particuliére, ou de la maniére de servir les Dieux; & non par raport à cette opinion générale, qu'il y a un Dieu, quel qu'il soit; & c'est de cela qu'il s'agit ici. TRAD.

Note B: (retour) Ou que l'on prouve qu'ils se sont eux-mêmes trompez; faute de quoi j'ai droit de conclurre, qu'ils ont été légitimement persuadez de cette vérité qu'ils ont transmise à leurs descendans. ADD. DU TRAD.

Que l'on n'objecte point ici ce peu d'hommes, qui dans un grand nombre de siécles ont cru, ou fait profession de croire, qu'il n'y a point de Dieu. Leur petit nombre, & l'oposition générale qu'ils ont rencontrée, lors qu'ils ont voulu introduire leurs sentimens, font voir que ces sentimens n'étoient pas le fruit du bon usage que ces gens faisoient de leur Raison; mais un éfet, ou de l'amour de la nouveauté, passion dont la bizarrerie a quelquefois été jusques à faire soutenir que la neige est noire: ou d'un esprit corrompu, qui de même qu'un goût dépravé, juge des choses, non selon ce qu'elles sont en elles-mêmes, mais selon ce qu'elles lui paroissent. En éfet, tant les Livres historiques que ceux d'un autre genre, nous aprennent que les hommes ont conservé l'idée d'une Divinité, à proportion de la droiture de leur coeur. Il paroît donc que cet éloignement pour une opinion si ancienne & si universelle, est une suite de la dépravation de l'esprit & qu'elle n'a guére pu se trouver qu'en ceux, à qui il importe souverainement qu'il n'y ait point de Dieu, c'est à dire, point de Juge de leurs déréglemens.

Il est si vrai que ce qui peut jetter les hommes dans cette erreur, n'est pas le dessein d'entrer dans des opinions un peu moins humiliantes pour la Raison, que pour peu qu'on y fasse reflexion, on voit que le sentiment d'une suite de générations sans commencement, ou d'un concours fortuit d'atomes, ou quelque autre sentiment que ce soit, est sujet à d'aussi grandes dificultez, pour ne pas dire à de plus grandes, & ne fait pas moins de peine à l'esprit que la créance d'une Divinité. Par exemple, ce que quelques-uns disent, que parce que leurs sens ne découvrent pas Dieu, ils ne peuvent croire qu'il y en ait un, peut-il arrêter un esprit qui fasse quelque usage de sa Raison? Voyent-ils leur ame, qui de quelque nature qu'elle soit, corporelle ou spirituelle, est très certainement en eux, & y produit des pensées, des jugemens, & des volontésC? L'objection qu'on tire de l'incompréhensibilité de l'Être suprême, n'a pas plus de force que la précédente pour prouver qu'il n'y a point de Dieu. On sait qu'il est de la nature des choses inférieures, de ne pouvoir bien comprendre celles qui sont d'un ordre plus élevé & plus éminent. D Les bêtes ne comprennent point ce que c'est que l'Homme: beaucoup moins peuvent-elles pénétrer ses actions, & découvrir de quelle maniére il établit & gouverne les États, mesure le cours des Astres, & fait voyager sur la Mer. Certes la vûe même de ces beaux avantages de l'homme sur la bête, devroit bien lui faire conclurre, que celui de qui il les a reçus est pour le moins autant au dessus de lui, qu'il est lui-même au dessus des bêtes, & devroit bien diminuer la peine qu'il a à reconnaître quelque chose de plus excellent que lui, sous prétexte qu'il n'en connoit pas la nature.

Note C: (retour) Si l'invisibilité n'est pas une raison pour faire rejetter ce principe de connoissance & de volontez, parce qu'on à d'ailleurs de trop fortes preuves de sa réalité, pourquoi formeroit elle un doute plus raisonnable contre l'existence d'un Dieu? ADD. DU TRAD.

Note D: (retour) Cela paroîtra foible à ceux qui sont persuadez que la Bête est une pure machine: mais qu'au lieu de Bête on mette ici un Cafre, par exemple, ou un Hottentot, & cela fera le même éfet. TRAD. Peut-être le raisonnement seroit meilleur, si on le poursuivoit ainsi: Or cette proprieté individuelle ne pouvant être en Dieu que quelque perfection (comme il paroîtra par la suite) l'un de ces Dieux auroit une perfection que les autres n'auroient pas: par conséquent ces autres ne seroient pas Dieu. TRAD.

Qu'il n'y a qu'un Dieu.

