Читать книгу Le Robinson suisse ou Histoire d'une famille suisse naufragée - Johann David Wyss - Страница 8

Tempête.—Naufrage.—Corsets natatoires.—Bateau de cuves.

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La tempête durait depuis six mortels jours, et, le septième, sa violence, au lieu de diminuer, semblait augmenter encore. Elle nous avait jetés vers le S.-O., si loin de notre route, que personne ne savait où nous nous trouvions. Les passagers, les matelots, les officiers étaient sans courage et sans force; les mâts, brisés, étaient tombés par-dessus le bord; le vaisseau, désemparé, ne manœuvrait plus, et les vagues irritées le poussaient ça et là. Les matelots se répandaient en longues prières et offraient au Ciel des vœux ardents; tout le monde était du reste dans la consternation, et ne s'occupait que des moyens de sauver ses jours.

«Enfants, dis-je à mes quatre fils effrayés et en pleurs, Dieu peut nous empêcher de périr s'il le veut; autrement soumettons-nous à sa volonté; car nous nous reverrons dans le ciel, où nous ne serons plus jamais séparés.»

Cependant ma courageuse femme essuyait une larme, et, plus tranquille que les enfants, qui se pressaient autour d'elle, elle s'efforçait de les rassurer, tandis que mon cœur, à moi, se brisait à l'idée du danger qui menaçait ces êtres bien-aimés. Nous tombâmes enfin tous à genoux, et les paroles échappées à mes enfants me prouvèrent qu'ils savaient aussi prier, et puiser le courage dans leurs prières. Je remarquai que Fritz demandait au Seigneur de sauver les jours de ses chers parents et de ses frères, sans parler de lui-même.

Cette occupation nous fit oublier pendant quelque temps le danger qui nous menaçait, et je sentis mon cœur se rassurer un peu à la vue de toutes ces petites têtes religieusement inclinées. Soudain nous entendîmes, au milieu du bruit des vagues, une voix crier: «Terre! terre!» et au même instant nous éprouvâmes un choc si violent, que nous en fûmes tous renversés, et que nous crûmes le navire en pièces; un craquement se fit entendre; nous avions touché. Aussitôt une voix que je reconnus pour celle du capitaine cria: «Nous sommes perdus! Mettez les chaloupes en mer!» Mon cœur frémit à ces funestes mots: Nous sommes perdus! Je résolus cependant de monter sur le pont, pour voir si nous n'avions plus rien à espérer. À peine y mettais-je le pied qu'une énorme vague le balaya et me renversa sans connaissance contre le mât. Lorsque je revins à moi, je vis le dernier de nos matelots sauter dans la chaloupe, et les embarcations les plus légères, pleines de monde, s'éloigner du navire. Je criai, je les suppliai de me recevoir, moi et les miens.... Le mugissement de la tempête les empêcha d'entendre ma voix, ou la fureur des vagues de venir nous chercher. Au milieu de mon désespoir, je remarquai cependant avec un sentiment de bonheur que l'eau ne pouvait atteindre jusqu'à la cabine que mes bien-aimés occupaient au-dessous de la chambre du capitaine; et, en regardant bien attentivement vers le S., je crus apercevoir par intervalles une terre qui, malgré son aspect sauvage, devint l'objet de tous mes vœux.

Je me hâtai donc de retourner vers ma famille; et, affectant un air de sécurité, j'annonçai que l'eau ne pouvait nous atteindre, et qu'au jour nous trouverions sans doute un moyen de gagner la terre. Cette nouvelle fut pour mes enfants un baume consolateur, et ils se tranquillisèrent bien vite. Ma femme, plus habituée à pénétrer ma pensée, ne prit pas le change; un signe de ma part lui avait fait comprendre notre abandon. Mais je sentis mon courage renaître en voyant que sa confiance en Dieu n'était point ébranlée; elle nous engagea à prendre quelque nourriture. Nous y consentîmes volontiers; et après ce petit repas les enfants s'endormirent, excepté Fritz, qui vint à moi et me dit: «J'ai pensé, mon père, que nous devrions faire, pour ma mère et mes frères, des corsets natatoires qui pussent les soutenir sur l'eau, et dont vous et moi n'avons nul besoin, car nous pouvons nager aisément jusqu'à la côte.» J'approuvai cette idée, et résolus de la mettre à profit. Nous cherchâmes partout dans la chambre de petits barils et des vases capables de soutenir le corps d'un homme. Nous les attachâmes ensuite solidement deux à deux, et nous les passâmes sous les bras de chacun de nous; puis nous étant munis de couteaux, de ficelles, de briquets et d'autres ustensiles de première nécessité, nous passâmes le reste de la nuit dans l'angoisse, craignant de voir le vaisseau s'entr'ouvrir à chaque instant. Fritz, cependant, s'endormit épuisé de fatigue.

