Читать книгу Mémoires d'un caniche - Julie Gouraud - Страница 8

Le printemps. — Je me promène. — Mouflar. — Un événement terrible.

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Henriette m’avait bien dit: tu verras, mon cien, comme c’est beau notre campagne! va, nous nous promènerons joliment! — J’étais loin de me douter que j’habitais tout bonnement un des plus magnifiques châteaux de la Touraine.

Le dernier jour d’avril, par un temps d’une douceur qui n’est pas rare dans le Jardin de la France, M. Nelville annonça que nous ferions une grande partie, qu’on irait jusqu’aux cascades; que les garçons pêcheraient dans l’étang, et que Mlle Henriette, montée sur son âne, ne s’en retournerait pas avec sa bonne après avoir fait la conduite aux promeneurs.

Le soleil, les préparatifs, me firent bien vite deviner de quoi il s’agissait. Je sautais, j’aboyais.... je grognais, tant j’étais impatient de m’élancer dans les bois, dont j’avais aperçu la première teinte de verdure, le matin à ma fenêtre.

Nous partons: je m’élance, descends au pas accéléré une espèce de rempart, foulant sans pitié violettes et coucous, et j’arrive auprès d’un long étang bordé de peupliers tous frères: ayant traversé un petit pont je me trouvai dans une prairie comme vous n’en avez probablement jamais vue, mes enfants. Puis au delà de ce tapis vert, des bois de futaies.

Je me crus un instant le marquis de Carahas, ou tout au moins son chien, si tant est que le marquis avait un chien.

Mon absence avait jeté l’alarme dans la société, j’entendais bien mon nom prononcé alternativement par chacun des membres de la famille; mais je faisais la sourde oreille, ce qui serait fort laid de la part d’un petit garçon, car ce n’est pas fameux pour un chien.

J’aperçus bientôt Paul qui cria aux autres: Le voici! Et pour toute réprimande, il me fit sauter et courir après lui. Les promeneurs étant réunis, M. Nelville me dit très-sérieusement qu’il n’entendait plus que je courusse ainsi en éclaireur: «la futaie est immense, et malgré tout ton esprit, tu pourrais bien te perdre, mon camarade.» Je compris la valeur du conseil, et je marchai à côté d’Henriette montée sur son âne. La bonne petite me croyant, dans son innocence, un être faible comme elle, voulut. absolument me faire asseoir sur la croupe de l’Éveillé. Je résistai, mais vainement. M. Nelville me prit par la peau du cou et me plaça sur l’âne pour complaire à sa petite fille. Alors je me dis que dans cette circonstance, comme dans tant d’autres, il falfait faire contre fortune bon cœur. Je m’assis franchement, cette complaisance me valut mille éloges. Il paraît que j’avais vraiment l’air d’un personnage; j’aurais voulu entrer ainsi dans la capitale du Wurtemberg. Pourquoi le Wurtemberg, César? Parce que Paul m’avait répété sa leçon de géographie la veille.

Eh bien! voyez un peu! La fortune peut même gâter le meilleur des chiens. Je me trouvai déconcerté lorsqu’on me remit sur mes pattes.

On s’arrêta pour raconter des histoires auxquelles je ne comprenais rien. Alors je tournillais à à droite et à gauche, ayant la douceur de voir de jeunes perdrix voleter près de moi, sans crainte d’être fascinées par mon regard.

Ce jour-là, j’eus l’honneur de dîner en famille. Un dîner sur l’herbe, il est vrai, mais n’importe, je pris place entre Paul et Henriette. Tout le monde admira avec quelle grâce je fis disparaître ma pitance de croûte de pâté.

M. Nelville me plaça sur l’âne pour complaire à sa petite fille.


A partir de ce moment, je ne rêvai plus que bois et prairies. La grand’mère ne pouvait plus me retenir près de son métier à broder. Elle m’appelait coureur et me prédisait toutes sortes d’aventures. Elle me racontait des histoires qu’elle faisait même semblant de lire dans un livre; des histoires de chiens et d’ânes, où le rôle n’était certes pas brillant pour mes aïeux; de chiens et de loups; mille contes enfin. Tout cela ne m’empêchait pas de courir.

Je croyais qu’il en serait toujours ainsi: un matin M. Nelville m’appela dans son cabinet. Il ferma la porte, ouvrit un tiroir et en tira un collier rouge comme celui d’Henriette. Sur une plaque d’argent était gravé mon nom et celui de mon maître.

