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LA NAISSANCE DU DUC DE BOURGOGNE.

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1682.

Anne-Marie-Victoire de Bavière, princesse d’une constitution délicate, épousa, au mois de janvier 1680, le dauphin, fils de Louis XIV. La première année de ce mariage ne fut qu’une longue série de fêtes pour la jeune dauphine. Mais quand, vers la fin de 1681, l’on eut la certitude de sa grossesse, de grandes précautions, commandées par la faiblesse de son organisation, lui furent imposées. Tout le monde s’intéressait à cette princesse et attendait avec anxiété l’époque de sa délivrance. La naissance d’un petit-fils était surtout le désir le plus ardent de Louis XIV, et il voyait approcher ce moment avec une joie mêlée de quelques inquiétudes.

Une première pensée dut se présenter à lui dans une conjoncture aussi grave: à qui remettrait-on le soin d’accomplir cette opération importante? à un accoucheur ou à une sage-femme?

Aujourd’hui le choix serait bientôt fait, ou plutôt il n’y en aurait pas. Mais il n’en était pas ainsi à cette époque. Les accoucheurs n’étaient pas répandus comme ils le sont actuellement, et la science obstétricale était presque entièrement confiée à des femmes. Non pas que depuis longtemps d’illustres chirurgiens n’eussent pratiqué des accouchements, mais en général c’était dans des cas exceptionnels et difficiles, et dans l’ordre ordinaire des choses, l’on voyait les accouchements confiés presque exclusivement à des sages-femmes. Déjà, cependant, les femmes avaient moins de répugnance à se remettre dans les mains des hommes, et quelques accoucheurs célèbres étaient parvenus à se faire une brillante réputation parmi les dames de la cour, de la magistrature et de la haute bourgeoisie. Mais le plus grand nombre des femmes grosses choisissaient des accoucheuses pour les délivrer, et les reines, Marie de Médicis, épouse de Henri IV; Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII; et Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, avaient été accouchées par des femmes. Il semblait donc tout naturel que dans cette circonstance, le roi choisît une sage-femme pour accoucher la dauphine. Il n’en fut cependant pas ainsi, et un chirurgien fut chargé de cette importante opération. On a déjà dit que la dauphine était d’une constitution délicate, et que le roi redoutait beaucoup ce moment; il voulut donc la remettre entre les mains d’un homme habile et ayant toute sa confiance, et il désigna pour accoucheur Clément.

Clément. (Julien) était alors l’accoucheur le plus célèbre de Paris. Né en 1638, à Arles, il vint fort jeune à Paris pour étudier l’art des accouchements. Gendre et élève de Lefebvre, autre accoucheur en renom de la même époque, il acquit bientôt une grande réputation; et par son habileté et le talent qu’il montra dans quelques occasions dangereuses, il contribua beaucoup à la véritable révolution qui fit préférer les accoucheurs aux sages-femmes, révolution achevée surtout par le choix que Louis XIV fit de lui pour la dauphine.

La réputation de Clément ne l’avait pas seule indiqué au choix de Louis XIV. Amené mystérieusement auprès de madame de Montespan quand elle mit au monde le duc du Maine, il avait continué de l’assister dans ses autres accouchements, et le roi avait pu ainsi apprécier ses talents .

L’accoucheur choisi, il fallait s’occuper de prendre une nourrice. Celles-ci ne manquèrent point; et il en vint s’offrir de tous côtés. On était dans l’usage de les choisir vers le septième mois de la grossesse.

Peut-être paraîtra-t-il curieux de connaître les conditions exigées alors pour être la nourrice d’un prince. — Elle devait être âgée de vingt-deux à trente ans, — avoir un lait de trois mois, — avoir déjà fait une nourriture étrangère, — être d’un tempérament sanguin, — avoir les cheveux noirs ou d’un châtain brun, — avoir une constitution forte et robuste, — être assez grasse, — avoir bon appétit, — et n’être délicate ni sur le boire, ni sur le manger, — être gaie et de bonne humeur, — avoir toujours le mot pour rire, — n’être sujette à aucune incommodité, — ne sentir mauvais ni de la bouche, ni des aisselles, ni des pieds, — n’avoir point de dents gâtées et les avoir toutes, — avoir la peau blanche et nette, — enfin avoir tous les signes d’une bonne santé. — Il fallait de plus qu’elle fût assez jolie, — gracieuse dans son parler, — bien faite dans sa taille, — ni trop grande, ni trop petite, ni bossue, ni boiteuse, et qu’elle n’eût aucun accent prononcé. — Mais ce qu’on exigeait surtout, c’était que la gorge fût bien faite et contînt suffisamment de lait. — Quant au lait, on n’avait pas alors les moyens que l’on possède actuellement pour juger de sa bonté, et l’on s’en rapportait à son aspect et à son goût.

