Читать книгу Berthe, ou Une seconde mère - Jean-Baptiste-Joseph Champagnac - Страница 5

LE PANIER DE RAVES.

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IL y a quelques années, par une riante matinée du printemps, plusieurs personnes qui paraissaient étrangères dans la contrée se promenaient dans les environs de la petite ville de Pierre-Buffière, qui n’est qu’à quatre lieues de Limoges. Cette petite société de promeneurs, composée de plusieurs hommes et deux dames, venait de parcourir la belle vallée qu’arrose la Briance, et prenait gaîment la direction de la ville pour ne pas manquer l’heure du déjeuner, heure qui n’est pas sans importance, surtout après une promenade matinale.

Une vieille paysanne, dont la mise, quoique très-propre, n’annonçait que trop l’indigence, se traînait avec peine, appuyée sur un bâton, et suivait lentement le même chemin. Derrière elle, une petite fille de huit à neuf ans, vêtue -très-simplement, mais avec une certaine élégance qui décelait l’aisance de la bourgeoisie, portait à son bras un panier qui faisait presque autant de volume qu’elle, et qui était plein de larges raves fraîchement cueillies. La pauvre enfant, peu accoutumée à de tels fardeaux, ployait sous la charge, mais elle n’en marchait pas moins résolument, et ses petites jambes finissaient par faire du chemin. De temps en temps elle changeait son panier de bras pour se soulager un peu. De grosses gouttes de sueur ruisselaient de son front gracieux et de ses joues vermeilles: il ne faut pas demander si elle était fatiguée.

Une des deux dames dont je viens de parler avait remarqué cette enfant, si jeune et si courageuse; son regard la suivait aveç un intérêt qui n’était peut-être pas exempt de curiosité. Un peu avant de rentrer en ville, la vieille s’arrêta, et, se retournant vers sa petite compagne:

— Oh! mon Dieu! ma bonne petite demoiselle Berthe, lui dit-elle avec l’accent de la reconnaissance, comme vous devez être fatiguée! Donnez-moi le panier, je vous en prie, c’est à mon tour...

— Laissez, laissez, chère Mathurine, répondit la petite fille en se redressant, cette charge serait trop lourde pour vous qui avez tant de peine à marcher; encore un petit peu de courage, et j’arriverai chez vous.

— Que vous êtes bonne, ma chère demoiselle! reprit Mathurine; mais tout de bon je crains que votre absence ne donne de l’inquiétude chez vous, et qu’on ne vous gronde...

— Laissez-moi faire, Mathurine; on ne me gronde jamais quand il m’arrive de faire un peu de bien à quelqu’un. C’est bien là grand’chose d’ailleurs!... Et puis ce n’est que le temps de ma récréation que je vous donne. Je vais me dépêcher, vous allez voir: avant un quart d’heure je serai rendue chez vous, et soyez sûre que je ne manquerai pas la messe de neuf heures... Je viens d’entendre tout à l’heure le premier coup de cloche... Je vous laisse donc, car vous ne pouvez marcher aussi vite que moi.

Et, en disant ces derniers mots, la petite Berthe prit son élan pour tourner la route, en ce moment encombrée de petits monceaux de cailloux destinés à l’entretenir; mais, arrivée au beau milieu, dans sa précipitation, elle heurta contre une pierre qui la fit chanceler et tomber rudement sur le pavé. Pendant quelques secondes Berthe resta sans mouvement. La vieille Mathurine, pâle de faiblesse et de saisissement, se lamentait de ne pouvoir courir au secours de sa jeune bienfaitrice.

Tout-à-coup un cri perçant se fait entendre... Une voiture de poste arrivait rapidement sur le lieu de la scène: les chevaux, lancés au grand trot, ne pouvaient être facilement arrêtés: Berthe courait le danger d’être broyée sous les roues; encore un moment, et la voiture arrivait sur elle... C’était une des deux dames qui, à cette vue, avait jeté ce cri d’effroi.

— Mais voyez donc cette pauvre enfant qui vient de tomber, disait-elle avec chaleur aux personnes de sa compagnie. Messieurs, il n’y a pas un instant à perdre, elle va périr!...

Mais, voyant que personne ne bouge pour aller relever la jeune fille, elle s’élance elle-même, rapide comme l’éclair, saisit l’enfant avec vivacité, la prend dans ses bras et la transporte au pas de course sur le bas côté de la route. Il était temps, car à peine avait-elle exécuté ce mouvement que la voiture de poste, entraînée parles chevaux, qu’il eût été difficile d’arrêter, passait à grand bruit sur le lit de cailloux qui avaient occasioné la chute de Berthe. Cependant la dame étrangère prodiguait tous ses soins à sa petite protégée. Celle-ci resta un moment sans connaissance; les roses de son teint avaient fait place à une pâleur extrême; mais, sitôt qu’elle eut respiré les sels dont l’obligeante inconnue s’empressa de faire usage, elle ouvrit les yeux et sourit à toutes les personnes qui l’entouraient.