M. Nelville me fit valoir cet honneur, et voyant mon peu de goût pour les bijoux, il parla contre la vanité des colifichets, loua ma simplicité. Je tremblais de tout mon corps, je pleurais malgré moi.

M. NELVILLE.

Vraiment, César, je ne te comprends pas. Ce collier est charmant, il t’ira à merveille, c’est un talisman, mon ami. Rien de fâcheux ne pourra t’arriver une fois que je te l’aurai attaché au cou.

CÉSAR.

U.... u.... u.... u....

M. NELVILT.E.

Allons, ici, César!

Je me couchai sous la table, m’aplatissant et gémissant.

Insensé que j’étais! M. Nelville prit un martinet, me frappa d’abord légèrement, mais mon opiniâtreté augmentant, il lit un crescendo sur mes épaules. Une scène horrible se passa. Les enfants accoururent à mes cris et j’eus la confusion de me voir pris comme un malfaiteur condamné à la chaîne.

Ma conduite fut racontée au déjeuner. On m’appela orgueilleux. Henriette après avoir été alarmée par mes cris était ravie de me voir avec ma nouvelle parure. Elle me rappela que le grand Danois avait un collier presque aussi haut que la timbale d’argent dont elle se servait.

Malgré tous ces beaux discours, j’étais triste: d’abord, on ne me croyait plus un chien sans reproche; j’avais montré un mauvais caractère. Et au lieu de réparer ma faute, je grognais.

Paul m’ayant touché le bout de la queue en passant, je jetai des cris perçants; si bien que, malgré les instances de mes petits amis, M. Nelville me mit à la porte avec un geste peu respectueux. Vraiment si un chien pouvait raisonner comme un petit garçon ou une petite fille, il s’épargnerait bien des chagrins.

Je ne tardai pas à reconnaître l’utilité du collier qu’on m’avait mis au cou en dépit de ma résistance; voici à quelle occasion: mais je dois d’abord avouer que j’étais tellement habitué à mon collier, qu’il m’était désagréable qu’on me l’ôtât.

C’était bien la peine de faire tant de sottises pour me le laisser mettre, n’est-ce pas?

Je suis extrêmement sensible à la belle nature; ayant fait connaissance avec les bois et les prairies, j’aurais toujours voulu courir. Les cascades ne m’effrayaient pas; mon humeur vagabonde ne put échapper à M. Nelville et encore moins aux enfants dont j’étais la joie. Que de fables, de leçons d’histoire grecque et romaine ne m’ont-ils pas récitées? Ce jeu était plus amusant pour eux que pour moi.;

Henriette qui en était à l’alphabet en chocolat, se passait fort bien de moi pendant son quart d’heure d’étude. Il n’en était pas de même à la récréation. La chère petite avait souvent la fantaisie de mettre sa poupée à cheval sur mon dos. Je la laissais faire; mais avec l’âge les chiens deviennent raisonnables, et je m’ennuyais d’une vie monotone. Ma tête se remplissait de projets ambitieux; je ne savais lesquels, n’importe; je me sentais enflammé de zèle et de courage pour je ne sais quels exploits.

J’étais presque gardé à vue; mais, bah! un matin je sautai par la fenêtre et me voilà courant je ne sais où.

Quand je fus bien loin, j’aperçus un troupeau de moutons et un magnifique chien de berger. D’aussi loin qu’il me vit, il se mit à aboyer. Je crus d’abord à une déclaration de guerre: c’était une politesse. Etant rassuré (car, quoique j’en dise, je goûte peu les batailles), je m’approchai de Mouflar, et la conversation s’engagea. A l’exemple de tous les serviteurs, grands ou petits, nos maîtres tirent les frais de notre conversation.

MOUFLAR.

Tu es un chien de famille, je vois cela à ton collier.

MOI.

Oui, et de bonne famille.

MOUFLAR.

C’est égal, je te plains, tu dois être bien assujetti! Je me demande même comment tu as pu arriver jusqu’à moi. Cette petite escapade te vaudra de bons coups de martinet, va! car tu seras tambouriné par tous les villages, et retrouvé. Veux-tu que je t’ôte ton collier?

MOI.

Je veux bien, mon ami.

Voilà donc Mouflar à l’œuvre. Oh! quelle frayeur! il me serrait le cou. Certaines histoires de loup me passaient par la tête.

J’avais tort, grand tort de me méfier du brave Mouflar. Il me dit simplement: «J’ai peurde t’étrangler. C’est une triste vie que la tienne, comment te nommes-tu?