III. Nous avons prouvé qu'il y a un Dieu: venons à ses atributs. Le premier qui se présente, c'est l'Unité. Elle se recueille 1. de ce que nous avons déjà établi, c'est que Dieu est un Être, qui existe nécessairement & par soi-même. Or une chose est dite être nécessairement & par elle-même, non entant qu'on la considére dans une idée générale, & dans l'indétermination à être ou à n'être pas, mais entant qu'elle existe actuellement. Cela posé, je dis que si l'on établit qu'il y a plusieurs Dieux, l'on ne trouvera rien en chacun d'eux qui le fasse exister nécessairement; rien même qui oblige à en admettre deux plutôt que trois, ou dix plutôt que cinq. 2. La multiplicité des Êtres particuliers de même espéce, vient de la fécondité de leurs principes, qui, selon qu'elle est plus ou moins grande, les rend capables de plus ou de moins de productions: or Dieu n'a ni principe ni cause.

3. Il y a dans plusieurs Êtres singuliers certaines propriétez qui les distinguent les uns des autres: or dans une nature nécessaire, comme est celle de Dieu, rien n'oblige à reconnoître ces sortes de propriétez. 4. S'il y avoit plusieurs Dieux, il y auroit plusieurs agens libres, qui par conséquent pourroient vouloir des choses directement oposées: E or l'un, comme Dieu, c'est-à-dire, comme Tout-puissant, devroit pouvoir empêcher l'autre d'exécuter ses desseins. Mais si cela étoit, celui duquel il arrêteroit l'action, ne seroit pas Dieu, puis qu'être Dieu, & rencontrer de l'obstacle dans l'exécution de ses projets, sont deux choses incompatibles.F Ajoutons à tout cela une reflexion, qui, quoiqu'elle ne soit pas absolument concluante, forme pourtant un préjugé assez fort en faveur de l'Unité de Dieu. C'est que, de quelque côté que nous jettions les yeux, nous ne découvrons rien qui nous fasse même soupçonner qu'il y ait plus d'un Dieu. L'Univers fait un seul Monde; dans ce Monde il n'y a qu'un Soleil: dans chaque homme il n'y a qu'un principe dominant, qui est l'Esprit.

Note E: (retour) Quelques-uns répondent à cette objection, que ces Dieux ne pourroient pas vouloir des choses oposées, parce qu'ils seroient sages, & non bizarres ni capricieux. Mais c'est ne rien dire. J'avoue, si l'on veut, qu'ils en seroient plus sages, s'ils s'accordoient assez pour ne vouloir que les mêmes choses. Mais aussi, ils ne seroient pas infiniment libres s'ils ne pouvoient en vouloir de contraires, & par conséquent, ils ne seroient pas Dieu. Le même.

Note F: (retour) Cette réflexion étoit couchée en forme de preuve, entre la troisième & quatrième raison; & on l'a mise à la fin de l'article, parce qu'elle ne paroît pas assez considérable pour être mise entre de solides preuves. Le même.

Que toutes les perfections sont en Dieu

IV. Poursuivons, & tâchons de découvrir les autres atributs de Dieu. Tout ce qu'on entend par le mot de perfection est nécessairement en Dieu, & je le prouve ainsi. Toutes les perfections qui sont dans le Monde ont eu un commencement, ou n'en ont pas eu. Celles qui n'ont point eu de commencement, ne peuvent être que celles de Dieu. Celles qui ont commencé d'être, suposent manifestement un principe qui les ait produites. Et comme de toutes les choses qui sont, aucune ne s'est produite elle-même, il s'ensuit que les perfections qu'on découvre dans les éfets sont tellement dans leurs causes, qu'elles les rendent capables d'en produire de pareilles: par conséquent tout ce qu'il y a de perfection au monde, a du se trouver dans la cause premiére. J'ajoûte, que si elles y ont été, elles n'ont jamais pu cesser d'y être, puisqu'on ne peut pas dire que cette cause ait pu en suite en être dépouillée. Je le prouve: ou ce changement viendroit d'ailleurs, ou il viendroit de la cause premiére elle-même. Le premier ne se peut: un Être éternel, ne dépendant d'aucun autre, aucun autre ne peut agir sur lui. Le second n'est pas plus possible, puis que chaque chose tend d'elle-même autant qu'elle peut à se perfectionner, bien loin de travailler à se rendre moins parfaite.

Qu'elles y sont dans un degré infini.

