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I.
L’ACADÉMIE
LES FINANCES DE L’ACADÉMIE
ОглавлениеLa somme totale allouée aux vingt pensionnaires de l’Académie avait été fixée à 30,000 livres, mais la répartition en était irrégulière et semblait souvent injuste. La lettre suivante, écrite en 1716 et signée par quatorze pensionnaires sur dix-huit, donne à ce sujet de curieux renseignements:
«Convaincus, comme nous sommes, que vous n’avez rien plus à cœur que le bien de l’Académie, nous vous suplions avec une vraye confiance de vouloir bien représenter à S. A. R., notre auguste protecteur, que, dans le renouvellement de l’Académie, il y eut un fond de 30,000 livres destiné pour les pensions; que ce fond ne put être alors distribué également, parce que la pension considérable qu’avait feu M. Cassini en faisait partie, mais qu’on fit espérer et qu’on a toujours fait espérer depuis, qu’après la mort de M. Cassini chaque académicien aurait 1,500 livres; cependant cette mort étant arrivée, il plut à M. de Pontchartrain de prendre un autre arrengement. Des 30,000 livres, il n’en employa que 20,000 en pensions fixes et distribua les 10,000 livres restantes sous le nom de gratifications pour le travail de l’année. Nous ne vous ferons point remarquer, monsieur, que ces gratifications ne furent rien moins que données proportionnellement au travail; vous scavez le découragement où cela jetta la plus grande partie de la Compagnie. Mais nous vous supplions instamment de vouloir bien représenter à S. A. R.: 1º que le fonds de 30,000 livres a toujours été regardé comme affecté aux pensions de l’Académie pour être distribué également; 2º que 1,500 livres de rente ne suffisent pas, à Paris, pour mettre un homme en état de se livrer entièrement aux sciences; que leurs progrès demanderaient que les pensions fussent plus considérables et plus sûres, et que les réduire à 1,000 livres, c’est mettre les académiciens hors d’état de travailler; 3º que l’Académie des inscriptions a été traitée bien plus favorablement. Les pensions y sont sur le pied de 2,000 livres, puisqu’elle a 20,000 livres pour dix pensionnaires; 4º que la libéralité de S. A. R. peut bien s’étendre jusqu’à donner des gratifications à ceux qui les auront méritées par leur travail, mais il ne semble pas qu’elles doivent être prises sur ce qui est destiné pour la subsistance des académiciens et qui y peut à peine suffire. Comme vous vous intéressez autant à nos besoins que nous-mêmes, nous osons nous promettre que vous voudrez bien donner encore plus de force à nos raisons en les représentant.»
Cette lettre, écrite vers la fin de 1716, est destinée évidemment à être mise sous les yeux du régent. On a écrit en marge: «S. A. R. loue le zèle des académiciens et entre assez dans leur pensée. Mais, comme elle ne veut rien diminuer à ce que chaqu’un a touché jusqu’ici, on ne saurait songer au changement proposé qu’en donnant des gratifications séparées, tant pour indemniser les quatre pensionnaires (Ces quatre pensionnaires étaient: J. Cassini, Maraldi, deLahire et Duverney, qui seuls n’ont pas signé la requête.) qui perdraient suivant ce nouveau projet, que pour récompenser ceux qui se distingueront par leur travail. Pour cela il faudrait, outre le fonds ordinaire de 30,000 livres, en destiner un nouveau de 6,000 livres au moins: c’est ce que S. A. R. ne croit pas devoir faire dans le temps qu’il diminue toutes les pensions, tant de la cour que des officiers, et le prince remet donc cette libéralité à l’estat qui sera expédié pour l’année prochaine.»
Le régent en effet augmenta de 6,000 livres l’allocation destinée aux pensionnaires et crut avoir dégagé sa parole; mais les abus continuèrent ou se reproduisirent, car cinquante ans plus tard une décision de Malesherbes, approuvée par le roi, fut jugée nécessaire pour diminuer l’inégalité en la réglementant. «Sur le compte que j’ai, dit-il, rendu au roy du mémoire qu’on m’a remis, par lequel l’Académie demande unanimement qu’il soit établi une nouvelle forme de distribution des pensions qui lui sont accordées, et où elle expose, à ce sujet, le plan qu’elle désirerait qu’on suivît, Sa Majesté a bien voulu approuver le projet de distribution et agréer les vues qui ont engagé l’Académie à le proposer. Le roy a décidé en conséquence que chacune des six classes de l’Académie jouirait, à l’avenir, de la somme fixe de 6,000 livres, qui sera partagée entre les trois pensionnaires attachés à chacune d’elles, et que, par une suite de l’exécution complète de ce projet, il sera accordé 3,000 livres au premier pensionnaire, 1,800 livres au second et 1,200 livres au troisième.»