Quand une nourrice réunissait toutes ces qualités, on exigeait encore d’elle, et par-dessus tout, qu’elle fût de bonne vie et mœurs. C’était sans doute, et c’est encore aujourd’hui une très-bonne précaution de s’informer de la sagesse de la femme à laquelle on va confier son bien le plus cher. Mais comment le savoir positivement? Et d’ailleurs, ne se peut-il pas que quelque grave affection soit venue atteindre une nourrice, sans que pour cela elle ait en rien manqué à une conduite sage et réglée? Une histoire arrivée dans une circonstance analogue, et racontée par Louise Bourgeois, la célèbre accoucheuse de Marie de Médicis, montre combien l’on peut être encore trompé malgré toutes ces précautions: «La reine étant grosse de madame sa fille aînée, dit madame Bourgeois, alla à Fontainebleau pour y faire ses couches, et partit en octobre de Paris après la moitié du mois, où étant arrivée l’on avait quantité de nourrices qui importunaient tellement le roi et la reine, et tout le monde, que Leurs Majestés en remirent l’élection à Fontainebleau, où il ne manqua d’en venir de tous côtés. L’on attendit proche de l’accouchement de la reine à en faire l’élection. Il vint un homme, lequel avait envoyé sa femme pour être nourrice, laquelle avait une petite fille fort délicate et menue. La femme était bien honnête, et de gens de bien, en faveur de quoi il se trouva des plus signalés seigneurs de la cour qui en parlèrent d’affection aux médecins. Ce fut une affaire qui me donna bien de la peine. Elle logea chez une de mes amies, laquelle s’employa de bon cœur pour elle; elle me priait aussi d’y faire ce que je pourrais. Je voyais son enfant extrêmement menu, mais elle était appropriée à son avantage, de sorte que la hard parait le fagot. Quand on m’en parlait, je ne pouvais répondre gaiement, à cause que sa nourriture ne m’agréait guère. Je fus un jour, comme j’avais coutume, la voir., où j’entendis nommer cette nourrice du nom de son mari. Je me ressouvins que c’était le nom d’un jeune homme que mon mari avait traité de la v..., lequel avait voulu sortir sans attendre qu’il eût été guéri... Je fus bien empêchée et eusse voulu ne l’avoir jamais vue... Elle fut retenue, et aussitôt on fit état de renvoyer toutes les autres; c’était l’heure du dîner. Je fis chercher M. du Laurens , lequel était allé dîner en compagnie. Comme je vis qu’il ne se trouvait pas, et qu’il n’eût pas été à propos de le dire quand les autres nourrices eussent été renvoyées, je priai mademoiselle Cervage, femme de chambre de la reine, de lui aller dire de ma part... La reine le dit aussitôt au roi, lequel dit tout haut «que des » nourrices venaient de loin pour le tromper», devant tout le monde. Il envoya chercher M. du Lanrens et les autres médecins, lesquels me vinrent trouver pour savoir la vérité, et comment, si je vérifierais cela. Je leur dis le tout, et que pour preuve, il y avait un valet de chambre de M. de Beaulieu-Rusé qui, demeurant en notre logis, l’avait aidé à panser, qui en pourrait dire la vérité, et un autre qui était chirurgien à Auxerre, qui avait été en même temps chez nous. Comme cela fut vérifié, l’on fit une autre élection de nourrice.»

La conséquence à tirer de cette histoire, c’est que, malgré tous les certificats, on peut encore être trompé ; car, si le hasard n’avait pas fait connaître à l’accoucheuse de la reine l’état antérieur du mari de cette femme, elle aurait été parfaitement acceptée pour nourrice de la fille du roi. Ainsi donc, s’il est bon, en tout état de choses, de tâcher d’avoir les meilleurs renseignements sur la vie antérieure d’une nourrice, il faut cependant, sous ce rapport, s’en remettre un peu à la grâce de Dieu.

