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LOUIS VEUILLOT
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J'ai dessein de reprendre et de poursuivre cette série des Contemporains, interrompue pendant cinq ou six ans par des besognes à la fois plus ambitieuses et, au fond, plus frivoles. Car c'est sans doute encore la forme de la critique qui, à propos des personnes originales de notre temps ou des autres siècles, permet le mieux d'exprimer ce qu'on croit avoir, touchant les objets les plus intéressants et même les plus grands, d'idées générales et de sentiments significatifs.
Vous me demanderez peut-être pourquoi j'ai choisi, cette fois, Louis Veuillot. J'ai, en effet, un peu peur que toutes vos lumières sur lui ne se bornent à savoir qu'il fut un grand journaliste, le plus violent, le plus éloquent et le plus spirituel des «ultramontains», et qu'il a laissé une page curieuse sur Thérésa. Je pourrais vous répondre simplement que je continue à me laisser apporter mes sujets par le hasard de mes curiosités ou de mes souvenirs... (Hélas! je sens que je glisse encore dans cette «critique personnelle» qu'on m'a tant reprochée; mais qu'y faire?) Donc, les premiers volumes que j'ai reçus comme «livres de prix», c'était Rome et Lorette et les Pèlerinages de Suisse; et ainsi j'eus de bonne heure ce pli de considérer Veuillot comme un grand homme. Enfant et adolescent, j'ai fréquenté des curés de campagne qui ne juraient que par lui, et pour qui le rédacteur en chef de l'Univers était le Judas Macchabée de notre âge. Et, comme ils l'aimaient et l'admiraient un peu en cachette de leur évêque, ce culte qu'ils me faisaient partager avait pour moi l'attrait de quelque chose de vaguement défendu; et le Macchabée catholique m'apparaissait avec le prestige d'un héros réfractaire, d'un outlaw, suspect aux puissances établies. Innocente perversité! J'avais pour Veuillot d'autant plus de considération que je savais qu'il était redoutable à Mgr Dupanloup, lequel m'avait «confirmé». Ces impressions-là ne s'oublient point.
Mais au reste Louis Veuillot nous est tout à coup redevenu «actuel». Naguère deux des plus anciens rédacteurs de l'Univers se retiraient du journal, ne pouvant prendre sur eux de conformer désormais leur conduite politique aux instructions du pape Léon XIII. Ces instructions, M. Eugène Veuillot les avait pleinement acceptées. Je me demandai alors: Qu'eût fait Louis Veuillot? Et quelle serait aujourd'hui son attitude? Et c'est ainsi que je fus amené à mieux connaître son œuvre, que je n'avais jusque-là qu'effleurée.
Cette œuvre est considérable: cinquante volumes presque tous fort compacts,—sans compter les articles non recueillis et qui, je pense, formeraient une masse au moins égale d'imprimé. De tout cela, je crois avoir exploré et retenu l'essentiel. Ce qui est sûr, c'est que j'ai rarement vu plus immense labeur, ni plus rigoureuse unité d'esprit et de doctrine dans des occasions plus variées, ni plus riche et plus robuste tempérament d'écrivain. Et je l'ai aimé davantage, à mesure que j'ai compris quelle rare et forte et originale espèce de chrétien il avait été.
Mais, pour me retrouver dans cette surabondance de documents, je suis bien forcé de recourir à l'artifice des divisions et d'étudier tour à tour, dans Louis Veuillot, bien qu'en réalité ils s'y confondent (aussi m'arrivera-t-il sans doute de les mêler un peu), l'homme, le catholique et l'artiste.
II
Il était du peuple, du tout petit peuple; né à Boynes, dans le Gâtinais, d'une mère bourguignonne. Son père était ouvrier tonnelier et ne savait pas lire. Louis Veuillot connut, dans son enfance, la vie humble, étroite, indigente. Comme beaucoup d'artisans de la campagne, ses parents furent contraints par la misère de venir chercher un refuge à Paris. Louis s'éleva tout seul. Écolier de la mutuelle, puis saute-ruisseau, sans nulle éducation religieuse (il fit sa première communion comme la font les gamins de Paris, et ses parents étaient de braves gens qui n'allaient pas à la messe), il se forma principalement dans la rue et dans les cabinets de lecture, au hasard. Il fut un autodidacte, comme quelques-uns des plus originaux esprits de ce temps. Il était sensible et fier, frémissant aux injustices, prêt à la révolte. «Dans mon enfance, dit-il (1re préface des Libres Penseurs), quand certain patron de mon père venait lui intimer durement ses ordres, mon cœur bondissait, j'éprouvais un frénétique désir d'écraser cet insolent. Je me disais: «Qui l'a fait maître et mon père esclave? mon père qui est bon, brave et fort, et qui n'a fait de tort à personne; tandis que celui-ci est chétif, méchant, larron et de mauvaises mœurs. Mon père et cet homme, c'était tout ce que je voyais de la société.» Rappelez-vous cette note.
Cependant, le don d'écrire était dans ce gavroche. Après la révolution de 1830, n'ayant pas encore vingt ans, il est journaliste à Rouen, puis, à Périgueux, rédacteur en chef d'un journal ministériel. Il y défendait le gouvernement du «juste-milieu» et y servait la bourgeoisie qu'il haïssait instinctivement. Mais il fallait vivre. «Sans aucune préparation, je devins journaliste. Je me trouvai de la Résistance: j'aurais été tout aussi volontiers du Mouvement, et même plus volontiers.»
C'est lui le petit journaliste vivace, le gamin hardi et généreux dont il nous fait le portrait dans son roman de l'Honnête Femme. À vingt-quatre ans, pour avoir vu de près la basse cuisine politique, la sottise et la vanité des gens en place, l'égoïsme et l'hypocrisie de ceux qui formaient alors le «pays légal», il commençait à connaître les hommes, et il les méprisait parfaitement. Mais sa jeune misanthropie était allègre et goûtait déjà ces joies de la bataille, dont jamais il ne sut se défendre. «Quel plaisir de dauber sur ce troupeau de farceurs illustres et vénérés! Croirait-on, à les voir couverts de cheveux blancs, de croix d'honneur, de lunettes d'or, de toges et d'habits brodés, fiers, bien nourris, maîtres de cette société qu'ils grugent... croirait-on que leurs calculs sont dérangés, que leur sommeil est troublé par le bruit du fouet dont ils ont eux-mêmes armé un pauvre petit diable sans nom, sans fortune et sans talent!... Grosses outres gonflées de fourberie et d'usure, je saurai tirer de vous quelque chose qui pourra suppléer au remords!»
