Читать книгу Berthe, ou Une seconde mère - Jean-Baptiste-Joseph Champagnac - Страница 6
ОглавлениеPREMIÈRE ÉDUCATION DE LA PETITE BERTHE.
LA maison de campagne de M. de Blanzac était une charmante habitation sous tous les rapports: bon air, belle exposition, charmans entourages: tout s’y trouvait réuni, au dedans comme au dehors, pour faire trouver l’existence agréable. Sur le devant de la maison s’étendait une vaste pelouse, au milieu de laquelle s’élevaient quelques arbres, et qu’entouraient un riant parterre et des buissons de fleurs. Un large chemin sablé, très-commode pour les promeneurs, serpentait autour de cette pièce de gazon d’une forme oblongue. C’était là que Berthe prenait ses ébats enfantins; là elle s’amusait à courir sur le tapis de verdure, ou folâtrait en poursuivant quelque beau papillon aux ailes dorées. Chaque matin elle venait admirer les fleurs nouvellement épanouies, sans jamais en cueillir une seule, à moins que le vieux jardinier ne lui en fît l’invitation. Elle prenait aussi plaisir à écouter le chant des oiseaux qui avaient fait leurs nids sur les arbres de la pelouse.
Retenu à Limoges par les occupations toujours croissantes d’un commerce florissant, M. Blanzac ne pouvait guère venir qu’une fois par mois à Pierre-Buffière pourvoir sa petite Berthe, qu’il aimait tendrement, et pour s’émerveiller des progrès qu’elle avait pu faire pendant son absence.
Du reste, l’excellent père était dans une parfaite sécurité à l’égard de son enfant. Il avait confié l’éducation de Berthe à une de ses parentes, femme de mérite et d’expérience, et dont les principes pieux lui inspiraient une confiance bien méritée. Madame Saint-Brice en effet s’acquittait avec zèle de ses devoirs d’institutrice. Elle était d’une douceur et d’une indulgence excessives, dont beaucoup d’enfans d’un mauvais naturel auraient pu facilement abuser. Il est bon que l’enfance, si prompte ordinairement à s’oublier, rencontre quelquefois des regards sévères qui l’observent et la maintiennent dans de sages limites. Mais madame Saint-Brice aurait craint de faire pleurer un enfant en lui adressant un reproche ou une réprimande. Heureusement Berthe, douce et bonne, affectueuse et caressante, docile et prévenante, n’avait nul besoin d’être menée sévèrement, et son aimable caractère suppléait merveilleusement à ce qui manquait, sous ce rapport, à madame Saint-Brice, excellente femme d’ailleurs et surtout fort instruite.
Avec une âme aussi bonne et aussi indulgente, madame Saint-Brice aurait-elle pu, du fond du cœur, ne pas s’attacher à Berthe, être heureuse de ses joies enfantines, et prendre part à ses petits chagrins?
Ce n’est pas que, plus d’une fois, et de crainte d’affaiblir son autorité en se montrant trop familière ou trop indulgente, madame Saint-Brice ne fît bien tous ses efforts pour se maintenir dans une froideur réservée; mais elle ne pouvait long-temps jouer ce rôle, qui n’allait pas à son cœur. Et puis, à force de gentillesses, Berthe savait l’intéresser à son aimable caquetage, et chaque jour l’espiègle enfant se promettait bien de nouveaux triomphes.
Qu’on nous permette de rapporter ici une de ses conversations, qui d’ailleurs se rattache à notre sujet d’une manière assez intime.
Le bruit s’était répandu vaguement que M. Blanzac allait épouser en secondes noces une personne de la contrée, et cette rumeur avait assez préoccupé Berthe pour qu’elle ne craignît pas de rompre le silence à cet égard, ainsi qu’on va le voir. Un jour donc que madame Saint-Brice lui parut disposée à parler, voici comment la petite entra en matière, tout en paraissant fort occupée d’une robe dé satin rose destinée à sa poupée.
— Madame Saint-Brice, dit-elle, est-ce qu’il est permis de se marier plusieurs fois?
— Oui, mon enfant, l’Eglise le permet. Mais à quoi bon cette question? Cela ne regarde point les enfans de votre âge.
