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A FORCE DE FORGER ON DEVIENT FORGERON

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Jeune apprenti, allume le feu; prépare le marteau et l’enclume, et plonge la barre de fer dans le brasier; mets en mouvement le lourd soufflet. Vois, la barre rougit peu à peu; la voilà lumineuse et presque transparente. Le moment est venu: pose-la sur l’enclume, et forge le soc de charrue qui doit remuer la terre nourricière... C’est fait! et tu regardes tristement ton œuvre informe. Ne te décourage pas; on ne réussit pas du premier coup. Remets le fer au feu et recommence... C’est mieux cette fois-ci, ce n’est pas encore bien; travaille et espère: à force de forger on devient forgeron.

Le jeune artiste rêve, et il est heureux; il sourit à ses créations gracieuses ou puissantes; il s’éprend pour elle d’un amour sans bornes.

Les voici! elles existent! s’écrie-t-il. Donnons-leur un corps, à ces âmes flottantes qui ne vivent que pour moi, faisons-les vivre aussi pour le monde, qui ne sait pas parler cette langue divine de l’art, mais qui la comprend et qui l’admire. Et demain, mon nom sera répété et glorifié dans la foule. Mais, hélas! mes rêves bien-aimés, qu’êtes-vous devenus? Comment vous êtes-vous changés en de froides et pâles réalités? Je Ne vous reconnais plus! Adieu l’espérance, adieu la gloire; je ne sais que rêver, je ne sais pas produire!

A FORCE DE FORGER ON DEVIENT FORGERON.


Console-toi et rassure-toi! Tu as cru que pour faire un artiste l’inspiration suffisait: tu t’es trompé. Il faut que le travail vienne en aide à l’inspiration. Avant de réussir à rendre sa pensée, il faut que le sculpteur exerce longtemps sa main à pétrir la glaise et son ciseau à tailler le marbre; il faut que le poète arrive par de longs essais à posséder l’art de grouper les syllabes harmonieuses; il faut que le peintre efface et recommence de nombreuses esquisses; il faut que le musicien étudie les œuvres des maîtres et parvienne à s’inspirer d’eux sans les imiter. Et un jour, après de longs tâtonnements, après bien des alternatives de confiance et de désespoir, l’artiste sait qu’il a sous la main un instrument docile: rien ne l’arrête, l’œuvre s’accomplit. Il la reconnaît telle qu’il l’avait rêvée, et son âme se remplit de la joie sublime des créateurs. Travaille donc et espère: à force de forger on devient forgeron.

Prends garde, toi qui te permets souvent une légère faute. Un petit mensonge, dis-tu, un petit manque de charité, une imperceptible atteinte à la loyauté, à la probité, c’est si peu de chose! Personne même n’en a souffert.

Peut-être; mais ton âme en souffre. A force d’être indulgent pour soi-même, on ne distingue plus les petites fautes, de celles qui sont un peu plus grandes, et l’habitude du mal devient le vice. Prends garde: dans le mal, comme dans le bien, à force de forger on devient forgeron.—

Contes vrais

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