Voici, du reste, comment on s’y prit pour la Dauphine: On choisit d’abord les quatre meilleures nourrices, c’est-à-dire celles qui remplissaient le mieux les conditions déjà indiquées, et l’on prit leurs noms et leurs demeures; puis, le premier médecin envoya un homme de confiance pour procéder aux informations. Cet homme s’adressa aux curés pour avoir un certificat constatant qu’elles étaient de la religion catholique, qu’elles servaient bien Dieu, et qu’elles fréquentaient les sacrements. Il obtint ensuite un certificat des chirurgiens de chacune d’elles, assurant qu’ils n’avaient connu dans leurs familles aucune personne atteinte de maladies contagieuses, ni écrouelles, ni épilepsie. Après avoir obtenu ces deux certificats, il assembla les voisins, qui attestèrent qu’elles étaient de bonne conduite, et qu’elles avaient toujours bien vécu avec leurs maris et leurs voisins. Une fois cette enquête terminée, on les mit chez la gouvernante des nourrices, où chacune d’elles avait une chambre et nourrissait son enfant en attendant l’accouchement de la Dauphine; et sitôt qu’elle fut accouchée, les médecins vinrent visiter ces nourrices, choisirent celle qu’ils considérèrent alors comme la meilleure, et les trois autres restèrent chez la gouvernante, pour n’en pas manquer en cas qu’on fût Jans la nécessité d’en changer. La nourrice choisie fut ensuite gardée à vue par une femme qui ne la quittait point, pour qu’elle ne pût approcher de son mari, car on craignait qu’elle ne devînt grosse et ne donnât à l’enfant de mauvais lait.

On était très-rigide sur cette séparation des maris, et Dionis raconte à ce sujet ce qui arriva à l’une des premières nourrices de Louis XIV. — Cette nourrice était de Poissy. La cour habitait à cette époque le château neuf de Saint-Germain. Louis XIII, ravi d’avoir un fils, l’allait voir tous les jours et s’entretenait avec la nourrice. Celle-ci lui raconta plusieurs aventures amoureuses arrivées entre les dames de Poissy et les mousquetaires de quartier. Le roi en fit quelques réprimandes à leur commandant, en lui ordonnant de mieux veiller sur leur conduite. Un jour le mari de la nourrice, impatient de voir sa femme, rôdait autour du château. La nourrice l’ayant aperçu descendit un moment pour lui parler sur une des terrasses du jardin. Malheureusement pour elle, elle fut vue du mousquetaire en sentinelle sur cette terrasse. Ne voulant pas perdre une si belle occasion de se venger des discours tenus par elle au roi sur leurs aventures, il la dénonça, et elle fut immédiatement changée.

L’accouchement tant désiré de la Dauphine eut lieu au mois d’août 1682. Le roi venait de fixer depuis quelques mois son séjour à Versailles, et cette ville présenta alors le plus. curieux spectacle.

Depuis près d’un mois, Clément était établi dans les appartements du château, lorsque le mardi 4, dans la soirée, la Dauphine ressentit les premières douleurs. Depuis ce moment jusqu’au jeudi 6, jour de la délivrance, l’accoucheur ne quitta plus la princesse. Aussitôt les premières douleurs, la Dauphine fit prévenir la reine et la pria de n’en rien dire, pour éviter dans ces premiers moments le trouble que cette nouvelle allait jeter parmi tout le monde. Le Dauphin vint aussi et ne quitta pas la chambre de la nuit. Cependant, comme elle souffrait de plus en plus, vers une heure du. matin le bruit s’en répandit dans tout le château.

Lorsque les reines accouchaient, on préparait près de leur chambre ordinaire une autre chambre où devait se terminer l’accouchement, et dans laquelle se tenaient toutes les personnes ayant le droit d’y assister. C’était dans cette dernière chambre qu’étaient le lit où elles restaient après l’accouchement et le lit de travail. Celui-ci était placé dans une espèce de petite tente pour la reine, le roi, l’accoucheuse et les aides. Cette tente était entourée d’une autre, beaucoup plus grande, pour les assistants. Ce cérémonial ne fut pas suivi pour la Dauphine, et l’accouchement se fit dans sa chambre à coucher.

Bientôt toute la cour fut en mouvement. Les princes et les princesses du sang se rendirent aussitôt chez la Dauphine. Les cours, les places, le chemin de Versailles à Paris, furent éclairés presque comme en plein jour par la grande quantité de torches et de lumières de toute espèce des allants et des venants.