V. Ce premier principe étant posé, il faut en établir un autre, c'est que Toute perfection se doit trouver en Dieu dans un degré infini: en voici la preuve. Ce qui borne l'atribut d'un Être, est, ou que la cause qui a produit cet Être ne lui a communiqué cet atribut, que jusqu'à un certain degré: ou que cet Être même ne le pouvoit recevoir, que dans une certaine mesure. Or ni l'un ni l'autre ne se peut dire de Dieu, par cette seule raison, qu'étant par soi-même & nécessairement, il n'a jamais pu rien recevoir d'ailleurs.

Que Dieu est éternel, tout-puissant, tout bon, & qu'il fait toutes choses.

VI. Voyons, à présent quelles doivent être ces perfections de l'Être suprême. Il est certain que ce qui vit, est plus parfait que ce qui ne vit pas; que ce qui peut agir, l'est plus que ce qui en est incapable; que ce qui est doué d'intelligence, est plus excellent que ce qui ne l'est pas; qu'enfin ce qui a de la bonté, surpasse en perfection ce qui n'en a point. Donc tous ces atributs de vivant, de puissant, d'intelligent, de bon, sont en Dieu. Or par le second principe que nous avons posé, il ne peut y avoir rien en Dieu qui ne soit infini: donc ces atributs y sont dans un degré infini: donc sa vie ne doit être bornée d'aucun tems, c'est à dire, d'aucun commencement ni d'aucune fin: voilà l'Éternité. Son pouvoir est illimité: voilà la Toute-puissance. Je dis le même de la Science & de la Bonté, qui, comme les deux autres atributs, ne se peuvent trouver en Dieu, que par cela même ils ne soient infinis.

Que Dieu est éternel, tout-puissant tout-bon, & qu'il fait toutes choses.

VII. De ce que nous venons d'établir, il résulte que tout ce qui subsiste, tire son origine de Dieu. Car puis que nous avons conclu de ce qu'une chose existe nécessairement, qu'elle est par cela même unique, & exclut tout autre Être de même nature: il est évident que toutes les choses qui sont hors de Dieu ne sont point nécessairement & par elles-mêmes, & qu'elles ont dû être produites par une cause diférente d'elles. Or cette cause ne peut être que celle qui n'a point eu de commencement, puis que, comme nous l'avons vu dès l'entrée, tout ce qui est, doit avoir été produit ou immédiatement, ou médiatement, c'est-à-dire, dans ses causes, par un premier Principe. Et ce premier Principe est ce que nous apellons Dieu.

2 Preuve, tirée de la considération de toutes les parties du Monde, & de leurs diferens usages.

Quand le raisonnement ne nous conduiroit pas à cette derniére vérité, la vûe seule des choses créées nous l'aprendroit sufisamment. En éfet il est impossible de considérer avec atention la structure admirable du corps humain, l'arrangement de ses parties tant extérieures qu'intérieures, la destination des plus petites à de certains usages, le peu de part que les péres & les méres ont à cet arrangement & à cette destination; en un mot, l'artifice exquis que l'on découvre dans cet excellent ouvrage, & qui fait l'admiration de ceux qui s'occupent avec le plus de succès à en étudier les merveilles: l'on ne peut, dis-je, considérer tout cela sans conclurre, que l'Auteur de cet ouvrage est un Être souverainement sage & intelligent. Si dans une chose aussi évidente on ne se contente pas de ses propres lumières, on n'a qu'à lire Galien dans les endroits où il traite de l'usage de la main, & de celui de l'oeil.

Les corps des animaux brutes ne nous fournissent pas une preuve moins solide de cette vérité. La forme & la situation de leurs parties marquent visiblement une certaine intention & de certaines fins, dont une puissance aveugle, telle qu'est celle de la matiére, est absolument incapable. Je dis la même chose des plantes & des herbes, & je le dis après les Philosophes les plus éclairez. La situation des eaux1 a fait fort à propos naître à Strabon la même pensée.G Selon leur nature & la qualité de la matiére qui les compose, elles devroient être placées entre la Terre & l'Air. Si donc la Terre, au lieu d'en être couverte, en est seulement arrosée en diférens endroits, n'est-ce pas afin qu'elle puisse servir de demeure à l'homme, & produire les choses qui lui sont nécessaires? Or qui peut se proposer une certaine fin dans ses actions, sinon un Être sage & intelligent?

