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CHAPITRE III.

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Table des matières

Petit Pierre, malgré son courage et son enthousiasme pour les voyages, avait pourtant le cœur serré ; heureusement que le soleil perçant peu à peu les nuages vint éclairer la vallée et donner un air de fête aux préparatifs du départ. D’ailleurs sa mère et sa sœur l’accompagnaient.

Madeleine n’était pas la seule à présumer de la bonne fortune de son fils en le voyant partir bien équipé, laballe sur le dos, son bâton à la main. Les voisins auxquels il dit adieu lui prédirent un glorieux avenir.

Le fait est que l’heureuse physionomie de Pierre prévenait en sa faveur: un air d’honnêteté et d’intelligence, une allure décidée, tout cela plaisait à ses amis et devait inspirer la confiance aux chalands.

Ce fut une sorte d’événement lorsque le jeune colporteur arriva au château. Il fut reçu par la comtesse et ses filles. Les gens de la maison vinrent aussi.

LA COMTESSE.

Étale ta marchandise: nous allons t’étrenner; il faut voir comment tu t’y prendras.

Petit Pierre n’était embarrassé de rien: il fit valoir chacun des objets qu’il rangeait sur la table, comme s’il n’eût fait que cela toute sa vie. Madeleine n’en revenait pas! Tout le monde fit des emplettes; le comte lui-même sortit de son cabinet pour acheter des plumes de fer dont il n’usait jamais.

Le petit marchand était radieux, il tira un carnet de sa poche, inscrivit les objets vendus, remit la marchandise en ordre. Après voir renouvelé leurs remerciments, la mère et les enfants se disposaient à partir, lorsque la comtesse les engagea à passer à l’office où les attendait un plat de choucroute et un pot de bière.

Avec quel empressement furent servis les protégés du château!

MARIANNE.

Allons, Petit Pierre, faites donc honneur à ma cuisine mieux que ça! Vous allez passer par Walbourg, mon village. En entrant, vous verrez à main droite, une maison qui a deux fenêtres, il y a un vieux banc de pierre devant la porte. C’est là que demeure Rose, ma sœur aînée, entrez et dites-lui bonjour de ma part. C’est une bonne connaissance. Je suis sûre qu’elle vous achétera pour trois francs sans compter un verre de bière. Elle a bon cœur et elle est joliment à son aise. Si les maîtres sont encore au château, c’est moi qui vous le dis, vous ferez d’aussi bonnes affaires que chez nous.

Il fallut cependant quitter un si bon gîte et se séparer!

Madeleine avait formé en secret le projet d’accompagner Petit Pierre jusqu’à Marienthal, célèbre pèlerinage d’Alsace où chacun va se recommander à la Mère de Dieu. La pauvre veuve se disait qu’elle s’en retournerait plus tranquille après avoir prié avec son fils dans ce pieux sanctuaire; mais elle comprit, sans qu’il fût besoin de le lui dire, qu’une pareille entreprise avec Christine était de toute impossibilité. Déjà la petite fille était bien lasse; il fallut donc se contenter de faire quelques centaines de pas dans la direction de Walbourg; puis le moment venu elle embrassa son fils, lui recommandant la prudence et la fidélité à ses devoirs.

Petit Pierre déchargea un instant ses épaules pour mieux embrasser sa mère et sa sœur, leur promettant des lettres affranchies partout où il pourrait écrire et des surprises à son prochain retour. «Car je ne vais pas en Amérique moi, ajouta-t-il pour raffermir son cœur et celui de sa mère, et s’il vous arrivait du mal je serais bientôt là..... adieu, adieu..... au revoir!»

Le brave enfant se mit en route; il frappait la terre de son bâton, marchait la tète haute et se tournait pour faire de petits signes d’amitié à sa mère et à sa sœur; puis, au détour d’un sentier, il les perdit tout à fait de vue. Petit Pierre fut soulagé de se trouver tout seul; il s’assit sur un tronc d’arbre, couvrit sa figure de ses deux mains, comme pour se cacher ses larmes à lui-même et donna un libre cours à son émotion.

Ces larmes ne démentaient point le courage de Pierre; elles étaient seulement le témoignage de la tendresse de son cœur. Il repassait toute sa vie d’enfant: la mort de son père était un grand malheur, car si l’honnête Lipp eût vécu, Petit Pierre fut resté dans son village.

Voilà comme nous sommes: des que nos désirs sont accomplis, nous apercevons le coté fâcheux que nous n’avions pas voulu voir.

Cependant Pierre n’était pas un garçon à rester là ; il se leva avec résolution, mais avant de se remettre en route il eut la fantaisie de monter dans un arbre pour regarder encore une fois la vallée si chère à son cœur. Il jeta un cri de joie en apercevant la fumée qui s’échappait en grosse colonne blanchâtre du fourneau du maréchal ferrant. Il la suivait dans les airs et reportait ses regards vers le point d’où elle partait.