Il rougissait d'être un bourgeois payé par des bourgeois: il se souvenait avec amertume de «cet infortuné peuple de ses frères qu'il avait quitté lâchement». (Je cite beaucoup, car il est très important de bien connaître le point d'où Veuillot est parti.) «Là, continuait-il, j'ai mon père qu'on a usé comme une bête de somme, et ma mère courbée sous le chagrin... Le hasard a voulu qu'un rayon de soleil réchauffât leurs derniers jours. Je pouvais aussi bien n'être qu'un infirme de plus dans le grabat où la faim nous aurait dévorés... Ah! j'ai fait une action honteuse quand j'ai vendu ma voix aux artisans des misères publiques, à ceux qui vivent des sueurs populaires et ne se soucient pas de remédier aux tortures que leur égoïsme enfante et perpétue! Allez chez ces manufacturiers dont je suis ici l'organe: vous verrez dans leurs ateliers ce qu'on y fait de la chair humaine. Si mon père pouvait comprendre sa situation, il refuserait le pain dont je le nourris; mieux vaudrait pour moi n'avoir ajouté qu'un cri de haine, un gémissement à cette plainte éternelle que n'écoutent ni la terre ni les cieux.» Et le petit journaliste ajoutait: «Ces pensées me jettent dans une espèce de délire». Et ailleurs, pour se débarbouiller des bourgeois, il se retourne vers le peuple, que nul n'a aimé plus constamment que lui; il croit découvrir chez les paysans «un fonds d'idées saines et généreuses, le robuste instinct de la justice, de violentes antipathies contre les mensonges du libéralisme, une vague attente de vengeance humaine ou divine contre tous ces petits oppresseurs qui les trompent, les tyrannisent et les humilient». Et il les appelle contre «les messieurs», comme autrefois l'Église, «effrayée des crimes de la civilisation, se tournait avec une sorte d'espérance vers les barbares.»
Or, parmi toutes ces imprécations, le petit journaliste n'était pas content de lui. Il menait exactement la vie qu'il reprochera plus tard avec tant d'âpreté à beaucoup d' «honnêtes gens» de ses contemporains. Sans être fort débauché, il n'était point chaste. Sans être formellement impie (dès cette époque il paraît avoir été assez retenu dans ses discours touchant les choses de la religion), il était incroyant, et n'avait pas mis les pieds dans une église depuis sa première communion. Mais du moins il n'était nullement fier de son état moral, et il souffrait de ne savoir où il allait. Il était inquiet, avec d'étranges accès de sensibilité. Son ironie ne lui était souvent qu'un masque ou une attitude. «... Au sortir d'une conversation où j'aurai, par l'excès de mes dédains, étonné des âmes éteintes, j'irai dévorer en pleurant quelque puéril récit d'amour... Un son de voix, un regard, me jettent dans des chimères de tendresse et de mélancolie d'où je ne puis plus sortir. Je ne sais rien à quoi ne morde cette rage d'aimer. L'autre jour, en lisant Plutarque, j'étais épris de Cléopâtre. Jugez par là du reste.»
Si je ne me trompe, Veuillot à vingt-quatre ans était, ou peu s'en faut (car tout recommence), dans la disposition d'âme de ces jeunes gens d'aujourd'hui qui sont inquiets de Dieu et de l'humanité et qui cherchent à la fois la vérité religieuse et la solution des questions sociales,—à cette différence près que ces jeunes hommes dont je parle sont beaucoup plus instruits que ne l'était alors Veuillot, qu'ils connaissent les philosophes, qu'ils sont surveillés et arrêtés, après tout, par leur propre esprit critique, et qu'il est à craindre que leur raison trop exercée ne leur permette jamais de faire ce «saut dans le gouffre», qui est peut-être le saut dans la lumière.
À ce moment où le petit journaliste défendait à Périgueux le gouvernement des satisfaits, tout en songeant à part lui qu'il faisait peut-être une besogne honteuse,—s'il avait rencontré sur son chemin quelque théoricien du socialisme, imposant par sa foi, ardent de langage, austère de mœurs et sacerdotal d'allures, comme il s'en est trouvé, il n'est pas déraisonnable de supposer qu'il eût suivi cet apôtre en lui disant: «C'est vous la vérité et la vie». Il y avait certes, dans Veuillot, de quoi fournir une carrière admirable de révolté. Comme il était courageux et batailleur, il n'eût pas manqué une barricade et eût fait de la prison autant qu'aucun autre. Il eût composé de merveilleux évangiles de l'avenir tout bouillonnants de la plus redoutable éloquence et pénétrés de la plus tendre poésie. On le citerait aujourd'hui avec les Leroux, les Proudhon, les Lamennais, et il serait le plus grand écrivain de la révolution sociale.
Ou bien, simplement, les tourments sacrés de sa jeunesse se seraient peu à peu apaisés. Et alors il eût été un honnête homme suivant le monde, un vague libéral résigné à un ordre social où sa place n'eût point été mauvaise. Il n'eût été, enfin, qu'un littérateur de premier ordre. Il eût pu donner encore plus largement carrière à son esprit d'ironie et de dérision, car il eût eu moins de choses à respecter; il eût écrit d'excellents romans satiriques et réalistes; il eût, fort aisément, mis Edmond About et quelques autres dans sa poche; il aurait été académicien; il aurait mené une vie commode; il n'aurait eu, en fait d'ennemis, que sa portion congrue; tout le monde saurait aujourd'hui qu'il fut un des maîtres de la langue; il commencerait à entrer dans les anthologies qu'on fait pour les lycées, et une rue de Paris porterait son nom.
Mais l'inquiétude du petit journaliste ne s'apaisa pas, et il ne rencontra point l'apôtre qui l'eût pu conquérir à l'armée de la révolte. Il alla à Rome, et il s'y convertit.
III
Comment cela se fit-il?
Dans toute conversion, il y a quelque chose qui nous échappe et qu'il faut bien appeler, comme le font les convertis eux-mêmes, «l'action de la grâce». Tenons-nous en aux causes apparentes et aux caractères particuliers de la conversion de Louis Veuillot.
Je remarque d'abord qu'elle sortit d'une angoisse morale plutôt qu'intellectuelle, qu'elle n'eut rien de «métaphysique», qu'elle n'est nullement de la même espèce que la conversion (à rebours) d'un Jouffroy ou que la conversion (relative) d'un Pascal. Veuillot n'avait point le cerveau philosophique. C'était un pur sentimental. Il dit dans sa correspondance: «... Quant à moi, j'ai le bonheur d'être complètement inepte en philosophie, et je ne lis rien de tout ce qui se présente sous cette forme.»
Cette conversion ne fut non plus ni soudaine ni tragique. Veuillot n'eut pas, à proprement parler, sa «nuit». L'illumination qu'il eut à Rome ne fut que l'achèvement d'un travail secret de plusieurs années.
Il avait un grand besoin de certitude. La profession de spectateur amusé n'était point son fait. Il éprouva de bonne heure, de façon aiguë et persistante, ce que nous ne sentons qu'à certaines minutes et mollement: le vide et l'inutilité de la vie d'un journaliste, ou d'un littérateur, ou d'un bourgeois, qui n'est que cela. Faire des besognes auxquelles on croit à moitié ou pas du tout; écrire des livres où l'on ne met point son âme, mais seulement quelques conjectures ou spéculations sur la vie; obtenir par là de petits succès; cueillir en passant de petits plaisirs égoïstes; vivre au jour le jour; comprendre ça et là quelques petites choses, mais ignorer en somme ce que l'on est venu faire au monde; vivre en se passant de la vérité; vivre sans vouer sa vie à une cause aussi humaine et générale que possible; c'est-à-dire vivre comme nous vivons presque tous... cela parut très vite misérable au jeune rédacteur en chef du Mémorial de Périgueux. Au temps même où il daubait les bourgeois libres-penseurs de Chignac, il lui arrivait de faire sur lui-même un loyal retour. C'est que le petit journaliste avait déjà une vie intérieure. «Ah! s'écriait-il, je ris des reproches qu'ils peuvent me faire: mais j'évite de descendre en moi-même, car c'est là que je suis leur égal, et peut-être leur inférieur. Ils savent ce qu'ils veulent, et je ne le sais pas; et, si j'ai des troubles qu'ils ne connaissent pas, qui m'assure que je ne suis pas traître à mon âme et à ma destinée, autant et plus qu'ils ne le sont eux-mêmes au but final de la vie? Mais quel est-il, ce but mystérieux, invisible?»
