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CHAPITRE II.

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Table des matières

Pierre et Christine marchaient, et s’arrêtaient de temps à autre pour glaner un fruit de haie échappé à l’oiseau. On touchait à la fin d’octobre. Les champs n’étaient pas encore déserts et les deux enfants saluaient le laboureur qui travaillait réjoui par leur gracieuse apparition.

Pierre, je le suppose, préparait son discours et ne se sentait peut-être plus si sûr de réussir, car il laissait babiller Christine, se contentant de lui répondre oui ou non, et encore ne tombait-il pas toujours juste; mais Christine n’était pas susceptible: il lui suffisait de donner la main à Pierre pour être satisfaite. Christine avait à peine neuf ans; petite et mignonne, elle était l’objet de tous les soins de son frère. Et quand, arrivés à moitié chemin, elle dit: «Pierre, je suis lasse,» Pierre la prit sur ses épaules avec empressement. Sans douter du bon cœur de Pierre, nous ne serions pas étonnés que le futur petit marchand ambulant ait saisi l’occasion d’essayer ses forces en songeant à ses futurs exploits.

Avant d’entrer dans le bourg de Reichshoffen, Pierre remit Christine sur ses pieds, ramena son fichu soulevé par le vent, lissa ses cheveux, donna également un coup d’œil à sa toilette et enfin se moucha. Il marcha résolûment alors jusqu’à la porte du château.

Le proverbe a encore une fois raison: Tel maître, tel valet! «Que demandez-vous, mes enfants? » dit d’une voix cordiale la femme de Hans le garde.

PIERRE.

Nous voudrions parler à monsieur le comte.

«Entrez, mes petits enfants, adressez-vous à droite, dans la cour.»

Pierre obéit et il obtint sans difficulté la permission d’être admis près du comte.

Mais dans ce château la charité unissait les cœurs, et la comtesse vint la première reconnaître les petits visiteurs. Elle les caressa, leur demanda des nouvelles de leur mère et quel motif les amenait.

PIERRE.

Madame, j’ai un secret à dire à M. le comte.

LA COMTESSE.

Vraiment! ne le diras-tu pas devant moi, ton secret?

PIERRE.

Oh! oui, madame, c’est la même chose.

LA COMTESSE.

Mon ami, voici les enfants de la femme Lipp. Petit Pierre a un secret à te confier, mais il consent à ce que je connaisse aussi ce secret.

Le comte était en robe de chambre, il était entouré de gros livres: il y en avait partout, sur le bureau, sur les. chaises. Il s’interrompit en ouvrant sa tabatière, et la prise ayant disparu d’entre ses doigts: «Voyons!» dit-il avec un air plein d’intérêt qui fut pour Petit Pierre un grand encouragement à prendre la parole.

PIERRE.

Monsieur le comte, je suis trop jeune pour aller en Amérique comme le fils de Constant Winkel, mais il faut que je gagne pour soutenir ma mère, car je suis l’aîné de la famille. Alors voici ce que j’ai pensé : puisque l’Amérique est très-loin, je peux me faire marchand ambulant. Monsieur Hoffmann de Haguenau l’a bien été, et aujourd’ hui il a une belle boutique dans la grande rue.

LE COMTE.

Mais, mon ami, tu auras bien du mal à courir les. chemins par tous les temps.

PIERRE.

Ça ne fait rien, monsieur, je suis fort et je sais bien qu’on n’a rien sans peine. Je commencerai par faire de petites tournées.

LE COMTE.

Et que veux-tu vendre?

PIERRE.

Je ne sais pas trop.

Et il se tourna vers la comtesse pour interroger son regard.

LA COMTESSE.

Je t’aiderai de mes conseils, si tu pars.

LE COMTE.

Est-ce là ton secret, Petit Pierre?

PIERRE.

Ça n’est que la moitié, monsieur le comte; l’autre moitié...., c’est que vous seriez bien bon de me prêter de l’argent pour acheter ma première balle. Je vous rendrai à mesure que je gagnerai. Je vous le promets, sur la mémoire de mon père.

