Читать книгу La bêtise humaine (Eusèbe Martin) - Jules Noriac - Страница 9
VII
ОглавлениеLa nuit était venue, Eusèbe s'en était peu inquiété. Il avait entendu dire qu'à Paris on faisait du jour la nuit, qu'à minuit Paris était plus brillant qu'à midi, et bien d'autres absurdités. En voyant s'allumer des milliers de becs de gaz avec une étonnante rapidité, il avait pensé que toutes ces phrases de la province étaient des vérités. Mais quand le pauvre garçon, qui avait mis deux heures pour trouver un restaurant, voulut se mettre en quête d'un gîte, il s'aperçut que le gaz n'avait rien de commun avec le soleil. Malgré toute l'attention qu'il mettait à lire les enseignes, il ne pouvait arriver à y trouver le mot auberge.
Son inquiétude était grande. Il venait de remarquer une horloge dont les aiguilles indiquaient dix heures et demie. Jamais il ne s'était couché si tard.
Il avait fort envie de s'informer, de demander au premier passant où il pourrait trouver un lit; mais ses mésaventures du matin lui revenaient sans cesse à la mémoire. Il comprit cependant qu'il n'avait pas d'autre parti à prendre, et résolut de s'adresser à la première femme qui passerait près de lui.
—Une femme, pensait-il, sera plus douce et meilleure qu'un homme, et comme à cet instant une dame sortait d'une maison, il lui dit:
—Permettez, madame, à un étranger fort embarrassé, de vous demander un renseignement.
La dame passa sans répondre.
—Je me suis mal adressé, se dit le provincial; cette personne est à coup sûr une grande dame au cœur sec et altier; que ne m'adressais-je plutôt à celle-ci, qui a l'air d'une ouvrière.
—Madame, dit-il à une femme en bonnet qui le coudoyait, un renseignement, je vous prie?
—Voilà une heure bien choisie, ma foi! pour faire des questions; que voulez-vous? répondit l'ouvrière.
—Enseignez-moi, s'il vous plaît, un endroit où je pourrais coucher cette nuit?
—Passez votre chemin, insolent. Pour qui me prenez-vous, mal élevé que vous êtes! A d'autres, espèce de mal bâti! laissez-moi tranquille ou je vais vous faire arrêter. Ça ne sera pas long.
Cette réponse fut le dernier coup porté au pauvre Limousin. Il sentit que ses jambes allaient se dérober sous lui. Il se laissa tomber sur une marche de pierre et se demanda ce qu'il allait devenir.
Eusèbe était doué d'une nature forte. Aucun danger ne l'eût effrayé, mais cette solitude au milieu de la foule l'épouvantait; il sentait son cœur grossir et ses yeux se mouiller de larmes.
—Êtes-vous malade, monsieur? lui demanda un homme qui fermait un magasin.
—Non, répondit-il, mais je n'en vaux guère mieux.
—Auriez-vous faim?
—Non.
—Manquez-vous d'argent?
—Non.
—Alors qu'avez-vous?
—J'ai, dit Eusèbe en se levant—la sympathique curiosité d'un homme venait de lui rendre la force et le courage—j'ai, que je suis arrivé ce matin de mon pays, et déjà un cocher m'a insulté, un soldat s'est moqué de moi, un vieillard m'a gourmandé, un commissaire de police a voulu m'arrêter, il me croyait fou, parce que j'avais dépendu un Auvergnat; un garçon de restaurant m'a appelé toqué, une grande dame n'a point daigné me répondre, et une femme du peuple à laquelle je demandais de m'indiquer une auberge, m'a dit mille sottises; si bien que je me demande si vraiment je suis fou, ou si croyant venir dans un pays civilisé, je ne suis pas tombé au milieu de hordes sauvages.
Le marchand lui répondit:
—Il y a peut-être du vrai dans ces deux suppositions. Entrez vous asseoir un instant, nous causerons, et je vous aiderai à vous reconnaître.
—Homme généreux, reprit Eusèbe, soyez béni; Dieu, j'en suis sûr, vous tiendra compte de votre bonne action, et si jamais vous ou votre fils allez vers les rives lointaines, il vous préparera un gîte sous une tente hospitalière.