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II

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Table des matières

Léon de Bruand à Paul Barré, officier d'infanterie de marine, à Saïgon (Cochinchine).

25 décembre.

«Mon cher ami,

«Je continue à t'entretenir de moi. Aimable confident, placé à deux mille lieues de son ami et qu'il me semble voir si souvent, et qui m'écoute et qui me répond! Ah! que tes Armanites me valent mieux que nos Parisiens. C'est une fête que j'ai à te raconter, figure-toi. Encore un réveillon! Il est probable que je finirai par m'en lasser. Quelle étrange chose, un plaisir officiel! Être contraint à la gaieté parce que finit le mois de décembre, et que l'on célèbre quelque part la messe de Noël! Gontran m'avait écrit. Je lui avais envoyé le matin deux mots de réponse; on m'attendait. Je suis allé au théâtre d'abord; il y avait, çà et là, à travers les fauteuils d'orchestre, des jeunes gens qui se promettaient de s'amuser beaucoup, en sortant; j'ai entendu ce bout de dialogue:

«—Berlurette y sera-t-elle?

«—Je ne sais pas, mais il y aura des truffes!

«Cher esprit français!—Gontran m'avait annoncé des femmes ravissantes! C'est le mot d'usage. J'avais ordonné à Jean de bourrer ma voiture de bouquets de violettes. Me voilà parti. J'arrive chez Gontran, je passe devant la loge du concierge, toute bruyante et encombrée de voisins. Je remarque sur la table l'oie proverbiale, doublée de marrons. Et je fais mon entrée chez Gaston, suivi de Jean, qui portait majestueusement les bouquets.

«Gontran avait décoré son appartement d'une façon charmante, à la chinoise, avec des lampes d'opale, projetant sur la table de très-agréables demi-clartés. Les faïences détrônées de leur dressoir, s'étalaient sur la nappe avec leurs garnitures de bananes et de figues de Barbarie. On était assis déjà. A mon arrivée, grande clameur. Gontran, Paul et Gérard s'écrient:

«—C'est Léon! ce cher Léon! Bravo, Léon! L'exactitude est la royauté des hommes polis!

«Jean déverse ses monceaux de violettes.

«—Oh! oh! Léon a dévalisé un parterre. Quelle est cette idée d'empereur de la décadence? Et ces violettes du pôle? C'est gai comme un enterrement!

«—Pourquoi ces fleurs... et pour qui?

«En effet, je regarde de tous côtés, je cherche un visage féminin, partout des favoris ou des moustaches.

«—Mon cher ami, pardonnez-moi, dit Gontran. Ces dames se sont excusées.

«—Par lettre, ajoute Gérard.

«—Je demande les lettres!

Cliché no 1:

«Mon petit chat,

«Tu sais combien mon pas du deuxième acte est fatigant. Je serai rompue ce soir. Avec cela que le directeur nous fait répéter toute la journée et que le régisseur est à giffler. Je ne pourrai pas vraiment me rendre à ce réveillon. Et puis mon bottier m'attend pour m'essayer des bottines.

«Je t'embrasse sur le nez.

«Angèle.»

—L'excuse du bottier est valable, étant absurde.

Cliché no 2:

«Je suis ennuyée comme tout, mon cher Paul, mais vrai, je ne peux pas aller chez M. Gontran. Je n'aurais qu'à y rencontrer Mathilde; vous savez combien je la déteste. J'aime mieux rester à la maison. Peut-être que je jetterais un froid, voyez-vous, je suis franche. Les femmes qui posent, et moi, ça fait deux.

«Mes excuses à M. Gontran et à Angèle.

«Louise.

«P.S.—Venez donc prendre le thé chez moi demain. Je vous en conterai de Mathilde!»

Cliché no 3:

—Non, non! Passez-le! dit Paul, c'est convenu, les absentes n'ont pas tort!

—A table!

—A table, dit Gontran, et tâchons d'avoir de l'esprit!