Il se convertit donc, premièrement, en haine de cette incertitude, parce que la spéculation philosophique, dont il est d'ailleurs peu capable, ne lui suffit pas; parce qu'il lui faut une règle absolue de ses actes, et dont la sanction soit en dehors de lui: bref, il se convertit pour avoir la paix de la conscience.
Ce besoin de paix intime se confondait avec un autre: le besoin d'être meilleur, de mériter. Même avant d'être chrétien, il se sentait humilié de l'égoïsme, de l'inutilité et de l'impureté de sa vie. Mystérieux phénomène moral: il avait des remords sans croire pourtant qu'il fît des choses défendues ni qu'il transgressât une règle; il avait le sentiment du péché avant la connaissance et l'acceptation de la loi. «Témoignage d'une âme naturellement chrétienne», selon l'immortel mot de Tertullien. Même au temps de son «erreur», alors qu'il lui arrivait de s'échapper, comme les autres, en facéties et impiétés d'estaminet, ses collaborateurs l'accusaient d'avoir, comme journaliste, «du penchant pour les choses religieuses». C'est son frère qui nous le dit, et je n'ai aucune peine à le croire. Dès cette époque, il remarquait que les exemplaires les plus complets et les plus assurés de vertu, ceux qui nous inspirent le plus de confiance, nous sont offerts par des croyants au surnaturel, et qu'il n'y a rien de meilleur ni de plus respectable qu'un bon prêtre ou qu'une religieuse sainte. Et secrètement, peut-être à son insu, son sens pratique en tirait déjà des conséquences.
Enfin, la troisième et, il faut le dire à son honneur, la plus déterminante raison de sa conversion, ce fut la «charité du genre humain», ce fut l'amour du peuple, l'amour des humbles, des souffrants, des ignorants, des opprimés. Les textes abondent et surabondent chez lui, par où l'on pourrait le démontrer. Je veux du moins citer une page capitale de la première préface des Libres Penseurs:
Mon père était mort à cinquante ans. C'était un simple ouvrier, sans lettres, sans orgueil. Mille infortunes avaient traversé ses jours remplis de durs labeurs... Personne, durant cinquante ans, ne s'était occupé de son âme... Il avait toujours eu des maîtres pour lui vendre l'eau, le sel et l'air, pour lever la dîme de ses sueurs, pour lui demander le sang de ses fils; jamais un protecteur, jamais un guide... Au fond, que lui avait dit la société?... «Sois soumis et sois probe; car, si tu te révoltes, on te tuera; si tu dérobes, on t'emprisonnera. Mais si tu souffres, nous n'y pouvons rien; et, si tu n'as pas de pain, va à l'hôpital et meurs, cela ne nous regarde plus.» Voilà ce que la société lui avait dit, et pas autre chose... Elle n'a de pain pour les pauvres qu'au Dépôt de mendicité; des consolations et des respects, elle n'en a nulle part...
Mon père avait donc travaillé, il avait souffert, et il était mort. Sur le bord de sa fosse, je songeai aux tourments de sa vie, je les évoquai, je les vis tous, et je comptai aussi les joies qu'aurait pu goûter, malgré sa condition servile, ce cœur vraiment fait pour Dieu. Joies pures, joies profondes! Le crime d'une société que rien ne peut absoudre l'en avait privé. Une lueur de vérité funèbre me fit maudire, non le travail, non la pauvreté, non la peine, mais la grande iniquité sociale, l'impiété, par laquelle est ravie aux petits de ce monde la compensation que Dieu voulut attacher à l'infériorité de leur sort. Et je sentis l'anathème éclater dans la véhémence de ma douleur.
Oui, ce fut là! Je commençais de connaître, de juger cette société, cette civilisation, ces prétendus sages. Reniant Dieu, ils ont renié le pauvre, ils ont fatalement abandonné son âme. Je me dis:—Cet édifice social est inique, il sera détruit. J'étais chrétien déjà; si je ne l'avais été, dès ce jour j'aurais appartenu aux sociétés secrètes.
Jamais conversion religieuse ne fut, dans ses mobiles profonds, plus pitoyable aux hommes, plus soucieuse des souffrants, plus «populaire». Longtemps avant le coup de la grâce, le catholicisme commençait d'apparaître à Veuillot comme le grand et seul remède aux maux humains: aux troubles de l'âme par la certitude; aux souffrances et aux injustices sociales, soit par la charité chrétienne, soit par la sanction après la mort.
Ce fut dans ces dispositions qu'il alla à Rome. C'est le lieu par excellence des «retraites», celui où se nourrissent le mieux les rêves: rêves d'art, rêves de volupté, rêves de perfection morale. L'atmosphère y est pleine de souvenirs et comme saturée d'âme. J'ai dit que Veuillot était peut-être par-dessus tout un homme de sentiment, un poète: la Rome catholique s'empara de lui tout entier, et avec une force inouïe. Par la vertu des témoignages sensibles, des symboles qui y sont accumulés, et dont il subissait la magie enveloppante, le catholicisme s'imposa à son esprit comme la seule explication permanente et complète du monde et de la vie; il y reconnut la vraie panacée de l'universelle misère, le salut de l'ignorante humanité. L'enchantement spirituel de ses sens acheva la transformation de son cœur: il eut d'ineffables attendrissements, il pleura dans les églises. Dans nulle conversion il n'y eut plus d'amour.
IV
La vérité connue et embrassée, il ne la lâcha plus. Catholique, il voulut vivre pleinement en catholique. Cela n'alla pas d'abord tout seul. Le «vieil homme» résistait. Le nouveau converti eut quelques mois de profonde angoisse: il regrettait ce qu'il voulait quitter. Il écrivait à son frère (Corresp., I, p. 25):
Je suis horriblement triste, et du vieux fonds que tu me connais, et de ce qui s'ajoute chaque jour, et enfin de la peur que me fait éprouver ce continuel accroissement, quand je viens à y songer.
Il dit encore ceci, que l'on sent être très vrai:
C'est justement depuis ce moment-là (celui de sa conversion définitive) que je souffre le plus. Le combat a réellement commencé à l'acte qui devait le finir: ce qui était clair à mon esprit devient douteux; ce que j'ai abandonné avec le plus de facilité me devient cher.