Note 1: (retour) La situation des eaux &c. Strabon liv. 17. après avoir distingué les ouvrages de la nature, c'est-à-dire, de la matiére, & ceux de la Providence, ajoûte ces mots. «Mais comme naturellement les eaux devroient environner & couvrir toute la terre, & que d'ailleurs l'homme n'est pas un animal aquatique, mais en partie terrestre & en partie aërien, & capable de jouïr de la lumiére, d'un côté la Providence a fait sur la surface de la terre plusieurs enfoncemens pour recevoir l'eau ou une partie de l'eau, & pour en être cachée: & de l'autre, plusieurs éminences par lesquelles la Terre s'élevant au dessus de l'eau, la couvre & n'en laisse paroître qu'autant qu'il en faut, pour l'usage de l'homme & des animaux, & pour nourrir les plantes.

Note G: (retour) La nature de l'eau ne demande pas qu'elle soit placée entre l'air & la Terre. Il sufit de remarquer, que la distribution qui en a été faite par toute la terre marque une sagesse & une bonté qui ne peut convenir à la matiére. TRAD.

H Pour dire encore un mot des bêtes, quelques-unes, comme les fourmis & les abeilles, font des choses si bien réglées & si bien conduites qu'à peine peut-on se défendre d'y reconnoître de la raison & de la sagesse. On en voit d'autres qui avant que d'avoir éprouvé ce qui leur peut nuire, ou ce qui leur est bon, s'éloignent de l'un & recherchent l'autre. Y auroit-il donc, éfectivement en celles-là, quelque intelligence qui dirigeât leurs actions, & dans celles-ci, quelque discernement qui réglât leur choix? Non sans doute; puis qu'on les voit astreintes à agir toûjours de la même maniére, & que leur capacité est tellement bornée à un certain ordre de choses, qu'elle n'a point de lieu dans d'autres un peu diférentes, quoi qu'aussi peu dificiles. Il faut donc que ces actions partent d'une cause extérieure, intelligente, qui agisse sur ces bêtes, & qui en régle les mouvemens: & cette cause n'est autre chose que Dieu.

Note H: (retour) On a tiré cet Article de son lieu, pour mettre tout d'une suite les réflexions de l'Auteur sur les fins particuliéres. TRAD.

Au reste, on voit dans les parties de l'Univers, non seulement une direction à de certaines fins particuliéres, mais aussi une destination à des fins générales, & qui tendent à la conservation réciproque de ces parties. L'eau, par exemple, qui de sa nature tend en bas, se meut quelquefois en haut. Pourquoi cela, si ce n'est I de peur que le vuide venant à séparer les parties de l'Univers, n'en détruise la liaison, qui ne peut subsister, à moins qu'elle ne soit universelle? Or ni cette fin qui va, pour ainsi dire, au profit du Monde entier, ni la force que telle ou telle partie a d'y concourir, ne peuvent être que la production d'un Esprit qui préside sur toutes les parties du Monde.

Note I: (retour) Cette crainte du vuide n'est aparemment, dans le sens de l'Auteur, qu'une précaution de la Providence, qui pour mieux lier les parties du Monde; en a exclus le vuide. Et cette réflexion, ainsi expliquée, supose que le vuide est possible. TRAD.

De plus le cours des Astres, & en particulier celui du Soleil & de la Lune, est si propre à rendre la terre fertile, & à conserver les animaux dans une bonne disposition, que l'imagination même, quelques éforts qu'elle fît, ne pourroit rien concevoir de plus éficace pour ces usages-là. La simplicité des Loix naturelles exigeoit, ce semble, que les Astres se mûssent sur l'Équateure. Pourquoi donc ont ils reçu une impression qui les fait mouvoir sur un cercle oblique? C'est sans doute, afin qu'ils répandissent leurs bonnes influences sur un plus grand nombre d'endroits. Le Ciel est donc en quelque façon pour la Terre, & la Terre est pour tous les animaux en général. Mais ne nous arrêtons pas là. Pour qui sont les brutes? Pour l'Homme, sans doute, qui par la prééminence de son esprit s'est assujetti les plus indomtables. Quand nous recueillirons de tout cela, que le Monde entier a été fait pour l'Homme, nous ne dirons rien que tous les Stoïciens n'ayent aperçû.2 Or comme cet ordre qui assujettit à l'Homme toutes les parties du Monde, & entr'autres les Astres, n'est ni l'éfet de la puissance de l'Homme, laquelle ne s'éléve guére au-dessus de l'air qu'il respire, ni de la soumission volontaire de ces Êtres célestes: il faut nécessairement reconnoître une Intelligence supérieure, dont les ordres secrets obligent ces Êtres sur qui l'Homme a si peu de pouvoir, à servir continuellement à ses besoins: & cette Intelligence n'est autre que celle du Créateur même des Astres, & de l'Univers entier.