MOI.

César.

MOUFLAR.

Un drôle de nom! un nom de mirliflore sans doute. La conversation fut interrompue par le caprice d’un mouton. Mouflar courut à toutes pattes, et le ramena au milieu du troupeau.

MOI.

Ces bêtes de moutons doivent passablement t’ennuyer.

MOUFLAR.

M’ennuyer! pauvre Barbet! tu ne connais pas les chiens de berger: apprends que je donnerais ma vie pour chacune de mes brebis. Je ne les perds jamais de vue. Tout en me livrant au plaisir de la conversation avec toi, je les suis, je les protège de mon regard; sans doute, l’honneur m’y engage, mais l’amour seul me retient près d’elles.

L’an passé une de mes brebis mit bas près d’une haie. La pauvre bête resta près de son agneau et je la cherchai pendant longtemps. L’ayant enfin trouvée, je ne pus me décider à l’abandonner, et nous passâmes la nuit tous les trois à la belle étoile. J’étais désolé, malheureux à la pensée que mon maître s’inquiéterait fort de mon absence et de celle d’une brebis. C’était une faute; car, mon cher, un chien de mon espèce coûte,... fort cher. Ma réputation pouvait aussi en souffrir, que faire?... Attendre.

Le lendemain le berger reparut sans chien, avec son troupeau. Dès que je l’entendis approcher, j’aboyai de toutes mes forces. Et bientôt je vis mon maître J’étais couché près de la brebis et de l’agneau. Mon regard lui dit tout.

«Pauvre Mouflar, chien fidèle et incomparable, me répondit-il, tu es ma gloire et celle des chiens de bergers.»

Il portait l’agneau; la mère et moi suivions.

De retour au milieu du troupeau je repris mon poste, rassurant mes brebis, et leur donnant à entendre que j’en ferais autant pour chacune d’elles.

Voilà, dit Mouflar, une petite histoire qui doit t’attrister. Jamais, vivrais-tu quinze ans, tu n’auras la pareille à conter: ce n’est pas ta faute.

MOI.

Je reconnais ta supériorité, Mouflar, je loue ta vigilance et ta tendresse pour tes brebis; mais j’ai de l’avenir devant moi, et je ne désespère nullement de mériter un jour ou l’autre la reconnaissance de mes maîtres. Au revoir, Mouflar, je crains qu’on ne s’inquiète de mon absence.»

Me voilà parti au galop, et bien m’en prit. Ma disparution avait jeté l’alarme au sein de la paisible famille.

LES ENFANTS.

Eh! bien, monsieur, d’où venez-vous? Voyez comme il a chaud! C’est très-laid de courir ainsi. César, si vous prenez d’aussi mauvaises habitudes, on vous attachera.

Cette menace me fit réfléchir et je repris ma place à côté du métier de la grand’mère, dormant tout de mon long sur le parquet et entr’ouvrant un œil pour gober au passage quelques mouches importunes.

Un matin, il faisait un temps magnifique, Henriette avait obtenu la permission de s’amuser avec moi dans la cour avant le déjeuner. Jouer à cache-cache, sauter, nous appeler, rire, aboyer, tout cela constituait un plaisir toujours nouveau.

Tout à coup la petite fille disparaît. Je la cherche là où je l’avais trouvée plusieurs fois. Inquiet, j’appelle.

On prend encore mon avertissement pour un jeu. Mon anxiété augmente. Je vais jusqu’à la grille, près de l’étang. Que vois-je? Henriette montée sur le petit bateau de ses frères. Elle se balançait. Son pied glisse, elle tombe, et la frêle embarcation chavire entraînant ma petite amie dans l’eau.

D’un bond, je me jette à la nage, et au moment où l’enfant fait le plongeon, je la saisis par sa robe. Je vis mon ombre dans l’eau, mais me souvenant d’une fable que Paul m’avait récitée, je ne lâchai pas ma proie.

Ce n’était pas la première fois que j’entrais dans l’étang. J’ai des habitudes de propreté qui sont aussi agréables à mes maîtres qu’à moi-même; mais, vous le comprenez, il est bien différent de se jeter à l’eau pour prendre un bain, ou pour sauver la vie à un enfant. J’étais ému, tremblant. Après avoir repris haleine, je saisis de nouveau ma petite amie et je parvins, non sans peine, à la traîner sur l’herbe. Ses yeux étaient fermés. J’avais beau tourner autour d’elle, la lécher, me plaindre, je n’obtenais aucun signe de vie. Alors, courant au château, j’allai d’abord à la cuisine où je ne pus me faire comprendre. Gothon répondit à mes plaintes en m’offrant une pâtée. D’un coup de patte je renversai l’écuelle, et je me précipitai au salon, où, par bonheur, je trouvai madame Nelville.

