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DISCOURS
DU TRADUCTEUR.

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Table des matières

Où l'on fait voir la nécessité qu'il y a d'étudier les fondemens de la Religion: où l'on tâche de diminuer le scandale de la voir combatue par les Libertins tant de moeurs que de créance: & où l'on rend compte de la conduite qu'on a tenue dans cette Traduction.

Il n'est rien de si commun ni de si blâmable tout ensemble, que le peu d'aplication des Chrétiens à examiner les véritables fondemens de leur Religion; & que cette espèce de bonne foi mal-entendue avec laquelle ils continuent de croire des véritez, qu'ils ont embrassées avant que de savoir pourquoi ils les embrassoient. Si l'on y prend garde, on verra que l'un des derniers principes sur quoi repose leur persuasion, est à peu près le même que celui qui sert d'apui à toutes les fausses Religions, & qui est la source de la plûpart des erreurs, même de simple spéculation. Voici ce principe, Mes Ancêtres ont été dans cette créance: Or ils étaient trop habiles pour se tromper, & trop sincéres pour se vouloir tromper les uns les autres successivement: Donc j'ai raison de recevoir cette créance & d'y persévérer. Ce raisonnement fait pitié, je l'avoue, lors qu'il est dévelopé: & tel qui en sent la prétendue force, tant qu'il demeure dans les replis du coeur, & dans le rang des idées confuses, n'a garde de le reconnoître, lors qu'on le tire de là pour le mettre en son jour. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a rien de si ordinaire; qu'on le renconte en toutes sortes d'hommes, & sur toutes sortes de sujets, & qu'il est particuliérement assez commun en matière de Religion.

Remarquons cependant, à l'honneur de ceux qui font profession du Christianisme le plus épuré, que quoi qu'ils ne soient pas exempts de cette foiblesse, lors qu'ils s'agit de la vérité de la Religion Chrétienne en général, ils prennent un soin extrême de l'éviter par raport au Christianisme Réformé. Rien n'est plus édifiant que de voir parmi eux les enfans croître en la connoissance de leur Religion, à mesure qu'ils croissent en âge, & parvenir avec le tems à une certaine maturité, qui les rend capables de soutenir leur créance contre les Docteurs du Parti contraire.

Mais il faut reconnoître de bonne foi qu'ils ne font en cela que la moitié de leur tâche, & qu'en s'accoutumant à suposer la divinité des Livres dont ils se servent si bien contre les Communions ennemies de celle où ils sont nez, ils s'acoutument aussi à négliger de connoître les preuves de cette divinité. La raison de cette négligence est claire. Si la Providence eût permis qu'il y eût des Sociétez de Libertins & d'Athées, distinctes des Sociétez Chrétiennes, il est certain que l'oposition auroit produit à cet égard son éfet ordinaire. Le besoin où chaque Chrétien auroit été de trouver des armes, tant pour ataquer que pour se défendre, lui en eût bien tôt fait chercher. Mais dans l'état où sont les choses, la timidité qu'inspirent des sentimens qui choquent la créance universelle, & apuyée même du bras séculier, oblige les ennemis de nos Véritez à se cacher sous le voile de la profession du Christianisme. Si quelquefois ils se produisent, ils le font ou avec si peu de ménagement, & une si grande éfronterie, qu'il ne paroissent pas même vouloir faire des Sectateurs; ou d'une maniére si circonspecte & si mistérieuse, que le commun des Chrétiens ne les comprend pas, ou n'opose à leur témérité, dés qu'ils viennent à l'apercevoir, que l'horreur & le mépris.

S'il a plu à Dieu de ne nous pas mettre tout à fait dans cette triste nécessité de nous atacher à l'étude des principes du Christianisme, il en naît d'ailleurs une si pressante de la nature même de la Religion, de la conduite de Dieu dans la Révélation, & des inconvéniens dont l'ignorance de ces principes pourroit être suivie, qu'il est étrange qu'on ne sente pas cette nécessité, ou qu'on la sente si inutilement.

La Religion étant la chose du monde la plus conforme à la droite Raison, il est juste aussi de la croire sur des principes raisonnables. De plus, c'est très-mal répondre aux soins que la Sagesse divine a pris d'y répandre tant de lumière, de ménager avec tant d'art les degrez de la Révélation, que les premiers conduisent aux derniers, & les prouvent invinciblement: de déployer si à propos la force du pouvoir divin pour en autoriser les premiers Ministres; de fournir, en un mot, tout ce qui pouvoit afermir la créance que c'est Dieu même qui parle: C'est, dis-je, très-mal répondre à ces soins si dignes de Dieu que de ne faire que peu ou point d'atention à ces illustres caractéres de sa Parole, de n'en pas pénétrer le but, & de ne pas travailler à les munir contre les exceptions de l'Impiété.

En vérité, l'on a de la peine à comprendre que l'esprit de l'homme, toûjours inquiet, jusques dans les moindres choses, toûjours curieux pour les grandes, toûjours en défiance contre les nouveautez, surtout si elles lui imposent quelque joug, demeure néanmoins dans une si grande indolence à l'égard des véritez de la Religion. Cet esprit qui, lors qu'il agit avec quelque raison, ne se soumet jamais à une autorité gênante, & ne se laisse jamais éfrayer par de grandes menaces ni flatter d'espérances un peu extraordinaires, sans en avoir quelque motif: Cet esprit ne se demandera-t-il pas enfin à lui-même, mais qui m'a soumis aux Loix de cette Religion que je professe? N'aurois-je point cru un peu trop légèrement ceux de qui je la tiens? Quelle certitude ai-je que ses menaces ne sont pas vaines? Qui me sera garand de l'acomplissement de ses promesses?

