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PRÉFACE.

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Table des matières

Depuis une quinzaine d’années, il s’est levé, pour ainsi dire, sur l’horizon médical, un astre fatal, dont l’influence homicide, après s’être exercée uniquement d’abord sur l’Asie, s’est ensuite fait sentir sur diverses contrées de l’Europe: c’est le choléra-morbus dit Asiatique, dont on ne peut plus prononcer le nom sans répandre l’effroi.

En vain les gouvernements ont déployé contre l’invasion de ce fléau dévastateur tout l’appareil de leurs mesures préservatives; plus habile qu’eux, le monstre a tout déjoué , comme pour soutenir M. le docteur Chervin dans l’espèce de guerre à mort qu’il a déclaré aux cordons sanitaires.

C’est après avoir ravagé la Russie, l’héroïque Pologne, l’Autriche, la Prusse et l’Angleterre, que le choléra-morbus a fait sa funeste entrée dans la capitale de la France, pour envahir ensuite diverses contrées de ce grand empire. Que de journées de deuil ont lui sur Paris, depuis que ce foyer de la civilisation est en proie à la plus dévorante des épidémies! elle ne s’effacera jamais de notre mémoire, cette lugubre semaine, où la mortalité se multiplia tellement, qu’il fallut recourir à de nouveaux moyens de transport pour conduire les victimes à leur dernière demeure. On sait avec quelle foudroyante rapidité, pendant cette période, le poison cholérique entraîna souvent la terminaison funeste; alors aussi on pouvait dire des malades, immédiatement après qu’ils avaient été frappés: ils se meurent, ils sont morts!

Déjà de nombreux et bons ouvrages ont paru sur cette nouvelle peste, plus terrible encore que l’ancienne. M. Littré, dans un livre concis, mais bien plein, a enrichi notre littérature d’un précieux résumé des recherches des médecins anglais, russes et allemands .

Les diverses commissions françaises auxquelles fut confiée l’honorable mission d’aller étudier le choléra-morbus, soit en Russie, soit en Pologne, soit en Prusse, ont publié des rapports fort importants sur cette maladie .

Cependant, il restait encore une foule de questions qu’une profonde obscurité environnait, et, il faut bien le dire, au risque d’encourir le reproche de ne pas manquer d’orgueil national, le monde médical, avant de former son jugement, attendait, en quelque sorte, que Paris eût, d’après les lumières de sa propre expérience, prononcé en dernier ressort sur ces hautes et difficiles questions.

Toutefois, on s’écarterait de la vérité historique, si l’on soutenait qu’avant l’invasion de la capitale par le choléra, personne n’avait émis, chez nous, d’idée bien arrêtée et sur le siége et sur la nature du choléra-morbus. Sans doute, il ne fallait rien moins qu’un œil d’aigle pour atteindre, à travers la profondeur des nuages qui les enveloppaient encore, jusqu’à ces deux points capitaux de la maladie. Inspiré par cet esprit d’induction, par ce génie newtonien qui fait prévoir et prédire, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’avenir scientifique, un professeur illustre, M. Dupuytren, peu de temps avant que le choléra ne s’appesantît sur nous, avait deviné, avec une admirable et presque mathématique précision, non-seulement le siége, mais encore la nature de cette formidable maladie, en la ralliant, comme il le fit, à la classe des irritations sécrétoires de la membrane folliculeuse du système des voies digestives . (Voy. dans la thèse de Marandel, la belle division des diverses formes des irritations, par M. Dupuytren. )

Quoi qu’il en soit, depuis la trop longue durée du règne de cette épidémie, si tristement mémorable, il n’est presque aucun des médecins ou des chirurgiens des hôpitaux de Paris, qui n’ait rendu compte au public des résultats de ses recherches sur le choléra, et jamais maladie n’avait eu le privilége de faire autant gémir la presse médicale.

Il serait trop long de citer ici tous les médecins, qui, dans cette occasion, ont bien mérité de la science. Parmi eux, brille au premier rang l’immortel réformateur du Val-de-Grâce. Reconnaissance éternelle à M. le professeur Broussais, pour avoir popularisé des principes de thérapeutique opposés à ceux jusque-là généralement adoptés, et particulièrement pour avoir porté, d’une main vigoureuse et mâle, à la méthode des excitants intérieurs, un de ces coups mortels dont elle ne se relèvera pas! Plus récemmeut encore, notre honorable confrère, M. le docteur Roche, vient de prêter aux saines doctrines l’appui de son excellent esprit .

Le plus célèbre de nos physiologistes, M. le professeur Magendie, a soumis, avec l’ingénieuse pénétration qu’on lui connaît, plusieurs des phénomènes du choléra au creuset de la méthode expérimentale, et il nous a fait de l’état algide une analyse physiologique, que l’on ne saurait trop méditer .

