Читать книгу Dictionnaire du Patois du Pays de Bray - Jean-Eugène Decorde - Страница 4

Liberté, égalité, fraternité

Оглавление

Table des matières

Jacques.—Ah! Boujou, Mousieu Esprit...

Le citoyen Esprit.—Ne m'appelle donc pas Monsieur; ce titre aristocratique est aboli et remplacé par le mot égalitaire de citoyen.

Jacques.—Ah! chest cha; j'comprends pas, mais chest tout d'même.

Le citoyen Esprit.—Tu es si bête!

Jacques.—Ah! par exemple, cha pourrait ben être vrai; car tout l'monde me l'dit. Mais en attendant, j'voudrais ben saver qué qu'veulent dire chés trois mots Libertai, Égalitai, Fraternitai, quo vait tout partout; o dirait que l'zimprimeux n'peuvent plus rien écrire sans mette chés mots-là.

Le citoyen Esprit.—Tu ne comprends pas cela?

Jacques.—Ma foi, non.

Le citoyen Esprit.—Liberté!!! mot divin qui fait battre tous les cœurs, quand on le prononce...

Jacques.—Ah! bah! l'mien des cœurs n'bat pas du tout.

Le citoyen Esprit.—C'est une manière de parler.

Jacques.—Chest-à-dire qu'cha n'signifie rien.

Le citoyen Esprit.—C'est-à-dire que tu es un imbécille.

Jacques.—Os me l'avez déjà dit, Mousieu citoyen.

Le citoyen Esprit.—Comment pourrais-tu en effet comprendre la liberté, toi qui as été toute ta vie esclave et malheureux.

Jacques.—Ma foi, pas core trop.

Le citoyen Esprit.—Écoute, Jacques, et tâche de comprendre.

Jacques.—J'vo z'écoute des yeux et des oreilles.

Le citoyen Esprit.—Par le mot liberté, on entend que chacun est libre de faire ce qui lui plaît.

Jacques.—Tout c'qui li plaît?

Le citoyen Esprit.—Tout!

Jacques.—Absolument tout?

Le citoyen Esprit.—Oui.

Jacques.—Y a ti longtemps, cha?

Le citoyen Esprit.—Depuis le 24 février, l'an 59 de la liberté.

Jacques.—Et moi qui ne l'savait point core! Faut que j'sais rudement béte!

Le citoyen Esprit.—Je ne dis pas non.

Jacques.—Mais, comment qu'man maîte n'me l'a pas dit?

Le citoyen Esprit.—Nigaud, est-ce qu'il n'est pas intéressé à te laisser dans l'ignorance?

Jacques.—Chest vrai! ben asteu, chest ben fini; quand y m'dira d'batte du blai, j'battrai d'l'aveine; quand y m'dira d'vaner de l'orge, j'ferai des guerbées; quand y m'dira de monter l'grain au grenier, j'irai m'mette à table; puis plutot j'li dirai que j'veux ête maîte chacun note semaine... Asteu, j'voudrais bien saver quoique chest qu'l'égalitai.

Le citoyen Esprit.—Cela signifie qu'il n'y a aucune différence entre les hommes, et qu'ils sont tous égaux.

Jacques.—Mais chest pas vrai, cha.

Le citoyen Esprit.—Comment, ce n'est pas vrai?

Jacques.—Non! Est-ce que j'sis l'égal de man maîte?

Le citoyen Esprit.—Sans doute.

Jacques.—Ah! cha mais!... comment s'y prendre? Man maîte qu'a six pouces plus qu'mai.

Le citoyen Esprit.—On le rognera.

Jacques.—Par queu bout?

Le citoyen Esprit.—Par la tête.

Jacques.—Diable! mais... puis, Nicolas, li qu'est trois pouces plus p'tit qu'mai; est-ce qu'on me rognera itou par la tête?

Le citoyen Esprit.—Mon pauvre Jacques, tu ne comprends donc rien; quand on dit que nous sommes égaux, on veut dire que nous avons tous les mêmes droits et les mêmes avantages.

Jacques.—Chest-à-dire que j'pourrais mette l'zhabits de man maîte, manger san dinner, monter sur san bidet?

Le citoyen Esprit.—Certes, tous les biens sont communs.

Jacques.—Mais les propriétaires?

Le citoyen Esprit.—Il n'y a plus de propriétaires: la propriété, c'est le vol.

Jacques.—Tiens! je l'aurais jamais cru.... Man maîte qui passe pour si honnête homme dans le pays! Mais y va me renvéyer, pétète, quand j'l'y demanderai l'exécution d'l'égalitai.

Le citoyen Esprit.—Ne crains rien.

Jacques.—Pourquoi?

Le citoyen Esprit.—Parce qu'il ne saurait trouver un autre domestique aussi bête que toi.

Jacques.—Chest ben possible... Puis c'té fraternitai, elle, qué qu'chest?

Le citoyen Esprit.—Cela veut dire que nous sommes tous frères.

Jacques.—Ah! cha, du coup, chest une bêtise; car, quand ma mère, qui n'vient plus d'pis qu'al est morte, venait m'ver, a m'embrachait toujou; puis a disait: Boujou, man fieu! Mais a n'embrachait pas man maîte; au contraire, a faisait une révérence, puis disait: Boujou, maîte Pierre! mais a n'y disait jamais: Boujou man fieu, ni boujou man frère! Cha fait ben ver qu'a n'était pas sa sœur et qu'il n'est pas man frère.

Le citoyen Esprit.—Il ne s'agit ici ni de père ni de mère.

Jacques.—Chest vrai, y sont morts tous deux.

Le citoyen Esprit.—Tu ne comprends pas. Il n'y a plus ni père ni mère pour personne; nous sommes tous enfants de la nature.

Jacques.—De la nature? Connais pas! J'avais toujou cru qu'j'étais l'fieu d'ma mère qu'est morte, pauve fame.

Le citoyen Esprit.—Pauvre Jacques! quel dommage qu'on ait paralysé l'action des clubs! je t'aurais fait admettre pour t'initier aux grands principes....

Jacques.—Pardon! excuse! Mousieu citoyen, maîte Pierre m'crie pour manger la soupe.

Le citoyen Esprit.—Mais j'aurais un petit service à te demander.

Jacques.—Jé pas l'temps; cha sera pour une aute fais.

Un Flaneur Brayon.

Nous terminerons cette introduction par quelques proverbes et dictons populaires, auxquels nous joindrons un court exposé des croyances et usages du pays.

Dictionnaire du Patois du Pays de Bray

Подняться наверх