Il le fait sans doute, dira-t'on, & il s'est bien tôt répondu, que sa soumission, ses craintes, & ses espérances sont fondées sur l'autorité de Dieu qui lui en révèle les objets. J'avoue que cette raison est bonne, mais ce n'est pas proprement une derniére raison. Qu'on presse ce Chrétien, & qu'on lui demande les preuves en vertu desquelles il se persuade que Dieu est l'auteur de cette Révélation, on verra qu'il les ignore, ou qu'il ne les connoit que très-imparfaitement.

Distinguons pourtant ici deux sortes de preuves. Les unes consistent, dans des raisonnemens qui vont à établir la certitude des principaux Faits que l'Écriture contient; dans l'harmonie des deux parties de la Révélation: dans le juste & précis acomplissement des Oracles qu'elle renferme; dans la qualité des premiers témoins des événemens miraculeux qui y sont raportez. Les autres se tirent de diverses réflexions, sur la simplicité du stile, jointe à une majesté qui n'a rien d'humain; sur la sublimité des Dogmes; sur l'excellence de la Morale, & sur le raport de toutes les parties de la Révélation à tous les besoins de la conscience. Les unes & les autres peuvent être un sujet de raisonnement, & devenir, étant bien éclaircies, des motifs de conviction par raport aux Incrédules mêmes. Cependant il est certain que les derniéres ont ces deux caractéres particuliers, I. Qu'elles sont encore plus l'objet du sentiment que celui de la réflexion & du discours, & que toute divine qu'est leur force, il est bien dificile de la faire passer dans les coeurs qui n'ont point encore été ébranlez par les premiéres, 2. Que ce sont elles, pourtant qui font le véritable fidèle, & qui le distinguent le mieux de ceux qui n'ont qu'une foi stérile, froide, & purement historique.

Cela posé, j'avoue que dans ceux qui sont véritablement persuadez de la Religion, cette persuasion ne naît pas seulement de ce préjugé dont j'ai parlé dès l'entrée, & qu'elle vient aussi de cette derniére sorte de preuves, que j'apelle preuves de sentiment. Mais, après tout, cela ne sufit pas. Outre qu'elles ne sont pas assez sures, lors qu'on ne veut que les sentir, & qu'on ne tâche pas à les aprofondir par le secours de la réflexion, on demeure toûjours par là dans une ignorance assez honteuse des preuves de la premiére espéce, & l'on néglige d'aquerir des connoissances utiles, capables de fortifier la foi, & d'afermir même les preuves de sentiment. De plus, où en seroit-on avec celles-ci, au cas que Dieu présentât quelque ocasion de défendre la Religion, ou de combatre l'Incrédulité? On rougiroit assurément d'en être réduit à dire, Quoi qu'il en soit, je sens qu'il faut que cela soit ainsi. Je ne puis pas bien vous déveloper pourquoi ma Religion me semble vraye. Mais j'en suis si pleinement convaincu, que je suis prêt à répandre mon sang plutôt que d'y renoncer. Cela ne ressembleroit-il pas assez à ce je ne sai quoi dont on a tant parlé, & par lequel un bel Esprit de ce tems a très-sérieusement prétendu définir la grace?

Ce n'est pas là le seul mauvais éfet de cette demi-science des principes de la Religion. On pourroit soutenir, sans donner dans le Paradoxe, qu'elle est capable de répandre sur la pratique même, d'assez mauvaises influences: ou que du moins, une connoissance entiére des preuves ne peut qu'y en répandre de très-heureuses. Que de Chrétien à Chrétien on entasse controverses sur controverses, quel sera l'éfet de toutes ces peines? Ordinairement plus de fermeté dans la Communion particuliére où l'on est né, mais souvent plus d'animosité contre ceux qu'on regarde comme errans, & plus de présomption de sa propre capacité. Pour la sanctification, il ne paroît pas que cela contribue fort à l'avancer. Mais que par une méditation sérieuse on entre dans l'étude de la vérité de l'Écriture, & des raisons qui la prouvent, quel sera le fruit de ce travail? Une persuasion plus vive & plus forte que c'est Dieu qui y parle: que par conséquent rien n'est plus certain que les promesses & les menaces qui y sont faites, rien plus auguste & plus inviolable que les Loix qui y sont prescrites. Et n'est-ce pas là le premier & le plus universel Principe de la Morale, & celui dont l'afoiblissement est le plus propre à ralentir l'Homme, & à le jetter dans la négligence & dans le relâchement?