— Vous êtes-vous fait du mal, ma chère enfant? lui dit la dame étrangère d’une voix pleine de douceur.

— Grâce à Dieu, non, madame, répondit Berthe; seulement j’ai eu bien peur quand je me suis sentie tomber avec mon panier au milieu de la route... Mais où est-il donc le panier de raves de la pauvre Mathurine? ajouta-t-elle presque aussitôt.

— Ne vous en occupez pas, ma bonne demoiselle, répondit Mathurine, plus morte que vive de ce qui venait d’arriver; ne vous en occupez pas: il est là ; il n’a pas couru le même danger que vous, allez!

— C’est égal, je veux le porter chez vous tout de même, reprit la petite fille en remuant ses bras et ses jambes pour montrer qu’elle ne s’était nullement blessée.

— Du tout, ma chère enfant, dit aussitôt la dame qui venait d’arracher Berthe à une mort certaine; c’est assez comme cela pour aujourd’hui; le panier sera porté chez Mathurine par un domestique qui vous reconduira en même temps chez vos parens.

— Alors, madame, je vous remercie bien de toutes vos bontés, reprit Berthe avec le sourire le plus gracieux; mais je vous prie de me permettre de m’en aller tout de suite; car, voyez-vous, pour tous les trésors du monde, quoique ce ne soit pas aujourd’hui un dimanche, je ne voudrais pas manquer la messe.

— Pourquoi donc, ma chère petite?

— Parce que j’ai besoin de rendre grâces à Dieu pour la bonté avec laquelle il m’a conservé la vie. Je ne manquerai pas non plus de le prier pour vous, madame; car je sens tout ce que je vous dois. Je m’en vais donc bien vite pour m’habiller et ne pas être en retard. Adieu, madame, je vous promets de ne pas vous oublier dans mes prières.

Et, en disant ces paroles, Berthe fit une révérence à la dame, qui l’embrassa avec tendresse en chargeant un domestique qu’on venait d’appeler de porter le panier de raves jusqu’à la demeure de Mathurine et de reconduire la petite demoiselle chez elle. La petite, n’ayant plus les raves à porter, partit devant avec la légèreté d’une jeune biche. Toutes les personnes présentes étaient émerveillées de la gentillesse prématurée de cette enfant et de son aimable caractère.

— A qui appartient cette jolie petite fille? demanda la dame à la vieille Mathurine, qui ne demandait pas mieux que de répondre.

— Elle est la fille de M. Blanzac, répondit Mathurine, un brave et digne homme, comme toute sa famille au surplus; car il n’y en a pas un pour démentir l’autre. C’est un des plus honorables négocians de Limoges. Il a eu le malheur de perdre, il y a quatre ans, son excellente femme, qui venait tous les ans passer l’été ici, dans une jolie maison de campagne qui leur appartient, là haut à l’autre bout de la ville. La bonne madame de Blanzac, c’était elle qui faisait du bien aux pauvres gens du pays! Aussi l’avons-nous tous pleurée comme on pleure une bonne mère. Des anges du bon Dieu comme ça ne devraient jamais quitter là terre. Mais elle a laissé, en nous quittant, quelqu’un qui sera un jour sa digne remplaçante. D’abord, pour la figure, elle est le portrait vivant de sa mère, et, pour le cœur, c’est une excellente créature comme elle. Tenez, madame, vous avez vu tout à, l’heure un échantillon de sa bonté. J’ai pour tout bien, outre la cabane où je demeure, un petit coin de terre bien abrité qui, après les froids, conserve encore quelques raves, ma nourriture ordinaire. Mais, comme je viens d’être bien malade, je ne me sentais pas la force d’aller en cueillir, parce que mon champ est assez loin d’ici, et ma provision d’hiver était entièrement épuisée. Alors mademoiselle Berthe a voulu absolument se charger de faire et de transporter la cueillette; je ne voulais pas y consentir, mais j’ai vu que je lui faisais de la peine. Alors nous sommes parties de bonne heure toutes les deux. Si vous aviez vu, ma bonne dame, comme ce bon petit ange s’efforçait de me soulager dans ma marche pénible! «Appuyez-vous sur moi, Mathurine, quand vous êtes fatiguée; je suis jeune, je dois être votre bâton de vieillesse; je suis forte, moi, sur mes jambes; ne craignez pas de me fatiguer.» Puis, quand nous avons été dans ma ravière, si vous aviez pu voir de quel cœur elle travaillait. Oh! elle ne craignait pas, en touchant la terre, de salir ses blanches petites mains. Elle cueillait, elle cueillait comme si elle eût été à la tâche. «Voyez-vous, ma chère Mathurine, me disait-elle, si je ne puis pas faire autre chose pour vous quant à présent, parce que je suis encore une enfant, laissez-moi au moins vous aider de tout mon petit pouvoir. Plus tard, quand j’aurai fait ma première communion, quand on me jugera assez raisonnable pour me donner de l’argent, je sais bien l’usage que j’en ferai... Je n’ai point oublié les leçons et les exemples de mon excellente mère.» Bonne petite demoiselle Berthe, elle avait de grosses larmes dans les yeux en disant ces derniers mots; et moi je ne pouvais m’empêcher de pleurer avec elle, au souvenir de la femme si charitable que nous avons tous perdue!...