Et ceci, d'une si belle et courageuse sincérité, et qui me paraît aller loin dans la connaissance de notre misérable cœur:
... Évidemment cette lutte doit se terminer par le triomphe du bien; mais elle est longue et douloureuse en raison du mal qu'on a commis: car on n'a pas fait une faute, si odieuse soit-elle, qu'on ne désire la faire encore, et faire pis. Chaque vice de la vie passée laisse au cœur une racine immonde, qu'il faut en arracher avec des tenailles ardentes. Cela semble une chose épouvantable d'être tenu à une vie honnête et réglée par le grand devoir divin.
Et cependant, il se sent une force qu'il n'avait pas auparavant:
... Ces actes, ces fautes, ces plaisirs, pour lesquels on avait du mépris, on s'y laissait entraîner: maintenant qu'ils inspirent un attrait horrible, qu'ils vous donnent une soif d'enfer, vous n'y cédez pas. C'est la récompense: elle est lente, elle est rare, elle est maudite parfois lorsqu'elle vient; mais elle vient.
Ce trouble, ces «tentations hideuses», je ne jurerais pas que Veuillot en fût jamais complètement affranchi. Jusqu'au bout, il aura, çà et là, des aveux sur sa misère intime, pour lesquels nous l'aimerons peut-être plus encore que pour ses généreuses et éblouissantes colères. Cet homme fut d'une étrange franchise et, contre l'opinion commune, doux et humble de cœur.
Il triompha du moins assez vite de ces premiers assauts, plus redoutables, qui suivirent immédiatement son retour à Dieu, de la séduction du péché encore tout proche, des mauvais souvenirs encore tout chauds dans le sang de ses veines. Comment? Comme il le devait: par la prière, la confession, la communion, par la pratique obstinée de ce mystique «abêtissez-vous» de Pascal, dont il a donné (Mélanges, I) le plus pénétrant, le plus admirable commentaire.
Une des grandes sottises de ses ennemis fut assurément de l'avoir traité de tartufe. Cela ne vaut pas la peine d'être réfuté, pour peu qu'on ait lu Veuillot et que l'on sache lire. Sa conversion eut pour premier effet de lui faire payer ses dettes:
... Sais-tu jusqu'où vont les agréables restes de mon beau passé? Sais-tu ce qui me reste de tous mes essais de plaisirs, de mes rages, de mes colères, de tant de pleurs versés et de temps perdu? Je viens d'en faire le calcul: 5 000 francs de dettes, dont 1 000 francs pressent et devraient être déjà payés. Des dettes oubliées se sont réveillées au fond de ma conscience, et ma conversion n'eût-elle produit que cela, nous devrions tous la bénir. (Lettres à son frère.)
Il se mit à être un très scrupuleux honnête homme. Il s'occupa tendrement de son frère cadet, fit des livres pour constituer à ses deux sœurs une petite dot, ne se maria que lorsqu'elles furent pourvues. Très aimé et employé de M. Guizot, secrétaire, en Algérie, du maréchal Bugeaud, il ne tenait qu'à lui d'avoir une grande situation dans la presse ministérielle. Mais il était de ceux qui ne s'arrêtent pas en chemin, qui ne font pas au devoir sa part, qui vont jusqu'au devoir d'exception. Il repoussa les avantages offerts, voulut se garder libre, et, puisqu'il était catholique et que son don particulier était celui de l'écrivain, fonda un journal catholique: entreprise hasardeuse et qui eut de difficiles commencements. Toujours il dédaigna la fortune. Sa vie, quand on l'embrasse, est harmonieuse et belle, toute d'incroyable labeur et de sacrifices allègrement portés, les uns publics, les autres secrets et que ses lettres révèlent ou laissent deviner.
V
Il fut un des grands catholiques de ce temps; le plus grand peut-être, si l'on considère la puissance et l'ardente et amoureuse combativité de son talent; le plus original, si l'on fait attention à l'absolue pureté de son catholicisme, rare et neuf par cette pureté même et cette simplicité.
Il lui fut avantageux, en somme, de n'avoir reçu, dans son enfance, presque aucune éducation religieuse; d'avoir, en vrai gamin de Paris, fait sa première communion sans y prendre garde et, ensuite, de n'y avoir plus songé. Les hommes qui ont eu une enfance pieuse et qui se sont lentement détachés de la foi par l'insensible travail de leur esprit avec qui conspirent, quelquefois, les exigences de leurs passions de vingt ans, ceux-là ne se convertissent guère ou, s'ils se convertissent, ce n'est pas à vingt-cinq ans, c'est généralement beaucoup plus tard, et c'est par un simple réveil de sentiments qui, au surplus, n'ont jamais été, chez eux, tout à fait spontanés, mais qu'un enseignement exprès avait déposés dans leurs cœurs d'enfants. Leur retour à la foi peut avoir sa douceur et même son ardeur, mais ce ne saurait être le coup de foudre et l'éblouissement du chemin de Damas. Veuillot, lui, ne retrouve pas la vérité: il la découvre réellement, il la conquiert, et cela, par son propre effort et en plein frémissement de jeunesse. Il ignorait le sens de la vie: un jour, il le connaît. Ce n'est pas un ressouvenir, c'est une révélation. C'est pourquoi sa conversion a tous les caractères du plus fervent enthousiasme.
Il est catholique naïvement,—sans respect humain, cela va sans dire, mais même sans rien de cette retenue, de cette discrétion de bon ton qu'observent volontiers les croyants «d'un certain monde» et qui fait qu'on peut les fréquenter longtemps sans soupçonner qu'ils vont à la messe et qu'ils communient. Sa foi, pénétrant toute son âme, est une foi de tous les instants, et il ne craint pas d'en donner des témoignages familiers. Jusque dans ses articles, mais surtout dans ses lettres et dans ses romans, dans ses recueils de petits contes et de «variétés», il ne rougit point d'avoir le style «dévot», à la façon d'un curé de campagne. Il parle sans embarras de ses pratiques religieuses, d'une messe qu'il a entendue, d'un chapelet qu'il a récité, d'une communion qu'il a faite. Le maigre du vendredi joue un rôle important dans ses petits récits d'édification. Sa foi, si souvent sublime de penser et de propos, est, dans le détail journalier, humble et populaire. Et ne croyez pas qu'il outre à plaisir, et par une sorte de défi aux esprits superbes, l'humilité et la simplicité du cœur: on reconnaît, lorsqu'on l'a pratiqué un peu, qu'il est naturellement ainsi.
Or il est bien évident, d'abord, que, parmi les illustres catholiques laïques de ce siècle, les Montalembert, les Falloux, les Ozanam, aucun n'a cet accent; que ce sont gens bien élevés, dont les discours pieux sentent leur homme du monde et se distinguent toujours de ceux d'un desservant de village, d'un sacristain ou d'une Petite Sœur. Mais cette bonhomie dévote, ces façons candides de frère lai, ce ton de piété plébéienne, je ne pense même pas que vous les surpreniez jamais chez les prêtres célèbres qui furent les contemporains de Veuillot, chez les Lacordaire, les Ravignan, les Dupanloup, ces aristocrates de la foi.