— Pardonnez-moi, madame, cela les regarde beaucoup quand ils ont, comme moi, à regretter une excellente mère, si difficile à remplacer.
— D’accord: mais, Berthe, il ne s’agit point de cela en ce moment.
— Mais si mon petit père venait à se marier, comme on le dit...
— Eh bien! croyez-vous, mon enfant, que votre père, qui vous chérit, n’aurait pas songé à choisir une femme capable de vous chérir aussi comme sa propre fille?
— Mais, malgré toute sa tendresse, mon cher petit père ne pourrait-il pas se tromper? et alors la pauvre Berthe...
Et, en disant ces paroles, Berthe avait le cœur gros; des larmes roulaient dans ses jolis yeux, et paraissaient au moment de couler. Madame Saint-Brice elle-même fut émue de voir sa jeune élève en cet état; elle se disait à elle-même que l’inquiétude de la pauvre orpheline n’était pas tout-à-fait dépourvue de fondement, et s’étonnait qu’une enfant aussi jeune se préoccupât de pareilles craintes. Toutefois elle s’empressa de rassurer Berthe autant qu’il était en son pouvoir.
— Mon enfant, lui dit-elle, vous offensez votre père en vous affligeant ainsi sans motifs réels... Vous ne savez pas encore ce que doit être la mère qu’il vous destine. Ce n’est pas bien de juger ainsi les personnes sans les avoir vues, sans les connaître. Mais j’entre dans vos idées; j’admets que votre belle-mère ait peu de tendresse pour vous, ainsi que vous paraissez le craindre; croyez-vous que votre père, qui n’a cessé de vous prodiguer des preuves du plus sincère amour, croyez-vous que vos deux frères, qui vous regardent plutôt comme leur enfant que comme leur sœur, souffriraient qu’on vous maltraitât dans la maison qui vous a vue naître?... Oh! non, détrompez-vous; nous tous, nous serions là pour plaider votre cause.
— Mille remercîmens, bonne Saint-Brice, mille remercîmens; cette marque d’intérêt de votre part me fait bien du plaisir. Mais on dit tant de mal des belles-mères; on dit qu’il y en a si peu qui aiment les enfans de leurs maris; on raconte souvent tant de vilaines choses sur leur compte que je ne puis m’empêcher de trembler...
— Qui donc a pu avoir la sottise de vous entretenir de tout cela? reprit madame Saint Brice. En vérité, il y a des gens qui n’ont pas l’ombre du sens commun. Fourrer dans la tête d’un enfant de pareilles chimères! Quelle absurdité ! Ce sera sans doute quelque domestique? Ne ferait-on pas beaucoup mieux de se mêler de son ouvrage?
— Ma bonne madame Saint-Brice, je puis vous assurer que personne de la maison n’a cherché à me parler de cela.
— Ces idées, ce me semble, ne vous sont pas venues toutes seules.
— Non sans doute, répondit Berthe, dont le visage se couvrit en ce moment d’une rougeur qui décelait un peu de honte. Mais je vais vous dire comment il est arrivé que le nom seul de belle-mère m’inspire une sorte de terreur. Hier, sortant de l’église après la messe, je me disposais à revenir tout de suite ici, comme vous me l’aviez recommandé ; mais je m’arrêtai à lire une affiche qui venait d’être placardée sur une des colonnes. C’était pour la fête de la paroisse.... Quelques personnes causaient à quelques pas plus loin, et sans faire la moindre attention à moi. Le nom de mon papa vint frapper plusieurs fois mon oreille. Alors, quoiqu’on m’ait dit bien des fois que c’était bien vilain d’être curieuse, j’écoutai attentivement en faisant toujours semblant de lire l’affiche.
— Vous voyez, mon enfant, que le bon Dieu vous a tout de suite punie de votre vilaine curiosité, en permettant que vous fussiez tourmentée par les choses mêmes que vous ne deviez pas écouter. Tâchez de ne plus retomber dans ce défaut, qui porte souvent sa punition avec lui.
— Oh! je m’en repens bien, je vous assure; car c’est là que j’ai entendu, au sujet des méchantes belles-mères, des choses qui m’ont fait dresser les cheveux sur la tête, et qui, dans ce moment, me bouleversent encore.
