Читать книгу Sophie d'Alwin, ou Le séjour aux eaux de B*** - Isabelle de Montolieu - Страница 4
LETTRE II.
LA MÊME A LA MEME.
Оглавление3avril.
MA situation est toujours la même; je suis très–contente, je dois même m’estimer heureuse, et désirer qu’il n’arrive aucun changement. Mes élèves commencent à s’accoutumer à moi: elles m’aiment, et ma tâche en devient bien plus facile. J’ai de plus une société très-agréable. C’est l’intendant Muhlberg et ^a femme, couple jeune, aimable, et d’un sens droit et éclairé. Ils habitent une jolie maison vis-à-vis du château. 3e passe chez eux toutes les heures que mes devoirs me laissent libre, et j’y suis, comme chez moi, sans aucune gêne; ce qui est à mon avis la pierre de touche de l’harmonie intérieure des pensées et des goûts, Je vois, de plus, que leur amitié me sera très-utile pour diriger ma conduite avec tous les habitans de la maison, qu’ils connaissent parfaitement. Ils parlent de leur seigneur, le comte de Wehlau, avec une espèce d’enthousiasme. C’est, disent-ils, le plus digne, le plus excellent des hommes; ils ne tiennent pas tout à fait le même tangage sur la comtesse: leur opinion paraît même bien différente; et j’ai cru remarquer qu’ils n’en parlent pas volontiers, et ne disent pas tout ce qu’ils en pensent. Je suppose que leur blâme porte principalement sur son genre de vie si dissipé, et si opposé aux goûts de son mari. Il préférerait une vie tranquille et domestique avec ses enfans et quelques voisins choisis. Il est très-malheureux que sa femme aime exactement le contraire; mais cette différence est peut-être une suite des fréquentes et longues absences du comte. Il est militaire, revêtu d’un grade supérieur, ce qui l’oblige d’être souvent hors de chez lui. Je pense que la dissipation de sa femme a commencé par le besoin de se distraire de l’ennui que lui causent ces séparations forcées; alors elle est plus, à plaindre qu’à blâmer. Il doit être fort triste, en effet, d’être continuellement séparée de celui dont la présence fait notre bonheur, et d’avoir sans cesse à trembler pour sa vie. Il est vrai que si j’étais dans une position pareille, ce ne serait pas dans les plaisirs du monde, que je trouverais distraction et consolation; mais tous les caractères ne sont pas jetés dans le même moule, il serait inj uste de blâmer quelqu’un de ce qu’il ne voit pas et ne pense pas comme nous. Je suis très-curieuse de connaître personnellement le comte. Il est intéressant d’entendre les détails de la manière dont il se conduit avec ses enfans, ses gens, ses vassaux, en un mot avec tous ceux qui ont quelque relation avec lui; et la gouvernante des enfans qu’il aime avec tendresse, peut espérer d’avoir aussi quelque part à sa bienveillance.
Depuis que la mort de mon père m’a jetée dans le monde, j’ai fait de si tristes découvertes sur l’humanité en général, que je m’estimerais heureuse de rencontrer un homme aussi éminemment distingué par ses vertus; mais j’avoue que si je–ne les avais pas connues par le témoignage de Muhlberg, j’aurais eu pei ne à Les deviner d’a près sa physionomie: j’ai vu son portrait, que la comtesse porte ordinairement au cou. Je traversais un matin le cabinet de sa femme de chambre, et je vis le médaillon sur sa table; la chaîne de Venise à laquelle il est suspendu s’était dérangée; il n’y avait personne, et je cédai à la curiosité de voir les traits-d’un homme dont le caractère est l’image de la divinité; mais mon attente fut bien trompée: il est peint en uniforme; ses traits sont beaux, mais l’ensemble n’a rien de noble ni de distingué, rien qui parle au cœur; et je ne comprends pas qu’une âme telle que la sienne anime cette insignifiante figure; peut-être aussi est ce la faute du peintre. Enfin il est attendu dans la quinzaine; et je saurai qui a tort ou raison.