Veuillot, lui, est bien peuple. Les catholiques considérables que je nommais tout à l'heure, clercs ou laïques, appartenaient par leur naissance à la noblesse ou à la bourgeoisie. Certes ils croyaient que le catholicisme est le salut de la société humaine et, par conséquent, des pauvres; mais ils semblaient préoccupés moins directement de l'âme des pauvres que de celle des riches, et ils gardaient à ceux-ci, malgré leurs vices et leur indignité, une sympathie et une considération involontaires. Ils aimaient le peuple: mais ils le connaissaient à peine, ils ne l'avaient pas vu souffrir, ils n'avaient pas souffert avec lui. Il fut infiniment profitable à Veuillot d'être né de petits artisans, d'avoir été un pauvre petit gosse des rues, d'avoir vu son bonhomme de père maltraité par les patrons, d'avoir assisté et participé aux durs chômages, aux privations, aux angoisses pour le pain du lendemain. Il comprit mieux ainsi pourquoi le peuple est ce qu'il est, que c'est lui, surtout, qui a besoin du Christ, et qu'il est moins coupable que ses guides. Même féroce et impie, le peuple lui inspirera toujours plus de pitié que de colère. Dans ce livre splendide: Paris sous les deux sièges, il écrit, à propos des exécutions sommaires, contre lesquelles il proteste (pour d'autres raisons que les députés de Paris): «... Devant ces misérables, la société... subit la conséquence horrible de rester sans pitié. Dieu, n'étant jamais sans justice, n'est jamais sans pitié... Parmi les foules qu'il faut engouffrer aux géhennes sociales, se trouvent beaucoup de ces publicains et de ces mérétrices qui entreront avant leurs juges dans le royaume de Dieu. Les anges que Dieu commet à la visite des fanges humaines ne l'ignorent point. Ils y ramassent des perles que peut-être ne contiennent pas en pareil nombre les riches demeures, les cours et les palais...» Nul catholicisme plus anti-bourgeois que celui de Veuillot.
Point d'ascétisme, sinon peut-être dans la partie la plus réservée de sa vie intérieure. Il ne se fit pas uniquement catholique pour orner et sauver son âme, mais pour servir le plus d'âmes possible, propager le bienfait qu'il avait reçu, et leur donner la foi qui seule assure à tous la vie heureuse ou supportable, même en ce monde-ci, en inspirant la bonté aux puissants autant que la patience aux déshérités. Ce trait est fort remarquable chez Veuillot. C'est bien en vue de la vie éternelle, mais c'est aussi, et très formellement, pour diminuer les douleurs de la vie présente (les deux buts devant d'ailleurs être atteints par les mêmes voies) que Veuillot se soucie de l'humanité, étant lui-même trop vivant, trop débordant d'énergie et trop épris de l'action pour se désintéresser, à la façon des ascètes, de cette vie mortelle et transitoire. La cité de Dieu dont il rêve, il ne la rejette pas tout entière par delà la mort. Pour lui, le temps de l'épreuve est déjà le commencement de la récompense. C'est un saint très pratique par tempérament.
Peu de métaphysique, je l'ai dit. S'il en avait une, ce serait la métaphysique imaginative de Joseph de Maistre, qu'il connaît bien et qui est un de ses oracles. C'est avec le cœur qu'il croit. Il reçoit comme mystère ce qui est mystère. La Trinité en est un, le péché originel en est un, et l'incarnation, et la rédemption, et l'eucharistie, et la grâce. Cela va bien: il y a dans ces dogmes quelque chose à la fois d'inconcevable et de fort émouvant. Mais vous savez qu'en ce siècle raisonneur il s'est trouvé des prêtres ou des philosophes chrétiens, ou d'anciens élèves de l'École polytechnique, pour expliquer couramment ce qui est, par nature, inexplicable. Il y a un pseudo-rationalisme catholique. Que trois soient un; que Dieu ait été homme; que du pain et du vin soient Dieu; que Dieu soit juste et qu'il nous fasse porter la peine d'une faute que nous n'avons pas commise; que Dieu soit bon et que, prévoyant la damnation de la majorité des hommes, il ait créé l'humanité; que Dieu soit bon et que l'enfer soit éternel, etc., on a vu des moines éloquents qui donnaient de ces choses des interprétations philosophiques: et cela est étrange, car un mystère que l'on comprendrait ne serait plus un mystère, et on ne rend pas raison de ce qui est au-dessus de la raison. (Tout ce qu'on pourrait faire, ce serait de rechercher la formation historique des dogmes et quels états d'esprit ont pu les engendrer: mais cela est besogne d'incroyants.) Veuillot ne donna pas dans le travers de ces chrétiens qui veulent faire au surnaturel sa part. Il accepte tout, il n'en trouve jamais assez. L'Immaculée Conception, et tous les miracles modernes, et la Salette, et Lourdes, il dévore tout. La liberté que l'Église laisse aux fidèles sur certains points douteux, il la refuse, il n'en a que faire. Il n'a jamais été troublé le moins du monde de ce qui indignait si fort un Proudhon ou un Michelet et, par exemple, de ce que suppose d'arbitraire divin la théorie de la grâce. Bon et tendre comme il était, il parle à l'occasion et sans vergogne de l'enfer, sur qui les prêtres «éclairés» glissent volontiers. Il y plonge Voltaire et quelques autres avec une sainte allégresse. Sa foi est intrépide, va jusqu'à lui donner l'apparence de sentiments qui sont peu dans son caractère. Il lui arrive de renchérir sur le charbonnier.
Un des lieux communs de notre littérature lyrique et romanesque, c'est le «supplice du doute». À mon sens, c'est assez souvent une plaisanterie. Je ne crois que difficilement à la douleur métaphysique. Du moins, j'ai connu des esprits, même éminents, qui ne souffraient pas du tout de ne pas croire, et à qui il ne semblait point nécessaire, pour vivre, de tenir l'explication du monde. Veuillot est aux antipodes de cette famille d'esprits. Oui, le doute pour lui eût été bien réellement «un supplice». L'intrépidité de sa foi et même la hardiesse des jugements qu'elle lui inspire sur les affaires de ce monde recouvre et suppose, à l'origine, l'horreur de l'incertitude et de la solitude, l'impossibilité de durer dans la non-affirmation, l'impérieux besoin de support et de magistère, en somme le frisson de je ne sais quelle peur irréductible, la peur du noir, celle qui jette les mourants aux bras des prêtres. Il y a de la physiologie dans cette peur-là: il y en avait dans la foi de Veuillot. Il n'aurait rien compris à ce raisonnement que j'ai souvent fait en songeant à la mort:—«Oui, c'est le noir, c'est l'inconnu. Mais s'il y a une destinée humaine par delà la mort, quelle qu'elle doive être pour moi, je serais fou de redouter un sort qui me sera forcément commun avec des milliards d'individus de mon espèce.» Cela ne l'eût point rassuré. On le dirait hanté de la crainte de n'être pas suffisamment orthodoxe. Il a comme la rage de s'en remettre du plus de choses possible à l'autorité du représentant de Dieu; et il semble qu'il se soit surtout appliqué à concentrer dans le pape seul le privilège d'infaillibilité autrefois épars dans l'Église entière, afin d'être plus tranquille. J'ai entendu des croyants, qui avaient d'ailleurs l'âme très belle, dire à propos de certaines difficultés du dogme: «J'aime mieux ne pas penser à ces choses-là.» Tel Veuillot. Quand il était seul avec lui-même, il fermait les yeux.