Enfin, la foi du commun des Fidéles, qui roule sur un certain sentiment, raisonnable à la vérité, mais un peu confus, est de tems en tems sujette à des ébranlemens qui naissent, ou de la trop grande sublimité & de la spiritualité de son objet; ou de l'inconstance naturelle à l'ame, qui a beaucoup de peine à se tenir sur un certain point fixe; ou de quelque persécution, qui ne porteroit peut-être pas le Chrétien à embrasser les opinions de ses Persécuteurs, mais qui faisant prévaloir le sentiment vif & distinct des peines ou des récompenses sur le sentiment confus de la vérité du Christianisme, pourroit bien le porter à ne plus rien croire du tout. Il faut avouer qu'en ces trois cas-là, le sentiment peut soufrir de grandes défaillances, & que le moyen le plus sûr de le réveiller, c'est d'apeller à son secours ces autres preuves de réflexion & de raisonnement. Ce sont elles qui ont établi la Religion Judaïque. C'est par elles que le Christianisme s'est produit pour la première fois dans Jérusalem, & s'est répandu de là dans tout l'Univers. C'est donc à elles à le défendre dans le coeur des Fidèles, lors qu'il y est combatu ou par leur foiblesse, ou par leur inconstance, ou par la malice des hommes.

Il n'est pas dificile de voir où tendent ces réflexions, C'est d'un côté, à exciter puissamment les Chrétiens à une étude si nécessaire & si négligée, & à leur faire naître l'envie d'être aussi raisonnables dans la chose du monde la plus importante, qu'ils le sont dans les plus indiférentes & les plus communes. Mais d'autre côté, elles nous mènent à rendre justice à ceux qui nous ayant prévenu dans cette étude, nous ont bien voulu faire part de leurs lumiéres; à les écouter favorablement, & à profiter de leurs travaux.

Et que l'on ne craigne pas de s'engager par là dans une trop longue étude. Jamais sujet aussi digne d'être traité n'exerça moins l'esprit des Savans. Le dénombrement des Livres qui ont été faits sur cette matiére, ne seroit pas fort dificile à faire; & à peine notre Langue, si fertile en productions d'esprit & de science, en fournit-elle cinq ou six. Cette stérilité peut venir de deux principes tout opposez; ou d'une crainte scrupuleuse de donner prise à l'Incrédulité, en montrant à nud les fondemens de la Religion; ou, ce qui arrive plus souvent, d'une si grande confiance sur l'évidence de ses preuves, que l'on ait cru que l'industrie n'y pouvoit rien ajouter: sentimens presque également faux & excessifs.

Quoi qu'il en soit, l'Eglise semble n'avoir pris cette matiere à coeur, que quand ses Ennemis l'y ont forcée. Lors que le Christianisme, parfaitement établi sur les ruines de la Religion Payenne, n'eut plus d'ennemis à combatre, on vit tout d'un coup cesser ces disputes, ces Apologies, & tels autres Écrits que l'Eglise naissante & persécutée avoit mis en usage avec tant de succès. Délivrée de ces Ennemis, il lui en naquit d'autres de son propre sein. La corruption des moeurs, l'obscurcissement des Véritez, l'introduction des erreurs lui furent, & lui ont toujours été depuis cela, une matiére de combats & de triomphes. Trop heureuse, au milieu de ces désordres, si elle se fût souvenue de n'employer contre ses Enfans révoltez, que les mêmes armes dont elle s'étoit servie jusques là contre ses Ennemis; & si, par une funeste imitation de la fureur des Payens, elle n'eût pas joint aux voyes de raisonnement & de discussion, ces mêmes voyes de fait qu'elle avoit si hautement désaprouvées, & dont elle avoit si bien fait voir l'injustice!

Il ne faut pas douter que dans ce progrès de corruption & d'erreurs, la malice du coeur n'en ait souvent précipité plusieurs dans le Libertinage & dans l'Athéisme. Mais on peut dire que c'étoit plûtôt un libertinage de moeurs que de créance, ou du moins d'une créance qui cherchât des raisons pour s'apuyer. Il y avoit sans doute beaucoup de ces Insensez, qui disent en leur coeur, Il n'y a point de Dieu: mais il ne paroît pas qu'il y en eût beaucoup qui le dissent dans leur esprit. La dépravation ordinaire du coeur ne va pas là. Pour franchir ce pas, il faut un degré de malice qui n'apartient pas à tous les siécles, il faut un certain tour & une certaine mesure d'esprit assez extraordinaires. Lors qu'il s'agit d'ataquer des Véritez ou obscures, ou peu importantes, & ausquelles personne ne prend intérêt, il n'est besoin pour y réussir, que d'un degré fort médiocre d'esprit & de hardiesse. Mais il faut beaucoup de l'un & de l'autre, pour entreprendre de ruiner dans son coeur, & dans celui des autres hommes, des sentimens & des notions, que la Nature, que la Conscience, que le consentement des Peuples, qu'une Religion enfin aussi ancienne que le Monde, établissent unanimement; ou pour tâcher de détruire une Religion, qui, outre ces apuis généraux, en a d'autres qui lui sont particuliers, & qui sont si fermes que ni la fureur ni l'artifice, n'ont fait après mille éforts, que les rendre encore plus inébranlables.

