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INTRODUCTION

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Dans la Grèce antique, les hommes ne portaient pas de bijoux et les femmes elles-mêmes en usèrent avec modération jusqu’au jour où, subissant l’exemple et les conseils de la molle Ionie, elles eurent délaissé le culte austère d’Athéna pour les blandices de la Volupté que Cythère adorait sous le nom divin d’Aphrodite.

Jusqu’alors les tuniques de laine blanche ne s’égayaient point de joyaux et les jeunes hommes, sans doute, trouvaient les femmes assez belles parées de leur seule grâce. C’est pourquoi au Ve siècle encore, Platon ne craignait pas d’abaisser la parure au même rang que la cuisine; et cela nous choque tout de même un peu — bien que l’art culinaire en France fasse aujourd’hui figure de culte intellectualisé, grâce à quelques écrivains que les «tables académiques » ont gâtés; — cela nous choque parce que, dans nos sociétés civilisées, le bijou a pris une importance sociale qu’il n’avait jamais connue peut-être dans l’antiquité méditerranéenne, avec une pareille expansion.

Bijoux féminins, cela va sans dire, car, de nos jours, les hommes d’une certaine classe se reconnaissent surtout à la sobriété de leurs ornements: bagues, boutons de manchettes, ou épingles de cravate, alors que les femmes, au contraire, s’abandonnent sans contrainte, depuis quelques années surtout, à une sorte de dévergondage presque sadique sur ce point, adoptant comme joyaux de ville des verroteries médiocres, les plus voyantes et les moins seyantes parfois, du clinquant, des sonnailles comparables après tout à celles que, pendant longtemps, les peuplades noires primitives acceptèrent de nos trafiquants, en pensant par là rendre hommage à la supériorité des «manières de blancs»...

Avec cette même indifférence envers l’esthétique qui les conduit à aimer d’enthousiasme, jusqu’à la saison prochaine, les vêtures souvent ridicules que leur imposent les couturiers, les femmes reçoivent la mode pour leurs bijoux, parfois de ces couturiers eux-mêmes, sans souci de leur valeur significative individuelle, sentimentale, dirons-nous, sans songer à l’aveu charmant d’intimité qui fut jadis chez nous, et dans certaines contrées reste encore l’âme subtile et charmante du bijou féminin.

Mais voyez-les plutôt, jeunes femmes et jeunes filles, devant des vitrines de musée qui contiennent des bijoux de jadis; leurs visages qui s’irradient aux feux des joyaux quand elles peuvent les convoiter dans les étalages de tel joaillier fameux, ici paraissent presque indifférents; elles semblent incapables de l’effort d’imagination sentimentale qui pour une minute, et sous la magie du regard, rendrait la vie à ces préciosités immobiles comme des momies délicates sur le velours de leurs tablettes.

En fait, les femmes aiment le bijou d’une adoration trop fervente pour n’être pas égoïste; ou plutôt, elles s’aiment elles-mêmes quand elles songent à une parure. N’allez donc pas leur demander du désintéressement esthétique pour juger tel objet précieux en lui-même, c’est-à-dire sa valeur propre d’œuvre d’art.

C’est là désormais, dans les usages de la vie courante, un sens qu’il faut désespérer de voir revivre; trop de circonstances économiques et sociales se sont liguées pour conférer au bijou d’ornement une autre valeur artistique, une autre signification aussi que celles qui l’ont rendu précieux jadis, particulièrement dans certaines régions.

Il semble, cependant, que, partant de cet instinct de la parure qui leur est naturel, les femmes mêmes puissent trouver intérêt, sinon à constituer une «collection» de bijoux anciens — les rivières de diamants et les colliers de perles coûtent si cher aujourd’hui! — du moins, à connaître le bijou sous les différents aspects qui l’ont caractérisé. Les joyaux expriment si clairement, pour qui sait regarder, l’état économique et social autant que la psychologie des peuples qui les ont créés! Mais d’ailleurs, pour ceux-là qui se plairaient à conserver des témoins du passé et sont par conséquent des délicats, il importe de ne pas ignorer par quelles particularités de matières, de fabrication, d’emploi et de destination, les objets réunis par eux peuvent leur parler du temps jadis et le faire revivre devant leur esprit.

Quels objets d’art contiennent plus de signification profonde que les bijoux? Précieux et rares dans leur matière ils ont, par destination, vécu mêlés à la vie même de celui ou celle qui les ont portés, à leur vie physique, à leur destinée morale, et de ce contact prolongé, de cette intimité qui jadis se continuait souvent dans la nuit du tombeau jusqu’à la nudité dernière du squelette, ils gardent, pourrait-on dire, comme une phosphorescence sentimentale, qui est chose bien émouvante, si nous savons assombrir pour un moment en nous les réalités, assez pour reconnaître son rayonnement doux.

Par la résistance des métaux précieux et la dureté des gemmes, ils conservent l’empreinte des mains qui les ont travaillés; ils nous racontent d’abord leur gaucherie patiente, leur lyrisme maladroit, puis leur habileté grandissante, et enfin, la perfection de leur technique; la beauté du travail nous évoque les époques de haute civilisation intellectuelle pauvres en industries, tandis que la richesse des matières moins amoureusement travaillées indique tantôt des périodes de barbarie florissante et tantôt des épopées fabuleuses, des conquistadores, des Golcondes et des Ophir, le progrès des lointains commerces maritimes; peu à peu, lorsque la perfection de la technique, le raffinement des formes et jusqu’à la sobriété de l’effet s’ajoutent à la richesse, à la préciosité des matières, de tels bijoux nous rendent témoignage qu’ils furent l’œuvre d’un âge de rare équilibre intellectuel et moral, d’élégance suprême et de distinction.

Si les bijoux pouvaient parler, ainsi que l’eau qui court, comme ils nous diraient de belles histoires!... Mais c’est qu’ils parlent en vérité, ils parlent avec cette voix subtile qu’ont les choses du passé pour ceux qui se penchent sur elles avec attention et quelque tendresse.

On a tenté dans ces pages de noter quelques-unes des confidences que nous font les joyaux ternis; ce qu’ils nous disent des ouvriers dont les mains les ont créés, ce qu’ils nous racontent de ceux et celles qu’ils ont parés pour des pompes royales, pour le mystère des rites religieux, pour les triomphes militaires, ou l’éclat de la beauté souveraine, ce qu’ils nous murmurent plus bas, enfin des simples joies de la jeunesse et du désir qu’ils ont embellies: anneaux de promesse glissés à des doigts tremblants, colliers à grains d’or que soulevait la fièvre des seins amoureux, bracelets qui rythmaient dans le soir la marche nue des vierges, comme aujourd’hui encore, aux confins des oasis, leur claquement argentin scande, sur le grand silence de la nuit qui descend, le retour lourd des femmes courbées sous la charge des outres gonflées.

Les Bijoux anciens

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