Mais, s'il se jette dans la foi par le même mouvement de recours craintif que les femmes et que les plus simples de ses frères, une fois assuré de ce refuge, il se retrouve homme de pensée. Il comprend profondément le rôle social de l'Église et en quoi ses dogmes correspondent aux besoins les plus intimes et les plus nobles de la nature humaine. Sur ce qui est l'âme même du christianisme, il abonde non seulement en sentiments, mais en idées. Lisez, dans le Parfum de Rome, le chapitre sur les Indulgences:
... Par la création de l'Église, les fidèles constituent un corps immense, prolongé dans le ciel, sur la terre et dans les lieux de purification que nous appelons le purgatoire. Triomphante, souffrante, militante, l'Église est une en ces trois états. Jésus-Christ en est la tête. Ainsi se trouve accomplie l'unité des hommes avec Dieu et des hommes les uns avec les autres... Le membre humain de l'Église conserve son individualité. Portion du corps mystique de Jésus-Christ, il a tous les bénéfices de la vie d'ensemble; homme, il garde la prérogative, mêlée de péril et de gloire, de l'être responsable et libre. Ainsi ce corps de l'Église nous apparaît divinement humain... Le dogme des Indulgences n'est pas l'abri de la paresse: il est le dogme des douces condescendances envers la fragilité humaine... Quand nos mains sont pures, elles sont magnifiquement transformées; elles deviennent le vase qui peut répandre à larges ondes l'eau du rafraîchissement... Ainsi nous pouvons, par la prière et les bonnes œuvres, descendre dans ce formidable purgatoire, etc.
Mais il faut lire tout le morceau. Cela est d'une théologie grandiose, et si humaine! Vous y verrez ce qui se cache sous l'une des pratiques les plus exposées aux moqueries des incrédules, sous les mômeries des bonnes femmes dévotes et sous le commerce des scapulaires, des cierges et des affreuses petites images de sainteté... «Vous avez une pointe de panthéisme, dit le pieux écrivain au symbolique Coquelet. Vos erreurs sont souvent des vérités que vous n'entendez pas, et vous vous empoisonnez avec des sucs divins.» Il cite alors à Coquelet un étonnant passage de saint Jean Damascène, et il ajoute: «Quand vous voudrez du panthéisme que vous puissiez comprendre, vous savez où il faut vous adresser.» Et je ne saurais vous dire si l'union de Dieu et de l'humanité dans l'Église est en effet un panthéisme plus facile à «comprendre» que l'autre: mais c'en est un; et c'est de ce vin que les mystiques ont été ivres. Et, de même, la théorie de la réversibilité des mérites, ce n'est autre chose, après tout, que du communisme, le communisme des âmes, et c'est encore où Veuillot trouve de quoi contenter ce sentiment et cet amour de la solidarité humaine qu'il avait au plus haut point. Car sans doute il se peut que cette théorie des Indulgences heurte la conception de la justice qui a prévalu dans la Révolution et dans la philosophie moderne, et que la mise en commun des mérites et des grâces soit traitée avec dérision par ceux mêmes qui appellent la mise en commun des biens matériels: mais les philosophes qui, comme Proudhon, voient dans le catholicisme la religion de l'injustice, ne prennent pas garde que l'injustice disparaît par le seul fait du consentement et du sacrifice volontaire de ceux qui ont mérité davantage en faveur de ceux qui ont moins mérité; qu'ainsi c'est l'amour et le renoncement du fidèle qui crée la justice de son Dieu, et que, si la matière, ici, est obscure, la pensée est belle et toute formée de charité.
La théorie des Indulgences, mystère qui implique tous les autres mystères chrétiens, serait,—sans l'éternel enfer,—celle d'une sorte d'universel socialisme moral. Et c'est ce qui enchante l'âme grande, affectueuse et «populaire» de Louis Veuillot. Pour lui, la religion est bien essentiellement, selon l'étymologie, un lien,—lien des hommes entre eux, et des hommes avec Dieu. Souvenons-nous qu'il a été un des premiers à dénoncer l'individualisme:
... Quand nous disons que la France a besoin de religion, nous disons absolument la même chose que ceux qui disent qu'elle a besoin de concorde, d'union, de patriotisme, de confiance, de moralité, etc. Il n'est pas difficile de comprendre qu'un pays où règne l'individualisme n'est plus dans les conditions normales de la société, puisque la société est l'union des esprits et des intérêts, et que l'individualisme est la division poussée à l'infini... Tous pour chacun, chacun pour tous, voilà la société. Chacun pour soi, et par conséquent chacun contre tous, voilà l'individualisme...
Edmond Schérer et d'autres ont dédaigneusement reproché à Louis Veuillot de manquer de philosophie, de n'être point un «penseur». Il est vrai qu'il s'était retranché, une fois pour toutes, les libres spéculations sur l'origine du monde, sur le libre arbitre, sur la matière et l'esprit, sur la destinée des hommes ou même simplement sur l'histoire; et j'ai confessé, tout à l'heure, qu'il n'avait pas le cerveau proprement philosophique. Mais enfin, être un penseur, cela sans doute en vaut la peine quand on est Descartes, Kant ou Hegel; autrement, cela n'est ni si rare, ni si éblouissant. Quand on ne peut pas être un penseur, il reste d'être «un homme». Schérer était, si vous y tenez, plus intelligent que Veuillot: il s'en faut que sa personne intellectuelle, morale, littéraire, soit aussi intéressante. Il y a quelque chose d'extraordinaire chez l'auteur des Libres Penseurs et de Paris sous les deux sièges: c'est,—étant donné sa foi qui le lie et l'emprisonne,—la puissance, la souplesse et quelquefois l'audace avec laquelle il interprète tous les événements, grands et petits, selon cette foi. Cet homme, qui n'est pas un philosophe, n'a que des sentiments d'un caractère universel. Au fond il ne se soucie que de l'humanité et se soucie de toute l'humanité. Il ne lâche point la croix; mais, du pied de la croix, il a, sur tout ce qui passe, des vues d'une ampleur souvent surprenante. Il n'a qu'une idée,—et dont il n'est pas l'inventeur,—mais génératrice d'idées harmonieuses, à l'infini.
Cela est peut-être aussi beau et aussi rare que d'avoir beaucoup d'idées personnelles qui se contrarient.
VI
Étant l'espèce de catholique que j'ai dit, le rôle de Veuillot dans la société moderne, telle qu'elle est, ne pouvait être que ce qu'il a été: un rôle de combat. On sait avec quelle vigueur, quel courage et quelle persévérance, quel emportement et quel éclat il l'a soutenu. La belle campagne! Pendant plus de quarante ans, presque chaque jour, il tient tête à ses ennemis, c'est-à-dire aux ennemis du catholicisme et, pareillement, à ceux qui n'étaient pas catholiques de la même façon que lui; bref, il tient tête à tout le monde, ou à peu près, successivement.