Les antichambres de l’appartement de la Dauphine et la galerie qui y menait ne tardèrent pas à être-encombrées par tous les habitants du château et de ses environs. Cet appartement était situé à l’extrémité de l’aile du sud, vis-à-vis la pièce d’eau des Suisses, dans le pavillon de la surintendante de la maison de la reine .

Malgré tout ce mouvement, on n’avait pas encore jugé nécessaire d’éveiller le roi. Cependant, sur les cinq heures du matin, on vint lui apprendre l’état de la princesse. Il se leva aussitôt, et après l’assurance que rien ne pressait encore, il ordonna d’adresser des prières au ciel, et entendit immédiatement la messe. Vers six heures, il se rendit chez la Dauphine, afin de savoir par lui-même où tout en était.

La cour grossissait à tout moment. Les moins diligents se rendaient de toutes parts aux environs de l’appartement de la jeune malade, d’où l’on ne pouvait approcher, tandis que le reste du château paraissait désert.

Vers neuf heures, le roi, voyant diminuer les douleurs de sa belle-fille, sortit de chez cette princesse pour aller au conseil; et la plupart des princes et princesses, ayant veillé toute la nuit, profitèrent de ce moment pour prendre quelques heures de repos.

La reine passa toute cette matinée en prière ou auprès de la princesse. Le roi y revint encore aussitôt que le conseil fut terminé. Il la trouva assez calme, y demeura quelque temps, voulut qu’elle mangeât pendant qu’il était là et sortit ensuite avec la reine, chez laquelle il vint dîner accompagné de tous les princes. Vers la fin du dîner, on lui annonça que la Dauphine reposait. Jugeant alors sa présence inutile, il laissa la reine dans son appartement, et alla, selon sa coutume, travailler dans son cabinet.

L’un des premiers soins de ce prince avait été d’ordonner des prières dans toutes les églises de Paris et de Versailles, et de faire distribuer des aumônes considérables dans ces deux villes.

Les douleurs de la Dauphine la reprirent avec force vers l’après-dînée; le roi revint immédiatement auprès d’elle.

Pendant tout ce temps, la plupart des ambassadeurs, des envoyés et des résidents des princes étrangers se rendirent à Versailles, afin d’être prêts à faire partir des courriers à leurs cours aussitôt après l’accouchement.

La reine n’avait point quitté l’appartement de la Dauphine depuis ses premières douleurs; les voyant se continuer avec énergie, elle fit apporter dans la chambre les reliques de sainte Marguerite, que l’on était dans l’usage d’exposer dans la chambre des reines quand elles accouchaient; puis on dressa le lit de travail. Ce lit, conservé dans le garde-meuble du roi, avait déjà servi aux reines Anne d’Autriche et Marie-Thérèse .

Les femmes de la Dauphine entrèrent alors, arrangèrent ses cheveux, et lui mirent sur la tête de grosses cornettes, comme c’était l’usage, pour qu’elle n’attrapât point de froid.

Toute la nuit du 5 au 6 se passa encore dans des douleurs de plus en plus vives et prolongées, surtout vers le matin.

Les soins et les prières de la reine redoublèrent. Tous les services qu’une femme est si heureuse de recevoir dans cet instant solennel furent rendus à la Dauphine avec empressement par la reine et les princesses du sang.

Le roi lui-même cherchait à l’encourager et était rempli d’attentions pleines de bonté. A plusieurs reprises, aidé du Dauphin, il la soutint pendant qu’elle se promenait dans sa chambre, et comme les douleurs ne discontinuèrent plus, il y passa la nuit sans vouloir prendre un moment de repos.

Pendant cette soirée du mercredi, la nuit du mercredi au jeudi et la matinée du jeudi jusqu’à l’heure de la délivrance, il n’est sorte de mots doux et affectueux qui n’aient été échangés entre Louis XIV et la Dauphine. Le jeudi, le roi ne se reposa pas un moment. Le matin, il entendit la messe; puis il tint conseil comme à l’ordinaire; car l’on sait que c’était un des devoirs qu’il s’était imposés, et que rien ne pouvait empêcher. Immédiatement après le conseil, il revint chez la Dauphine.

