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TOPOGRAPHIE

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Des Bains de Saint-Gervais,

Dès que j’ai voulu t’entretenir des Bains de Saint-Gervais, je me suis défié de mes propres impressions, j’ai craint de céder trop aveuglément à l’influence de l’enthousiasme, et j’ai interrogé ce qu’ont écrit, sur le même sujet, trois observateurs de positions et de caractères distincts: un savant, un homme du monde, un prêtre.

M. Raoul-Rochette, dans ses Lettres sur la Suisse, s’exprime ainsi:

«J’ai vu maintenant tous les bains de la Suisse; je n’en connais pas dont la situation, au fond d’une gorge effroyable et sur le bord d’un torrent furieux, soit cependant plus commode et plus riante que celle de Saint-Gervais.... Un paysage enchanteur comme celui que je trouve ici, des eaux, des bois, des cascades, des montagnes, tout ce que ce pays renferme de grand, de beau, de magnifique, c’est ce qui ne se rencontre nulle part, et c’est ce que je suis venu chercher ici.... Situés à la base même du Mont-Blanc, et accessibles, comme ceux de Tivoli, on jouit, aux Bains de Saint-Gervais, de tous les avantages que l’on trouve disséminés ailleurs. La nature s’y montre avec toutes ses ressources, au milieu de toutes ses pompes, et l’art et l’industrie y rivalisent partout avec elle, sur son propre terrain. D’agréables maisons ont été construites sur un sol conquis aux dépens du torrent et de la montagne; un potager a été planté parmi les ruines, et des légumes croissent sur les rochers. Une superbe cascade qui semble se verser dans la maison même des Bains, de belles montagnes rendues partout accessibles, offrent, à chaque pas, des objets de contemplation inépuisables, et pour but de promenades plus éloignées, on n’a que le choix entre les flancs et les épaules du Mont-Blanc. Y a-t-il beaucoup de Bains, en Europe, qui réunissent tant d’avantages, et connaissez-vous, mon cher patron , beaucoup de lieux sur la terre où l’on puisse aussi bien exercer sa santé, après l’avoir recouvrée, ou la retrouver, après l’avoir perdue?»

Plus récemment, en 1834, M. le comte Th. Walsh écrivait:

«Les voyageurs feront bien de visiter les Bains de Saint-Gervais qui sont sur la route de Chamouny. L’Etablissement thermal est situé au fond d’une gorge romantique et sauvage, dont les constructions occupent toute la largeur; un torrent rapide, alimenté par la fonte des neiges d’un des revers du Mont-Blanc, forme, derrière la maison, une fort belle cascade, et entretient, dans cet étroit vallon, une fraîcheur délicieuse. Pour passer les jours brûlans de la canicule, Saint-Gervais est certainement à préférer à tout autre séjour, quand on veut faire une halte au milieu de ces contrées alpestres. Les environs offrent un grand nombre d’excursions intéressantes et de points de vue magnifiques. L’ascension du Mont-Joly et celle du Prarion sont en première ligne. On part également des Bains de Saint-Gervais pour faire le tour du Mont-Blanc, course qui présente un extrême intérêt. »

Enfin, un ecclésiastique, devenu un illustre et saint prélat , parlait ainsi des Bains de Saint-Gervais, dans un ouvrage publié en 1809, c’est-à-dire trois ans à peine après la découverte des sources thermales:

«Au-dessous du village de Saint-Gervais, non loin des bords de la rivière d’Arve, la nature a formé le lieu le plus pittoresque qu’il soit possible d’imaginer. Un petit vallon, large de quelques minutes et long d’un quart d’heure, s’enfonce entre deux collines élevées, couvertes de hêtres, de sapins et d’autres arbres qui ombragent fortement ce lieu solitaire. Au fond du vallon et du milieu des rochers, sort un fleuve de lait qui traverse cette petite prairie et forme, par sa couleur, le contraste le plus étonnant avec la verdure sombre qui tapisse ses bords; l’horizon, rétréci par la hauteur et le rapprochement des deux collines, vous place tout d’un coup dans un désert, et l’on est porté à se croire éloigné de cent lieues des contrées habitées. Voilà le lieu que nous allions visiter: nous avancions à grands pas dans ce paysage romantique. Bientôt, nous découvrîmes un bâtiment occupant toute la largeur du vallon: on ne s’attend pas à voir se terminer ainsi ce lieu sauvage; mais la surprise devint extrême, quand nous aperçûmes, sur la galerie qui forme les devans de cet édifice, des hommes et des femmes dont le costume et la tenue annonçaient le luxe et les modes de l’habitant des cités. Je me demandais à moi-même quel était ce peuple nouveau... Je ne crois pas que l’on puisse voir, en ce genre, un lieu plus extraordinaire et, comme des eaux thermales viennent d’y être découvertes récemment, je ne doute pas que, si jamais nous avons la paix avec l’Angleterre, la route de Saint-Gervais ne soit encombrée de voitures des baronnets et des mylords de toute espèce, qui accourront du bout du monde pour jouir du plaisir de rêver, voire même de se tuer, dans un lieu si propre à ces deux opérations chéries des Anglais et de certaines peuplades qui trouvent de la gloire à les imiter.»