Son premier adversaire, c'est, bien entendu, la classe qui s'est épanouie après la Révolution et l'Empire, la bourgeoisie rationaliste et libre penseuse; la bourgeoisie riche, égoïste, jouisseuse, dure aux pauvres, qui a flatté le peuple pour conquérir le pouvoir, mais qui n'aime pas le peuple; qui l'a abaissé et dépravé en lui volant Dieu, mais contre qui le peuple, inévitablement, se retournera un jour.
Nul n'a été plus dur pour l'esprit de la Révolution que ce fils de tonnelier, d'âme si évidemment démocratique. C'est qu'en effet l'idéal de la Révolution est la constitution de la société en dehors de la croyance à tout surnaturel, et même de la croyance en Dieu. Veuillot y découvre et y déteste l'œuvre finale de l'incrédulité furieuse du XVIIIe siècle, œuvre de l'orgueil et de l'envie, et aussi de ce pédantisme philosophique, ignorant des vraies conditions de la réalité humaine, que Taine appellera l'esprit classique. Et l'on a l'étonnement de voir Louis Veuillot, en plus d'une page, se rencontrer sur ce point,—et sauf la différence des conclusions—avec Taine et avec Renan. De même, il constate que la Révolution a surtout profité aux riches; il cherche en vain ce qu'elle a fait pour les pauvres: et l'on a la surprise de le voir se rencontrer là-dessus avec les plus décidés révolutionnaires d'aujourd'hui.
Toutes les variétés de l'espèce libre penseuse l'exaspèrent: non seulement le libre penseur militant, celui dont il a férocement tracé le type sous le nom de Coquelet et qui ressemble déjà très exactement à M. Homais bien avant le roman de Flaubert, mais encore et surtout le libre penseur douceâtre, qui a de la condescendance pour la religion. Plus que le Siècle ou le Constitutionnel, il exècre le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. J'imagine qu'il se fût étrangement défié de nos néo-catholiques, de ces gens qui font des gestes pieux et qui, mis au pied du mur, confesseraient qu'ils ne croient même pas à la divinité du Christ. Il vous les eût mis dans le même sac que le protestantisme, qu'il considère comme une pure hypocrisie, comme une forme hybride et honteuse du rationalisme. Chose curieuse, c'est aux pasteurs protestants qu'il trouve l'air béat et cafard de Basile; et il les accable tout justement des mêmes railleries que les libres penseurs vulgaires ont coutume d'adresser aux «curés».—Bref, il ne comprend pas ou refuse énergiquement de comprendre le sentiment religieux sans la foi, et sans la foi catholique. Et c'est encore une des marques de cette dureté de logique, qui eût pu faire tout aussi bien de lui, certaines circonstances étant données, un sectaire du socialisme ou de l'anarchie, et qui, en tout cas, ne lui permettait pas de s'en tenir à aucune de ces opinions qu'on appelle «modérées» et qui sont comme de faux ménages (souvent commodes) d'idées et de sentiments contradictoires.
Il n'a, comme vous pensez bien, que mépris pour le parlementarisme, chose bourgeoise en effet, et il en démontre avec une force extrême la vanité, les injustices et la stérilité. Sur la sottise et le ridicule des bourgeois «dirigeants», des censitaires, il éclate intarissablement en moqueries étincelantes, et, sur leurs vices et leur malfaisance, en flamboyantes imprécations. Sur la presse impie et libertine, grave ou plaisante,—chose bourgeoise encore,—sur notre littérature romanesque, sur nos arts, sur nos divertissements, et sur ceux qui en vivent, il a tout dit. Il a des galeries de portraits qui sont du La Bruyère au vitriol. Sauf erreur, les Libres Penseurs et les Odeurs de Paris restent nos plus beaux livres de satire sociale. Cela est plein de génie. On pourrait aisément extraire de l'œuvre de Veuillot plusieurs volumes de prose insurgée, que ne renieraient point les adversaires les plus enragés de la «société capitaliste». J'en avertis ici le directeur du «supplément littéraire» des Temps nouveaux.
Il est vrai que, de ces morceaux choisis, il faudrait souvent retrancher les réflexions préliminaires ou les conclusions. Veuillot n'a guère moins lutté contre le socialisme, sous toutes ses formes, que contre ce qui s'est appelé le libéralisme bourgeois et qu'on nomme aujourd'hui le radicalisme. Au fond, c'est à une conception toute matérialiste de la société que tend la bourgeoisie incrédule. Or, cette conception est grosse de conséquences. Pour servir ses ambitions, la bourgeoisie a ôté Dieu du cœur des souffrants; puis elle s'étonne qu'un jour les souffrants se révoltent contre elle. Et pourtant les révolutionnaires inassouvis et furieux sont bien les fils des révolutionnaires repus, devenus conservateurs de leur situation acquise et défenseurs de l'ordre en tant qu'ils en bénéficient. Le dernier mot de la politique sans Dieu, c'est le déchaînement de la brute qui a faim, et qui veut jouir, et qui ne sait pas autre chose. Le bourgeois libre penseur engendre le nihiliste qui le mangera. En vain le bourgeois opposera «les lois universelles imposées à l'humanité... la morale que la nature nous a mise dans le cœur... le bon sens, la nécessité de la résignation provisoire, la patrie, etc.». Que pèsent ces mots pour qui ne croit plus qu'aux besoins de son ventre et aux joies de sa haine?
Cela est développé, avec la plus sombre éloquence, dans cet admirable dialogue: l'Esclave Vindex. Et certes je ne dis point que Veuillot soit avec Vindex, le gueux révolté qui va jusqu'au bout de sa pensée, contre Spartacus, le «radical» bien mis, qui a du linge et garde des principes: mais Vindex a vraiment, dans ce pamphlet, des airs du Satan de Milton; et il est certain qu'il y avait en Veuillot un je ne sais quoi de caché, de secret, de dompté et d'étouffé par la foi, mais qui, sous couleur de fiction littéraire, s'épanche, gronde et rugit avec une sinistre allégresse dans les propos sauvages de l'esclave romain. À coup sûr, Veuillot préfère encore Vindex à Spartacus, et Barrabas à Barras. «Je ne me pique d'aucune vertu, fait-il dire à Vindex, et c'en est une au moins que j'ai de plus que toi.» Ce que Veuillot a fait là, c'est la psychologie vivante du nihiliste. Et ce qu'il a exprimé, on ne peut s'empêcher de croire qu'il le découvrait en lui-même, en y descendant jusqu'au fond. J'ajoute tout de suite qu'en y descendant plus loin encore et jusqu'au tréfonds, il y trouvait la foi au Christ et l'amour de la Croix. C'est égal, j'en reviens à mon dire: quel bel insurgé eût été cet homme, s'il n'eût été chrétien!
VII
Il l'était, et si parfaitement, que ses adversaires les plus assidus furent d'autres chrétiens, et qu'il reste plus illustre peut-être pour avoir lutté contre le catholicisme libéral que pour avoir «tombé», durant quarante ans, la Révolution et le rationalisme. Car les querelles de famille sont les plus âpres, et, quand ce sont des frères égarés que l'on combat, le prix tout particulier qu'on attache à la victoire ne permet plus, en conscience, de prendre aucun repos ni d'observer aucun ménagement.