A peine entré, la mère d’Henriette vit l’expression de ma physionomie. Elle me questionna avec anxiété. Pour toute réponse je la saisis par la robe et je l’entraînai, renversant exprès un vase de fleurs pour jeter l’alarme. Il faisait grand soleil, n’importe, je ne permis pas à la mère d’Henriette de prendre son chapeau. J’aboyais sans relâche, si bien que M. Nelville sortit de son cabinet pour savoir la cause de mon vacarme.

MADAME NELVILLE.

Viens, viens, Léon, il est fou. Bien certainement il est arrivé quelque malheur.... Mais où est Henriette?

Je parvins, non sans peine, à la traîner sur l’herbe, (l’aire 32.)


A ce nom d’Henriette, je poussai des cris horribles en me dirigeant vers l’étang. Le père et la mère couraient presqu’aussi vite que moi, et dans un instant nous fûmes rendus près de notre chère petite.

Le pêcheur était venu jeter ses filets pendant mon absence. C’était un brave homme qui avait vu bien des malheurs, sauvé la vie à beaucoup de gens; aussi, grâce à ses soins, Henriette commençait à reprendre connaissance.

Je m’approchai d’elle, je léchai son petit menton, et j’eus l’inexprimable bonheur de lui voir ouvrir les yeux.

Madame Nelville, à genoux près d’Henriette, faisait pitié à voir, son mari n’était guère plus fort. Je les regardais, allant de l’un à l’autre, agitant ma queue et en poussant de petits cris de joie.

L’alarme avait été promptement donnée au château, la grand’mère arriva avec des flacons, tout ce qu’il faut en pareil cas, et en moins de vingt minutes M. Nelville rentrait en portant Henriette dans ses bras.

Je le suivais en sautant et en jappant.

M. NELVILLE.

Oui, mon ami, mon brave chien, c’est à toi que nous devons la vie de notre enfant. Pauvre bête! Dans quel état tu es aussi toi!

Pendant toutes les allées et venues qui eurent lieu au retour, je ne cessai pas de trotter partout, et je ne fus vraiment tranquille qu’au moment où je vis Henriette dans son petit lit, ouvrant ses beaux yeux bleus et embrassant son père et sa mère encore tout tremblants.

Puis vint mon tour. On me permit de monter sur le lit. Henriette m’appela Toutou, me donna ses mains à lécher et s’endormit d’un paisible sommeil.

Quelle journée! Je pensais à Mouflar. J’aurais volontiers couru lui raconter mes exploits. Les siens me paraissaient bien peu de chose à côté des miens: Une brebis! un troupeau! mille troupeaux ne peuvent être comparés à l’objet du plus tendre amour! à ma petite Henriette. Je fus comblé de caresses, c’était à qui me parlerait, me féliciterait. Je montais sur l’un, sur l’autre, pour mieux entendre mes louanges. J’étais embrassé, tapoté. Ma langue était fatiguée de lécher.

L’orgueil me monta à la tête. Je repassais toutes les circonstances de ma noble conduite; je trouvais qu’on n’en disait pas assez. Pourtant M. Nelville ne négligea rien pour ma gloire. Il eut soin d’envoyer au journal du département, qui le communiqua à d’autres, le procès-verbal de ma noble et touchante conduite, et j’eus la satisfaction un beau matin d’entendre lire mon histoire.

Hélas! mon orgueil fut rabattu par un mot de Gothon: A tous ceux qui lui vantaient ma conduite, la bonne fille répondait: «C’est égal, ce qu’il y a de plus fort, c’est d’avoir refusé sa pâtée favorite aux queues d’asperges.»

Le bateau fut brûlé, et je suis heureux de pouvoir dire que Paul et Louis en tirent le sacrifice avec une touchante générosité.

Je prie le lecteur de croire à la véracité de mon récit. Je ne suis point un de ces hâbleurs de chiens comme il y en a dans le monde. Une petite fille ou un petit garçon, ne vous en déplaise, peut se noyer presque aussi facilement qu’une mouche.

C’était la première désobéissance d’Henriette, et si je n’avais pas été là, hélas! c’eût été la dernière. A cette pensée mon poil se défrise.


Mémoires d'un caniche

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