M. Rayer s’est livré, à des travaux multipliés sur les divers points du choléra, et leur importance nous a paru trop grande pour ne pas en signaler les principaux résultats dans le cours de cet ouvrage. On connaît aussi les intéressantes recherches de M. Serres sur l’éruption intestinale que l’on trouve chez la plupart des individus qui succombént au choléra .

Parmi les internes des hôpitaux, cette fleur de la généreuse et forte génération médicale qui s’élève, plusieurs ont pris une part active au progrès de nos connaissances sur le choléra; leurs recherches ont été consignées dans divers journaux de médecine. Je signalerai ici celles de MM. Montant, De Laberge, Caffe et Voisin, publiées dans le Journal hebdomadaire de médecine. Des thèses remarquables ont été aussi soutenues sur le choléra-morbus à la Faculté de médecine: telles sont, entre autres, celles de MM. Nonat et Flandin.

Quelque précieux que soient les nombreux écrits qui ont jusqu’ici paru sur le choléra-morbus de Paris, il restait encore quelque chose à faire.

Il fallait une description plus large et plus complète de la maladie, et une discussion plus approfondie des principales méthodes thérapeutiques, qui lui ont été opposées. Il ne suffisait pas de décrire les symptômes et les lésions anatomiques: il était indispensable aussi de soumettre les uns et les autres à l’épreuve d’un raisonnement sévère, et de les forcer à nous révéler en quelque sorte l’espèce de maladie dont ils ne sont que la double expression physiologique et anatomique.

Ce n’était pas tout encore que d’exposer ainsi et de discuter les divers éléments du choléra-morbus, considéré d’une manière générale. Un traité sur cette maladie devait contenir un grand nombre d’observations particulières, qui seraient comme autant de pièces justificatives de la doctrine professée dans l’histoire générale du choléra-morbus.

C’est pour remplir, autant que me le permettaient mes faibles moyens, le but que je viens de signaler, que j’ai composé ce traité.

On n’y trouvera pas seulement une description raisonnée du choléra-morbus de Paris, mais cent deux observations détaillées, dont cinquante terminées par la mort, et cinquante-deux par la guérison.

Ces cent deux observations détaillées, jointes à douze autres, que nous n’avons pu qu’indiquer, constituent le total des cas qui se sont rencontrés dans mon service à l’hôpital de la Pitié, pendant le mois d’avril; elles ont été l’objet de diverses recherches de statistique comparée, que l’on trouvera dans le cours de cet ouvrage.

Depuis l’époque où j’ai commencé à résumer ainsi en une histoire générale du choléra, les faits que j’ai recueillis à l’hôpital de la Pitié, j’ai eu de nouvelles occasions d’en recueillir d’autres, soit en ville, soit à l’hôpital de la Charité où je suis maintenant chargé de professer la clinique. Ils n’ont eu d’autre résultat que de m’afïermir de plus en plus dans mes premières opinions.

C’est sur-tout: 1° Sous le point de vue de la masse de faits qu’il renferme, et par la manière dont ces faits ont été groupés; 2° sous le point de vue de l’ordre que j’ai suivi dans la description générale à laquelle ces faits ont servi de fondement; 3° sous le point de vue des discussions dans lesquelles je suis entré pour établir, s’il était possible, la supériorité de la doctrine soutenue dans ce traité sur toutes celles proposées par divers auteurs; c’est, dis-je, sous ce triple point de vue, que mon ouvrage diffère de ceux qui ont été publiés jusqu’à ce jour.

On sent combien il était nécessaire, dans la position où je me trouve, d’appeler pour ainsi dire une nombreuse phalange de faits à mon secours. J’ai disposé ces faits de telle manière, que la description générale se trouve placée entre les deux grandes divisions suivant lesquelles je les ai comme rangés en bataille. Ils constituent, si j’ose me servir de cette comparaison, une sorte de bataillon carré, destiné à protéger la théorie qui se trouve développée dans la description générale.

Certes, je ne me flatte pas de l’idée que la théorie dont il s’agit sera tellement bien protégée par le rempart de faits qui l’environnent de toutes parts, qu’elle ne puisse recevoir aucune atteinte. Mais j’espère que la plupart des attaques qui seront dirigées contre elle, seront victorieusement repoussées par les faits, et que les coups qui lui seront portés, la trouveront invulnérable dans sa partie fondamentale, et pour ainsi dire vitale.

Au reste, ou je me trompe fort, ou cet ouvrage n’aura pas seulement à essuyer la rude épreuve d’une critique dictée par la plus froide impartialité ; mais il sera aussi jugé par quelques-uns à travers ce prisme de l’esprit de parti qui dénature toutes les pensées, travestit, jusqu’au ridicule, les opinions les plus conformes à l’observation, et va jusqu’ à créer des idées erronées ou même absurdes, là où il a le malheur de n’en pas rencontrer. Il faut savoir se résigner à des jugements aussi peu équitables, et n’en pas moins rendre justice pleine et entière à ceux qui nous les appliquent. Contentons-nous d’en appeler au tribunal suprême de ce dieu de l’opinion publique dont relèvent les critiques eux-mêmes.