Note e: (retour) L'Équateur est un des quatre grands cercles qui divise la Sphère en deux parties égales, dont l'une est septentrionale, & l'autre méridionale. TRAD. DE PAR.

Note 2: (retour) Que tous les Stoïciens n'ayent aperçu. Cicéron Offic. liv. I. & de la nature des Dieux liv. 2.

3 Enfin tous ces mouvemens, excentriques,f epicycliques,J & autres, qu'on remarque dans les Astres; leurs situations diférentes; la diversité de leurs cours, qui les aproche ou les éloigne plus ou moins de certains endroits; la variété presque infinie qui se voit dans la surface de la Terre, & dans la figure des Mers, sont des traces si sensibles d'une Cause également libre & sage, qu'il faudroit être stupide, pour n'y reconnoître que l'impression brute & aveugle d'un principe matériel. K La figure du Monde entier, qui est d'une rondeur parfaite, & l'arrangement admirable de ses parties, toutes enfermées dans la vaste enceinte des Cieux, font aussi voir clairement que ce n'est pas le hazard, mais une Intelligence sans bornes, qui a pu composer ce grand Tout & en assembler les parties. Les coups du hazard ne sont pas d'ordinaire d'une si grande justesse. L'on ne verra jamais des matériaux jettez à l'avanture, s'unir avec assez d'art & de régularité pour composer un Palais. L'on ne verra jamais naître un Poëme de l'amas fortuit de plusieurs caractéres. C'est du moins ce qui ne parut pas possible à celui qui ayant vû des figures géométriques tracées sur le bord de la Mer, dit qu'il apercevoit les traces d'un homme.

Note 3: (retour) Enfin tous ces mouvemens &c. Si l'on supose que la Terre tourne, la même réflexion aura lieu, quoi que sous diferens termes.

Note f: (retour) Petit cercle qui a pour centre un point pris sur la circonférence d'un autre cercle plus grand, sur lequel ce petit se met επί sur & κύκλος cercle. TRAD. DE PAR.

Note J: (retour) La simplicité du Systême que l'on a substitué à celui de Ptolémée, est encore bien plus propre à nous faire connoître la sagesse d'un Dieu Créateur que tous ces mouvemens embarrassez, que l'on n'a inventez que sur la suposition fausse de la solidité des Cieux. TRAD.

Note K: (retour) Cette rondeur du Monde est une suite de ce même faux principe, que les Cieux sont d'une matiére solide. TRAD.

Que les hommes ne sont pas de toute éternité; & qu'ils sont tous issus d'un seul homme.

Il faut aussi prouver que les hommes n'ont pas été de toute éternité, & qu'ils doivent leur origine & à un certain tems & à une certaine tige qui leur est commune à tous. Cela se recueille, premiérement4 du progrès des Arts qui se sont perfectionnez nez peu-à-peu, & de ce que plusieurs Païs auparavant déserts & incultes, ont commencé d'être habitez par des Peuples, qui pour la plûpart, & sur tout ceux des Iles, ont conservé dans la ressemblance de leur Langue avec celle des Païs voisins, une preuve évidente qu'ils en étoient venus. Cela se voit en second lieu par quelques maximes & quelques pratiques, qui naissent moins d'un instinct naturel, ou d'un raisonnement clair & sensible à tous les hommes, que d'une tradition qui s'est répandue dans tous les tems, & dans tous les lieux, sans aucune interruption, que celle qu'a pu y aporter la malice des hommes, ou les désastres publics. Tels furent autrefois les sacrifices. Telles ont été, & sont encore aujourd'hui, la délicatesse de la pudeur pour les choses qui la peuvent blesser, les cérémonies nuptiales, & l'horreur pour les incestes.