Indépendamment des pensionnaires, fort peu rétribués comme on voit, l’Académie comptait vingt associés et adjoints, qui n’avaient aucune part à ses revenus et que les travaux les plus excellents n’élevaient que bien lentement dans la hiérarchie académique. D’Alembert, nommé adjoint en 1742, ne devint pensionnaire que vingt-trois ans après, et Lacaille, qui fut pendant dix ans une des gloires de l’Académie, mourut avec le titre d’associé.
L’auteur d’un mémoire conservé dans les archives semble élever la voix au nom de l’Académie tout entière pour signaler en termes formels la situation difficile et la misère même d’un grand nombre d’académiciens. Des corrections faites de la main de Réaumur permettent de lui attribuer la rédaction de cet écrit, qui est sans signature. Après avoir vanté l’utilité des sciences et dit quel avantage elles procurent à l’État, l’auteur attire l’attention sur la situation précaire de l’Académie des sciences.
«L’Académie, dit-il, dans l’état où elle est aujourd’huy, fait beaucoup d’honneur au royaume. Les étrangers en ont une grande idée, aussy a-t-elle découvert nombre de choses curieuses et utiles. Mais nous osons avouer qu’il s’en faut bien que le royaume n’ayt retiré de cette compagnie tous les avantages qu’il aurait pu en tirer. Nous osons dire plus, c’est que cette Académie, en si grande réputation parmy les étrangers, semble près de sa chute, si elle n’est soutenue par quelque grand changement fait en sa faveur, pareil à ceux qui ont été faits pour d’autres parties de l’État. On a cherché à ranimer sa langueur par de nouveaux règlements dont elle avoit besoin, mais la vraye source du mal n’étoit pas seullement dans le deffaut des règlements. Il ne la faut chercher, la vraye source du mal, que dans la propre constitution de l’Académie; une grande moitié de ceux qui la composent ne peuvent prendre les occupations académiques que comme des amusements; ils ont des professions qui les obligent de donner leurs soins à toutte autre chose que ce qui fait l’objet de l’Académie. Les uns sont obligés d’être médecins, les autres chirurgiens, les autres apoticaires. Quels ouvrages peut-on attendre de sçavants contraints à passer sur le pavé de Paris des jours qu’ils devraient employer dans leurs cabinets? Un homme qui arrive chez soy las et distrait est-il en état de travailler à ce qui le demande tout entier? Employera-t-il les nuits à des expériences? Malgré pourtant cette diversion, plusieurs académiciens de ces classes ont donné des choses excellentes, mais qui doivent nous faire regretter celles que nous eussions eues, s’il leur eust été permis de se livrer aux recherches où leur inclination les portoit. De l’autre moitié des académiciens, une partie est obligée à enseigner les mathématiques pour subsister. Enfin, il en reste très-peu qui soient en état de faire des expériences et de vivre avec cette aysance qui met l’esprit en repos et en état de se livrer à des recherches utilles. Entre quarante-huit académiciens destinés au travail, l’Académie ne sauroit compter qu’un petit nombre de travailleurs. Le seul remède à apporter seroit d’obliger tous les académiciens, ou au moins le plus grand nombre, à n’être qu’académiciens, de les mettre en état de n’avoir d’autres occupations que celles qui ont un rapport direct aux objets de l’Académie. Une autre cause de la décadence de l’Académie, qui tient à celle dont nous venons de parler, c’est qu’il ne se forme plus de sujets; on en fait l’expérience toutes les fois qu’on a des places vaccantes à remplir. Il faut être né avec des talents rares pour réussir dans les sciences, et, parmy ceux qui naissent avec ces talents, combien y en a-t-il qui en puissent profiter? Un jeune homme qui veut suivre ses heureuses dispositions se trouve arresté par les clameurs de toutte sa famille et de tous ses amis; on ne veut point consentir qu’il s’abandonne à des recherches qui peut-estre luy donneroient quelque gloire en le conduisant à mourir de faim. L’Académie fournit des exemples de cette nature: un de ses membres, habile anatomiste, mourut il y a quelques années à l’Hostel-Dieu. Si l’Académie a pu, pendant quelque temps, se fournir de sujets, elle le devoit à la protection que l’illustre M. Colbert avoit donnée aux sciences; quand elle est venue à manquer, on ne s’est plus tourné de leur costé; la pépinière s’est épuisée et il ne s’en forme point de nouvelle. A la vérité, M. l’abbé Bignon a fait, pour l’Académie et pour les sciences en général, tout ce qu’on peut attendre du zelle le plus ecclairé, mais les trésors n’étoient pas entre ses mains. Il y a peu d’apparence aussy que le royaume puisse se repeupler de vrays sçavants, tant que la condition, de touttes la plus laborieuse, ne mènera à rien. Y a-t-il de la justice que celui qui s’applique à des recherches importantes au bien de l’État, ne puisse espérer de parvenir à quelque fortune? L’homme de guerre, le magistrat, le marchand, peuvent se promettre des récompenses de leurs travaux; le sçavant seul n’a rien à en espérer; peut-estre que le cas que les Chinois font des lettrés n’est pas à la gloire de la France.»
