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CHAPITRE IV.

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Table des matières

Nos deux voyageurs gagnèrent la grande route et marchèrent résolùment pour arriver à Haguenau. charmante petite ville près de la forêt de ce nom.

Le chien, qui allait et venait sans cesse, aboyait au moindre bruit; le souvenir des bontés de Charles et de la bonne Rose, les bénéfices qu’il comptait déjà, occupaient tellement Petit Pierre, qu’il arriva à Haguenau sans s’être aperçu de la longueur de la route, sans même avoir remarqué s’il y avait des maisons où il pùt faire quelques affaires.

La nuit était close, lorsque Petit Pierre entrait à l’auberge du Cheval-Blanc; sa présence surprit l’hôtelier, mais au nom de Charles Müller, le jeune garçon fut accueilli avec empressement. On l’engagea à s’approcher du poêle, car, dans la journée, le vent d’est s’était élevé et le voyageur en avait souffert.

Pierre demanda le plus modeste des soupers, et ce fut encore avec une sorte d’embarras, qui aurait pu faire hésiter à le servir, si sa physionomie et son ballot n’eussent répondu pour lui.

C’était une grande affaire pour ce pauvre enfant d’arriver seul à l’auberge, de demander à souper, un gîte, et enfin de tirer sa bourse pour payer.

Cependant tout se passa pour le mieux: on servit à Pierre un bon morceau de lard aux choux, du pain et un verre de bière.

La maîtresse de l’auberge ne perdit pas de temps pour lui demander d’où il venait et où il allait. A peine Pierre eut-il dit son nom, que la brave femme lui témoigna le plus vif intérêt. Elle se rappela avoir vu Madeleine et ses enfants après le malheur arrivé à la forge. «Comme le temps passe! Vous voilà maintenant le soutien de la famille. Ayez bon courage! D’ailleurs, nous autres Alsaciens, nous savons nous tirer d’affaire. Quand nous avons pris l’auberge, nous n’avions que vingt francs en poche, et aujourd’hui....» elle n’acheva pas.

Après avoir donné à souper à Fox qui s’étalait près du poêle, notre Petit Pierre prit possession d’un mauvais grabat, et, comme le couvre-pied était un peu mince, il engagea Fox à prendre place sur le lit. «Pauvre Pierre! Si Rose voyait son chien faire l’office de couverture, elle serait joliment contente!»

La nuit était close, lorsque Petit Pierre entra à l’auberge. (Page 43.)


La dureté du matelas, les fenêtres mal jointes d’une chambre qui n’est guère habitée que dans la belle saison, n’empêchèrent point le voyageur de dormir jusqu’au point du jour.

Pierre fut bientôt prêt et dès que la porte de l’église fut ouverte, il s’y rendit avec empressement, voulant demander à Dieu de nouvelles, forces pour réussir dans son entreprise. Il admira les trois autels en bois sculpté qui font le principal ornement de cette belle église.

Petit Pierre sortit content. Le souvenir de la grosse bonne de Walbourg était effacé, le ciel chargé de neige ne l’effrayait pas. Ge fut avec un certain aplomb qu’il demanda à déjeùner.

Tout en le servant, la maîtresse causait, ce qui ne veut point dire qu’elle fût bavarde: la conversation fait partie essentielle du métier d’aubergiste. Après avoir tout dit et redit, la brave femme demanda à son hôte s’il n’avait pas, par hasard, des lunettes; car sa vue baissait un peu.

Sur la réponse affirmative de Pierre, elle poussa une exclamation de joie: «Vous êtes le premier! Tous les marchands qui passent, n’ont point d’égard pour les gens d’âge raisonnable, ils vous offrent un tas de colifichets, que je ne veux pas voir seulement. »

Pierre s’empressa d’ouvrir sa boîte, et il présenta à Mme Schmitt un assortiment de lunettes, lui indiquant les numéros et lui donnant ses avis.

L’aubergiste essaya toutes les lunettes, et ne se détermina pour le numéro quatorze qu’après une demi-heure d’hésitation.

MADAME SCHMITT.

Eh! combien?

PETIT PIERRE.

Trois francs cinquante, tout au juste.

Des lunettes, la brave Mme Schmitt passa à une chaîne d’acier pour suspendre ses clefs. «C’est étonnant comme vous avez de l’idée! Depuis vingt ans que je tiens l’auberge, il n’y en a pas un, jeune ou vieux, qui m’ait offert une chaîne.»