Note 4: (retour) Du progrès des Arts, &c. Tertullien prouve ce progrès des Arts, & cette multiplication du genre humain par le témoignage de l'Histoire, dans son liv. de l'ame, sect. 36. Nous trouvons, dit-il, dans les histoires les plus anciennes que le genre humain s'est multiplié peu-à-peu &c. Et plus bas, le monde entier même se perfectionne tous les jours & pour la politesse des moeurs, & pour l'invention de plusieurs choses nécessaires. Ces deux raisons, savoir cette multiplication & ce progrès, ont fait rejeter à ceux qui savent l'Histoire, & aux Épicuriens mêmes, l'opinion d'Aristote, lequel a cru que les hommes ont été de toute éternité. A l'égard des Épicuriens, en voici un témoignage que Lucréce nous fournit. «Si la Terre & les Cieux n'avoient point eu de commencement, seroit-il possible que les Poëtes n'eussent rien chanté de plus ancien que la guerre de Troye et la ruïne de cette Ville; que la mémoire de tant de grandes actions, que tant de siécles doivent avoir vûes, fût périe, & qu'il n'en fût resté aucun monument qui les rendît immortelles? Je crois donc que l'Univers est nouveau, & que la Nature ne subsiste que depuis peu de siécles. De là vient que nous voyons encore quelques Arts se polir, & quelques autres nouvellement nez croître de jour en jour. Tantôt l'on a ajoûté aux navires quantité de piéces & d'instrumens qui les rendent plus parfaits, tantôt les joueurs d'instrumens ont inventé des sons mélodieux &c. Virgile. Ecl. 6. Siléne commença à chanter comment tous les élemens, & le monde entier dans sa naissance, avaient été composez de ces principes (c'est-à-dire des atomes.) Géorg. liv. I. «Jupiter mit fin à l'heureuse abondance qui régnoit avant son tems, afin que la nécessité obligeât l'homme à inventer divers Arts, à chercher le blé dans les sillons, & à tirer des veines des cailloux le feu qui y est caché. Alors les fleuves commencèrent à sentir le poids des arbres creusez & travaillez en forme de navires. Alors le Pilote étudia le rang des Etoiles, apella les unes Pleïades, les autres Hyades, quelques autres Ourse. Alors on trouva l'invention de prendre les animaux au lacet & à la glu, & d'entourer les bois avec des chiens. Alors on commença à jetter des filets dans les rivières & dans la mer même. Alors on profita de la dureté du fer, & au lieu qu'auparavant on fendoit le bois avec des coins, on commença à le couper avec des scies. Enfin plusieurs autres Arts commencérent à paroître». Horace Sat. 3. du liv I. Après avoir réprésenté les premiers hommes dans leur naissance, comme assez semblables à des bêtes, fait voir par quels progrès ils vinrent à un état plus policé & mieux réglé. Sénèque dans un endroit cité par Lactance assure que la Philosophie n'est pas encore vieille de mille ans. Tacite Ann. 3. dit «que les hommes de la premiére Antiquité ne savoient ce que c'étoit de loix & d'Empires, & que les loix ne furent introduites, & les Empires ne se formèrent, qu'après que l'ambition & la violence eurent succédé à la modération & à l'honnêteté.» Ce qui a obligé Aristote à croire & à soutenir l'éternité du genre humain & par conséquent du Monde, a été l'absurdité de l'opinion de Platon, qui disoit, à la vérité, que le Monde avoit eu un commencement, mais qui prétendoit qu'il avoit été engendré, & non pas créé. L'un & l'autre de ces deux Philosophes ont eu raison & ne l'ont pas eu à divers égards. Platon avoit raison de nier l'éternité du Monde, mais il se trompoit en disant qu'il avoit été formé par voye de génération. Aristote raisonnoit juste, lors qu'il rejettoit cette génération; mais il raisonnoit mal, lors qu'il concluoit de l'absurdité de cette doctrine, qu'il faloit donc que le Monde fût sans commencement. Que l'on prenne ce que l'un & l'autre ont eu de bon, & l'on tombera dans l'opinion des Juifs & des Chrétiens. Il semble néanmoins qu'Aristote n'ait pas été tout à fait content de son hypothèse. Il en parle fort souvent d'une maniére à faire voir qu'il étoit fort irrésolu là-dessus. Dans la préface du second livre qu'il a fait des Cieux, il dit qu'il n'a pas de démonstration de ce qu'il avance sur ce sujet, mais une simple persuasion. Dans le premier livre de ses Topiques chapitre 9. il met la question de l'éternité du Monde au rang de celles sur lesquelles on peut disputer de part & d'autre avec probabilité. Et dans le 3. liv. de la génération des animaux, il supose qu'ils ont pu avoir un commencement, & là-dessus il tâche à découvrir de quelle maniére ils ont pu avoir été engendrez.

Réponse à l'objection, que si Dieu étoit la cause de tout, il seroit l'auteur du mal.

