Читать книгу Histoire et description de la Haute-Albanie ou Guégarie - Hyacinthe Hecquard - Страница 7

GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE

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La haute Albanie, appelée aussi Albanie blanche et Guégaria, est bornée au nord par les monts Vomitor et Biélopoglie, à l’ouest par l’Adriatique et le Montenegro, au sud par le Scombi, et à l’est par les montagnes qui, partant d’Ochrida, viennent aboutir à Plava.

La haute Albanie comprend une grande partie des pachaliks de Prisren et de Monastir, et celui de Scutari. Je m’occuperai principalement de ce dernier, qui est le moins connu et le plus intéressant par sa composition ethnique, ses coutumes, son organisation politique, différant dans chaque montagne comme dans chaque district.

Limites du pachalik de Scutari. — Le pachalik de Scutari est borné au nord par l’Albanie autrichienne et le Montenegro; à l’est par les districts d’Ipek, d’Iakova et de Prisren. La limite, de ce côté, se trouve à l’endroit où se réunissent les deux cours d’eau appelés Drin. Au sud, le pachalik de Scutari est borné par le fleuve Mathias, et à l’ouest par la mer Adriatique.

D’après les ingénieurs ottomans, sa superficie serait de cent cinquante milles carrés. Le nombre de ses habitants est de cent cinquante mille environ.

Fleuves et rivières. — Ce pachalik est traversé par deux fleuves: la Bojana et le Drin. La Bojana (Barbana Livianus des anciens), qui sort du lac un peu au-dessus de Scutari, est considérée par les habitants comme la continuation de la Zenta ou Zetta, qui se jette dans le même lac, un peu au-dessous de Podgoritza. On appuie cette opinion sur ce que, principalement à l’époque des grandes eaux, le courant de la Zetta se fait sentir sur toute la longueur du lac: pour le traverser dans cette direction, on se sert, en effet, de ce courant. La Bojana est navigable, pour les bâtiments ne calant pas plus de huit pieds, jusqu’à Hoboti, petit village situé à deux lieues de Scutari: elle a, dans cet endroit, une profondeur de quatre mètres; mais malheureusement il existe, à son embouchure, une barre sur laquelle l’eau ne s’élève jamais au-dessus de trois mètres. Au delà d’Hoboti on rencontre un bas-fond qui empêche les bâtiments d’arriver à Scutari. En face de cette ville, de nombreuses pêcheries obstruent aussi le cours du fleuve.

Le Chiri. — La Bojana reçoit, au sortir de Scutari, le Drinass ou Chiri (Clausulus des anciens). Presque à sec pendant l’été, le Chiri, qui prend sa source dans les montagnes de Pulati, près du village dont il porte le nom, se gonfle, dans l’hiver, des pluies venues des montagnes, et devient un torrent furieux qui cause de grands ravages et inonde alors une partie de la ville.

La Scoubina. — La Scoubina, petite rivière dont la source se trouve dans les montagnes d’Antivari, se jette aussi dans la Bojana, entre les villages de Sarégi et de Liséna.

Le Drin. — Le Drin noir, canal d’écoulement du lac d’Ochrida, après avoir reçu dans sa course un grand nombre de torrents des montagnes de l’est, se joint au Drin blanc, qui arrose les plaines de Jakova, Ipek et Prisren, coule ensuite entre des montagnes calcaires excessivement élevées jusqu’à Scéla. A partir de ce point, ses eaux, grossies de tous les torrents des montagnes des Mirdites, de Schiala et de Grasténischa, côtoient les plaines fertiles de Zadrima et de Bouchât, jusqu’à Alessio, au-dessous de laquelle elles se jettent dans la mer.

Le Drin est navigable jusqu’à Scéla pour de grosses embarcations. Des petits navires, ne tirant que quatre ou cinq pieds d’eau, peuvent le remonter jusqu’à la hauteur de Blinisti, à trois lieues au-dessus d’Alessio. Ce fleuve, qui déborde tous les ans, cause des pertes immenses, et les habitants des plaines de Zadrima ont dû renoncer à en cultiver la plus grande partie.

Rivières. — Les principales rivières de la haute Albanie sont: le Zem, qui, formé des torrents des montagnes de Troïtza, voit sur ses bords les principaux villages de la tribu des Klémentis et se perd dans la Moratcha, au-dessous de Podgoritza;

La Moratcha, qui prend sa source dans le Montenegro et se jette dans le lac de Scutari, auprès de Jablack. La Riéka, sortie d’un rocher près du village montenegrin qui porte son nom, arrose la partie la plus fertile du Montenegro et contribue à l’alimentation du lac de Scutari, ainsi que le Rioli, qui est plutôt un torrent qu’une rivière;

Le Fanti, après avoir parcouru les montagnes des Mirdites, qu’à leur extrémité il sépare du district de Skréla, porte ses eaux au fleuve Mathias, près d’un village appelé Pédana.

