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II
LA CAPITAINERIE

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Table des matières

On était arrivé au seuil de cette habitation qui était plus qu’une chaumière et qui n’était pas une maison.

Le prince frappa avec la crosse de son fusil, ce qui était une imprudence parce que le contrecoup aurait pu abattre le chien, le chien frapper le bassinet, la pierre faire feu contre le bassinet, allumer la poudre et tuer le prince, ce qui eût été une piteuse mort pour un petit-fils d’Henri IV.

Rien dans la maison ne répondit à cet appel, peu courtois du reste; ce que voyant, le prince tira la bobinette, et la porte s’ouvrit.

L’intérieur répondait à l’extérieur:

Une grande pièce servant à la fois de cuisine, de chambre et de salon, et c’était tout.

Un escalier conduisait à l’étage supérieur où devait se trouver une pièce semblable, servant de grenier ou de chambre de valets.

Pourtant, cette simple habitation n’avait rien de vulgaire: des fusils, des pistolets, un sabre court illustraient les murs presque entièrement couverts de cartes géographiques.

Tout était propre, et le vieux lit carré du fond était séparé par un paravent chinois, qui n’eût pas été déplacé dans le boudoir de madame de Blot, la fée aux Chinoueseries, comme l’avait surnommée M. le duc d’Orléans…

Le feu brillait dans l’âtre, et une grande marmite de cuivre chantait sur les tisons, en laissant échapper une vapeur à l’odeur appétissante.

La cheminée était si grande que cette vapeur remontait tranquillement au ciel sans laisser dans le logis les souvenirs de ses succulentes qualités.

M. de Cerny regardait une petite table chargée de papiers. Le prince considérait la grande table sur laquelle se trouvait une belle soupière bleue en faïence de Rouen qui, à cette époque, valait un écu et qui, à la nôtre, vaudrait mille francs.–

Tout a bien augmenté!…

Le chevalier cherchait à deviner le maître du logis en consultant ses habitudes. Le prince cherchait un moyen pour savoir, sans ôter le couvercle, ce qui n’eût pas été digne d’un grand seigneur, si la soupière était pleine.

La porte s’ouvrit. Un homme à l’œil vif, quoique vieux, entra, ôta son tricorne et son manteau mouillés, et, saluant les deux gentilshommes, leur dit:

–Messieurs les officiers, soyez les bienvenus.

–Monsieur, répondit le prince, pardonnez à deux étrangers qui se sont permis de se mettre à l’abri sous votre toit.

–Monsieur, reprit l’homme, comme vous j’ai l’honneur d’être officier du roi. Vous n’êtes donc point des étrangers dans ma maison.

–Tant mieux, fit le prince, tant mieux, mon cher monsieur, car, outre l’abri, nous cherchions le dîner.

Le maître du logis alla à la fenêtre, l’ouvrit et donna deux coups de sifflet qui furent répétés mille fois par l’écho de la falaise.

–Pardon, fit-il, j’appelle ma gouvernante. Asseyez-vous, et vous chauffez, messieurs.

La porte s’ouvrit une seconde fois et un vieux marin, chargé d’un panier et orné d’un tablier blanc, entra en saluant la compagnie.

–Otez votre pipe, vieille coquine, ou d’un coup de poing je vous la fais avaler. M’entendez-vous, pécore?

L’homme que le maître traitait ainsi ôta sa pipe sans dire un mot.

–Bon! Maintenant, vieille drôlesse, apprêtez la poêle à frire: une bonne omelette au lard et des soles frites. Vivement! vieille paresseuse. Avec le civet qui est sur le feu et la soupe qui est sur la table, nous en sortirons. Allons, allons, du lest!

–Bien, capitaine, fit le marin qui se mit à casser des œufs, après avoir coupé par menus morceaux un lard rose et fort appétissant.

–En attendant que cette fainéante soit prête, mangeons la soupe, messieurs, si vous le voulez bien. Voici des assiettes, des cuillers et des chaises. Faites comme chez vous.

Les gentilshommes prirent place et firent en gens affamés.

Le vieux matelot, que son maître invectivait, servait avec célérité des mets simples, mais bien accommodés.

Quand les appétits furent un peu calmés, l’hôte prit une bouteille de vin dans l’armoire, jusque-là on n’avait bu que du cidre, il remplit quatre verres, et dit:

–Messieurs, je m’appelle Étienne Huret. Mon père était noble homme du pays de Caux. J’ai servi vingt ans dans la marine du roi; blessé deux fois, j’ai dû quitter la mer. Pour le quart d’heure, je suis capitaine des gardes-côtes. Voici Jean Chouillat, mon matelot: il est syndic des gens de mer, ce qui lui vaudra l’honneur de trinquer avec vous, il cumule et fait ma cuisine. Ordinairement, je l’appelle Jeannette pour me figurer que j’ai trouvé enfin une femme qui veuille s’habituer à mes brutalités. Je suis brutal, mais bon diable, n’est-ce pas, vieille drôlesse? Messieurs, Jeannette et moi nous buvons à la santé du roi et à la vôtre.