VIII. Mais ne semble-t-il pas que, s'il y avoit un Dieu auteur de toutes choses, & infiniment bon, on ne verroit pas dans le monde tant de miséres & tant de désordres? Je répons qu'il y a de deux sortes de maux, le mal moral, c'est-à-dire, le crime, & le mal physique, c'est-à-dire, la misére. A l'égard du premier, il est sûr qu'on ne peut l'atribuer à Dieu sans blesser sa sainteté. Nous avons dit qu'il est l'auteur de toutes choses, mais ce n'est que de celles qui subsistent réellement: & rien n'empêche que les choses qui subsistent réellement, n'en produisent d'autres qui ne sont que de purs accidens & de pures maniéres d'être, tel qu'est ce qu'il y a de criminel dans les méchantes actions: de sorte qu'il n'est pas besoin de remonter jusqu'à Dieu pour en trouver la source. Lors qu'il créa l'Homme & les Intelligences qui sont au-dessus de l'homme, il leur donna une liberté qui les rendait capables du bien & du mal. Mais quoique cette liberté se puisse déterminer au mal, elle n'est pas cependant mauvaise en elle-même. Pour ce qui est du mal physique qui est proprement ce que nous apellons douleur, il n'y a aucun inconvénient à dire qu'il vient de Dieu; puis qu'il s'en sert ou à corriger l'Homme, ou à le punir. Et bien loin que cette espéce de mal répugne à sa bonté, on peut dire qu'il l'employe souvent par un principe d'amour pour les hommes; de la même manière que les Médecins prescrivent aux malades des remédes désagréables au goût, mais nécessaires pour leur guérison.

Réfutation de l'opinion de deux premiers principes

IX. Il faut réfuter en passant l'opinion de ceux qui établissent deux premiers Principes, l'un bon, & l'autre mauvais.

I. Deux Principes si oposez ne peuvent que causer du désordre, & même une destruction entiére, bien loin de pouvoir produire quelque chose d'aussi bien construit, & d'aussi sagement réglé, qu'est le Monde. II. De ce qu'il y a un Être bon par soi-même, il ne s'ensuit pas qu'il y en ait un absolument & nécessairement mauvais. La malice est un défaut qui supose une chose qui existe déjà: or l'existence est par soi-même quelque chose de bonL.

Note L: (retour) De plus il ne faut pas concevoir le mal comme une chose naturelle, mais comme la dépravation de l'état naturel des choses. Or, comme nous l'avons prouvé, un Être qui est nécessairement & par soi-même, est parfaitement immuable: & quand il ne le seroit pas, il est toujours évident qu'un premier Être devenu mauvais, ne le seroit pas nécessairement, puis qu'il ne le seroit pas de toute éternité. ADD. DU TRAD.

Que Dieu gouverne toutes choses. x. Preuve.

X: S'il est vrai, comme nous l'avons établi, que Dieu a créé le Monde, il n'est pas moins constant, qu'il le gouverne par sa Providence. Sa bonté l'y oblige: sa science infinie & sa toute-puissance lui en donnent les moyens: l'une lui fait connoître tout ce qui se fait & tout ce qui se doit faire: l'autre le rend capable d'exécuter ce qu'il juge à propos pour conduire & pour régler l'Univers. Avec un degré de sagesse & de bonté infiniment plus petit, les hommes étendent leurs soins sur leurs enfans, & avec quelque chose qui n'est en soi-même ni bonté ni sagesse, mais qui en réprésenté assez bien les démarches, les bêtes mêmes savent élever & conserver leurs petits. Il faut rapeller ici ce que nous avons dit de certains mouvemens peu naturels, que l'on remarque dans le Monde, mais qui servent bien mieux à sa conservation que d'autres plus naturels, & plus simples.

Que Dieu gouverne toutes les choses sublunaires.

XI. La Terre & toutes les choses sublunaires étant l'ouvrage du Créateur, aussi bien que le Ciel, & tous les corps célestes, cette même raison fait voir combien est mal fondée l'opinion de ceux, qui reconnoissant une Providence, la renferment dans l'étendue des Cieux. Il ne seroit pas même dificile de prouver, que la Terre est plus particuliérement que le Ciel, l'objet des soins de la Providence. Le cours des Astres est si conforme aux besoins de l'Homme, qu'on peut dire qu'ils ont été créez pour lui. Or lequel est le plus digne des soins de Dieu, ou la Fin, ou les moyens qui sont destinez à cette fin?

Que Dieu gouverne les natures particuliéres.