De si étranges excès sembloient donc être réservez à nôtre siècle: siècle dont on ne sauroit dire ni trop de bien ni trop de mal. En éfet il n'est pas facile de déterminer s'il a fait plus de progrès dans les choses qui perfectionnent l'esprit, que dans celles qui le corrompent. Toutes les Sciences & tous les Arts semblent avoir pris une nouvelle face. La seule Religion Chrétienne y a perdu. Ses divisions intérieures, & les ataques secrettes de plusieurs Esprits, beaux & heureux à l'égard d'autres objets, mais gâtez & perdus par raport à la Religion, ont bien balancé les conquêtes qu'elle a pu faire, soit dans l'Orient; soit dans l'Occident. Il étoit donc juste qu'à mesure que les Ennemis paroissoient, il parût aussi des Défendeurs, & que l'on n'abandonnât pas les foibles à ce sentiment confus, si peu capable de tenir contre l'artifice d'un Sophisme manié par des mains adroites. Il étoit même de la charité qu'on travaillât à ramener ces esprits égarez, & à leur rendre aimable une Religion qu'ils ne combatent, que parce qu'ils ne la connoissent pas.

C'a été l'une des vues de l'Illustre GROTIUS, dont le nom exciteroit la plus parfaite admiration qu'on puisse concevoir pour un homme, s'il ne réveilloit pas en même tems le souvenir de ses derniéres foiblesses.

Je ne m'étendrai pas sur le mérite de son Ouvrage. Ce seroit avoir mauvaise opinion du goût du Siécle, que de croire que 50 ou 60 ans eussent encore laissé quelque chose à ajoûter à sa réputation. Elle est si bien établie, que l'on peut hardiment dire du bien de ce Livre sans craindre d'exposer son jugement, & qu'on ne peut en parler foiblement sans se faire tort à soi-même.

Il me sufira de remarquer, qu'à peine une si belle matière pouvoit-elle tomber en de meilleures mains. Rien n'est plus satisfaisant à un coeur plein d'amour pour nôtre sainte Religion, que de la voir défendre par un homme en qui toutes les Sciences humaines se trouvent réunies dans le plus haut degré. On a beau faire, on ne se défera jamais entiérement du préjugé que forment, pour ou contre de certains sentimens, l'habileté & le mérite de ceux qui les soutiennent ou qui les combatent. Il est vrai que la Religion Chrétienne est en un sens la Religion des simples, des humbles, des enfans, & des pauvres en esprit. Mais il n'est pas moins vrai, que c'est aussi la Religion des prudens, des sages, & des parfaits. Il n'y auroit donc rien de plus capable d'ébranler la Foi, que de voir que dans ce double ordre de Savans & de Simples, où l'on peut ranger tous les hommes, le Christianisme n'eût en partage que ces derniers, & fût ou négligé ou rejetté par les autres. Ainsi c'est par une conduite infiniment sage, que la Providence atire dans le parti de la Religion ces deux sortes de personnes indiféremment; & que pendant que ces bienheureux Simples lui rendent témoignage par la sainteté de leur vie, & quelquefois par leur sang, cette même Providence suscite de tems en tems des personnes éclairées, des scribes bien apris, qui tirant du trésor de leur coeur des choses anciennes & nouvelles la défendent par la voye de la méthode & du raisonnement. Il semble qu'en Grotius, la Philosophie & l'érudition fassent hommage à nos Véritez, qu'elles les vangent de l'insolence & du mépris où l'abus de ces Sciences-là les expose quelquefois, & qu'elles servent même à établir le Christianisme.

L'érudition sur tout est une des parties les plus nécessaires à un Apologiste de la Religion Chrétienne. S'il ne faloit que la prouver positivement, le seul bon sens fourniroit pour cela des secours sufisans. Mais il faut outre cela répondre aux objections, qui sont les seules preuves des plus dangereux mêmes de nos Adversaires. Il faut abatre les fausses Religions, & faire de leurs ruïnes un trophée à la véritable. Or comment y réüssir que par la connoissance de plusieurs Langues, par la lecture des Auteurs des autres Religions, par une Critique tant sacrée que profane, & par une vaste Litérature?

Ce n'est pas qu'entre les preuves positives mêmes de la Religion, ce siécle n'en ait produit une, dont Grotius a presque donné l'ouverture, & qui a reçu sa dernière perfection par les recherches utiles & laborieuses de M. Bochart & de M. Huet. Je parle de ces conformitez entre les Auteurs sacrez & les Auteurs profanes, & entre la Religion des uns & la Religion des autres: conformitez qui vont à l'avantage du Judaïsme ancien & du Christianisme, puis qu'elles tendent à faire regarder nos Livres sacrez comme un Original, dont les autres n'ont été que des copies; & par conséquent, comme ayant le privilége de l'Antiquité, qui étant bien entendue, fait un argument très-solide.

Qui ne sera surpris de voir qu'après tant de preuves de toutes les espéces, qui chacune en particulier ont beaucoup de solidité, mais qui réunies avec art, comme elles le sont dans ce Traité, forment une démonstration invincible, la Religion Chrétienne rencontre encore de l'oposition en ceux qui étant nez dans son sein, sont assez téméraires pour oser la rejetter? Qu'il me soit permis de m'arrêter un peu à en découvrir les raisons.

Ces Ennemis domestiques sont de deux sortes, les Mondains & les Philosophes. Les uns l'ataquent par une suite du déréglement de leur coeur, & les autres par le déréglement de leur esprit.