Petit Pierre demanda ce qu’il devait. — Deux francs cinquante, mon ami, mais nous allons arranger nos comptes: c’est moi qui vous redois.

L’enfant tint à payer sa dépense nette et à recevoir ce qui lui était dû. Il lui semblait entendre les conseils du comte et de la comtesse, et il avait à cœur de leur présenter, à son retour, un livret irréprochable.

Pierre s’empressa de prendre congé de l’aubergiste pour se diriger vers Marienthal, célèbre pèlerinage d’Alsace.

Après la mort de son mari, Madeleine était allée avec ses enfants à Marienthal, mais il y avait déjà longtemps, et Petit Pierre n’avait rien compris au but de ce voyage. Aujourd’hui, il allait entrer dans l’église par sa propre volonté, il implorerait le secours de la mère de Dieu avec le sentiment d’un pauvre orphelin qui veut venir en aide à sa mère et à sa sœur: «J’aurais fait six lieues de plus, pensait-il, pour passer par là.»

L’aubergiste essaya toutes les lunettes. (Page 48.)


Pendant que Pierre marche résolùment dans la forêt, nous allons faire connaître au lecteur l’origine du pèlerinage de Marienthal:

Marienthal ou la vallée de Marie.

Ce pieux pèlerinage fut fondé vers le milieu du treizième siècle par un seigneur de Wangen qui fit construire, dans la forêt de Haguenau, une église en l’honneur de la sainte Vierge et un couvent qu’il donna à des religieux dans l’ordre desquels il entra.

Peu d’années après la fondation de Marienthal, le pape Innocent IV, d’illustre mémoire, se déclara le protecteur du pèlerinage, lui accorda plusieurs priviléges et l’enrichit de précieuses indulgences.

Les populations des environs, attirées par le bruit des vertus de son illustre fondateur, vinrent en foule y vénérer Marie et solliciter des grâces.

De nombreux ex-voto, hommages de la reconnaissance des fidèles, attestèrent dès lors les grâces obtenues par l’intercession de Notre-Dame de Marienthal.

Parmi les illustres pèlerins qui vinrent visiter ce lieu, nous citerons Stanislas Leszczinski, roi de Pologne, la reine sa femme et leur fille unique, Marie, qui, chassés de la Pologne, vinrent se réfugier à Wissembourg, en Alsace.

Les nobles exilés avaient une tendre dévotion à Notre-Dame de Marienthal, et bien souvent ils firent à pied les huit lieues qui les séparaient du pieux sanctuaire pour venir demander de meilleurs jours par l’intercession de Marie.

Le souvenir de la dévotion de la jeune princesse en particulier est resté vivant dans le pays. Un jour, avant de partir, elle déposa sur l’autel de la Vierge, à côté des dons de ses parents, une chasuble d’une grande richesse et un bouquet de pierreries et de perles fines qui sont enchâssées dans un bel ostensoir, dont on se sert aux jours de grande solennité.

Plus tard, étant devenue reine de France, Marie conserva la plus grande dévotion pour Notre-Dame de Marienthal, et, chaque année, elle chargeait un ambassadeur d’y porter l’expression de sa reconnaissance.

Marienthal a survécu à toutes les luttes qui ont désolé l’Église, et aujourd’hui encore ce sanctuaire est visité par une foule de pèlerins.

Le 15 août, jour de l’Assomption, le concours est immense, l’auberge devient insuffisante pour loger les pèlerins; la plupart couchent dans l’église, et d’autres dans les chariots qui les ont amenés.

La chapelle était encore ouverte, lorsque Petit Pierre arriva à Marienthal, il s’empressa d’y entrer; des bûcherons et leurs enfants étaient agenouillés au pied de l’autel; Pierre prit place à côté d’eux. Il lui semblait que sa prière, faite en compagnie de gens infortunés comme lui, aurait plus de force sur le cœur de la mère de Dieu.

En sortant de l’Église, il se dirigea vers l’auberge. Cette fois, il entra bravement et il demanda à souper, causa volontiers avec l’aubergiste, eut la satisfaction de vendre quelques objets à des voyageurs qui passaient comme lui, et alla se coucher le cœur content.

Le lendemain il se mit en route pour Bischvillers. Depuis le moment de son départ, Petit Pierre suivait, dans sa pensée, tout ce qui se passait au village et, selon, lui il était toujours le sujet de la conversation. Certes! ce n’était pas fatuité de sa part. Les enfants savent que leurs mères ont toujours le cœur et l’esprit remplis d’eux quand ils ne sont pas là. Pierre était donc dans le vrai en se disant: «Comme elle pense à moi! Et Christine? pauvre petite sœur! Je ne suis plus là pour faire le gros de l’ouvrage: mais quand je reviendrai! quelle joie!»