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L’auteur, qui bien vraisemblablement est Réaumur, cherche ensuite les moyens de relever l’Académie suivant lui prête à périr; il propose d’appliquer le savoir et l’esprit inventif des académiciens au perfectionnement des arts et métiers et de l’agriculture, et, descendant même au détail des questions que l’on pourrait proposer à chacun: «Qu’on se fasse, par exemple, dit-il, une loy de donner toujours à des académiciens la direction des monnoyes, comme le célèbre M. Newton l’a en Angleterre, et qu’on leur donne les inspections des différentes manufactures, les inspections généralles des chemins, ponts et chaussées. Croiroit-on trop faire, si on accordoit des entrées dans le conseil du commerce ou dans ceux des compagnies qui l’ont pour objet, aux sçavants qui ont fait des études particulières des matières que les arts et la médecine nous engagent à tirer des pays étrangers; à ceux qui se sont appliqués à s’instruire à fond des manufactures du royaume, de ses productions qui se sont négligées et qu’on pourroit mettre à proffit? Un gouvernement qui a les eaux pour objet, tel qu’est celuy de la Samaritaine, ne devroit-il pas entrer dans le partage des académiciens? Ce seroit une récompense pour un de ceux qui se seroit le plus appliqué aux hydrauliques; un pareil gouvernement l’engageroit à faire une étude particulière de tout ce qui a rapport à la conduitte des eaux; ce même gouvernement seroit un appas qui excitteroit un grand nombre d’autres sujets à travailler sur la même matière; au moins semble-t-il qu’il seroit mieux dans les mains d’un sçavant que dans celles d’un vallet de chambre d’un grand seigneur; à la Pépinière, il y a une place de quelque revenu qui conviendroit à un botaniste. On pourroit même donner à l’Académie une espèce d’inspection sur tous les arts mécaniques qui, sans leur être à charge, contribueroit extrêmement à leur progrez; un expédient assez simple rendroit nos ouvriers incomparablement plus habiles qu’ils ne sont, leur donneroit de l’émulation pour la perfection de leurs arts et augmenteroit par conséquent le débit de tous nos ouvrages d’industrie, car on se fournit des ouvrages de chacque espèce dans les pays où les ouvriers sont en réputation de mieux travailler; de là est venu le grand débit des montres d’Angleterre. L’expédient seroit que l’Académie proposast chaque année des prix pour ceux des ouvriers de chaque profession qui auroient inventé ou mieux fini quelque ouvrage; que ces prix fussent distribués aux arts mesmes qui semblent les plus grossiers, comme coutelliers, taillandiers, serruriers; on proposeroit par exemple aux taillandiers de chercher la manière la plus simple de faire une excellente faulx et à bon marché. Le succez de ce prix nous empêcheroit peut-estre d’avoir besoin à l’avenir des faulx d’Allemagne. Le royaume se trouveroit bien indemnisé de ce qu’il luy en coûteroit pour le prix.
«Mais, à vray dire, ajoute-t-il, on ne sçauroit attendre l’exécution de si grands projets d’une compagnie qui n’a que 30,000 livres à distribuer entre plus de vingt particuliers, et qui en a une trentaine d’autres à soutenir seullement par l’espérance d’entrer un jour en partage de cette petite somme. Les pensions n’étoient guères plus fortes du temps de M. Colbert; communément, elles étoient de 1,500 livres; mais 1,500 livres alors valloient plus que quatre ou cinq mille aujourd’huy. Celle de feu M. Cassini était de 9,000 livres, et a seulle produit bien des sçavants; des gratifications vinrent souvent au secours de la modicité des pensions; si ce grand ministre eust été plus longtemps conservé à la France, il eust apparemment mis sur un autre pied l’Académie dont il étoit le père; depuis qu’elle l’a perdu, elle a eu le temps d’apprendre combien on doit peu compter sur de petittes pensions, dont les payements peuvent estre suspendus par une infinité d’événements.