L'oposition des premiers ne doit pas nous étonner. Leur conduite publioit déjà si hautement le mépris qu'ils font de la Religion, que la hardiesse qu'ils ont de le découvrir par leurs discours, n'a rien qui doive nous surprendre. De plus, il faut, si je puis m'exprimer ainsi, un sixième sens, un coeur libre & dégagé de préjugez charnels, pour être frapé de nos Véritez; & ils ne l'ont pas. Fascinez des avantages de la vie, pénétrez de ses douceurs criminelles, incommodez d'ailleurs du souvenir d'une Divinité, à qui ils sentent qu'ils feroient nécessairement odieux, quelle merveille qu'ils ne comprennent rien à tout ce que la Religion nous enseigne d'une autre sorte de vie, & d'une autre espéce de douceurs, & qu'ils se tiennent en garde contre la créance d'un Dieu, qui ne pourrait être qu'irrité de leurs désordres! Quelle merveille qu'ils prennent les devans, & que, pour me servir de l'expression d'un homme de ce caractère, ils tuent leur conscience, de peur que leur conscience ne les tue! Une oposition à nos Véritez, qui naît de ces honteuses sources, leur fait aussi peu de tort, que la profession de les croire, jointe à de pareils déréglemens, leur feroit peu d'honneur. Je suis plus indigne de voir un Fourbe conserver des égards pour la Religion au milieu de ses plus grands excès, que je ne le suis de voir cette union, toute triste qu'elle est, entre les sentimens & la pratique, en ceux dont nous parlons à cette heure.

Si leur oposition ne nous surprend point, nous ne devons pas non plus nous étonner que leur opiniâtreté soit à l'épreuve des argumens les plus propres à les convaincre de la vérité de la Religion. Il y en a deux principales raisons, l'une de la part de Dieu, l'autre de la part de la disposition de leur coeur. Ils ont étoufé toutes les lumiéres qui pouvoient les tirer de leur déplorable état, à son tour Dieu les abandonne à leurs ténèbres. Ils lui ont dit librement & de sens froid, Retire toi de nous, nous ne voulons point de la science de tes voyes: Dieu ne trouve pas à propos de se raprocher d'eux, & il les laisse dans cette funeste indépendance. Il n'est rien de plus juste. Si sa bonté fait quelquefois des exceptions à cette conduite ordinaire de sa Justice, elles sont rares; quoi qu'elles le soient beaucoup moins que celles dont il use en faveur de la seconde sorte d'Ennemis, dont nous parlerons tout à l'heure.

La disposition du coeur fait le second obstacle au retour de ces malheureux dans le bon chemin. Je l'ai touchée dans le premier des 2. articles précédens, & je n'y reviendrai pas.

Je viens à la seconde espéce d'Ennemis de la Religion. Il n'est pas aussi de se délivrer de l'embarras où jette la conduite de ces gens-là. Dans le fond, soit par tempérament, soit par point d'honneur, soit par je ne sai quelle idée de vertu Payenne; toûjours est-il certain qu'il y en a parmi eux qui sont assez exemts des plus honteux excès du libertinage, & dont les occupations vont moins à satisfaire des passions criminelles, qu'à cultiver & à polir leur esprit. D'où peut donc venir leur éloignement pour la Religion? Pourquoi n'ouvrent-ils pas les yeux à l'évidence, & à la solidité des preuves du Christianisme? Pourquoi ne les ouvrent-ils pas du moins aux risques éfroyables de parti qu'ils ont embrassé? Que devient cette prudence qu'on voit régner dans toute leur conduite, qui leur fait manier si adroitement les afaires les plus dificiles, & qui les guide si bien dans les diférens embarras de la vie?

L'Écriture; qui a prévû ce scandale, n'a pas manqué de le lever, & de prévenir ses éfets dans les esprits foibles. Elle le fait par les dispositions qu'elle demande à ceux qu'elle veut instruire, c'est l'humilité, c'est la conviction de leur ignorance. Elle le fait par un aveu sincére que les véritez qu'elle enseigne, ne sont pas pour les sages & pour les entendus. Elle va plus loin. Elle déclare formellement qu'elle a pour but de choquer leur Sagesse Philosophique & terrestre, & de l'abolir; pour y en substituer une autre toute diférente.

Apliquons à nôtre tems ces déclarations de l'Écriture, qui nous ouvrent les deux grandes sources de l'Incrédulité.

Il est aisé de voir qu'il y a deux obstacles principaux à la conversion des Esprits forts, 1. leur orgueil, 2. le goût qu'ils ont pris aux idées métaphysiques & de simple spéculation.