LE COMTE.

Nous verrons. Mais quand voudrais-tu partir? La saison n’est pas favorable au commerce.

PIERRE.

Oh que si! je vendrai du chaud en hiver et du léger en été. Si monsieur voulait avoir confiance en moi, je serais joliment content!

Le comte était en robe de chambre, entouré de grands livres. (Page 19.)


LE COMTE.

Qui t’a donné l’idée de venir me trouver, mon petit homme?

PIERRE.

Tout le monde sait, et encore bien loin d’ici, que monsieur et madame sont toujours à chercher des malheureux; alors, comme je ne suis pas riche, j’ai dit mon idée à ma mère, et voilà....

LE COMTE.

- Petit Pierre, je te prêterai de l’argent pour acheter la première balle de marchandises; mais tu seras exact à me rendre. Tu tiendras tes comptes en ordre; tu ne feras pas la contrebande, et si j’apprends que tu fais le colportage des mauvais livres, je te retirerai mon estime et ma protection. As-tu bien compris?

PIERRE.

Parfaitement. Monsieur le comte peut être tranquille; je ne vendrai que ce qu’il me dira de vendre.

LA COMTESSE.

Sais-tu compter?

PIERRE.

Pour ça, oui, madame.

LE COMTE.

Voyons, additionne ces chiffres.

Petit Pierre prit la plume des mains de son protecteur, additionna une demi-colonne de chiffres assez compliqués, et dit d’un air triomphant: «Monsieur veut-il que je fasse la preuve?»

LE COMTE.

Non, c’est bien, je suis content de toi. Ma femme s’occupera de tes affaires, et puisque l’approche de l’hiver ne t’effraye pas, procure-toi un passe-port bien en règle et tu partiras dès que ta mère le jugera à propos. Mais, Petit Pierre, souviens-toi bien de mes recommandations.

Christine avait plus ou moins suivi la conversation, elle était bouche béante devant une belle sainte Vierge qui faisait partie de la fenêtre. Jamais la petite fille n’avait vu de si beaux tableaux, tant de gros livres et un monsieur travailler à de l’écriture. Il fallut que la comtesse lui prît la main et l’emmenât à l’office où elle servit elle-même un bon goûter au frère et à la sœur. Petit Pierre était rouge de bonheur, et Christine ouvrait les yeux sans dire un mot, mais elle mordait à belles dents dans un morceau de gâteau où se montraient à sa grande satisfaction de petits grains de raisin.

Hâtons-nous de rendre justice à Petit Pierre: il avait eu une bien bonne idée. C’est ce qu’il dit à Christine, dès qu’ils furent sortis de la cour du château.

Je vous laisse à penser quels longs et beaux récits les enfants firent à leur mère en arrivant. Ils ne se possédaient pas de joie. Pierre frissonnait en songeant qu’il aurait pu entrer à la papeterie ou à la forge et passer des années sans rien gagner.

L’imagination du petit garçon battait la campagne. Dans son impatience il alla annoncer à ses amis son prochain départ; il demandait des conseils principalement à Constant Winkel, qui passait pour l’homme le plus sage. De quels transports de joie fut saisi Pierre en entendant le vieillard lui dire: «Tu réussiras parce que tu as du courage, sois toujours honnête, ne te presse pas de gagner, souviens-toi que les petits ruisseaux font les grandes rivières.»

Madeleine ne causa pas mal aussi, elle, avec ses voisines. La majorité des avis fut que le parti pris était bon, que plus d’un gros marchand avait commencé par vendre dans les campagnes avant d’avoir boutique en ville.