«Pour faire fleurir l’Académie, il faudroit donc luy donner des fondements inébranslables, luy assigner des fonds à l’épreuve de toutte révolution, comme sont les fonds en terre possédés par l’université d’Oxfort et de Cambridge; que ces fonds fussent suffisans pour faire vivre les académiciens d’une manière commode, leurs montrer des places distinguées où ils pussent se promettre d’arriver.
«Quelques considérables que fussent les fonds assignés, l’Académie ne seroit peut-estre pas un an ou deux à en dédommager le royaume. Une seulle découverte pourroit les remplacer.»
Ce plaidoyer habile et sincère resta sans résultat. L’Académie n’en vécut pas moins en se recrutant souvent fort heureusement, en dépit des sinistres prédictions de son défenseur; elle fut même un instant menacée de la concurrence d’une compagnie rivale, dont les membres paraissaient assez considérables pour lui porter sérieusement ombrage.
Vers l’année 1726, Julien et Pierre Leroy et Henri Sulli, célèbres tous trois dans l’histoire de l’horlogerie, instituèrent des conférences réglées sur les moyens de perfectionner leur art. Ils s’associèrent Clairaut père et fils et un fabricant d’instruments mathématiques, nommé Jacques Lemaire, et convinrent de se réunir tous les dimanches dans le jardin du Luxembourg; tout marcha bien pendant l’été; mais, à la mauvaise saison, il fallut chercher un autre asile; on le trouva dans la cour du Dragon, chez un M. Puisieux, qui devint membre de la société, à laquelle Degua, Nollet, La Condamine, Grand Jean Fouchy, Renard du Tosta directeur de la Monnaie, le célèbre orfévre Germain et le compositeur Rameau, se joignirent bientôt en l’engageant à étendre ses études et ses travaux à la totalité des arts et à augmenter encore le nombre des associés. La compagnie, selon les habitudes du temps, devait avoir un protecteur; on s’adressa au comte de Clermont, qui, flatté de ce rôle, offrit pour les séances une salle de son palais et obtint la permission royale, qui fut donnée en 1730. La société, devenue de plus en plus importante et honorée des fréquentes visites du prince de Clermont, se partagea, comme l’Académie, en honoraires et en associés, forma comme elle des sections, et nomma même des correspondants. L’un d’eux fut l’astronome danois Horrebow qui, dans son livre intitulé Basis astronomiæ, imprimé en 1735, à Copenhague, prend le titre de membre de la Société des arts de Paris. Réaumur et Dufay, inquiets des succès et de l’influence d’une compagnie nouvelle, proposèrent au prince de Clermont, dont ils étaient connus, que l’Académie s’engageât à choisir, autant qu’il se pourrait, ses sujets parmi les théoriciens de la société, à la condition de les posséder tout entiers en les autorisant seulement à garder dans l’autre compagnie le titre de vétéran. Un tel arrangement n’était pas acceptable et fut rejeté; les deux académiciens déclarèrent alors nettement qu’ils feraient tomber la société. Leur moyen fut très-simple: L’Académie s’adjoignit successivement La Condamine, Clairaut, Fouchy, Nollet et Degua en leur imposant l’obligation d’opter. L’effet ne se fit pas attendre, et la Société des arts, privée de ses membres les plus actifs, ne tarda pas à s’affaiblir et à tomber complétement, sans avoir produit aucune œuvre qui en perpétuât le souvenir.
L’Académie, outre les 36,000 livres destinées aux pensions, recevait, chaque année, sur le trésor royal une allocation de 12,000 livres attribuée aux dépenses générales et aux expériences jugées utiles mais employée, en grande partie, à aider ou à secourir les pensionnaires ou les associés les plus pauvres ou les plus en faveur.
Ces fonds bien insuffisants paraissent d’ailleurs avoir été, pendant longtemps au moins, administrés avec beaucoup de désordre. Une fois, par exception, en 1725, le maréchal de Tallard, président de l’Académie, avant d’approuver les dépenses, voulut en connaître le détail; peu satisfait d’un premier examen, il nomma une commission dans laquelle siégeaient l’abbé Bignon, Réaumur et Cassini; leur rapport est réellement curieux:
«Les registres du sieur Couplet, trésorier de l’Académie, disent les commissaires, n’ont aucune forme de livre de comptable. Il rapporte uniquement les articles de dépense, sans faire aucune mention de la recette, et c’est ou une ignorance inexcusable de sa part, ou une affectation très-suspecte pour éviter l’examen de ses comptes; mais, outre ce défaut essentiel dans la forme, il y a si peu de règle dans la dépense, qu’il paroist que ledit sieur Couplet a disposé entièrement à sa fantaisie de la pluspart des fonds qu’il a reçus, comme si ç’eût été son propre bien; il a augmenté de sa propre authorité les gages de son domestique, qu’il a portés de 364 à 500 livres. L’entretien de la salle des machines, qui, du temps du feu sieur Couplet père et prédécesseur, n’alloit qu’à 5 livres, il le porte à 50 livres par quartier; pour l’entretien d’un miroir ardent, il fait monter la dépense, dans une année, à environ 500 livres, et l’on ne peut s’empêcher de remarquer, à cette occasion, une chose honteuse pour l’Académie et pourtant de notoriété publique: c’est l’argent qu’il souffre que son mestique exige de tous ceux qui vont voir cette salle des machines.