Ces pensées loin d’attrister le voyageur, donnaient un nouvel élan à sa marche. Il prit la route de Bischwillers et marcha quelque temps sans avoir occasion d’ouvrir son ballot. Une jeune fille conduisant un troupeau d’oies, traversa la route et demanda timidement au jeune marchand s’il n’aurait pas un fichu de deuil.

PIERRE.

Pas un seul.

LA JEUNE FILLE.

Mon Dieu! vous ne pensez donc qu’à ceux qui ont de la joie au cœur, vous autres! Voilà plus de trois mois que je mets de l’argent dans ma poche espérant qu’un jour ou l’autre, je pourrai acheter un fichu noir. Moi, je ne vais pas me promener dans les villes.

Pierre éprouva une sorte de contusion du reproche qui lui était adressé si naïvement. Il promit à la jeune fille d’avoir des fichus noirs, lorsqu’il repasserait, et d’aller jusqu’à la chaumière qu’elle lui indiqua. il lui demanda si elle ne voudrait pas d’un chapelet de Marienthal.

«Oh! non, merci, j’ai celui de ma mère,» dit la pauvre enfant, en tirant de sa poche un chapelet. dont la croix usée témoignait de la loi de celle à qui il avait appartenu.

Cette rencontre plongea Petit Pierre dans des réflexions sérieuses: «Sans doute, se dit-il, c’est une pauvre orpheline; bien sur qu’elle n’a pas un frère comme Christine en a un. Pauvre enfant!»

Mais ses réflexions n’étaient jamais bien longues.

Dans la belle saison, de Marienthal à Bischwillers, le pays n’est qu’un vaste champ de houblon; et Petit Pierre qui en s’éloignant du pays songeait au retour, croyait déjà voir, dans ces plaines couvertes de neige, les vertes feuilles du houblon s’enroulant autour des longues perches.

La chapelle était encore ouverte. Page 53.)


Bischwillers est un chef-lieu de canton à quatre lieues de Strasbourg. On y fabrique du drap. A l’époque où arrivait Pierre, cette ville, sans avoir l’importance qu’elle a acquise aujourd’hui par le développement de ses manufactures, fit une certaine impression sur le colporteur. A mesure qu’il s’éloignait, il sentait la responsabilité qui pesait sur lui. La solitude de la campagne ne l’avait point effrayé ; mais comme il approchait de Strasbourg, terme de son ambition, il n’était plus si sûr de lui-même.

L’auberge où il entra était pleine de monde, car c’était un jour de marché. Une trentaine d’hommes étaient attablés, parlant tout haut de leurs affaires, discutant avec le ton qui annonce une querelle inévitable, d’autres jouaient aux cartes, aux dominos et n’étaient guère plus paisibles. Tous les regards se portèrent sur le petit marchand, lorsqu’il entra.

L’apparition d’un enfant excite toujours l’intérêt ou la curiosité : les plus indifférents ne purent s’empêcher de considérer le petit marchand de bonne mine, bien équipé ; mais il est rare que dans une de ces réunions bruyantes, il ne se rencontre quelque méchant qui trouve son plaisir à opprimer l’innocence.

Pierre, les yeux baissés, assis au bout d’une longue table, mangeait sa modeste pitance, lorsqu’un homme vint l’interrompre, lui demandant en quoi consistait son commerce. Pierre suspendit son repas pour répondre à l’individu, et, sur sa demande, il ouvrit son ballot, étala sa marchandise.

Quand ce méchant homme eut tout vu, tout examiné, il dit à l’enfant avec un cruel sourire: «c’est bien, mon petit, tu peux serrer tout cela, j’ai voulu m’assurer de ta complaisance, parce que, vois-tu, je protége la jeunesse, et, quoique je ne sois pas du pays, j’ai voulu te donner un bon conseil. Maintenant, je te payerai un petit verre d’eau-de-vie; ça fera rentrer les larmes que j’aperçois à la fenêtre de tes beaux yeux.»

Un gros rire termina cette belle tirade; mais il n’eut point d’écho. L’aubergiste leva les épaules, et sa femme dit tout bas à Petit Pierre: «Vous entrerez à la cuisine en vous en allant.»