—Moi, qui n'en ai jamais que devant les femmes!

—Quelles femmes? Celles qui ne savent pas l'orthographe?

—Eh! ma foi, messieurs, interrompt Gontran, faut-il vous l'avouer? Je suis très-satisfait de ce qui arrive. Un réveillon entre hommes. Pas de prétention. Soyons Gaulois. Puis que diraient nos maîtresses si elles apprenaient que nous avons soupé avec des créatures?

—Un joli mot, créatures... Vous l'avez bien dit, Gontran!

—Madame de... serait furieuse, dit Gérard en essuyant son lorgnon.

—Ce Gérard, savez-vous pourquoi il ne la nomme pas; c'est pour qu'on lui demande son nom?

—Hélas! je n'en suis plus là...

—Amusons-nous, messieurs!

Amusons-nous! amusons-nous! le mot d'ordre éternel! Le plaisir à la rescousse!

On croit généralement qu'il est facile de s'amuser. Pourtant, à peine connaissons-nous par le temps qui court, non pas la gaieté, mais le sourire, cette mélancolie de la gaieté. Quant au bon gros et gras rire d'autrefois, où est-il? Qui l'a entendu? On dit le rire de nos pères. De nos pères! On a bien raison!

Amusons-nous! Et nous voilà, nous efforçant, nous surmenant, nous excitant, comme si nous avions pris quelque haschich.

—Savez-vous le dernier mot de Raoul?

—S'il n'est pas méchant, ne le dites pas!

—Il est très-méchant!

—Tant mieux pour nous!

—On lui parlait de William. William, a-t-il dit, ce n'est pas un sot, c'est le Sot!

—Oh! oh! un peu vieillot! Ce diable de Raoul... Il a donc lu Royer-Collard? Excellent vin, Gontran!

—Le vin de mes aïeux, mon cher Léon! le cru m'appartient!

—Vous êtes vigneron à présent?

—Non, mais Bourguignon, tout pâle que je suis!

—Et la pièce d'Augier nous n'en parlons pas?

—Je n'aime guère le dernier acte!

—C'est comme notre réveillon, ça manque de femmes!

—Ne parlons ni des femmes ni de l'amour... cela porte malheur!

—Au jeu...

—L'amour? Une forêt de Bondy... au temps de Cartouche!

—Joli! Ah! à propos, Gérard, reconnaissez-vous ce portrait-carte?

—Elle vous l'a donné?

—Lisez la dédicace!

—Diable! Et vous gardez cela dans votre portefeuille?

—Le fait est que sa place est dans un porte-monnaie.

—Messieurs, pardon, vous savez, à propos de Céleste, j'ai des nouvelles de Robert!

—Tiens, tiens!

—Il a été tué en Kabylie!

—Bah! et l'on disait que le pays était si bien gardé?

—Ce Gérard est d'un flegme féroce!

—Dame, vous savez, je l'ai peu connu, Robert. Et vous, Paul?

—Moi, beaucoup. J'ai encore une paire de fleurets à lui!

—Un brave garçon, Robert.

—Et malheureux!

—Parbleu!

—Messieurs, messieurs, et le mot d'ordre?

—Ah! oui, le mot d'ordre, amusons-nous!

—J'ai eu tort de renvoyer les domestiques. Le service laisse à désirer. Lucien, vous ne versez pas!

—Allons donc! j'ai déjà mal à la tête.

—Une femme dirait: j'ai mal au cœur! Menteuse!

—Excellent, ce champagne.

—Oui, mais pourquoi des coupes, c'est ennuyeux.

—Je vous avoue que, sur ce chapitre, je suis horriblement rétrograde. Je préfère les flûtes pour boire le champagne!

—Les flûtes? Un grand verre bête et bourgeois! Quand on le tient à la main on a toujours envie d'improviser des couplets de baptême! Une coupe, à la bonne heure! cela rajeunit de cinq cents ans!

Les Femmes de proie. Mademoiselle Cachemire

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