Lacs. — La haute Albanie compte plusieurs lacs: celui de Plava, situé au sommet de la montagne de ce nom, est presque rond et peut avoir deux lieues de circuit. Il est, en partie, alimenté par les eaux du Lim, rivière formée des torrents d’Odolia et Gretschar.

Celui de Hotti, à peine séparé du lac de Scutari, est plutôt un vaste marais, dont les eaux et les limites varient suivant l’état de l’atmosphère, et ne sont considérables qu’à l’époque des grandes pluies.

Ceux de Sciassi et de Murtepsa, dont les eaux communiquent avec la Bojana, sont alimentés par les pluies et par quelques sources souterraines.

Le plus remarquable de tous est le lac de Scutari, appelé par les indigènes Likieni i scoders (Palus Labeatis). Flanqué de hautes montagnes, tantôt arides, tantôt luxuriantes de verdure, il offre à celui qui le parcourt des sites d’autant plus délicieux qu’ils changent à chaque instant d’aspect. Sa longueur est d’environ neuf lieues, sa largeur moyenne est de six milles. A l’ouest, il baigne le pied de hautes montagnes aux pentes assez douces pour qu’il s’y soit établi de nombreux villages, dont les habitants vivent principalement du produit de leur pêche. A l’est, au contraire, ses rives offrent au regard une plaine fertile de deux lieues de largeur, qui devrait être une source de richesse pour Scutari, si ses habitants étaient plus industrieux et moins indolents.

Ce lac présente quelques îles: les plus considérables sont celles de Vranina et Mourichian (Moracovitch des cartes). Sur cette dernière, la plus rapprochée de Scutari, existent les ruines d’une ancienne tour; sur l’autre on trouve plusieurs villages. Viennent ensuite les îles de Monastir et de Lessendra, enlevées aux Montenegrins par les Turcs, qui, en 1844, y construisirent deux petites forteresses, et mirent en station devant la seconde deux petits bâtiments chargés de la police du lac. La navigation y était auparavant très-dangereuse: les Montenegrins, profitant de la nuit, venaient piller les embarcations jusque sous les murs de la forteresse de Scutari, ou, formant des escadrilles de barques légères et bien armées qu’ils cachaient dans les anfractuosités des rochers qui bordent Vranina et Lessandra, tombaient à l’improviste sur les convois se rendant à Podgoritza, et s’emparaient des embarcations, après avoir coupé et emporté les têtes de ceux qui les montaient.

Suivant une tradition locale, le lac de Scutari n’aurait pas toujours existé, ou du moins n’était pas jadis aussi grand qu’aujourd’hui. Vers la partie orientale, il y avait, suivant cette tradition, une plaine couverte de villages et de jardins, parmi lesquels serpentaient divers torrents prenant leur source dans les montagnes voisines; elle se nommait Fouscia e proneve (plaine des torrents). Un jour, à la suite d’un tremblement de terre, les eaux prirent un tel accroissement que cette plaine fut entièrement submergée. Les anciens du pays ajoutent, pour appuyer leur dire, qu’ils ont vu, et que l’on pourrait voir encore les ruines des maisons et les arbres de ces jardins lorsque les eaux du lac sont calmes et transparentes.

Montagnes. — Parmi les hautes montagnes qui coupent en tous sens le pachalik de Scutari, on distingue le mont Torobosi formant la tête de la longue chaîne qui traverse la Dalmatie; le Zuccali, remarquable par sa forme pyramidale; le mont Kom, servant de frontière au Montenegro; enfin le Maranaj aux neiges éternelles, dont les nombreux rameaux joignent le pachalik de Scutari à ceux de Prisren, de l’Herzegovine. et de la Bosnie.

Plaines. — Les plaines de Zadrima, de Podgoritza et celles des environs de Scutari se distinguent par l’excellente qualité et la fertilité de leurs terres. Les immenses plaines de Fuscia stoï et de Lama apahive sont incultes et servent de pâturages.

Climat. — Le climat de la haute Albanie est en général doux et salubre; il varie cependant suivant les lieux. De la mer jusqu’au pied des montagnes, la température ressemble à celle de l’Italie; à l’automne et au printemps, on y respire un air doux et embaumé par la riche flore des prairies. Dans l’est, ainsi que sur les monts, l’hiver est rigoureux; sur certaines cimes les neiges sont éternelles. En été, la chaleur est excessive.