La longueur du travail commençait à donner de l’inquiétude à tous les assistants, et les visages semblaient abattus et consternés. Clément seul, pendant tout ce temps, paraissait impassible. Il s’était assuré, à plusieurs reprises, de l’état de la princesse; il n’avait reconnu à l’accouchement aucun obstacle important, et il avait déjà prévenu le roi que si, par suite de la constitution assez grêle de la Dauphine, l’accouchement devait être long, il devait cependant se terminer sans accident. Le roi, on l’a déjà dit, avait une entière confiance dans l’accoucheur; il s’en rapporta complétement à son savoir, attendit avec patience l’instant qui allait combler ses vœux, et convint avec lui qu’afin de savoir le premier le sexe de l’enfant au moment de la naissance, il lui demanderait ce que c’était, et que Clément répondrait: Je ne sais pas, Sire, — si c’était une fille; et Je ne sais point encore, Sire, — si c’était un fils.

Les douleurs devenant de plus en plus vives et prolongées, Clément jugea nécessaire de faire pratiquer une saignée, et les médecins furent tous de cet avis.

Aussitôt les apothicaires apportèrent du vinaigre, de l’eau de la reine de Hongrie et un verre rempli d’eau, dans le cas où la princesse aurait une faiblesse. Le chirurgien Dionis pratiqua la saignée. On était alors dans l’usage de fermer les volets et de se servir de bougies afin de mieux voir la veine. C’est ce qu’on fit pour la Dauphine. Le premier médecin du roi tint la bougie, et le premier apothicaire tint les poilettes .

Après la saignée, les douleurs reprirent de l’intensité, et tout annonçait la prompte terminaison de l’accouchement. Pour soutenir les forces de la Dauphine, le roi voulut qu’on lui donnât de temps à autre de son rossolis .

Clément, jugeant que l’instant de la délivrance approchait, en prévint le roi. La Dauphine fut placée sur le lit de travail, et le roi ordonna de faire entrer toutes les personnes qui devaient assister à cet acte solennel.

Alors se trouvaient dans la chambre le roi, la reine, le Dauphin, Monsieur, Madame, Mademoiselle d’Orléans, et les princes et princesses du sang, qu’on avait mandés à cause du droit que leur donnait leur naissance d’être présents à l’accouchement. Il y avait en outre celles des dames dont les charges leur donnaient le privilége d’y assister, ou dont le service était nécessaire à la princesse; c’étaient: madame de Montespan, surintendante de la maison de la reine; la duchesse de Créqui et la comtesse de Béthune, dames d’honneur de la Dauphine; la maréchale de Rochefort et madame de Maintenon, dames d’atour; la duchesse d’Uzès; la duchesse d’Aumont, femme du premier gentilhomme de la chambre en année; la duchesse de Beauvilliers, femme du premier gentilhomme de la chambre; madame de Venelle, première sous-gouvernante; madame de Mont-chevreuil, gouvernante des filles d’honneur de la Dauphine; madame Pelard, première femme de chambre du nouveau-né, madame Moreau, première femme de chambre de la Dauphine; et les femmes de chambre de jour.

Tout ce monde était sans mouvement et paraissait attendre avec anxiété le dernier moment. Bientôt les dernières et énergiques douleurs se succédèrent et se rapprochèrent, et la Dauphine accoucha à dix heures vingt minutes du matin.

A peine l’enfant venait de passer, le roi, impatient, demanda à Clément: Qu’est-ce? Celui-ci, d’un air satisfait, lui répondit, ainsi qu’il en était convenu: Je ne sais point encore, Sire. Aussitôt le roi, radieux, s’écria: Nous avons un duc de Bourgogne .

Tout ce qui se passa alors dans la chambre où ce prince venait de naître peut à peine se décrire..

Le roi, dans le premier moment de sa joie, embrassa la reine et la Dauphine; puis on ouvrit deux portes à la fois, afin de faire connaître la grande nouvelle à ceux du dehors. Le roi annonça lui-même aux princesses et aux dames du premier rang la naissance d’un prince, et la dame d’honneur aux hommes réunis dans la pièce à côté. Il se produisit alors un mouvement incroyable. Les uns tâchaient de percer la foule pour aller publier ce qu’ils venaient d’apprendre, et les autres, sans bien savoir où ils allaient ni ce qu’ils faisaient, forcèrent la porte de la chambre de la Dauphine. Tout le monde paraissait dans l’ivresse de la joie. Il y eut un tel pêle-mêle dans ce premier moment, que les domestiques se trouvèrent dans l’antichambre au milieu des princes et des daines de la première qualité. Le roi défendit qu’on renvoyât personne et voulut que chacun pût exprimer librement sa joie.