Le prince se leva et répondit avec une grâce charmante:

–Mon ami est le chevalier de Cerny, et je suis le vicomte de Monceau,–le prince avait pris ce nom en voyage.–Tous deux nous sommes officiers du roi. Nous buvons à sa santé et à la vôtre, et nous vous remercions de votre courtoise hospitalité, mon cher capitaine.

–Voilà qui est bien dit, jeune homme. Allons, Jeannette, ma mie, de l’eau-de-vie de cidre; amenez ma pipe, et du lest!

Le vieux matelot obéit ponctuellement; puis il alla s’asseoir auprès du feu, et à son tour il alluma sa pipe.

Le repas terminé, le soleil revenu, les deux gentilshommes remercièrent leur hôte. Le prince donna un louis de vingt-quatre livres à Jean Chouillat.

Soit le bonheur, soit l’habitude, le vieux marin fit une révérence à la manière des vieilles femmes de la campagne.

–Voyez-vous la gaillarde! dit le capitaine. Messieurs, ajouta-t-il, si ce petit sentier à pic de la falaise n’effraye pas vos jeunes jambes, j’aurai l’honneur de vous conduire à votre bord sur mon canot. Ça vous évitera la peine de marcher pendant une heure dans un chemin qui n’est pas tout à fait aussi bien entretenu que le boudoir de madame de Pompadour.

L’offre fut acceptée.

Le capitaine Huret guida ses hôtes par un sentier dur, mais possible. Le plus grand désagrément qui aurait pu arriver eût été de rouler de cent pieds de haut sur une terre grasse et de tomber mollement sur le sable. Le bon capitaine affirma que lorsqu’il était pressé il employait ce moyen, et que son matelot Jeannette n’en usait jamais autrement.

Le canot annoncé se balançait gracieusement dans une gentille petite anse formée par un ruisseau qui filtrait de la falaise.

C’était un joli bateau, ma foi, un peu court, un peu rond, selon la mode du temps, mais qui, par cela même, tenait parfaitement la mer.

Le canot du capitaine Huret s’appelait le Vert-Galant, ce qui ne laissa pas de faire légèrement sourire le descendant du roi gascon.

Un homme aux traits accentués, au visage hâlé, vêtu comme Jeannette, moins le tablier, était en train de dérouler la voile.

–C’est Panuphle, dit le capitaine; allons, lascar, il s’agit de prouver à ces messieurs que Vert-Galant n’est pas une tortue.

–Une tortue et Vert-Galant ça fait deux, répondit le matelot avec orgueil.

Le capitaine tendit la main à ses hôtes, qui tous les deux en gens habitués s’élancèrent à bord.

Ils gagnèrent l’avant avec Huret, tandis que Panuphle, assis à l’arrière, tenait la barre d’une main et la corde à voile de l’autre.

Après avoir frissonné pendant trente secondes, la voile prit le vent et le canot incliné glissa sur la vague.

–Mais il me semble que nous ne prenons pas le chemin, dit M. de Cerny.

–Faites excuse, mon gentilhomme, répondit Huret; mais qu’il aille à Notre-Dame-d’Honfleur ou à Notre-Dame-de-la-Délivrande, il faut que ce diable de Panuphle passe entre les deux grandes Vaches-Noires. Que voulez-vous, c’est son idée à ce chien-là.

Les Vaches-Noires sont des rochers bizarres éparpillés sur la plage, comme dans un salon les jouets de quelque enfant capricieux.

Panuphle, en effet, aimait fort à doubler cet amas de pierres aux formes fantastiques. A certaines heures de la marée cette récréation originale n’était pas toujours sans danger.

Chemin faisant on causa un peu.

Le capitaine raconta ses prises, parla de sa vigilance, du dévouement de ses deux gardes-côtes, Jeannette et Panuphle. Il parla du pays, de la pêche, de la chasse au lapin: la falaise était à lui et non au roi.

–Vous devez être bien heureux, lui demanda mélancoliquement M. de Cerny.