Produits. — En général, le sol est très-fertile; malheureusement la plus grande partie reste sans culture par suite de l’incurie et de la paresse des habitants. Le blé, le maïs; l’orge, l’avoine, le riz, les haricots, y abondent. Depuis quelque temps la culture du lin et celle du tabac y ont pris un grand accroissement. Les fruits de toutes espèces, et principalement les cerises, les abricots, les figues et les raisins, y sont nombreux et de bonne qualité ; si ces derniers étaient traités comme en France, ils donneraient un vin excellent. Sur les bords de la mer, par exemple, à Dulcigno et Antivari, on cultive avec succès les oliviers, et l’huile qu’on en tire est très-estimée en Dalmatie, où on l’exporte.

Les forêts abondent en bois de construction qu’on envoie à l’étranger, et principalement à Malte, à Gênes et à Tunis. Les essences les plus communes sont: l’orme, le chêne, le hêtre, le sapin, le pin et le noyer.

La haute Albanie est riche en troupeaux; ceux de chèvres et de moutons forment la fortune principale des habitants des montagnes. Les villageois de la plaine élèvent des bêtes à cornes (bœufs et buffles), des porcs et quelques chevaux. Chaque année voit s’accroître la quantité de soie et de cire qu’on y récolte. Dans les hautes montagnes, et surtout du côté de Plava et de Deblinisti, on trouve l’ours, le loup et le sanglier. Quoique la chasse soit permise à tout le monde, le gibier s’y rencontre en quantité prodigieuse, surtout le lièvre, la caille, la bécasse et la perdrix; du côté des Mirdites et d’Alessio, l’on trouve des daims, des chevreuils et des faisans. Dans l’hiver, le lac de Scutari est couvert d’oiseaux aquatiques de toutes espèces; les canards sauvages y sont si nombreux qu’on en prépare les têtes pour faire des fourrures dont les Turcs se servent en été.

Les rivières et les lacs de la haute Albanie sont très-poissonneux; les principales espèces sont: le brochet, l’anguille, la carpe, la truite et la truite saumonée, qui atteint des proportions considérables. Dans le Drin, on trouve l’esturgeon, et dans le lac de Scutari, une espèce de sardine appelée scoranze que l’on fait fumer pour l’exporter ensuite en Dalmatie où elle est très-recherchée. La pêche de ce poisson est l’occasion d’une cérémonie qui sera décrite lorsqu’on parlera des coutumes des Albanais.

La géologie et la minéralogie de cette partie de la Turquie sont peu connues. MM. Boué et Viquesnel sont ceux qui, jusqu’ici, en ont donné l’idée la plus exacte.

Division politique. — Les districts et communes (Nahie, Bayrack) qui, réunis, forment le pachalik de Scutari, prennent presque tous le nom de la ville ou du village dans lequel réside le commandant (mudir); ils se divisent comme suit:

La ville de Scutari et sa banlieue (Nahia i Scoders); le district d’Antivari (Nahia i Tivarit); celui de Dulcigno (Nahia Ulgïnit); celui d’Alessio (Nahia Lesies); le district de Podgoritza, comprenant Jablack et Spouz (Nahia Spuz e Pod gorizes); le district de Goussinie et Plava (Nahia i Guzijs); enfin celui de. Biélopoglie (Nahia i Bïelopoj).

Les nombreuses tribus des montagnes ne font pas partie de cette division, et, quoique dépendant de Scutari, elles forment des districts séparés, ayant leurs lois et leurs constitutions distinctes, et prennent les noms soit des montagnes qu’elles habitent, soit des chefs de la race dont elles descendent.

Parmi les montagnes, dites montagnes de Scutari, la tribu de Hotti est la première; après elle viennent celles de Clementi, de Gruda, de Castrati, de Skrieli, de Schiala et de Scossi. Les tribus de second ordre sont Slaca, Tévali, Riolla et Postrippa, dont le territoire comprend quelques villages de la plaine.

Vient ensuite la tribu des Dukadgini, placée sur la rive gauche du Drin et qui comprend les bayracks de Puka, Haleja et Malisii. Enfin les tribus des Wassœvitch, appartenant au district de Goussinie, et celles de Biélopoglie.

En dehors de ces tribus est la principauté des Mirdites, la plus remarquable de toutes, qui, affranchie de tout tribut, en vertu d’anciens privilèges, ne doit à la Porte que le secours de ses armes.

Après ce coup d’œil jeté sur l’ensemble du pachalik de Scutari, il faut, pour s’en former une idée exacte, le parcourir district par district; étudier les coutumes et les lois de ses tribus et de ses montagnes; rechercher leur origine, leur histoire et celle de l’Église de l’Albanie. C’est ce que je me propose de faire dans la suite de ce travail.

Histoire et description de la Haute-Albanie ou Guégarie

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