Que pourrais-je ajouter à ces éloges unanimes? Rien sous le point de vue général, rien relativement à l’ensemble de la physionomie locale. Je me bornerai à examiner les détails indispensables à connaître.

Les sources minérales thermales de Saint-Gervais, en Savoie, sont situées à environ onze lieues est-sud-est de Genève, à cinq lieues ouest-sud-ouest de Chamouny, au fond d’une gorge, ou impasse, débouchant dans la vallée de Sallanches et dominée, à l’est, par le dernier degré du versant ouest du Mont-Prarion. Elle se trouve ainsi le point le plus inférieur d’une ligne rationnelle qui irait aboutir au sommet du Mont-Blanc, en suivant, sans interruption, le Mont-Prarion et le Mont-Lachat. Le sol où surgissent les eaux est néanmoins à 1,830 pieds au-dessus de la mer, à 680 pieds au-dessus du lac de Genève.

Du reste, Hérald, les topographes, historiographes et archéologues de toutes sortes n’ont pas grand travail à faire touchant la découverte ou les traditions des eaux de Saint-Gervais. Il n’y a là à s’occuper ni des Grecs ni des Romains. — Ce n’est peut-être pas un grand malheur. — Sur les bords de ces sources bienfaisantes, ne s’élève aucun monument glyptographique; nulle odeur de ruines ne s’y exhale à travers les vapeurs sulfureuses, et le pied ne s’y heurte à aucun débri de frigidarium ou d’hypocaustum.

Ces sources n’ont pas même été découvertes par un quadrupède quelconque, ni par une brebis, comme à Barèges, ni par un chien, comme à Carlsbad, ni par un cheval, comme à Boynes. La postérité se souvient des animaux, et oublie les hommes qui découvrent les eaux minérales.

Malgré tout, il est bon de rendre à chacun le sien. Il paraît donc que l’invention des eaux thermales de Saint-Gervais appartient à Pierre Kiesner, ancien ouvrier des mines de Servoz, et demeurant alors au Verney, sur la route de Saint-Gervais à Bionnay. Cet homme, en pêchant des truites dans le torrent, avait remarqué plusieurs fois des vapeurs assez épaisses s’élever de quelques endroits de la rive. Ce fait l’ayant frappé, il pratiqua une légère excavation et vit suinter aussitôt une eau de température très-sensiblement élevée. Il se hâta d’en prévenir M. ***, propriétaire du terrain, et celui-ci fit exécuter des fouilles qui ne permirent pas de douter de la présence d’une source minérale abondante.

C’était en 1806.

Il ne s’agissait plus que de connaître les propriétés de cette eau. Des professeurs de physique et de chimie de Genève se disposaient à les constater, lorsqu’ils reçurent du préfet du Léman l’invitation officielle de se transporter à Saint-Gervais, pour procéder à l’analyse. MM. Pictet, Tingry, Boissier et de La Rive furent les commissaires désignés. — Ce n’est pas ici le lieu de m’en occuper.

Mais il y avait autre chose à faire; il fallait rendre les nouvelles eaux accessibles aux malades et, quand je considère les obstacles innombrables, les difficultés de tous genres qui ont dû être attaqués et vaincus, je ne puis m’empêcher — quoique je ne professe point, d’ailleurs, une très-haute estime pour M. *** — de louer l’activité persévérante qu’il déploya à cette époque, afin d’obtenir des résultats si heureux pour l’humanité. Ce n’était pas tout, en effet, que d’établir peu à peu des constructions propres à l’administration des eaux et au séjour des malades, il fallut aussi, dans cette nature rude et sauvage, solidifier, assainir, embellir; il fallut opérer convenablement des coupes d’arbres et de broussailles, niveler le sol, employer les bras, les instrumens et la mine, pour se débarrasser des blocs énormes de rochers qui encombraient ce lieu désert, fixer un lit stable et définitif au torrent qui errait à l’aventure et se jetait tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre des escarpemens qui forment ce défilé, fonder, à cet effet, de puissantes digues, creuser le roc dans le vif pour élargir divers endroits trop resserrés de la gorge, pratiquer une voie de communication commode entre les Bains et la route de Sallanches à Chamouny, tracer de gracieux et utiles jardins, en fertilisant le sol par des transports pénibles et coûteux de terre végétale et que sais-je encore?.....