On sait assez, d’un autre côté, combien est laborieux l’enfantement des plus simples vérités. Il ne faut pas espérer que celles relatives au choléra-morbus feront une heureuse exception à cette règle. Ce qui doit nous consoler, c’est que ce galant homme qu’on appelle le temps, est le plus fidèle allié des amis de la vérité, et qu’il finit toujours par leur assurer la victoire, pourvu toutefois que le principal instrument dont il se sert, le glaive de la liberté de la presse, ne lui soit pas ravi.

Puissent donc triompher les doctrines fondamentales dont ce traité, fier en quelque sorte des faits sur lesquels il repose, s’est constitué le défenseur! Mais si, par une destinée que je ne puis prévoir, les doctrines dont il s’agit venaient à succomber, l’ouvrage que je publie pourrait toujours être consulté avec quelque fruit sous le rapport des faits qu’il contient et dont, j’ose le dire, l’exactitude est à toute épreuve. J’ajouterai même, qu’à moins d’avoir affaire à des critiques d’une implacable sévérité, qui eux aussi ne savent pas pardonner, cette partie de l’ouvrage devra obtenir grâce pour l’autre.

Si le service clinique auquel cet ouvrage fera réellement assister les lecteurs, déposait contre les doctrines de l’auteur, j’aurais ainsi fourni des armes contre moi-même, sans le savoir, ni le vouloir, je l’avoue; mais j’affirme qu’en supposant que les observations dussent trahir en quelque sorte la doctrine dont je les considère comme les plus fermes soutiens, je me féliciterais encore de les avoir publiées. Depuis quand, en effet, celui qui porte avec honneur le beau titre de médecin, ne doit-il pas sacrifier au triomphe de la vérité tout ce qu’il a de plus cher, y compris son amour-propre?

Si ce traité n’est pas meilleur, il ne faut en accuser que la faiblesse de mes moyens. En effet, sous le rapport des fatigues et des veilles, je n’ai rien négligé pour qu’il ne fût pas tout-à-fait indigne du public. Je fais des vœux sincères pour qu’une plus riche offrande soit déposée dans ce tronc de la science où je n’apporte qu’un denier.

Terminons cette préface par l’exposition du plan sur lequel cet ouvrage a été composé.

Il est formé de trois parties.

La première partie comprend les observations particulières dans lesquelles le choléra s’est terminé par la mort. Elle se compose de deux sections, l’une relative aux cas de choléra simple, l’antre contenant les cas de choléra compliqué. Chacune de ses sections est partagée en diverses catégories. Dans les cas de la première catégorie de la première section, la mort est survenue dans l’espace de vingt-quatre heures au plus, après l’entrée des malades; les cas dans lesquels la mort a eu lieu après un laps de temps un peu plus long, mais sans apparition de l’état typhoïde, appartiennent à la seconde catégorie; et la troisième enfin est affectée aux cas dans lesquels la mort est arrivée pendant la période typhoïde.

Les trois catégories de la seconde section, comprennent les cas de complication de choléra, avec une lésion quelconque: 1° des organes de la cavité abdominale, 2° de ceux de la cavité pectorale, 3° enfin de ceux de la cavité céphalique.

La seconde partie est consacrée à l’histoire générale du choléra. Elle comprend sept sections, dans lesquelles on étudie successivement: 1° les causes du choléra et son mode de propagation; 2° ses symptômes; 3° ses caractères anatomiques.; 4° sa nature; 5° son mode de début, sa durée, sa terminaison; 6° son traitement; 7° sa mortalité et son pronostic, d’après des recherches de statistique comparée. Chacune de ses sections est divisée en autant de chapitres et d’articles qu’il en a fallu pour disposer toutes les matières dans l’ordre qui m’a paru le plus lumineux.

La troisième et dernière partie est réservée aux observations dans lesquelles le choléra s’est terminé par la guérison.

Trois sections comprennent ces observations qui sont au nombre de cinquante-deux.

La première est relative aux cas de choléra grave ( algide, asphyxique ou cyanique ); la seconde, aux cas de choléra d’intensité moyenne, et la troisième enfin, à cinq cas où il n’existait réellement pas de choléra, bien que les malades fussent inscrits comme atteints de cette maladie sur les registres de l’hôpital.

La première section comprend deux catégories: dans la première, se trouvent les cholériques qui ont guéri pendant la période algide; ceux qui ont guéri dans la période typhoïde, sont l’objet de la seconde catégorie.

Si, tel qu’il est, cet ouvrage concourt pour quelque chose aux progrès de nos connaissances sur la maladie qui en fait le sujet, j’aurai reçu la plus douce de toutes les récompenses.

Paris, ce 4 Août 1832.

Traité pratique, théorique et statistique du choléra-morbus de Paris

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