Petit Pierre resta ainsi perche jusqu’au moment où, ayant entendu des pas d’hommes, il descendit et reprit son ballot.

Petit Pierre déchargea ses épaules pour mieux embrasser sa mère. (Page 29.)


En passant devant quelques maisons, le petit marchand fit ses offres de service; mais elles ne furent point acceptées. On le regardait avec une sorte de surprise mêlée d’un peu de défiance.-La rencontre d’un gendarme qui lui demanda ses papiers acheva de le contrarier. Il ne tarda pas à comprendre cependant que cette formalité était nécessaire pour sa sûreté, comme pour celle des autres.

Le gendarme, s’étant assuré de son identité, lui remit ses papiers disant: C’est bien.

Dans la belle saison, la route de Reichshoffen à Walbourg est une des plus jolies promenades du pays; à cette époque de la saison, c’était bien différent: la pluie avait creusé les ornières, les haies dépouillées n’offraient plus rien aux moineaux qui sentaient déjà approcher la disette. «Encore quelques jours, pensait Pierre, et tout disparaîtra sous la neige.»

Sa consolation du moment, après le souvenir de sa mère, était de pouvoir traverser hardiment les plus mauvais pas, grâce à ses guêtres de cuir. La nuit tombait lorsqu’il entra dans Walbourg.

Les renseignements de Marianne étaient exacts; il reconnut la maison à deux fenêtres, le vieux banc de pierre où, malgré l’heure avancée, la jeune femme était assise occupée à retirer des châtaignes d’une chaudière, repoussant de petites mains que la vapeur n’effrayait pas.

PIERRE.

Salut, Mme Rose, Marianne vous souhaite le bonjour.

Au nom de Marianne, la jeune mère se leva, chassa devant elle les bambins, prit la chaudière et dit au voyageur. «Entrez, entrez, mon ami, la vue d’une chaise ne vous fera pas de peine.»

Petit Pierre obéit, il déposa sa balle de marchandises et s’approcha discrètement du foyer, où Rose s’était empressée de jeter des sarments.

ROSE.

Pas de cérémonie! Les amis de ma sœur sont les miens. Otez vos guêtres et chauffez-vous comme il faut. Mon mari va rentrer et nous allons souper ensemble. Et que vendez-vous, monsieur Pierre?

PIERRE.

Oh! dites Petit Pierre comme on m’appelle chez nous.

ROSE.

Petit Pierre, qu’avez-vous de beau?

PIERRE.

Bien des choses, je vous montrerai ça avant de partir.

ROSE.

Alors ce sera demain, parce que, ici. on donne l’hospitalité complète; vous passerez la nuit. Vous allez voir que Charles dira comme moi.

La rencontre d’un gendarme. (Page 33.)


Effectivement Charles entrait avec un petit garçon de dix ans, l’aîné de la famille; il fut de l’avis de sa femme. Le souper fut joyeux et paisible: Charles Müller raconta des histoires de marchands qui avaient commencé juste comme son hôte. Mais enfin, dit la curieuse et bonne Rose, que vendez-vous?

Petit Pierre fit la fidèle nomenclature des objets que contenait sa balle et termina par l’article bonnets de coton.

ROSE.

Des bonnets de coton! mon idée fixe depuis trois mois! Il n’y a pas un marchand qui ait eu l’idée d’en apporter. Tous vous disent d’un air dédaigneux: «On n’en porte plus.»

Petit Pierre, ajouta Rose avec une sorte d’enthousiasme, vous ferez fortune, parce que vous avez des idées. Je vous demande un peu, s’il y a pareille coiffure pour un homme qui s’en va dehors avant le point du jour? D’ailleurs, ça me rappelle mon père et mon grand-père.

«C’est le moment de déballer,» pensa Petit Pierre, car élevé à la bonne école des proverbes, il savait qu’il ne faut jamais remettre au lendemain.

Le couvert fut enlevé et notre petit marchand étala sur la table les objets contenus dans le ballot. Rose mit aussitôt la main sur les bonnets de coton, les examina, les détira: «Combien la pièce?»

PETIT PIERRE.

Pour vous, dame Rose, un franc vingt-cinq centimes.

ROSE.

Vous êtes un mauvais marchand, Pierre, il fallait me demander cinq sous de plus, justement, parce que c’est ma fantaisie; mais n’importe, je vous prends au mot, donnez m’en une demi-douzaine, et, comme les bons comptes font les bons amis, voilà d’abord sept francs vingt-cinq centimes.

De tous les proverbes connus de Petit Pierre, celui-ci lui parut le plus juste, le plus fort et le plus gracieux.

Rose ne s’en tint pas là, elle acheta des bas pour elle, des mitaines pour ses enfants, et, si Charles Müller n’eût pas toussé d’une façon significative, la boutique du petit marchand serait entrée tout entière dans l’armoire de sa femme.

