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Jean Racine
ANDROMAQUE
Première préface

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Virgile au troisième livre de l’Énéide (c’est Énée qui parle) :


Littoraque Epiri legimus, portuque subimus

Chaonio, et celsam Buthroti ascendimus urbem…

Solemnes tum forte dapes et tristia dona…

Libabat cineri Andromache, Manesque vocabat

Hectoreum ad tumulum, viridi quem cespite inanem,

Et geminas, causam lacrymis, sacraverat aras…

Dejecit vultum, et demissa voce locuta est :

« Ô felix una ante alias Priameïa virgo,

Hostilem ad tumulum, Trojae sub mœnibus altis,

Jussa mori, quae sortitus non pertulit ullos,

Nec victoris heri tetigit captiva cubile !

Nos, patria incensa, diversa per aequora vectae,

Stirpis Achilleae fastus, juvenemque superbum,

Servitio enixae, tulimus, qui deinde secutus

Ledaeam Hermionem, Lacedaemoniosque hymenaeos…

Ast illum, ereptae magno inflammatus amore

Conjugis, et scelerum Furiis agitatus, Orestes

Excipit incautum, patriasque obtruncat ad aras ».


Voilà, en peu de vers, tout le sujet de cette tragédie. Voilà le lieu de la scène, l’action qui s’y passe, les quatre principaux acteurs, et même leurs caractères, excepté celui d’Hermione dont la jalousie et les emportements sont assez marqués dans l’Andromaque d’Euripide.

Mais véritablement mes personnages sont si fameux dans l’antiquité, que, pour peu qu’on la connaisse, on verra fort bien que je les ai rendus tels que les anciens poètes nous les ont donnés. Aussi n’ai-je pas pensé qu’il me fût permis de rien changer à leurs mœurs. Toute la liberté que j’ai prise, ç’a été d’adoucir un peu la férocité de Pyrrhus, que Sénèque, dans sa Troade, et Virgile, dans le second livre de l’Énéide, ont poussée beaucoup plus loin que je n’ai cru le devoir faire.

Encore s’est-il trouvé des gens qui se sont plaints qu’il s’emportât contre Andromaque, et qu’il voulût épouser une captive à quelque prix que ce fût. J’avoue qu’il n’est pas assez résigné à la volonté de sa maîtresse, et que Céladon a mieux connu que lui le parfait amour. Mais que faire ? Pyrrhus n’avait pas lu nos romans. Il était violent de son naturel, et tous les héros ne sont pas faits pour être des Céladons.

Quoi qu’il en soit, le public m’a été trop favorable pour m’embarrasser du chagrin particulier de deux ou trois personnes qui voudraient qu’on réformât tous les héros de l’antiquité pour en faire des héros parfaits. Je trouve leur intention fort bonne de vouloir qu’on ne mette sur la scène que des hommes impeccables mais je les prie de se souvenir que ce n’est point à moi de changer les règles du théâtre. Horace nous recommande de peindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu’il était, et tel qu’on dépeint son fils. Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c’est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu’ils soient extrêmement bons, parce que la punition d’un homme de bien exciterait plus l’indignation que la pitié du spectateur ; ni qu’ils soient méchants avec excès, parce qu’on n’a point pitié d’un scélérat. Il faut donc qu’ils aient une bonté médiocre, c’est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester.

Andromaque

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