Pierre n’avait plus de larmes dans les yeux. Il remit en ordre son ballot, acheva son dîner, et, sans mot dire, il passa à la cuisine.

L’AUBERGISTE.

Mon enfant, ne perdez pas courage; mais croyez-moi, à votre âge, c’est imprudent d’entrer dans des maisons comme les nôtres. Ayez vos petites provisions et n’entrez que pour boire un verre de bière; car vous avez pris un état bien dangereux, mon ami. Êtes-vous sans parents?

Une jeune fille conduisant un troupeau d’oies. (Page 53.)


Et, sur l’invitation de l’hôtesse, Pierre s’assit et lui raconta son histoire.

«Après tout, dit la bonne femme, vous pouvez réussir!.....,. on a vu cela; mais, puisque vous allez à Strasbourg, je vais vous indiquer les bons endroits: vous entrerez par la porte de pierre; allez à la Haute-Montée. Ce sont de braves gens qui ménageront votre bourse; vous vous laisserez guider par eux pour vos achats, et surtout, lorsque vous repasserez, ne manquez pas d’entrer chez nous?»

Ce cordial discours fut terminé par l’achat d’un cent d’aiguilles et d’une paire de bas blancs. C’était plus que n’avait osé espérer Petit Pierre.

Bischwillers ne manque pas de boutiques, et notre voyageur avait remarqué, en traversant la ville, plus d’un marchand lui lançant un regard de pitié.

Petit Pierre suivit le conseil de l’hôtesse; il mit dans sa poche quelques provisions, et bien il fit, car trois lieues de plaines arides le séparaient de Hert où il devait faire sa prochaine étape.

La méchanceté de l’homme de l’auberge lui revint en mémoire, il pressait le pas comme pour le fuir. Pierre était incapable de comprendre quel plaisir cet homme avait pu trouver à le mortifier ainsi. «Ah! pensait-il, quand je serai grand, je me souviendrai d’avoir été petit; je protégerai les petits marchands, les petits bergers,... tout le monde.» Ensuite il se mit à pleurer sans ralentir le pas; car la vue de ce pays si différent du sien, lui serrait le cœur.

Il commençait à se remettre de son émotion, lorsqu’un vieillard, marchant avec des béquilles, parut au détour d’un chemin pour prendre la grande route. Pierre l’attendit et le salua respectueusement.

LE VIEILLARD.

Je n’achète pas, mon enfant: je vais de mon petit pas, bien loin d’ici, chercher mon pain pour la semaine. Ça se trouve mal, par exemple, j’ai des douleurs de goutte qui m’ont fait crier toute la nuit; mais que voulez-vous?

PIERRE.

Si ce n’est que cela, partageons mon pain et mon saucisson. Peut-être demain serez-vous plus capable de faire ce petit voyage.

Le vieillard fut aussi surpris qu’attendri de la générosité de Pierre. «J’accepte, mon enfant, lui dit-il, car cette aumône attirera certainement une bénédiction sur toi. Si tu voulais te reposer dans ma chaumière?

Un vieillard parut, marchant avec des béquilles, (Page 62.)


PIERRE.

Grand merci, mon bon père, il faut que j’arrive à Hert sans perdre de temps, les jours sont courts, dans cette saison, et, si je ne me trompe, la neige ne tardera pas à tomber.

LE VIEILLARD.

Adieu donc: que le chemin te soit facile! Puisse le souvenir de ta bonne action rendre ton fardeau léger!

Peut-être êtes-vous surpris, comme le fut Pierre, de tant de bénédictions pour un morceau de pain donné de bon cœur. Il ne faut pas vous en étonner: La plus petite aumône porte avec elle sa récompense. Si vous aviez vu Pierre rouge d’émotion, regardant le vieillard reprendre le chemin de la maison, vous eussiez envié son bonheur. N’attendez pas d’être grand pour faire l’aumône; donnez ce que vous avez, et certes, vous possédez beaucoup plus que ne possédait notre petit voyageur.

Le souvenir de cette rencontre contribua beaucoup à distraire le fils de Madeleine, et il arriva frais et dispos. Il ne tarda pas à faire des connaissances. Pierre était si honnête, sa physionomie inspirait une si grande confiance, que plus d’une ménagère se laissa prendre à ses discours. Il y avait tant de sincérité dans sa voix! Aussi fit-il de bonnes affaires à Hert. Il s’y reposa largement et se remit en route le cœur tout joyeux.

Le petit colporteur

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