Читать книгу Histoire de Kentucke, Nouvelle Colonie - John Filson - Страница 3
PRÉFACE DU TRADUCTEUR.
ОглавлениеIL n’y a personne, je pense, qui ne sente l’importance de la révolution qui vient de s’opérer en Amérique. Notre siecle, célebre en découvertes, sera à jamais mémorable par un événement unique dans l’Histoire, rétablissement d’une grande République, dans un Pays, qui, par son heureuse position, la richesse&la variété de ses productions, l’industrie&la sagesse de ses habitans, &plus que tout cela encore, par le systême de tolérance qui y regne,& la liberté dont l’homme y jouit, ne peut manquer de tenir un rang distingué parmi les États politiques de l’Europe,& d’intéresser tous les amis de l’humanité.
Il n’en est pas de cette République naissante, comme de ces anciennes Républiques, de Carthage&de Rome, les plus célebres que l’Histoire nous fasse connoître, qui ne parvinrent à ce degré de puissance&de grandeur, où on les vit s’élever, que successivement&en envahissant les terres de leurs voisins,&dont les Citoyens, à cette époque même, n’étoient encore que des guerriers à demi barbares, presque sans connoissance des Beaux-Arts&des Lettres. Les Anglo-Américains n’ont pris les armes, que pour se soutenir dans leur Patrie adoptive,&en fondant leur République, ils ont mis à contribution leurs propres lumieres& cesses des autres Nations, l’expérience de tous les âges,&celle de leur siecle. Tout à coup on a vu s’élever parmi eux, ou, pour mieux dire, on y voyoit déjà régner les arts&les sciences, l’industrie &les talens, les Manufactures&le Commerce. Que ne doit-on pas espérer d’un Peuple qui dès son enfance, pour ainsi dire, montre déjà la vigueur& l’énergie de la virilité?
Tout ce qui a rapport à cette naissante République, mérite sans doute l’attention du Philosophe observateur: hommes, animaux, plantes, les êtres même inanimés, tout est curieux&intéressant dans ce nouvel hémisphere, où la nature est dans toute sa force&comme dans sa fleur, malgré les assertions de quelques Auteurs célebres, qui ont prétendu que le regne animal, sans en excepter l’homme, ainsi que le végétal, y étoient dans une espece de dégénération,&fort inférieurs à ceux de l’ancien Continent.
Sous ce point de vue, j’ai cru qu’on verroit avec plaisir la traduction d’un Ouvrage sur une des Contrées les plus favorisées de ce nouveau Continent sur un Pays qui n’a voit été habité jusqu’à présent que par les Sauvages, ou les bêtes féroces,&qui, au milieu des fureurs de la derniere guerre, dont l’issue a été si heureuse pour l’Amérique, se peuploit d’hommes sages&laborieux; sur Kentucke, en un mot, dont le nom est à peine connu en Europe, mais qui ne tardera pas à exciter la curiosité des Voyageurs,&qui sera bientôt compté parmi les États de l’Amérique.
Kentucke est un vaste territoire, à l’ouest de la Virginie, borné en grande partie par l’Ohio, qu’on appelle autrement la belle Riviere,&qui lui apporte le tribut de ses eaux, dont le principal avantage est une communication facile avec toutes les parties de l’Amérique septentrionale. Son nom lui vient d’une des principales Rivieres qui l’arrosent, &qui est aussi connue sous le nom de Kuttawa. Peu de Voyageurs sont parvenus jusques-là; ceux qui ont remonté ou descendu l’Ohio, n’ont gueres vu que les parties arrosées par cette Riviere.
Notre Auteur a voulu connoître ce beau territoire, il s’est transporté sur les lieux; il les a parcourus en détail,& d’après ses propres observations,& celles de quelques Habitans, il a composé l’Ouvrage que j’annonce.
Il commence par la description topographique de Kentucke: il sait connoître les productions naturelles, le climat, le sol, le commerce,&autres objets relatifs: quoique cette partie laisse à desirer en plusieurs points; quoiqu’elle ne soit proprement qu’un essai sur la Topographie,&l’Histoire Naturelle de ce Pays, elle est néanmoins précieuse& intéressante. De-là, l’Auteur passe aux aventures du Colonel Boon, contenant une relation historique des guerres que les États-Unis ont eu à soutenir contre les Sauvages, dans ce même territoire que ces derniers avoient vendu,&dont ils avoient promis de se retirer. Car telle est la beauté, la fertilité, la douce température; tels sont les charmes de ce beau pays, que les Sauvages ne peuvent s’en éloigner,&qu’ils ne le quitteront qu’à regret, malgré tous les traités&les conventions. On ne doit pas en être surpris: attachés à la terre qui les a vu naître, qui leur fournit abondamment à leurs besoins, qui, enfin, est pour eux une véritable mere, ces peuples, que nous nommons Sauvages, aiment cette terre comme leur patrie, &ils regrettent de l’avoir cédée à des étrangers. Tout récemment encore ils viennent de faire de nouvelles incursions, principalement aux environs de l’Ohio. Si cette conduite des Sauvages n’est pas juste, au moins elle est bien pardonnable. En effet, il ne faut que jetter les yeux sur la Carte de Kentucke, pour se convaincre qu’il n’y a peut-être pas de contrée plus favorisée de la nature: qu’on se figure un vaste terrain, coupé par une infinité de rivieres&de ruisseaux de différentes grandeurs, qui arrosent une terre fertile de sa nature, où croissent sans culture diverses plantes utiles,&plusieurs sortes d’arbres chargés de fruits: qu’on se représente de jolis coteaux couverts de verdure, ou ombragés par le faîte orgueilleux d’arbres qui percent les nues: qu’on joigne à tout cela la douceur du climat, dont la température est telle, qu’à peine y connoit-on trois mois d’un hiver assez doux, l’on aura une foible idée de ce fortuné territoire, &l’on avouera que ces pauvres Sauvages n’ont pas tort de le regretter.