— Calmez-vous, Berthe, et faites à la sainte Vierge une prière bien fervente pour qu’elle vous fasse la grâce d’avoir une seconde mère qui ressemble à la première. Vous savez que la mère de l’enfant Jésus aime les petits enfans, et qu’elle se plaît à appeler sur eux une foule de grâces.
— Oh oui! madame Saint-Brice, tout à l’heure je vais suivre votre bon conseil. Je serais si malheureuse si j’avais une belle-mère capable, comme on en a vu, de me priver de l’amitié de mon cher père, de celle de mes deux frères Edouard et Marc, qui ont tant d’affection pour leur petite sœur. Oh! alors je serais comme une pauvre délaissée, je serais véritablement comme ma poupée que personne n’habille, à qui personne ne dit mot, dont personne ne s’occupe quand je ne suis pas là !
Cette réflexion tout enfantine fit sourire madame Saint-Brice, qui profita de ce moment pour faire renaître le calme dans le cœur de Berthe et la rassurer complétement sur l’avenir. La petite se retira aussitôt dans sa petite chambre, et, s’agenouillant devant un tableau représentant la sainte Vierge entourée de jolis petits anges, elle lui adressa avec la foi la plus vive une prière qui fut sans doute exaucée, car, lorsqu’elle revint près de madame Saint-Brice, une douce sérénité rayonnait sur son front aimable, où ne se montrait plus aucun nuage.
— Bonne Saint-Brice, dit-elle, j’ai bien fait de vous écouter. Mon parti est pris; je me confie en la divine Providence, qui protége toujours les orphelins; je me confie aussi à la tendresse de mon cher petit père, à l’attachement de mes deux frères, au vôtre... Eh bien! assurée de jouir de toutes ces consolations, si la belle-mère que me donnera mon cher papa n’est pas bonne et aimable pour moi, j’ai pris la résolution de la gagner à force de douceur, d’attentions et de prévenances.
— Voilà une résolution très-louable, reprit madame Saint-Brice; mon enfant; je vous engage à y persévérer, quoique j’aie lieu de penser que vous n’aurez nulle occasion d’y recourir.
A quelques jours de là, M. Blanzac vint annoncer lui-même son prochain mariage avec une jeune veuve qui habitait le bourg de Laurières, situé près d’une belle forêt, sur la rive gauche de l’Ardour. Les qualités de cette dame avaient eu plus de part à ce projet d’union que l’état de sa fortune. M. Blanzac désirait surtout rencontrer dans sa future compagne une femme capable de se charger de l’administration de ses propriétés, tandis qu’il se livrerait entièrement à ses affaires commerciales, dont le développement toujours progressif réclamait de sa part une activité incessante. Il comptait également sur elle pour achever la première éducation de sa chère Berthe, qui devait bientôt être privée des soins si tendres de madame Saint-Brice, que des affaires importantes forçaient de retourner se fixer à Limoges. Il désirait surtout que cette enfant, si bonne, si aimante, n’eût point à se plaindre de la seconde mère qu’il allait lui donner. Nous verrons bientôt comment son vœu fut réalisé.
Berthe accueillit cette nouvelle avec une joie naïve, qui charma son père. Celui-ci lui dit en la caressant:
— Ah! petite espiègle, tu es si contente parce que tu vas bien t’amuser.
— Cher petit père, je vous prie de me juger un peu mieux, répondit Berthe en se précipitant dans les bras de M. Blanzac: vous paraissez heureux de ce mariage, et c’est la seule cause de ma joie.
— Elle aura d’autres causes encore quand tu connaîtras l’excellente dame qui te tiendra lieu de mère.
— Je le désire bien, et je l’espère, dit Berthe à demi-voix.
— Avant quinze jours d’ici, tu auras fait connaissance avec elle; ainsi donc je pense que tu vas t’occuper de ta petite toilette peur assister à la cérémonie nuptiale, qui aura lieu dans l’église de Laurières.
—Ces apprêts seront bientôt faits, grâce à madame Saint-Brice, répondit Berthe; tu verras comme je serai belle ce jour-là, cher père!