Par l'orgueil je n'entens pas proprement cette fierté ridicule & choquante, qui est si odieuse à toutes sortes de gens; ni même cette enflure de coeur par laquelle nous grossissons nous-mêmes à nos yeux tout ce que nous avons de mérite vrai ou faux; ni cette secrette avidité de louanges & d'aprobations, comme d'autant de témoins que nous ne nous trompons point dans le jugement avantageux que nous faisons de nous-mêmes. J'entens une espéce d'orgueil rafiné & spirituel, qui rend l'esprit indocile & intraitable, arrêté dans ses vûes, plein d'amour pour ses découvertes, mais sur tout, incapable d'admettre ce qu'il ne comprend pas jusqu'à la derniére precision. Il n'y a presque rien, dans la Nature qui ne mette cette sorte d'orgueil à la gêne, & qui ne donne aux Esprits les plus roides & les plus indomtables, des leçons d'humilité. Mais malheureusement cette docilité forcée où les réduit l'obscurité des Véritez naturelles, ne les dispose guére à quelque humiliation à l'égard des Véritez révélées. On les voit malgré cela aporter à leur lecture tout le faste & toute la présomption, que pourroit leur donner la connoissance des secrets les plus impénétrables de la Nature. Par là nos Véritez deviennent leur grande pierre d'achopement. Car enfin ce ne sont pas proprement les Miracles, ni la beauté de la Morale, considérée spéculativement, qui les rebutent & qui les choquent. Ils ne sont pour la plûpart, ni si ignorans que de ne pas savoir que la Puissance qui a formé l'Univers, & qui en a établi les Loix, est assez forte & assez libre pour les pouvoir violer, ni si corrompus que de ne pas sentir la perfection & la pureté de nos Régles sacrées. On peut croire que jusques-là ils prendroient patience. Mais dès que la Révélation prend pié là-dessus pour captiver leur Raison à des choses qui la surpassent, ils reculent & aiment mieux se défier de ce qu'ils avoient pu recevoir, que de se charger l'esprit de choses embarrassantes, obscures, & dont on leur déclare qu'ils ne doivent pas espérer une parfaite intelligence. Alors sans doute retournant sur leurs pas, ils cherchent après coup des raisons de douter de la solidité des preuves, dont ils n'avoient pas été choquez, tant qu'elles laissoient à leur esprit toute sa liberté & toute son élévation.

Ne pourrions-nous pas remarquer ici, sans trop nous écarter, que c'est-là aussi l'esprit régnant de celle d'entre toutes les Sectes du Christianisme, qui mérite le moins de porter ce nom? Un homme de qualité assez connu par ses Emplois disoit librement, que s'il avoit à embrasser le Christianisme (admirable expression pour un homme né Chrétien) il se rangeroit de ce parti. On a sans doute beaucoup d'obligation à ceux de cette Secte de la peine qu'ils se sont donnée pour aplanir la Religion Chrétienne, & pour en faire une Religion toute unie, toute naturelle, & accessible à toute sorte d'esprits. Après cela n'ont-ils pas de quoi nous insulter sur ces obstacles insurmontables, que nos Dogmes, pleins de mystéres & d'obscurité, mettent à la conversion des Incrédules? Mais plûtôt, ne pouvons-nous pas leur dire ici, que leur conduite si semblable à celle de ces nouveaux Apôtres, qui dérobent à la vue des Idolâtres l'Image choquante de Jésus-Christ crucifié, pour ne leur présenter que celle de Jésus-Christ glorieux, ne ressemble guère à cette généreuse liberté de S. Paul; qui pour établir la Sagesse. Chrétienne, ne l'accommode pas à la Sagesse du siécle, mais détruit de plein pié celle-ci par la première.

Je pose pour féconde raison de l'obstination des Philosophes Déistes ou Athées, & de leur peu de sensibilité tant pour la Religion que pour ses preuves, un certain esprit nourri d'abstractions & de spéculations; qui n'en trouvant d'un côté dans la Théologie Scholastique que de sèches & de dégoûtantes, & n'en trouvant point du tout dans la Religion prise dans sa véritable nature, tiennent cette espéce de Véritez pratiques extrêmement au dessous d'eux, & tâchent de se dédommager dans les idées de la Métaphysique, de la perte volontaire qu'ils font de celles de la Religion. Ils s'y font d'autant plus aisément, qu'ils ne prennent pas le change à tous égards, qu'ils rencontrent vérité pour vérité, qu'ils y gagnent même en un sens; puis que pour des connoissances qui les confondroient presque avec le reste des hommes, ils en trouvent d'autres qui leur donnent un beau rang dans le monde savant, & dont l'aquisition les remplit de cette joye, qui accompagne toûjours la Vérité lors qu'elle paroît après s'être fait quelque tems chercher. Après tout, comment ne se borneroient-ils pas là, & ne se contenteroient-ils pas de ces choses si propres à les flater? Comment au milieu des heureux éforts de leur esprit, & des aclamations de tous les Savans, sentiroient-ils le besoin que l'Homme a de la Religion; puis qu'entre ceux-mêmes qui font une profession sincére de la Religion Chrétienne, il s'en trouve, qui lors qu'ils ont aquis, dans l'étude de ses Véritez, quelques lumiéres un peu distinguées, ont tant de peine à en tirer de nouveaux motifs de sainteté, & s'en tiennent si aisément à ces secrets aplaudissemens qui sont tous sur le compte de l'Homme, & où Dieu n'a point de part. Tant il est vrai que les choses les plus excellentes, & les plus propres à nous rendre heureux, perdent toute leur éficace, dès qu'une fois l'esprit s'en est emparé au préjudice du coeur.

Je reviens à ce que j'ai posé d'abord: c'est que la Religion n'ayant aucuns charmes pour des Esprits acoutumez à une autre sorte de nourriture, ils se laissent aller peu à peu à la mépriser. S'il arrive donc qu'une nouvelle lumière vienne fraper leurs yeux à l'avantage de la Religion, ils aiment mieux y répandre des ténèbres, que de s'y laisser conduire; puis qu'aussi bien elle ne les conduiroit qu'à des choses désolantes pour eux, en les obligeant à perdre la haute idée qu'ils avoient de leur Science, & en leur faisant voir dans quel abîme ils se sont précipitez, si la Religion est véritable, & quelle est l'horreur des mépris outrageans qu'ils ont eu jusques-là pour elle.