L’intérêt qu’inspirait la veuve Lipp était sincère. Partout elle reçut des encouragements. Le maire en délivrant un passe-port au petit voyageur n’épargna pas les conseils et les recommandations. Il dit à l’enfant ce qu’un marchand peut gagner honnêtement, et ce qu’il serait malhonnête de gagner, quoiqu’il n’y ait point à vrai dire de tarif. Petit Pierre devait viser à se faire une clientèle, il devait passer ici et là à certaines époques de l’année. On lui donnerait la préférence une fois qu’il serait bien connu de ses pratiques.

Ces discours n’étaient pas seulement d’une douceur infinie aux oreilles de Pierre, il les méditait, se promettant bien d’être digne de la protection de ses bienfaiteurs.

Madeleine travaillait, veillait pour mettre en ordre le mince trousseau de son fils. Elle fit une brèche à sa petite réserve pour acheter deux bonnes paires de souliers au futur voyageur. Je crois bien que dans sa pensée le voyage de New-York n’était pas plus glorieux qu’une tournée en Alsace. En tout cas, disait-elle, j’aime mieux qu’il ne fasse pas une si grosse fortune et qu’il vienne m’embrasser de temps en temps. Avec leur Amérique, qui est à des millions de lieues d’ici, on ne sait pas ce que deviennent de pauvres enfants: il n’y a qu’une Alsace au monde!

Huit jours étaient à peine écoulés, lorsque le bruit d’une voiture éveilla l’attention des habitants de Wasembourg. Chacun se mit sur la porte de sa maison et constata que la voiture s’arrêtait chez les Lipp. Les plus curieux s’approchèrent un peu, mais personne n’osa entrer. Un domestique prit dans la voiture un assez gros paquet qu’il porta dans la maison.

C’était bien la comtesse, en compagnie de ses filles, qui apportait les objets destinés à composer le ballot de Petit Pierre.

Plus heureux que les voisins, nous allons assister à l’exposition des marchandises: bas de laine bleus et noirs, chaussons de lisières, pur Strasbourg, camisoles de laine, fichus d’indienne, plumes de fer, étuis et aiguilles, ciseaux et chaînes d’acier, lunettes, images et chapelets, etc.; le tout renfermé dans une boîte de sapin recouverte d’une toile cirée avec de fortes bretelles de cuir pour en faciliter le transport.

Pierre se crut riche: on ne pouvait en douter à l’expression joyeuse de sa physionomie. Il touchait chaque objet en silence, puis regardait la comtesse tout aussi heureuse que lui. L’excellente femme renouvela toutes ses recommandations à Petit Pierre. Elle s’informa de l’état du trousseau, elle y ajouta quelques objets, entre autres une grande paire de guêtres en cuir, et remit à Madeleine ce qu’elle avait dépensé pour les deux paires de souliers.

Oh! que Petit Pierre avait raison! Pour le riche il n’y a pas de joie comparable à celle qu’il éprouve en secourant le pauvre, en l’aidant à gagner sa vie. La comtesse et ses filles laissèrent comme un parfum de bonheur dans cette chaumière.

Il fut arrêté que le surlendemain Madeleine accompagnerait son fils au château, sa première étape, que Petit Pierre étalerait sa marchandise et qu’on verrait de quoi il était capable.

Vous le croirez sans peine, dès que la voiture eut disparu, les marchandises furent de nouveau inspectées, estimées, quoiqu’on sût déjà qu’il y en avait pour soixante francs.

Christine voulait tout essayer. Malgré la résistance de Pierre, la petite fille parvint à s’emparer d’une paire de lunettes qu’elle mit sur son nez, et trouva grâce par ses espiègleries.

Petit Pierre s’était dit: nos amis vont m’étrenner. Personne ne vint, et lorsque l’enfant en témoigna de l’étonnement à sa mère, celle-ci lui répondit: «Mon fils, nul n’est prophète dans son pays.»

Le soir, Madeleine et ses enfants, agenouillés devant le vieux crucifix de la famille, rendirent grâces à Dieu, et après s’être dit bonsoir, ils s’endormirent pleins le confiance dans le lendemain.

Le petit colporteur

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