Il n'y a pas plus de raison à prétendre, que Dieu ne conduit que les natures universelles, & ne touche point aux Êtres Singuliers. Est-ce qu'il ne les connnoît pas? C'est ce que quelques-uns disent, mais si cela est, comment se connoît-il lui-même? De plus, nous avons prouvé que la science de Dieu est nécessairement infinie: elle s'étend donc à tous les Êtres particuliers. Or si Dieu les connoit tous, pourquoi ne les gouverneroit-il pas tous? Cela paroît encore par ces fins tant particuliéres, que générales, que nous avons découvertes dans chaque partie du Monde. Sans toutes ces considérations, une seule raison sufit. C'est que les natures universelles ne subsistent que dans les Êtres particuliers. Si donc Dieu abandonne les Êtres particuliers, il faut aussi qu'il abandonne le genre; s'il conserve & gouverne le genre, il faut de nécessité qu'il conserve & gouverne les Êtres particuliers.

Preuve de la Providence, par la conservation des États

XII. La durée des États & des Empires est une preuve si forte de la Providence Divine, que tous les Philosophes et tous les Historiens en ont très-bien senti le poids. En général, par tout où cet ordre, qui soumet un État à une autorité supérieure, a été reçu, il y subsiste toujours. En particulier, on voit que certaines formes de Gouvernement se maintiennent en quelque Païs pendant une longue suite de siécles. Combien de temps n'a pas duré, par exemple, le Gouvernement monarchique des Assyriens, des Egyptiens et des François. Le Gouvernement Aristocratique des Vénitiens compte déjà plus de douze cents ans. Il est vrai que la Politique a beaucoup contribué à cette longue durée. Cependant, si l'on prend garde combien il y a toûjours eu d'esprits déréglez et turbulens; à combien de traverses un État est sujet de la part de ses Voisins, et quelle, est l'inconstance de toutes les choses du Monde: on verra qu'il est impossible qu'une certaine maniére de Gouvernement subsiste: si long tems, sans une direction toute particuliére de la Providence. Cette direction est encore plus sensible dans la maniére dont Dieu change la forme des Empires & les ôte à de certains Peuples pour les donner à d'autres. Ceux par qui il opére ces grandes Révolutions, Cyrus, par exemple, Alexandre, César, Cingi parmi les Tartares, & Namcaa dans la Chine, ont tous eu une enchaînure de succès, que toute la prudence humaine n'auroit jamais pu leur procurer; ils ont tous éprouvé un bonheur dont la grandeur surpassoit leurs désirs, & dont la durée constante était fort éloignée du cours ordinaire des choses du monde, dans lesquelles on ne voit que mêlange & qu'inégalité. La ressemblance qu'ont entr'eux ces événemens mémorables, & leur concours à une même fin, c'est-à-dire, à l'établissement d'un Empire sur les ruïnes d'un autre, ne peuvent partir d'une cause fortuite & aveugle. On peut faire plusieurs fois de suite un coup de dé heureux: mais si on le fait jusqu'à cent fois, il n'y a personne qui ne l'atribue d'abord à quelque adresse cachée.

3. Preuve par les miracles.

XIII. Entre toutes les preuves qui nous convainquent d'une Providence, il n'en est point de incontestable que les miracles & les prédictions dont les Historiens font mention. Il est vrai qu'on en débite beaucoup sans fondement. Mais doit-on rejetter pour cela tout ce qu'on a là-dessus de bien atesté par des témoins oculaires, dont le jugement & la bonne foi sont au-dessus du soupçon? Ce sont des choses impossibles, dira-t'on; mais si Dieu peut tout & sait tout, pourquoi ne feroit-il pas ce qu'il veut, & ne pourroit-il pas révéler ce qu'il sait? Si l'on ajoûte que ces actions miraculeuses violent les loix de la Nature; je demanderai pourquoi Dieu, étant l'auteur de ces loix, il n'en seroit pas le maître; & s'il s'y est tellement lié, qu'il ne puisse jamais se dispenser de les suivre? Si l'on dit que ces choses extraordinaires peuvent avoir été produites par des Esprits inférieurs à Dieu, j'y consens: mais j'en conclus qu'à plus forte raison Dieu les pouvoit produire lui-même: outre que, comme dans un Royaume bien réglé il ne se fait rien d'extraordinaire que sous le bon plaisir de celui qui le gouverne, il faut nécessairement que ces Esprits, à qui on veut faire honneur de ces grandes choses, ne les ayant faites que par l'ordre ou par la permission de leur Maître.

Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne

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