Tous ces travaux étaient exécutés, les propriétés des eaux bien connues et appréciées au loin, quand Saint-Gervais est tombé, en 1838, entre les mains d’un nouveau propriétaire plus capable, par sa spécialité et son expérience, de donner une direction convenable à ce genre d’établissement. Aussi, a-t-il dû changer beaucoup de choses, introduire d’importantes modifications, réparer, agrandir et améliorer sur tous les points, mais surtout sur ce qui regarde les bains, les douches et les vapeurs.

Aujourd’hui, l’Etablissement dont je veux te donner une idée, offre à l’arrivée une grande cour à trois corps-de-logis dont le principal regarde le nord et les deux ailes latérales s’étendent du midi au nord, l’une sur la rive droite du torrent, l’autre au pied de la montagne, base du Prarion, connue dans le pays sous le nom de la Chênerie. Le bâtiment du milieu, terminé par deux tours servant de jonction aux ailes, est lui-même mitoyen entre cette cour d’arrivée et une autre cour carrée, fermée de toutes parts, et ainsi placée au midi de la première; elle a été appelée la Cour des sapins, à cause de huit de ces beaux arbres qui s’élèvent au centre.

La première cour est consacrée aux logemens des malades et des voyageurs, sauf le rez-de-chaussée de l’aile du torrent qu’occupent les divers salons de café, de billard, de bal et de conversation.

Dans la seconde, se trouvent, outre un grand nombre de logemens, les cuisines, offices, salles à manger, la chapelle et les cabinets de bains, de douches et de vapeurs.

Partout, des galeries couvertes servent pour les communications et même pour les conversations et les promenades, lorsque le temps est pluvieux.

D’autres corps de bâtimens sont disséminés dans les jardins, tels sont la maison dite de pierres, à l’entrée de l’avenue; puis, en avançant dans la gorge, le pavillon, agréable retraite pour une ou deux familles, les écuries, les remises, la forge, etc.

Le terrain a été merveilleusement fertilisé sur les deux rives du torrent qui, après avoir longé le sud et l’ouest de l’Etablissement thermal, s’enfuit vers l’Arve(A) , et se confond avec elle, dans la plaine de Sallanches. Dans les jardins joints ensemble par plusieurs ponts jetés sur le torrent, d’habiles ouvriers cultivent avec succès les légumes et les fleurs, l’utile et l’agréable. Tous les étrangers qui ont visité les Bains ou qui y ont séjourné, ne cesseront de se rappeler cette puissante végétation, cette allée que bordent, en été, de magnifiques rosiers et, en automne, de brillans dahlias, et tant d’autres fleurs élevées avec art qui répandent, de toutes parts, de suaves parfums; les fraîches bordures d’aulnes, au bord de l’eau, les petits sentiers au pied des hauts versans, et ces bancs pour la conversation, pour la lecture ou pour la rêverie, sous les berceaux de verdure ou dans la roche dépouillée, et ces bosquets et ces prairies et ces eaux limpides venues de la montagne, se jouant capricieusement en jets, en cascadelles, en bassins, en canaux, pour former, au fond du jardin, un petit lac artificiel où se balancent, dans une élégante nacelle, d’aimables baigneuses et de jolis enfans.

Toutes les dépendances de l’Etablissement thermal se trouvent, tu le vois, circonscrites et enfermées — comme par une bonne intention de la nature — dans cette sorte de fer à cheval d’escarpemens tour-à-tour arides et boisés, de l’effet le plus pittoresque. Médications pour ceux qui souffrent, douces et salutaires distractions pour ceux qui ne souffrent plus ou qui ne souffrent pas encore; logemens, nourriture, élémens d’instruction et d’amusemens, halte pleine de charme et de bienveillance pour le touriste fatigué, tout est là, dans un espace qui peut être parcouru en quelques minutes.

D’où vient cependant que beaucoup d’étrangers éprouvent une vague tristesse, en arrivant à Saint-Gervais, et forment tout aussitôt le projet de s’en retourner dès le lendemain? A ce projet qui, du reste, dans l’immense majorité des cas, n’est point exécuté, on pourrait opposer la résolution de séjourner aux Bains, prise spontanément par d’autres étrangers qui devaient n’y passer que quelques heures, résolution effectuée, la plupart du temps, à moins de fortes raisons. Je suis bien aise de m’arrêter sur la première circonstance, parce qu’elle s’est offerte souvent à mon observation.