Mais j'ai tort de railler. Dans cette longue et douloureuse bataille,—plus quam civilia bella,—il me semble bien que c'est Veuillot, en principe, qui a raison. Pour lui, être catholique, c'est l'être à toutes les minutes de sa vie et dans toutes ses démarches sans exception. La foi n'est pas faite pour nous servir de règle uniquement dans la conduite privée: nul ordre d'action ne demeure en dehors d'elle. Comme elle est à l'homme une explication totale des choses et de lui-même, elle doit le prendre et le gouverner tout entier. Certes il est permis à un bon catholique et il lui est même recommandé d'être, s'il peut, un bon politique, de se servir avec habileté des circonstances, voire de s'y plier dans l'intérêt de sa foi, mais à une condition: c'est qu'il ne paraisse jamais réduire ou limiter le domaine où cette foi doit s'exercer et qui est, par définition, universel, ni faire à ses adversaires l'abandon de ses propres principes et se diriger d'après les leurs. L'Église étant, aux yeux de Veuillot, la vérité et, par suite, l'empire du monde lui appartenant, l'esprit laïque, c'est-à-dire l'esprit libéral, qui se défie d'elle et qui prétend la cantonner dans le secret des temples ou du foyer domestique, apparaît nécessairement à Veuillot comme l'esprit d'erreur.
Les différences essentielles d'esprit ou de tempérament par où se séparent de nous les autres hommes, nous les percevons avec plus de colère chez ceux qui professent extérieurement les mêmes doctrines que nous. On enrage d'avoir raison contre ceux qui se réclament de nos propres principes. Et c'est ainsi que, dans l'amer chapitre où il nous raconte les métamorphoses de Tartufe depuis la fin du XVIIe siècle jusqu'à nos jours, Veuillot n'hésite pas à faire finir l'«imposteur» dans la peau d'un «catholique sincère, mais indépendant», c'est-à-dire d'un catholique libéral.
Un épisode caractéristique de cette lutte fut la prise d'armes de Veuillot contre les classiques païens. Il jugeait qu'un peuple baptisé devrait restreindre leur part dans l'éducation de ses enfants, et agrandir celle des auteurs chrétiens. Il osait croire que la pratique de Lucrèce, d'Horace et d'Ovide, de Cicéron, de Sénèque et de Tacite, n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus propre à former des âmes vraiment chrétiennes. Et, en effet, si je consulte là-dessus ma propre expérience, je sens très bien que ce que les classiques de l'antiquité ont insinué et laissé en moi, c'est, en somme, le goût d'une sorte de naturalisme voluptueux, les principes d'un épicurisme ou d'un stoïcisme également pleins de superbe, et des germes de vertus peut-être, mais de vertus où manque entièrement l'humilité. Il est assurément singulier que, depuis la Renaissance, la direction des jeunes esprits ait été presque exclusivement remise aux poètes et aux philosophes qui ont ignoré le Christ. Il est étrange qu'aujourd'hui encore, et jusque dans les petits séminaires, des enfants de quinze ans aient entre les mains la septième églogue de Virgile,—et la deuxième. Les conséquences de cette anomalie, que personne n'aperçoit, sont, je crois, incalculables. Il n'y a pas lieu de s'étonner que les collèges des jésuites sous l'ancien régime aient produit tant de païens et de libres penseurs, y compris Voltaire.
Or Veuillot, dans cette occasion, eut contre lui tout le monde, et notamment la plupart des prêtres. Tant il avait raison, et plus encore qu'il ne croyait! Tant il est vrai que notre société n'est plus chrétienne que d'étiquette, et tant l'éducation par les païens y pétrit le cerveau même de ceux qui sont préposés par état à la garde de la vérité religieuse!
Comment eût-il pu s'entendre avec ces parlementaires, ces avocats, ces bourgeois, et ces évêques demi-chrétiens qui craignaient, au fond, de passer pour des cléricaux! Un moment, il se rencontre avec eux pour revendiquer la liberté de l'enseignement; mais il est vite dégoûté par leurs concessions et leurs habiletés de politiques. Il demandait, lui, tout ou rien. Après le coup d'État, il est contre eux, et pour l'Empire, en homme aux yeux de qui l'intervention directe de la Providence dans les événements de ce monde est une réalité vivante. Il est contre eux dans la question de l'infaillibilité du pape. Et là encore je ne saurais dire à quel point, comme catholique, il me paraît être dans le vrai. Les autres étaient si entêtés du régime parlementaire, qu'ils le voulaient même dans l'Église; préoccupés d'ailleurs de «garder une mesure», de demeurer des «hommes d'aujourd'hui» jusque dans leur croyance. S'ils avaient osé, ils eussent confessé que l'infaillibilité du pape offusquait leur raison. Que l'instinct de Veuillot était plus sûr! Il sentait que le dogme de l'infaillibilité aurait pour effet de grandir la situation morale du pontife, de le mettre décidément au-dessus des souverains, de lui rendre quelque chose de son rôle d'autrefois, de son rôle d'arbitre suprême entre les rois et les peuples; que ce dogme, qui semblait aux «libéraux» rétrograde et gothique, ouvrirait à la papauté une ère de rajeunissement et de puissance renouvelée.
Cela contentait en même temps, chez Veuillot, ce besoin de certitude qui était sa maladie, en concentrant dans un seul homme le phénomène de la Révélation continue; et cela satisfaisait aussi ses instincts de démocratie spirituelle: il pensait que rapprocher le pape de Dieu, c'était le rendre au peuple. Nous voyons qu'il ne s'est pas trompé. S'il eût vécu, les façons de Léon XIII l'eussent d'abord un peu surpris; il eût regretté Pie IX, si bon, si généreux, et qui l'aimait tant. Mais l'Encyclique du nouveau pape sur la question ouvrière eût répondu à ses plus chères pensées. Personne, au reste, mieux que M. Eugène Veuillot n'avait qualité pour exprimer les sentiments posthumes, si je puis dire, du fondateur de l'Univers, et l'on sait quelle a été, dans ces derniers temps, la conduite de M. Eugène Veuillot.
Jamais Louis Veuillot n'a lié le sort de la vérité éternelle à celui d'aucune puissance passagère. Il a penché pour la monarchie, traditionnelle ou non, dans le temps et dans la mesure où cette forme de gouvernement lui a paru plus favorable aux intérêts de la religion. Mais il a été contre le régime de Juillet, et contre l'Empire, du jour où l'Empire a trahi l'Église. Ce qu'il a combattu et haï dans la République, ce ne fut jamais la République, mais l'impiété: et, quand il appelait de ses vœux Henri de Bourbon, il n'exigeait point pour ce prince le titre de roi. Toutes ses variations apparentes s'expliquent par l'immutabilité même de sa pensée. Sur Montalembert, Falloux, Lacordaire, Dupanloup,—et sur l'empereur Napoléon III,—et sur beaucoup d'autres, vous le trouverez, tour à tour, débordant de sympathie et d'amertume. Ce n'était pas Veuillot, c'étaient eux qui avaient changé, ou c'étaient les circonstances qui lui montraient ces hommes sous de nouveaux aspects. C'est donc être fort superficiel que de l'accuser de versatilité, comme on a fait. Sa vie me semble, au contraire, admirable et presque surnaturelle d'unité.