Cette relation du Colonel Boon, faite avec cette simplicité&cette candeur qui annoncent la vérité,&lui prêtent de nouveaux charmes, est intéressante,& peut donner matiere à réflexions. Le Lecteur ne peut s’empêcher de s’intéresser vivement à la situation d’un homme abandonné seul au milieu d’un vaste désert, à une distance très-grande de tout établissement, n’ayant pour compagnon de ses malheurs, pour témoin&pour confident de ses peines, que les hôtes féroces des bois, dont les hurlemens continuels troubloient seuls le silence&l’horreur de ces sauvages lieux, rendus plus terribles encore par la présence des Sauvages, entre les mains desquels il pouvoit tomber à tout moment. Telle fut la situation du Colonel Boon pendant trois mois qu’il demeura privé de toute société humaine.
A ces détails géographiques&historiques, l’Auteur a ajouté d’autres morceaux non moins curieux; l’assemblée des Sauvages Piankashaws,&des réflexions sur les Indiens. Par le premier, il nous donne une idée de l’éloquence des Sauvages; dans le second, il nous fait connoître leurs mœurs, leurs coutumes, leur génie,&c. matiere intéressante pour le Philosophe qui veut méditer sur l’homme.
Tels sont les objets que notre Auteur a traités,&tel est l’Ouvrage dont je présente la traduction au Public, persuadé qu’il mérite quelqu’attention de sa part.
J’ai annoncé dans une note, page70, une Introduction, ou je comptois rassembler quelques morceaux, qui ont un rapport plus ou moins direct à l’histoire de Kentucke; mais j’ai préféré de les rejetter à la fin, comme à leur véritable place;&c’est ce que l’on trouve sous l’article d’Additions. Le premier&le plus important, est une Déclaration& une Ordonnance du Congrès, concernant l’érection de nouveaux Etats,& la maniéré dont il doit être disposé des terres à l’ouest des États-Unis. On fait que vers l’Ohio&le Mississipi il y a de grands territoires dépendans des États-Unis, lesquels sont encore déserts, ou fort peu habités. Le Congrès voulant hâter la population de ces vastes contrées, y a fait plusieurs concessions de terres aux Officiers&aux Soldats de l’Armée Continentale, qui ont servi dans la derniere guerre,&a déterminé la maniéré dont il doit être procédé à la vente des autres parties restantes: c’est ce qu’il a sait par cette Déclaration& cette Ordonnance, dont la date est assez récente,&que j’ai également traduites de l’Anglois. Ceux qui s’intéressent au sort de ces nouvelles Colonies de l’ouest, parmi lesquelles Kentucke tient le premier rang, verront sans doute avec plaisir ces actes du Congrès, d’autant plus qu’on vient d’apprendre par les Papiers publics, qu’une lettre de Danville, dans le Comté de Lincoln, annonce que les Habitans de Kentucke ont arrêté de demander à la législation de Virginie, dont ce territoire dépend, un acte de séparation, pour former un nouvel Etat, sous le nom de Communauté de Kentucke.
Je ne dirai rien des autres morceaux que j’ai ajoutés à l’Original: le lecteur décidera de leur mérite, d’après le plus ou le moins d’intérêt qu’il y prendra: mais je pense qu’il ne lira pas sans plaisir les harangues des Sauvages, chez qui on ne s’attendroit sûrement point à trouver des modèles d’éloquence. J’aurois desiré d’y opposer certains discours analogues, pris dans les Auteurs anciens &modernes: ce parallele auroit été piquant; mais il demandoit des recherches, que le temps ne m’a pas permis de faire.
Ceux qui voudront connoître plus particuliérement les mœurs&usages des Sauvages, pourront consulter, outre les Auteurs que j’ai cités dans les Notes& les Additions, les Voyages du Baron de la Hontan dans l’Amérique septentrionale; l’Histoire de l’Amérique septentrionale, de la Potherie; les mœurs des Sauvages Américains, comparées aux mœurs des premiers temps, de Lafitau; l’Histoire des Indiens Américains, par Adair; les Voyages dans l’intérieur de l’Amérique septentrionale, de Carver,&ceux de Smith: les trois derniers sont en Anglois,&le second seulement vient d’être traduit en notre Langue.
L’Auteur ayant ajouté à son Ouvrage une Carte de Kentucke, je n’ai pas cru devoir la retrancher dans ma Traduction, &je pense que le Lecteur sera charmé de trouver réunies dans un même volume, la Description&la Carte d’un Pays si peu connu. J’ai traduit les noms des Rivieres, Postes,&c. toutes les fois que cela m’a été possible. On y trouve souvent le mot crique, qui a été adopté par plusieurs Voyageurs&Traducteurs François; il signifie un grand ruisseau, ou une petite riviere,&vient du mot creek, qui a la même signification en Anglois.