–Peuh! fit Huret, je suis heureux si vous voulez, et je ne le suis pas. Si vous entendez qu’il ne me manque rien, c’est vrai. Ma solde, y compris ma part de prises, va bien à deux cents pistoles, c’est plus qu’il n’en faut pour vivre. Mais l’argent, voyez-vous, ça ne signifie rien. Ce n’est pas gai, croyez-le bien, de passer sa vie dans un vieux nid perché au diable et de vivre toujours seul; Jeannette et Panuphle ne comptent pas. Hormis ces deux brigands-là, je ne vois jamais un chrétien, que le dimanche quand je vais à la messe.

–Alors vous êtes malheureux? fit le prince en souriant.

–Je suis malheureuxsi vous voulez et je ne le suis pas. Mais, voyez-vous, les hommes c’est comme les hirondelles; ils ont beau voyager et courir, quand ils deviennent vieux ils aimeraient bien à aller mourir dans leur premier nid. Tenez, il y a dans mon pays de Caux un de mes anciens amis d’enfance, qui est comme moi capitaine des gardes-côtes. Eh bien, je lui donnerais un tiers de ma solde pour changer avec lui.

–Qui vous empêche de lui faire la proposition? demanda le prince.

–Impossible, répondit Huret, ma capitainerie est du ressort de l’intendance de Caen, et le pays d’outre-Seine est mouvant de la généralité de Rouen. Pour arriver à changer, comme vous le dites, il faudrait mettre le diable en l’air.

En devisant ainsi, on arriva, après une demi-heure au plus, dans la rivière de Dives.

Panuphle eut un beau louis, comme celui de Jeannette.

Le prince remercia le bon capitaine, et la séparation se fit de la façon la plus cordiale.

Le lendemain comme le temps était au beau, le prince donna l’ordre d’appareiller.

Pendant que tout se préparait pour le départ, M. de Clamont dit à son ami:

–Nous serons à Rouen cette nuit, et dans deux jours à Paris. Voyons, mon cher Cerny, causons sérieusement de vous, de votre avenir. Que voulez-vous? que désirez-vous?

Le chevalier répondit qu’il n’avait plus d’avenir, qu’il ne voulait rien, qu’il ne désirait rien.

Il ajouta que, pour la première fois de sa vie, il venait de voir un homme heureux, et que son rêve serait de vivre comme le bon capitaine Huret, séparé du reste de l’univers.

–Parlez-vous sérieusement, lui demanda le prince, et se peut-il qu’un homme de vos talents et de votre naissance puisse avoir envie de se faire garde-côte?

–Ce serait mon désir le plus cher.

–Ma foi, qu’il soit fait comme vous le désirez! Aussi bien, il sera toujours temps de changer si, comme je n’en doute pas, vous vous dégoûtez bien vite d’une semblable situation. Demeurez donc ici et attendez de mes nouvelles. Cela vous convient-il?

–L’hôtellerie est bonne et, après tout, puisqu’il faut être quelque part, autant vaut être ici qu’ailleurs.

–Adieu donc.

Les deux amis s’embrassèrent et le prince s’embarqua, après avoir dépêché un exprès à M. l’intendant de la province.

M. de Cerny, assis sur le rivage, suivit la gabarre jusqu’à ce qu’elle se perdît dans les eaux du Havre-de-Grâce, petit endroit situé auprès de l’embouchure de la Seine et où il se faisait déjà un peu de commerce de plâtre et de charbon d’Angleterre et des côtes voisines.

Dix jours après, le chevalier reçut la visite d’un des écuyers du prince, porteur d’une missive.

M. de Cerny, en le voyant, poussa un soupir de soulagement.

Il avait cru que son ami l’avait oublié. Ainsi les meilleurs cœurs, pour quelques instants d’attente, calomnient ceux qui les aiment le plus.

Le prince annonçait que le bon capitaine Huret était agréé par la généralité de Rouen, sur le favorable avis du prévôt, pour remplacer le capitaine de Saint-Pierre son ami, qui, d’ailleurs, avec une bonne grâce qu’on n’aurait pas osé réclamer de lui, venait de mourir. Son emploi avait été, sur la demande du prince, accordé au chevalier de Cerny. Le prince rappelait au chevalier qu’il avait en lui le meilleur des amis.

En apprenant son changement, le capitaine Huret faillit devenir fou de joie. Mais un nuage vint troubler sa félicité.

Le prince, si bon pour Cerny et pour le capitaine, avait complétement oublié Panuphle et Jeannette aussi.

En apprenant le départ de leur chef, Jeannette avait poussé un juron formidable et avait manqué d’avaler son brûle-gueule.