Il semblait que le nom du prince nouveau-né eût volé dans l’air jusque dans les endroits les plus reculés du château et aux deux extrémités de Versailles; partout des feux de joie s’allumèrent comme par enchantement, et les missionnaires, établis depuis peu par le Toi dans le château, chantèrent un Te Deum d’actions de grâces dans la chapelle.

Quelques instants après sa naissance, le duc de Bourgogne fut ondoyé dans la chambre de la Dauphine par le cardinal de Bouillon, grand aumônier de France, revêtu de l’étole, en camail et en rochet. La cérémonie se fit en présence du curé de la paroisse de Versailles ; et sitôt qu’elle fut faite, on alla bercer le prince dans le cabinet de la Dauphine, d’où on le rapporta un peu après pour le montrer à cette princesse. Puis la maréchale de la Mothe étant entrée dans une chaise à porteurs, on le mit sur ses genoux, et il fut ainsi porté jusque dans l’appartement qu’on lui avait préparé. A peine y fut-il entré, le marquis de Seignelay, secrétaire d’État et trésorier de l’ordre du Saint-Esprit, lui mit au cou, de la part du roi, la croix de cet ordre, que les fils de France portaient dès leur naissance.

Enfin, après deux jours et deux nuits d’inquiétudes et de fatigues, il était temps de laisser reposer la Dauphine ; mais ici une nouvelle scène allait commencer pour le roi.

En sortant de la chambre, il fallait traverser la foule de grands seigneurs et de personnages de toutes sortes encombrant les portes et les corridors. Aussitôt qu’il parut, chacun se précipita et, quel que fût son rang, chercha par ses acclamations et ses gestes à lui témoigner sa joie. Le roi paraissait dans ce moment si heureux, et il recevait ces manifestations d’un air si engageant, que, loin de s’éloigner, chacun cherchait à se rapprocher de lui. Il faut se figurer que depuis l’appartement où la Dauphine était accouchée jusque chez la reine où le roi allait souper, il y avait à traverser une antichambre, la salle des gardes de la Dauphine, une très-longue galerie, le palier de l’escalier des princes avec les retours, diverses salles, la salle des gardes de la reine, et que tous ces lieux étaient tellement remplis de monde, qu’on peut dire que Louis XIV fut porté à table, depuis la chambre de la Dauphine, jusqu’au lieu où il soupa .

Quant au Dauphin, ce qu’il avait vu souffrir à la Dauphine, et les choses tendres qu’elle lui avait dites pendant cette longue attente, l’avaient jeté dans une sorte de stupéfaction. Aussi, quand il fallut passer de la tristesse à la joie, il eut peine. à se soutenir. Il semblait sortir d’un long rêve, et sa première action fut d’embrasser non-seulement la Dauphine, mais toutes les dames qui se trouvaient dans la chambre.

Le roi fit, dès le soir même, donner de fortes sommes d’argent pour délivrer des prisonniers.

Louis XIV, dans ses libéralités, ne pouvait oublier celui qui, par son sang-froid et sa prudence, avait été la cause principale de l’heureuse réussite de cet événement. Il fit donner à l’accoucheur dix mille livres, et lorsque Clément alla le remercier, il le reçut gracieusement, lui dit qu’il était très-satisfait du service qu’il lui avait rendu, qu’en lui donnant cette somme, il ne croyait pas le payer, et que ce n’était que le commencement de ce qu’il voulait faire pour lui.

En effet, Louis XIV ne cessa de le combler de bienfaits. Il n’avait de confiance qu’en lui. Outre la Dauphine, qu’il accoucha de tous ses enfants, Clément fut plus tard l’accoucheur de la duchesse de Bourgogne, et il alla trois fois à Madrid pour accoucher la reine d’Espagne. Enfin, en 1711, le roi lui donna des lettres de noblesse avec une clause qui honore au même degré l’homme de mérite auquel s’adressait cette distinction et le souverain qui la lui accordait; cette clause portait qu’il ne pourrait abandonner la pratique de son art, ni refuser ses conseils, ni ses secours aux femmes qui les réclameraient.