Mais, dira-t'on toûjours, d'où leur vient cette régularité de vie & cette belle Morale qu'ils savent si bien débiter & dont on aperçoit quelques traits dans leur conduite: & pourquoi ne les dispose-t-elle pas à embrasser la Religion, dont le grand but est de corriger l'Homme & de lui inspirer la vertu?

Je répons premièrement, que cette Morale, toute brillante qu'elle est, n'est par raport à la véritable Morale, que ce que les premières lueurs de l'Aurore sont à l'égard de l'éclat du Soleil en plein midi: elle est si aisée & si douce, cette Morale, que les Idolâtres mêmes, pour qui ceux dont nous parlons doivent avoir un souverain mépris, l'ont poussée tout aussi loin qu'eux. Aimer Dieu de tout son coeur, se sentir porter pour ses intérêts & pour ceux du Prochain par une véritable sensibilité; s'humilier du fond de l'ame, même auprès des hommes; avoir pour soi un mépris sincére: voilà les grands Préceptes du Christianisme. Et c'est ce qui ne se trouvera jamais, ni dans les Athées, puis qu'ils s'en moquent, ni dans les Déïstes, puis qu'ils se contentent de certaines Régles commodes, qui laissent l'amour propre dans son entier.

Je dis en second lieu, que quand même ce qu'ils ont de bon pourroit les disposer à recevoir la Religion, ce qui leur manque à cet égard est encore plus capable de les en éloigner. Qui sait si par de certains retours ordinaires à l'Homme, qui n'est jamais dans un parfait repos sur ses principes, mais ordinaires sur tout à ceux en qui la conscience n'est pas entièrement morte, ils n'entrent pas quelquefois en défiance de leurs sentimens & de leur témérité? Qui sait si alors ils ne repassent pas avec exactitude ces Véritez; qu'ils avoient rejettées, & leurs preuves qu'ils n'avoient pû goûter? Qui sait si dans cette revue ils ne pourroient pas bien passer à la Religion ses obscuritez, ses Mystéres, ses Miracles, la beauté même & l'austérité de sa Morale, considerée en général comme preuve, si elle n'exigeoit pas d'eux des devoirs contre lesquels ils se sont fortifiez le coeur par un long endurcissement, & dont ils se sont rendu la pratique comme impossible? Qui sait enfin, si alors désespérant de pouvoir y fléchir leur coeur, & apaiser par de véritables regrets la Divinité outragée, ce désespoir ne les replonge pas plus avant que jamais, dans leurs premiers égaremens?

Toutes ces considérations ne seront peut-être pas inutiles, pour diminuer le scandale que pourroit donner aux véritables Chrétiens l'opiniâtreté de tant d'Esprits éclairez, qui marquent si peu de soumission & si peu d'amour pour une Religion, que mille preuves convainquantes devroient leur faire recevoir.

Avant que de finir, je dois me justifier sur deux Points. 1. Sur ce que ce Livre aiant déjà paru en François, il semble que je me sois donné une peine assez inutile. 2. Sur la conduite un peu libre que j'ai tenue dans cette Traduction.

A l'égard du 1. j'avouerai franchement que j'avois déjà commencé ma Traduction, avant que de savoir qu'il y en eût une. Je l'apris quelque tems après; & j'apris aussi que cette Traduction étoit assez bonne, quoi qu'elle n'aprochât pas de celles des Giri & des Ablancourt. Sur cela je fis réflexion que peut-être le Traducteur s'étoit un peu asservi à l'Original; que peut-être voulant en conserver le suc & la force, il en avoit un peu conservé la dureté; que depuis ce tems-là, nôtre Langue avoit assez considérablement changé, soit pour la pureté des termes & des expressions, soit à l'égard de la clarté du stile, pour donner aux esprits médiocres d'à présent quelque avantage à cet égard sur les meilleurs de ce tems-là; qu'enfin la facilité d'avoir une Traduction passablement bonne donneroit à la mienne quelque avantage sur l'autre, qui est extrémement rare.

Pour ce qui est des libertez que je me suis données, elles regardent ou le stile, ou les choses mêmes.

Le stile de Grotius, comme on le sait, est serré & concis. Ce caractére, qui trouve de grands modéles dans la Langue dont cet Auteur s'est servi, & qui semble avoir cet avantage, de retrancher toutes les superfluitez fastueuses du Langage des Orateurs, pour présenter à l'esprit plus de choses que de mots: ce caractère, dis-je, n'a pu jusqu'ici gagner le dessus en nôtre Langue. Si d'un côté elle ne donne pas dans les prolixitez & les détours du Langage oratoire, elle se fait d'ailleurs un scrupule d'abandonner cette clarté & cette douceur, qui l'ont jusqu'ici distinguée des autres Langues. Et pour le dire ici par une espéce de digression, ce caractère n'est-il pas infiniment plus raisonnable que l'autre? A quoi bon ce ménagement mystérieux par lequel on ne se montre qu'à demi, lors qu'on peut sans honte se montrer tout entier? A quoi bon cette épargne de termes & d'expressions, lors que ceux à qui vous parlez ne vous peuvent entendre qu'en supléant à peu près ce que vous avez suprimé? A quoi bon enfin cette sécheresse & cette dureté dans des matières qui occupent assez l'esprit par elles-mêmes, sans emprunter le secours du stile obscur & serré, pour mériter quelque aplication?