Panuphle avait roulé son bonnet entre ses doigts, une grosse larme avait coulé le long de son visage jauni par l’air de la mer, et cette larme avait laissé une trace comme la foudre en laisse sur les vieux bâtiments qu’elle lézarde, lorsque, sans éclater, elle fait trembler le sol.

–C’est votre avancement, allez-y, mon capitaine, avait murmuré Panuphle. Mais, sacristi! quand vous ne serez plus là, qui donc nous appellera sales chiens?

–C’est vrai, dit Huret, je vais bien vous manquer; vous me manquerez aussi, mille diables! Mais il le faut, pas vrai? D’ailleurs, un des jours de l’été prochain, en allant faire visite à la bonne Dame-de-Grâce qui, bien sûr, me vaut cette bonne aubaine, je viendrai casser un biscuit avec vous, mes braves, et aussi serrer la main de ce bon gentilhomme qui m’a l’air d’un bon marin tout de même, quoiqu’il soit bien triste.

M. de Cerny, qui assistait à la scène des adieux, tendit la main au vieux capitaine:

–M. Huret, dit-il, vous dites vrai, je suis bien triste. Moi aussi je suis loin de ce que j’aimais et il n’est pas au pouvoir d’un prince de m’en rapprocher. Je ne pleure pas mon pays, comme vous regrettez le vôtre. Ma patrie est de l’autre côté du ciel. Mais, mon cher capitaine, partez en paix, le cœur léger, vos deux bons matelots ne manqueront de rien! Ce sont de braves compagnons que j’aime déjà parce qu’ils vous aimaient et que j’aimerai en souvenir de vous.

–Ah! tonnerre de diable! s’écria Huret, mes yeux avaient toutes les peines du monde à retenir leur grain, tant j’ai de chagrin de quitter ces deux vermines, et voilà que vous vous en mêlez à présent? Que la peste vous étouffe! Vous êtes bien le meilleur garçon que j’aie jamais connu.

Le vieux marin ne laissait pas que d’être fort embarrassé.

Le simple bon sens voulait qu’il allât par terre jusqu’à Honfleur; mais, outre qu’il avait quelques bagages à emporter, tout voyage, tout dérangement même qui ne s’effectuait pas sur mer lui était fort antipathique.

Il trouva non sans peine un pêcheur de Dives qui se chargea de l’amener jusqu’à la baie de Saint-Join, par devers le cap d’Antifère.

Les gens de ces plages avaient et ont encore une grande répugnance à passer de l’autre côté de la Seine, répugnance instinctive plutôt que raisonnée et dont ils n’ont jamais pu dire la cause.

Bien que le capitaine Huret habitât son nid de vautour sans jamais aller dans le pays, dédaignant Dives aussi bien que Beuzeval, et Beuzeval autant que Villiers, la nouvelle de son départ produisit une grande sensation.

C’était un homme juste et serviable, qui avait su se faire aimer; chose merveilleuse en cet endroit, où les paysans normands ne sont véritablement pas plus tendres qu’ailleurs.

Hommes, femmes, enfants accoururent au rivage pour adresser un dernier adieu à ce vieux brutal, qu’ils avaient vu pendant dix ans attendri devant toutes les infortunes.

Cerny, calme et triste, donnait le bras à son prédécesseur. Les deux matelots pleuraient comme des veaux. Les pêcheurs et les paysans agitaient en l’air leurs bonnets de laine.

–Bonsoir, la compagnie, dit Huret sans tourner la tête, de peur de montrer son émotion.

Le bateau glissa sur l’onde et prit vite le large.

A un quart de lieue de la côte, le vieux marin eut véritablement une émotion à laquelle il ne s’attendait pas: il croyait en avoir fini avec ce qu’il appelait les fadeurs. Il avait vu ses amis s’éloigner du rivage, il avait regardé la couleur de l’eau pour voir à quelle distance il se trouvait de la terre, puis il avait regardé le ciel pour voir à quelle distance il était du danger.

Il s’apprêtait à s’étendre sur le faux-pont, lorsque ses yeux aperçurent les murs blancs de sa maison. Il demeura impassible à la vue de ce toit qui l’avait abrité si longtemps, mais lorsqu’il baissa la tête et que son regard droit se porta sur Vert-Galant qui se balançait à la vague, il sentit son cœur se serrer.

–Des maisons, pensa-t-il, il y en a au pays de Caux qui sont plus riantes que celle-ci, quand ça ne serait que celle de ma tante Bachelu, qui me reviendra tôt ou tard. Des marins, il n’en manque pas sur la côte; des amis, j’en ai là-bas, et il y a des braves gens partout; mais jamais, au grand jamais, je ne reverrai un bateau comme ce bateau-là.

La falaise d'Houlgate

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