A peine Petit Pierre fut-il dans son lit, qu’il s’endormit profondément, et, bien avant le jour, il était sur pied. Il considéra son calepin et sourit de satisfaction en voyant que le gain de sa journée s’élevait à trois francs. Profit tout net, puisque la bonne Rose lui avait donné l’hospitalité. Ma fortune sera bientôt faite, dit tout haut Petit Pierre, si les choses vont de ce train-là ; mais, ajouta-t-il en baissant la voix: les jours se suivent et ne se ressemblent pas!

Dès que le brave enfant entendit la porte de la maison s’ouvrir, il descendit. Le son de la cloche lui rappela sa mère: «Elle prie pour moi, j’en suis sûr, pensa Petit Pierre, je vais aller prier pour elle et pour Christine.»

Il disparut et revint chez Rose qui voulut se fâcher, parce que le café avait trop attendu; mais quand elle sut que son jeune hôte venait de l’église, elle se calma: «C’est bien, mon enfant, n’oubliez jamais les bons exemples que vous avez reçus de vos parents; allez votre petit train dans le sentier de la vertu; évitez les méchants, et je vous réponds, moi, Rose Müller, que la Providence vous protégera.»

Il fallut se séparer. Le mari et la femme donnèrent à Pierre tous les renseignements capables de l’aider dans sa route: «Ne craignez pas de vous présenter au château c’est du bon monde encore là ! vous prendrez la forêt; vous verrez une grosse ferme à votre droite; les bûcherons vous diront votre chemin et, une fois à Haguenau, la route sera facile jusqu’à Marienthal. Vous descendrez au Cheval-Blanc.... Adieu, Petit Pierre, serrez bien votre argent, n’acceptez à boire de personne.»

Suis-je folle! dit Rose en rentrant. Le cœur me saute comme si c’était Michel ou mon petit Auguste qui s’en irait courir les chemins.

Auguste entendant son nom se mit à crier. Rose le prit, le dorlota, le couvrit de baisers, l’assurant que jamais elle ne lui donnerait son consentement, dût-il devenir assez riche pour avoir six chevaux de travail.

Le village de Walbourg est remarquable par la régularité de ses maisons. C’est une longue rue qui aboutit au château. Pierre le traversa en criant d’une voix plus harmonieuse que forte: Voilà le marchand! messieurs, mesdames, achetez! bas de laine, bonnets de coton, aiguilles, ciseaux, dés d’acier, chapelets et images.

Les enfants se sauvaient pour avertir leurs mères, mais celles-ci se contentaient de regarder le petit marchand, dont la figure leur était inconnue.

Pierre arriva près de la grille du château: une petite fille et son frère accoururent pour le voir; ils l’appelaient, s’enfuyaient et revenaient encore; ils finirent par aller chercher leur bonne. Celle-ci était une grosse paysanne qui paraissait se croire d’une grande importance, parce qu’elle habitait un grand château. Elle dit d’un ton impérieux à Pierre: «Entrez par la petite porte.» Pierre obéit. La bonne lui ordonna d’ouvrir son ballot, d’étaler sa marchandise sur une table qui se trouvait dans un corridor voisin de la cuisine. Elle examina tous les objets, les déprécia tout en les marchandant et finit par dire: «Vous pouvez emballer, mon garçon, ça ne me va pas.»

Pierre, bien mortifié, serra soigneusement sa marchandise. Son ballot était presque terminé, lorsque la petite Marie ayant aperçu des images, déclara, avec l’autorité d’une enfant gâtée, qu’elle en voulait et qu’elle payerait avec l’argent de sa bourse.

Vainement Ursule essaya-t-elle de l’en détourner, la petite s’obstina, et la bonne fut forcée de l’accompagner jusqu’au château où la maman, plus accommodante, donna à Marie et à Jacques deux francs pour acheter des images.

Le frère et la sœur arrivèrent tout essoufflés près de Pierre; ils choisirent eux-mêmes les images; Ursule marchanda, mais Pierre ne rabattit pas un sou, et, en cela il fut d’accord avec Marie et Jacques qui lui disaient: «Ce n’est pas trop, tes images sont fort jolies.»

Petit Pierre, un peu consolé par la pièce de deux francs et le sourire du frère et de la sœur, avait à peine fait quelques pas qu’un chien noir vint sauter devant lui en aboyant. Il le reconnut pour l’avoir aperçu chez Rose. Comme il se disposait à renvoyer l’animal, Müller intervint: «Je vous l’amène, Petit Pierre; ma femme dit qu’un compagnon de voyage ne vous fera pas de peine; c’est une bonne bête, amusez-le pendant que je vais tourner les talons. Comme il vous a vu chez nous, il croira qu’il s’agit d’une petite promenade et il vous suivra.»

Cette attention causa une véritable joie à Petit Pierre: Merci, merci, mes bons amis, je suis enchanté ; allons, Fox, en route, à la vie à la mort!

Le chien tomba dans le piège; il marchait résolùment à côté de son nouveau maître qui ne pouvait détacher les yeux de son compagnon de voyage.

Le petit colporteur

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