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ОглавлениеLES PREMIERS HABITANTS DE NOTRE PAYS.
Notre pays, qui s’est appelé la Gaule, avant de s’appeler la France, n’avait pas encore de nom dans ce temps-là.
Ce n’était qu’une grande forêt dans laquelle vivaient des troupes d’éléphants, des rhinocéros et des hippopotames, des bandes de hyènes, des ours gigantesques, des espèces de lions et de tigres de la taille de nos vaches, des bœufs énormes, des rennes, des cerfs dont les bois étaient larges de dix pieds. Nous savons cela parce qu’on a retrouvé les ossements de ces anciens animaux dans la terre, dans les tourbières, et dans les fentes des rochers où les eaux courantes les ont apportés, il y a bien des milliers d’années.
Voilà donc quels ont été les premiers habitants du sol français. Les ours et les éléphants en ont été les maîtres avant nous, et nous aurions tort de nous en trouver humiliés: tous les pays de la terre en sont là.
Il y avait pourtant déjà des hommes ici, à l’époque du règne de ces ours et de ces éléphants. Nous le savons aussi parce qu’on a retrouvé des ossements humains enfouis pêle-mêle avec ceux de ces grandes bêtes. On en a retrouvé bien peu, par exemple, si peu que des savants, à qui cela déplaisait qu’il y eût eu des hommes à cette époque-là, se sont cru permis, en leur qualité de savants, de dire aux crânes et aux mâchoires qu’on leur présentait qu’ils étaient des menteurs. Une chose paraît prouvée dans tout cela, c’est que les hommes qui ont pu chasser l’éléphant entre les Alpes et les Pyrénées étaient peu nombreux et bien inférieurs aux races qui sont venues ensuite. Les sauvages, qui vont encore tout nus dans certaines parties du monde, peuvent vous en donner une idée.
Vous pensez bien qu’on ne devait pas tourmenter beaucoup les enfants dans la vieille forêt pour leur faire apprendre à lire et à écrire, et que les hommes qui la disputaient aux animaux ne nous auront pas laissé d’histoire écrite. Ils nous ont laissé en revanche les armes et les outils qu’ils se fabriquaient avec des os et des pierres, en particulier avec ces pierres à battre le briquet qui se rencontrent dans la craie et qu’on nomme des silex. Ils s’en faisaient des couteaux, des haches, des pointes de dards, dont la présence dans certaines cavernes de la Belgique et du midi de la France, où ils sont mêlés aux débris des anciens animaux, est une preuve certaine que ces animaux ont vécu là en même temps que l’homme.
C’est un Français, M. Boucher de Perthes, qui, le premier, s’est avisé, il y aura bientôt une cinquantaine d’années, de ramasser ces cailloux travaillés auxquels personne ne faisait attention. Ce sont les témoins d’un âge perdu, qu’on a baptisé du nom d’âge de pierre, et qui nous fait remonter bien au delà de ce qu’on appelle l’histoire ancienne. L’antiquité des pyramides d’Égypte, qui comptent de six à sept mille ans, est peu de chose en comparaison de celle de la couche de terrain, aux environs d’Abbeville, dans laquelle M. Boucher de Perthes a trouvé ces haches de pierre. Or, à l’époque de la formation de ce terrain, il y avait bien certainement des hommes en Picardie, puisqu’il contient des haches et que les animaux n’en font pas.
L’AGE DE PIERRE.
Entre les hommes sans histoire qui ont fabriqué les vieilles haches en silex de. la Picardie, et les Gaulois, nos premiers ancêtres historiques, il s’est écoulé certainement des milliers d’années, et pendant ce temps-là que de choses ont dû se passer dans notre pays, dont nous ne saurons jamais rien!
Nous en avons pourtant découvert déjà quelques-unes.