Soit que l’étranger souffre d’une de ces maladies physiques qui influent si vivement sur le moral, soit que le moral seul se trouve malade, les fatigues, les ennuis et souvent les contrariétés d’une longue route ont dû nécessairement produire en lui une exaspération de malaise. D’un autre côté, l’aspect général des Alpes — surtout quand on les parcourt pour la première fois — est de nature à frapper singulièrement l’imagination, à la jeter dans un état de morosité et de mélancolie auquel elle n’est souvent que trop disposée, sous l’ascendant de sa souffrance préexistante. Or, depuis la gorge de Cluse surtout, jusqu’aux Bains de Saint Gervais, le voyageur a eu le temps — quoique ce trajet soit seulement de quelques heures — de laisser s’accumuler, à son insu, beaucoup d’impressions, beaucoup de causes dont les fruits se révèlent à l’arrivée. Et puis, presque toujours, dans ce site étrange et sauvage, le regard ne rencontre que des visages inconnus, que des personnes installées, qui semblent accueillir avec curiosité, presque avec protection. Ajoute à cela que l’arrivée ayant lieu ordinairement le soir, la gorge des Bains est plus sombre, plus sévère, et parfois entièrement solitaire, les baigneurs étant, en ce moment, répandus dans les promenades environnantes. — J’ai été tenté quelquefois de dresser une statistique des visages rians et des visages taciturnes qui descendent de voiture pour faire un séjour à Saint-Gervais. La liste des premiers serait, je crois, à peu près nulle.

Mais, au souper déjà, au salon ensuite, l’on a conversé avec quelques baigneurs; le lendemain, l’on a fait connaissance avec beaucoup de personnes, avec beaucoup de choses et, installé à son tour, on sourit à l’air d’étrangeté de ceux qui arrivent.

Moi-même, Hérald, quoique je dusse trouver aux Bains des physionomies connues et des cœurs amis, en passant, pour la première fois, le pont du Fayet pour pénétrer, à droite, dans la gorge, à la vue de ces ravines désolées, dont le torrent minait la base en grondant, de cet énorme rocher de Baffé qui étalait devant moi ses marbrures funèbres, je ne sais quelle répugnance et quelle anxiété vinrent m’assaillir, et ne firent que s’accroître, tandis que j’avançais vers l’Etablissement thermal.

La nuit entière, pendant de nombreuses intermittences de sommeil, il me semblait qu’une forte pluie tombait au dehors. — «Hélas! pensai-je, la pluie à la campagne quand on est bien à couvert, la pluie qui bat les murs et les vitres, la nuit, est un remède contre l’insomnie, et contribue, par son bruissement monotone, au repos du voyageur; mais, au matin, tous les sentiers de la montagne seront glissans, les arbrisseaux, penchés, les fleurs flétries ou brisées, et l’air sera froid et humide. Et je ne pourrai sortir, ni visiter ces sommets que l’on prétend si beaux, ni contempler ces perspectives lointaines, ni admirer ces magnificences vantées. Et puis, l’on dit que le mauvais temps apporte à l’ame un ennui plus grand encore dans les montagnes que dans les plaines.....»

Erreur! ce n’était que le mugissement du torrent imitant, de la façon la plus complète, le bruit de la pluie, comme tu pourras en juger toi-même. Quand j’ouvris, en tremblant, ma persienne sur la galerie du corps-de-logis central, et du côté de la cour d’arrivée, il n’y avait pas un nuage au ciel, pas un souffle menaçant n’agitait les mille nuances de verdure des deux versans où, parmi les massifs épais, les sapins mêlent leurs franges noires aux branches argentées des bouleaux.

Déjà le soleil éclairait fortement la montagne des Fayets au pied de laquelle l’ombre régnait encore sur le jardin émaillé de fleurs. A droite, l’on eût dit qu’une immense tenture, tout-à-fait verticale au coup d’œil, avait été dressée, et il me semblait, à chaque instant, que le bâtiment dit Aile de la montagne, allait disparaître sous une avalanche de feuillage.

En face et bornant l’horizon, la plus haute aiguille de Varens s’élevait, comme un gigantesque obélisque aux flancs abruptes et menaçans; un rideau d’aulnes et de sapins me cachait la plaine de Sallanches et l’Arve qui la parcourt, mais j’apercevais au-delà et à une demi-lieue des Bains, à la base des Monts Varens, le fertile et riant côteau de Passy et les blancs filets du torrent qui descend à la cascade de Chède.

Cependant, le long de l’avenue, des baigneuses matinales se promenaient, un verre à la main; des messieurs enfourchaient des mulets dans la cour; d’autres, munis du bâton ferré, montaient du côté du village; les pompes jouaient; les baignoires s’emplissaient, se vidaient et s’emplissaient encore; la douche sifflait et la vapeur fumait..... Les cures allaient grand train!


Une saison aux eaux de St Gervais

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