«Presque tous les articles de dépense en général sont si excessivement enflés, qu’il y en a qu’il porte au delà de trente et quarante fois leur juste valeur, comme pour le papier, plumes et ancre, etc.
«On peut assurer qu’il n’y a jamais eu de registre aussi mal tenu pour la forme et si deffectueux dans le fond. On peut réduire à quatre principaux chefs les observations des commissaires.
«Le premier regarde l’employ des deniers du roy, fait pour le propre usage du sieur Couplet, sans qu’il puisse produire aucun ordre qui l’authorise. Cet article seul monte à la somme de douze mil quatre cent dix sept livres dix sols; laquelle somme il a employée en batimens, remises, grenier, mur de jardin, remuage de terre faits à l’observatoire pour son usage particulier. Le tout sans qu’il produise aucun ordre pour cette dépense entièrement inutile, d’autant plus qu’il a encore tout le logement qu’avoit feu son père, lequel s’en est contenté pendant trente années quoy qu’il eut une nombreuse famille, au lieu que le sieur Couplet est seul. D’ailleurs, cette dépense regarde le surintendant des bâtimens du roy et nullement l’Académie. Il est à remarquer que ces dépenses en bâtimens ont été faites dans un tems où les académiciens qui occupent l’observatoire ne pouvoient obtenir qu’on leur fît les réparations les plus pressantes, comme des vitres, couvertures, etc.
«Le second chef regarde les dépenses faites sous le titre de dépenses extraordinaires, sans qu’il en fasse aucun détail, ny qu’il rapporte aucune preuve justificative; elles montent à la somme de sept mil dix-sept livres quinze sols; on ne sçauroit imaginer en quoy consistent ces dépenses extraordinaires, d’autant plus que, dans des mémoires que l’on a trouvé excessifs et enflés, il a employé en dépense et bien en détail, le papier, les plumes, l’ancre, les ports de lettres, le remuage des poesles, les petites gratifications faites aux suisses dans les assemblées publiques de l’Académie; en un mot, il entre dans une infinité de petits détails et ensuitte il y ajoute cette somme exhorbitante de 7,017 livres 15 sols.
«Le troisième chef renferme les faux ou doubles employs dont on rapportera icy deux articles: l’un de 1,310 livres pour l’envoy du caffé aux Indes et l’autre de 100 livres pour le congé d’un soldat; ces deux sommes luy ont été fournies en 1718, et, lorsque les commissaires luy ont demandé les preuves de l’envoy de ces sommes, il leur a avoué qu’il n’en avoit point fait d’employ. On pourroit encore mettre au rang des faux employs une somme de 160 livres qu’il dit dans son compte avoir été employée pour faire gobter le mur du côté de l’orient de son nouveau logement, laquelle somme il a avoué depuis n’avoir point employée.
«Le quatrième chef regarde les diminutions d’espèces dont il demande le remboursement et qu’il fait monter à la somme de six mil cinq cent trente-quatre livres, dont il ne rapporte ny ne peut rapporter aucun procès-verbal, ne tenant aucun registre par recette et dépense; ce qui a empêché les commissaires de pouvoir statuer sur ce qui pouvoit luy être véritablement deu; l’on peut aussi remarquer qu’il passe dans son compte les diminutions, mais qu’il ne parle point des augmentations qui sont arrivées depuis 1718 jusqu’en 1722, lesquelles méritaient bien qu’on y fit quelque attention, puisqu’il y en a eu qui ont porté les espèces au triple de leur ancienne valeur, c’est-à-dire depuis 40 livres le marc d’argent monnoyé jusqu’à 120 livres et l’or à proportion. Il résulte de tous les articles précédens que le sieur Couplet est redevable de vingt-deux mil six cent soixante-trois livres cinq sols pour sommes non payées et qu’il a reçues ou payées non vallablement.»