L'aurore vint enfin nous rassurer un peu, en ramenant le calme sur les flots; je consolai mes enfants, épouvantés de leur abandon, et je les engageai à se mettre à la besogne pour tâcher de se sauver eux-mêmes. Nous nous dispersâmes alors dans le navire pour chercher ce que nous trouverions de plus utile. Fritz apporta deux fusils, de la poudre, du plomb et des balles; Ernest, des clous, des tenailles et des outils de charpentier; le petit Franz, une ligne et des hameçons. Je les félicitai tous trois de leur découverte.» Mais, dis-je à Jack, qui m'avait amené deux énormes dogues, quant à toi, que veux-tu que nous fassions de ta trouvaille?

—Bon, répondit-il, nous les ferons chasser quand nous serons à terre.

—Et comment y aller, petit étourdi? lui dis-je.

—Comment aller à terre? Dans des cuves, comme je le faisais sur l'étang à notre campagne.»

Cette idée fut pour moi un trait de lumière, je descendis dans la cale où j'avais vu des tonneaux; et, avec l'aide de mes fils, je les amenai sur le pont, quoiqu'ils fussent à demi submergés. Alors nous commençâmes avec le marteau, la scie, la hache et tous les instruments dont nous pouvions disposer, à les couper en deux, et je ne m'arrêtai que quand nous eûmes obtenu huit cuves de grandeur à peu près égale. Nous les regardions avec orgueil; ma femme seule ne partageait pas notre enthousiasme.

«Jamais, dit-elle, je ne consentirai à monter là dedans pour me risquer sur l'eau.

—Ne sois pas si prompte, chère femme, lui dis-je, et attends, pour juger mon ouvrage, qu'il soit achevé.»

Je pris alors une planche longue et flexible, sur laquelle j'assujettis mes huit cuves; deux autres planches furent jointes à la première, et, après des fatigues inouïes, je parvins à obtenir une sorte de bateau étroit et divisé en huit compartiments, dont la quille était formée par le simple prolongement des planches qui avaient servi à lier les cuves entre elles. J'avais ainsi une embarcation capable de nous porter sur une mer tranquille et pour une courte traversée; mais cette construction, toute frêle qu'elle était, se trouvait encore d'un poids trop au-dessus de nos forces pour que nous pussions la mettre à flot. Je demandai alors un cric, et, Fritz en ayant trouvé un, je l'appliquai à une des extrémités de mon canot, que je commençai à soulever, tandis que mes fils glissaient des rouleaux par-dessous. Mes enfants, Ernest surtout, étaient dans l'admiration en voyant les effets puissants de cette simple machine, dont je leur expliquai le mécanisme sans discontinuer mon ouvrage. Jack, l'étourdi, remarqua pourtant que le cric allait bien lentement.

«Mieux vaut lentement que pas du tout,» répondis-je.

Notre embarcation toucha enfin le bord et descendit dans l'eau, retenue près du navire par des câbles; mais elle tourna soudain et pencha tellement de côté que pas un de nous ne fut assez hardi pour y descendre.

Je me désespérais, quand il me vint à l'esprit que le lest seul manquait; je me hâtai de jeter au fond des cuves tous les objets pesants que le hasard plaça sous ma main, et, peu à peu, en effet, le bateau se redressa et se maintint en équilibre. Mes fils alors poussèrent des cris de joie, et se disputèrent à qui descendrait le premier. Craignant que leurs mouvements ne vinssent à déplacer le lest qui maintenait le radeau, je voulus y suppléer en établissant aux deux extrémités un balancier pareil à celui que je me souvenais d'avoir vu employer par quelques peuplades sauvages; je choisis à cet effet deux morceaux de vergue assez longs; je les fixai par une cheville de bois, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière du bateau, et aux deux extrémités j'attachai deux tonnes vides qui devaient naturellement se faire contre-poids.

Il ne restait plus qu'à sortir des débris et à rendre le passage libre. Des coups de hache donnés à propos à droite et à gauche eurent bientôt fait l'affaire. Mais le jour s'était écoulé au milieu de nos travaux, et il était maintenant impossible de pouvoir gagner la terre avant la nuit. Nous résolûmes donc de rester encore jusqu'au lendemain sur le navire, et nous nous mîmes à table avec d'autant plus de plaisir, qu'occupés de notre important travail, nous avions à peine pris dans toute la journée un verre de vin et un morceau de biscuit. Avant de nous livrer au sommeil, je recommandai à mes enfants de s'attacher leurs corsets natatoires, pour le cas où le navire viendrait à sombrer, et je conseillai à ma femme de prendre les mêmes précautions. Nous goûtâmes ensuite un repos bien mérité par le travail de la journée.

Le Robinson suisse ou Histoire d'une famille suisse naufragée

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