Le récit simple et naïf de la vieille Mathurine avait vivement intéressé la dame, ainsi que les personnes qui l’accompagnaient. Il avait suffi pour donner une haute idée des vertus de la famille Blanzac; mais en même temps il avait excité une touchante sympathie en faveur de la pauvre bonne femme si reconnaissante, qui prenait tant de plaisir à rendre hommage à ses bienfaiteurs. A l’aide de quelques-unes de ces paroles que les âmes chrétiennement secourables savent faire comprendre à demi-mot, la dame provoqua en un instant une petite collecte pour la bonne Mathurine, et, lui remettant avec une délicate discrétion les pièces d’argent qu’elle venait de puiser dans les poches de ses compagnons, elle lui dit avec une bonté pleine de charme:

— Acceptez, chère bonne femme, ce que le ciel vous envoie aujourd’hui.

— Grand merci, madame, répondit Mathurine. Que le bon Dieu bénisse main charitable qui m’assiste!

— Dieu me récompense déjà, reprit dame: combien ne suis-je pas heures de tenir en ce moment la place de vo ancienne bienfaitrice, de madame Blanzac! combien aussi sa charmante pet Berthe m’a plu par ce que je lui ai faire, et par ce que vous m’en avez di Ah! mon plus grand bonheur sur la terre aurait été d’avoir une petite fille si riche d’aimables espérances! mais le ciel ne l’a pas voulu, ajouta-t-elle avec un profon soupir. Dieu sait mieux que nous ce qui nous convient; il faut savoir se résigne à sa sainte volonté.

— Ma bonne dame, répondit Mathurine. c’est aussi ce que je me dis bien souvent quand il m’arrive quelque nouveau malheur... car je n’en ai pas manqué dans ma vie...: mon pauvre mari tué en travaillant; mes trois enfans, trois beaux garçons que j’avais eu tant de peine à élever pendant mon veuvage, enlevés coup sur coup par des maladies impitoyables; ma ferme brûlée et détruite de fond en comble, et par-dessus toutes ces plaies, qui saigneront tant que je vivrai, les infirmités qui m’accablent au point de m’empêcher de gagner ma pauvre subsistance... Mais, pardon, ma bonne dame, pardon de vous entretenir de toutes ces choses; voyez-vous, ça fait tant de bien de parler de ses peines quand on a le bonheur de rencontrer un cœur compatissant!

— Bonne Mathurine, vous avez bien ison, et vous ne me devez pas d’excuse, t avec affabilité la dame étrangère; c’est oi qui dois vous remercier de la confiance que vous m’avez témoignée et l’on est toujours heureux de savoir inirer. Si j’ai encore quelque occasion de venir à Pierre-Buffière, soyez bien invaincue que je viendrai voir Mathurine...

— Je suis bienheureuse, madame, de tant d’honneur; ma pauvre cabane est à deux pas d’ici, auprès de ce grand noyer qui me prête souvent son ombrage.

— Quant à mon aimable Berthe, je ni l’oublierai pas non plus... La maison de ses parens est, dites-vous, au bout de la ville?

— Oui, ma bonne dame; tenez, cette jolie maison blanche aux contrevens verts que l’on voit très-bien d’ici auprès de ce bouquet d’arbres... Oh! je suis bien sûr que mademoiselle Berthe est en ce moment à l’église. La pauvre enfant! ce n’était pas sans raison qu’elle disait ne vouloir pas manquer la messe aujourd’hui.

— Avait-elle donc une autre raison que celle q’elle nous a dite?

— Hélas! oui, ma bonne dame; il y a aujourd’hui même quatre ans qu’elle est orpheline.

— Pauvre enfant!... Adieu, Mathurine, et au revoir, s’il plaît au bon Dieu, dit la dame en rejoignant les personnes de sa société.

Le jour même, la dame partait de Pierre-Buffière pour retourner chez elle en passant par Limoges.

Berthe, ou Une seconde mère

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