Encore une fois, je ne prétens pas blâmer absolument les maniéres de Grotius. Il a ses modéles, qui font encore aujourd'hui les délices des Savans. Outre cela il est certain qu'il est bien difficile de vaincre son naturel, & de sortir de son caractère. Si ce naturel n'a pu le porter à la dernière clarté ni dans cet Ouvrage ni dans plusieurs autres, il vaut mieux qu'il s'en soit éloigné par ce stile un peu sec mais savant, que de donner, en s'en raprochant, dans cette superfluité si rebutante pour ceux qui ne se payent pas de mots. Il est beaucoup plus agréable à un esprit bien fait, d'ajouter que de retrancher, de suivre son Auteur en lecteur atentif & ataché, que de le suivre en Censeur dégoûté par l'abondance incommode de ses expressions. Il est plus agréable de trouver plus qu'on n'atendoit, que de ne trouver presque rien.

C'est dans le dessein de garder le milieu entre ces deux extrémitez vicieuses, que je me suis permis de tems en tems de certaines libertez. Ici j'ai dévelopé une pensée ou une preuve que l'Auteur avoit plûtôt indiquée que traitée: là j'ai changé son ordre, lors que j'ai cru pouvoir y en substituer un plus clair & plus facile. En un mot, j'ai tâché à me rendre maître de mon Auteur quand je l'ai cru nécessaire pour le plier à nos manières. Mes premières vues ont été de découvrir les pensées & de les exprimer. Mes secondes vûes ont été de les exprimer, comme il l'a fait lui-même. Mais lors que je n'ai pu obéïr à cette seconde loi sans tomber dans l'obscurité ou dans la langueur, je m'en suis départi: me tenant néanmoins ataché inviolablement à la 1. de ces deux Loix, qui est de réprésenter fidélement les pensées de l'Auteur.

Pour ce qui est des libertez qui regardent les choses mêmes, elles consistent en quelques Additions & quelques Remarques.

Je ne pretens pas exclure Mr. du Plessis Mornai du nombre de ceux qui ont reüssi sur la matiere.

Je ne dirai là-dessus qu'un mot en général. Il n'est point d'Ouvrage parfait à tous égards, & où une revue exacte faite par d'autres yeux que ceux de l'Auteur, ne puisse découvrir quelque endroit à fortifier, & quelque autre à redresser. Cela arrive sur tout dans les matiéres qui n'ont pas encore reçu leur derniére perfection. Telle étoit du tems de Grotius celle qu'il traite en ce Livre. C'est presque lui qui a ouvert la carriére; d'autres y ont heureusement couru sur ses pas. Et je ne sai si l'on ne peut pas dire que M. Abbadie l'a fournie parfaitement, & qu'il s'est rendu pour le moins aussi original que Grotius l'étoit en son tems. Il ne faut donc à présent qu'une capacité médiocre pour apercevoir dans ceux qui ont précédé, certaines choses qui pouvoient être plus éclaircies & mieux prouvées, & d'autres qui ne sont pas dans toute l'exactitude où elles auroient été, si elles fussent nées plus tard.

En particulier, l'on voit en quelques endroits du premier Livre de ce Traité, une certaine teinture de vieille Philosophie qui n'est plus à la mode, depuis que l'on a apris à mieux raisonner, à ne se pas contenter de mots, & à ne rien admettre que de clair & de certain. Mais ces endroits sont rares, & ils ne préjudicient aucunement au fond du Systême de cet Auteur, ni à la force de ses raisons.

Peut-être cependant aurois-je mieux fait de donner l'Auteur tel qu'il est, & de me tenir dans une religieuse retenue. On écoute volontiers ceux qui par leurs longs services ont aquis le droit de parler en maîtres. On souffre qu'ils se mesurent à ceux du premier rang. C'est là le privilège des vétérans dans la République des Lettres. Le partage des nouveaux venus est d'écouter, & de se taire. Et quoi qu'en matiére de raisonnement, le bon sens ne reconnoisse ni âge ni sexe, & qu'étant Citoyen né dans cette heureuse République dont nous parlions, il doive jouir de tous ses privilèges: il y a néanmoins en cela, comme en beaucoup d'autres rencontres, de certaines bien-séances qu'on ne peut se dispenser de suivre sans quelque nécessité. Si l'on trouve que j'en aye passé les bornes, je suis tout prêt à rentrer dans le devoir en éfaçant & Additions & Remarques.

Il ne sera pas inutile d'avertir ici le Lecteur, que quoique nôtre Langue n'ait point encore d'orthographe fixe, on on s'est déterminé à retrancher toutes les lettres superflues, afin de mettre ce Livre en état d'être lu commodément de toutes sortes de personnes. Si cette maniére d'écrire ne plait pas à tout le monde, du moins elle a cet avantage par dessus les autres, qu'elle est & la plus débarassée & la plus uniforme.


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Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne

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