Nous savons, par exemple, que l’industrie de l’âge de pierre a eu ses perfectionnements, comme la nôtre. Après les haches taillées grossièrement, par éclats enlevés à petits coups, comme celles du terrain d’Abbeville, sont venues les pierres polies par le frottement, à beau tranchant régulier, qui se rencontrent dans des couches moins anciennes. Une race de sauvages qui a vécu dans le Périgord et le long des Pyrénées, avec le renne et le rhinocéros, avait déjà ses artistes, et nous a laissé des bois de renne sculptés, d’autres avec des dessins d’animaux très reconnaissables, des objets de parure, des aiguilles en bois de renne assez semblables à celles dont les Lapons se servaient encore au siècle dernier. A la petitesse des manches d’armes et d’outils trouvés dans les cavernes que cette race habitait, on a cru pouvoir juger de sa taille, et quelques-uns même ont eu l’idée que nos Lapons, de tout petits hommes, comme vous savez, pourraient bien être les derniers représentants de ces anciens possesseurs du sol français, refoulés à la longue dans les régions polaires par les races plus vigoureuses qui les auront chassés devant elles. C’est ainsi que l’ours, le prédécesseur de l’homme sur notre terre, a fini par être acculé, d’âge en âge, aux sommets glacés des Alpes et des Pyrénées, avec le chamois et le bouquetin, répandus autrefois comme lui partout dans la forêt primitive.
Les Lapons ont une tradition qui viendrait à l’appui de cette idée. Ils racontent que leurs pères, il y a bien longtemps, formaient une nation puissante qui promenait au loin ses troupeaux de rennes, et, à propos de rennes, j’ai à vous apprendre de cette vieille époque quelque chose de bien curieux, dont vous ne vous seriez jamais douté.
Le renne est un habitant des pays froids, qui ne supporterait pas la température du Périgord et des régions pyrénéennes, si on l’y transportait aujourd’hui. Or, il paraît tout à fait prouvé qu’il y a eu un temps où la température de notre pays, comme au surplus celle de toute l’Europe, était bien plus froide que maintenant. Un immense glacier, pour ne vous citer que celui-là, ensevelissait alors sous un épais manteau de neige durcie toute la Suisse française d’à présent. Les blocs de granit qu’il a charriés des flancs des Alpes sur ceux du Jura, à trente lieues et plus, de distance, les roches qu’il a rabotées sur son passage et qui portent encore ses marques, pareilles à celles que les glaciers actuels laissent sur les roches contre lesquelles ils frottent, les amas de terre et de pierres rayées par le frottement, traces certaines du séjour d’un glacier, dont il a semé son ancien parcours, suffisent à nous révéler son existence qui ne peut plus guère être mise en doute.
Fait-il partie de l’histoire humaine dans notre pays, ou, si vous l’aimez mieux, l’homme l’a-t-il vu?
La présence du renne, en compagnie de l’homme, dans les vallées de la Dordogne et de la Garonne, attestée par les nombreux produits d’industrie humaine dont il a fourni la matière première, semblerait prouver que cette période de froid, dont je n’ose pas essayer avec vous l’explication, n’est pas antérieure à l’homme, et qu’il était là quand on avait chez nous le climat de la Suède d’aujourd’hui.
Peut-être bien aura-t-il pu voir aussi les colonnes de flammes qu’ont vomies jadis nos volcans d’Auvergne dont les cratères sont si bien conservés, avec leurs coulées de laves et leurs monticules de cendres et de scories, qu’ils semblent éteints d’hier. Dix mille ans, sachez-le bien, c’est hier poar les événements de ce genre-là. Tout cela, comme ce grand lac qui allait autrefois de Bâle à Mayence, et dans les dépôts duquel on a trouvé des débris humains, mêlés à des ossements d’éléphants, tout cela se rattache à la vieille histoire de notre pays avant les Francs, une histoire dont on commence seulement à déchiffrer les premières pages, et qui finira, j’en suis certain, par se faire une belle place dans nos annales. Elle a duré assez longtemps pour mériter qu’on s’y arrête.
RENNES.