La joie manifestée si vivement dans le château à la nouvelle de cet heureux événement ne fut pas moins vive au dehors et dans tout Versailles.

Un garde du roi dormait sur une paillasse pendant l’accouchement de la Dauphine: réveillé en sursaut par le bruit extraordinaire que la joie venait de produire dans l’intérieur du palais, et comprenant, quoique encore à moitié endormi, qu’il venait de naître un prince, il prit sa paillasse sur son dos, et sans rien dire à personne, courut le plus vite possible jusqu’à la première cour , et mit le feu à cette paillasse. Il semblait que chacun n’attendît que ce signal, car on vit presque au même instant un nombre infini d’autres feux s’allumer comme par enchantement. Les uns allaient chercher du bois; d’autres prirent tout ce qu’ils trouvèrent, bancs, tables, meubles de toute nature, et jetèrent au feu tout ce qui pouvait l’alimenter. Il se forma des danses où se trouvèrent mêlés ensemble peuple, officiers et grands seigneurs. A peine ces manifestations de la joie publique eurent-elles commencé, qu’on vit couler des fontaines de vin de chaque côté de la première grille du château, ainsi que de l’intérieur des cours.

Versailles était alors rempli d’un grand nombre d’ouvriers attirés par les travaux immenses que faisait exécuter le roi. On leur fit distribuer du vin en grande quantité à l’Étape et dans les ateliers; les soldats des gardes française et suisse ne furent pas les derniers à manifester leur joie. Ils firent du feu de tout et brûlèrent même quantité de choses dont on ne leur aurait pas permis de disposer dans un autre moment. Le roi, apercevant tout ce désordre, voulut cependant qu’on les laissât faire, pourvu, ajouta-t-il, qu’ils ne nous brûlent pas.

Devant chaque hôtel de ministre, l’on avait établi des feux et des distributions de vin.

Ces réjouissances durèrent plusieurs jours avec les mêmes transports. C’était à qui varierait chaque fois les illuminations et les artifices.

Tant que durèrent les fêtes, la pompe fut magnifiquement illuminée, et tous les feux dont brillaient Versailles, se reflétant sur l’or couvrant le château , imprimèrent à la ville une physionomie toute magique.

Pendant les deux ou trois premiers jours qui suivirent celui de la naissance du duc de Bourgogne, tout le chemin de Versailles fut couvert de peuple venant témoigner sa joie par ses acclamations. Après avoir vu le roi, on allait voir le nouveau-né, et la maréchale de la Mothe était fréquemment obligée de le montrer à tout ce peuple accouru pour contempler un instant son visage .

A l’occasion de cette naissance, on chanta plusieurs Te Deum en musique à Versailles. La plupart des maîtres en avaient composé, et le roi voulut bien les entendre dans sa chapelle.

Louis XIV avait dispensé les différents corps de l’État des compliments d’usage; quant aux ambassadeurs et aux ministres des princes étrangers, il leur accorda l’audience qu’ils lui demandèrent à cette occasion. Elle eut lieu dans le grand appartement de Versailles, avec les cérémonies accoutumées. Tous les corps de la garde du roi étaient en haie. Les ambassadeurs entrèrent par le grand escalier .

Le roi était assis sur son trône d’argent, il avait auprès de lui d’un côté le duc de Bouillon, grand chambellan, le duc de Créqui et le prince de Marsillac; de l’autre, le duc d’Aumont, le duc de Saint-Aignan et le marquis de Gesvres. Une foule de courtisans les environnait. Le duc de Luxembourg, capitaine des gardes de quartier, allait recevoir les ambassadeurs à la porte de la salle des gardes. Le roi écouta leur compliment avec gravité, et leur répondit avec une grande affabilité. Ils allèrent ensuite chez le Dauphin, le duc de Bourgogne et Monsieur. Madame la maréchale de la Mothe répondit pour le petit prince.

Toutes ces audiences durèrent cinq heures, après lesquelles ces messieurs furent reconduits avec les mêmes cérémonies. Ils n’eurent audience de la reine et de Madame que l’après-dînée, parce qu’elles n’en donnaient jamais le matin.

Tel est le récit de ce qui se passa dans Versailles à la naissance du duc de Bourgogne. La joie de cette ville se répandit partout avec rapidité, et l’on peut voir, dans la plupart des écrits du temps, les détails des réjouissances extraordinaires faites dans toute la France à cette occasion.

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