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21 juin.

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Je coule des jours aussi heureux que ceux que Dieu réserve à ses élus ; quelque chose qui m’arrive désormais, je ne pourrai pas dire que je n’ai pas connu le bonheur, le bonheur le plus pur de la vie. Tu connais mon Wahlheim, j’y suis entièrement établi ; de là je n’ai qu’une demi-lieue jusqu’à Charlotte ; là je me sens moi-même, je jouis de toute la félicité qui a été donnée à l’homme.

L’aurais-je pensé, quand je prenais ce Wahlheim pour but de mes promenades, qu’il était si près du ciel ? Combien de fois, dans mes longues courses, tantôt du haut de la montagne, tantôt de la plaine au delà de la rivière, ai-je aperçu ce pavillon qui renferme aujourd’hui tous mes vœux !

Cher Wahlheim, j’ai réfléchi sur ce désir de l’homme de s’étendre, de faire de nouvelles découvertes, d’errer çà et là ; et aussi sur ce penchant intérieur à se restreindre volontairement, à se borner, à suivre l’ornière de l’habitude, sans plus s’inquiéter de ce qui est à droite et à gauche.

C’est singulier ! lorsque je vins ici, et que de la colline je contemplai cette belle vallée, comme je me sentis attiré de toutes parts ! Ici le petit bois… ah ! si tu pouvais t’enfoncer sous son ombrage !… Là une cime de montagne… ah ! si de là tu pouvais embrasser la vaste étendue !… Cette chaîne de collines et ces paisibles vallons… oh ! que ne puis-je m’y égarer ! J’y volais et je revenais sans avoir trouvé ce que je cherchais. Il en est de l’éloignement comme de l’avenir : un horizon immense, mystérieux, repose devant notre âme ; le sentiment s’y plonge comme notre œil, et nous aspirons à donner toute notre existence pour nous remplir avec délices d’un seul sentiment grand et majestueux. Nous courons, nous volons ; mais, hélas ! quand nous y sommes, quand le lointain est devenu proche, rien n’est changé, et nous nous retrouvons avec notre misère, avec nos étroites limites ; et de nouveau notre âme soupire après le bonheur qui vient de lui échapper.

Ainsi le plus turbulent vagabond soupire à la fin après sa patrie, et trouve dans sa cabane, auprès de sa femme, dans le cercle de ses enfants, dans les soins qu’il se donne pour leur nourriture, les délices qu’il cherchait vainement dans le vaste monde.

Lorsque, le matin, dès le lever du soleil, je me rends à mon cher Wahlheim ; que je cueille moi-même mes petits pois dans le jardin de mon hôtesse ; que je m’assieds pour les écosser en lisant Homère ; que je choisis un pot dans la petite cuisine ; que je coupe du beurre, mets mes pois au feu, les couvre, et m’assieds auprès pour les remuer de temps en temps, alors je sens vivement comment les fiers amants de Pénélope pouvaient tuer eux-mêmes, dépecer et faire rôtir les bœufs et les pourceaux. Il n’y a rien qui me remplisse d’un sentiment doux et vrai comme ces traits de la vie patriarcale, dont je puis sans affectation, grâce à Dieu, entrelacer ma vie.

Que je suis heureux d’avoir un cœur fait pour sentir la joie innocente et simple de l’homme qui met sur sa table le chou qu’il a lui-même élevé ! Il ne jouit pas seulement du chou, mais il se représente à la fois la belle matinée où il le planta, les délicieuses soirées où il l’arrosa, et le plaisir qu’il éprouvait chaque jour en le voyant croître.

Les Souffrances du jeune Werther (En lettres d'ancre)

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