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CHAPITRE III DE L'ÂME
ОглавлениеNous appelons Dieu, l'impalpable, l'invisible, l'immatériel, celui qui donne la vie à tout et qui existe. Nous appelons âme le même élément impalpable, invisible et immatériel, séparé par le corps de tout le reste et que nous reconnaissons comme nous-mêmes.
I.—Qu'est-ce que l'Âme?
1
Si l'homme vit longtemps, il subit diverses transformations: il est enfant, puis adolescent, adulte, vieillard. Mais, malgré ses changements, il dit toujours «moi» en parlant de lui-même. Et ce «moi» a toujours été le même: dans l'enfant, dans l'adulte, dans le vieillard. C'est ce «moi» immuable que nous appelons âme.
2
Si l'homme pense que tout ce qui l'entoure, tout l'univers infini, est tel qu'il le voit, il se trompe fort. L'homme connaît tout ce qui est matériel uniquement parce qu'il a tels vue, oui toucher. Si ces sens étaient autres, le monde entier serait différent. De sorte que nous ne savons pas et ne pouvons savoir quel est exactement le monde matériel où nous vivons. Ce que nous connaissons sûrement et entièrement, c'est notre âme.
II.—Le «Moi» spirituel.
1
Lorsque nous parlons de notre «moi», nous n'entendons pas notre corps, mais ce qui le fait vivre. Qu'est-ce que le «moi»? Nous ne pouvons le définir par des paroles, mais nous le connaissons mieux que tout ce que nous savons. Car nous savons que si nous n'avions pas ce «moi», nous ne saurions rien, nous n'aurions rien au monde, et nous n'aurions pas existé nous-mêmes.
2
Lorsque je réfléchis, il m'est plus difficile de comprendre ce qu'est mon corps que ce qu'est mon âme. Le corps a beau nous être proche, il nous est toujours étranger; seule l'âme est à soi.
3
Si l'homme ne sent pas l'âme en soi, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas d'âme, mais cela prouve seulement qu'il n'a pas encore appris à la connaître.
4
Tant que nous ne comprenons pas ce qui est en nous, quel intérêt avons-nous à savoir ce qui est en dehors de nous? Et peut-on connaître le monde avant de s'être compris soi-même? Celui qui est aveugle chez lui, peut-il voir lorsqu'il est chez les autres?
SKOVORODA.
5
De même que la bougie ne peut pas brûler sans feu, l'homme ne peut pas vivre sans force spirituelle. L'esprit vit dans tous les hommes, mais tous les hommes ne le savent pas.
La vie de ceux qui le savent est heureuse, et la vie de ceux qui l'ignorent est malheureuse.
Sagesse brahmane.
III.—L'âme et le monde matériel.
1
Nous avons mesuré la terre, le soleil, les étoiles, les profondeurs des mers; nous descendons dans l'antre de la terre pour y chercher de l'or; nous avons trouvé des rivières et des montagnes sur la lune; nous découvrons de nouveaux astres et connaissons leurs dimensions; nous nivelons des précipices, nous construisons des machines compliquées; chaque jour apporte de nouvelles et toujours de nouvelles inventions. Que ne savons-nous pas? que de choses nous pouvons faire! Seulement, il y a une chose absolument essentielle qui nous manque. Et nous ne saurions préciser ce que c'est. Nous sommes pareils à un petit enfant: il sent qu'il n'est pas à son aise, mais il ne sait pas pourquoi.
Nous sommes malheureux, parce que nous savons beaucoup de choses inutiles et que nous ignorons l'essentiel, c'est nous-mêmes. Nous ne connaissons pas ce qui est en nous. Si nous savions et si nous nous souvenions de ce qui est en nous, notre vie serait toute différente.
D'après SKOVORODA.
2
Nous ne pouvons savoir ce qu'est en réalité tout ce qui est matériel en ce monde. Nous ne pouvons connaître parfaitement que ce qui est spirituel en nous-mêmes, ce qui est nous-mêmes et ce qui ne dépend ni de nos sentiments ni de nos pensées.
3
Les hommes croient souvent que seules les choses qu'ils peuvent toucher de leurs mains existent. Bien au contraire: existe seulement ce qu'on ne peut voir, ni entendre, ni palper, ce que nous appelons notre «moi»— notre âme.
4
Confucius disait: Le ciel et la terre sont grands, mais ils ont une couleur, une forme, une dimension, alors qu'en l'homme il y a quelque chose qui pense à tout et qui n'a ni couleur, ni forme, ni dimension. De sorte que si tout l'univers était mort, ce qui est en l'homme aurait donné la vie au monde.
IV.—Le côté spirituel et le côté charnel de l'homme.
1
Chacun de nous est un homme absolument distinct de tous les autres: un homme, une femme, un vieillard, un garçon, une fille; et dans chacun de nous, comme dans tous, réside le même être spirituel. Chacun de nous est donc Jean ou Nathalie et en même temps un être spirituel qui est le même dans tous les hommes. Et lorsque nous disons: Je veux, cela indique, parfois, ce que désirent Jean et Nathalie, mais d'autres fois ce que veut l'être spirituel qui est commun à nous tous. Et il arrive, parfois, que Jean et Nathalie veulent quelque chose, mais que l'être spirituel ne le veut pas et qu'il désire tout autre chose.
2
Dire que ce que nous appelons nous-mêmes n'est que notre chair, dire que ma raison, mon âme, mon amour ne dépendent que de mon corps, c'est prétendre que notre corps n'est que la nourriture dont notre chair s'alimente.
Il est vrai que mon corps n'est composé que d'aliments qu'il transforme, mais mon corps n'est pas aliment. Ceux-ci lui sont nécessaires pour vivre, mais ils ne sont pas le corps.
Il en est de même de l'âme. Il est vrai que, sans ma chair, ce que j'appelle âme n'existerait pas; mais mon âme n'est pas mon corps. Celui-ci est nécessaire à l'âme, mais il n'est pas l'âme.
Si l'âme n'existait pas, je ne saurais pas ce qu'est mon corps.
Les éléments de la vie ne sont pas dans le corps, mais dans l'âme.
3
Lorsque nous disons: cela est arrivé, cela arrivera ou cela pourra arriver, nous parlons de notre vie corporelle. Mais, en dehors de la vie corporelle qui a été et qui sera, nous reconnaissons en nous une autre vie: la vie spirituelle. Et cette vie-là n'a pas été, ne sera pas, mais est toujours. C'est cette vie qui est la vraie. L'homme est heureux lorsqu'il vit de la vie spirituelle, et non de la vie corporelle.
4
Le Christ apprend à connaître à l'homme qu'il y a en lui quelque chose qui le met au-dessus de cette vie, de ses misères, de ses craintes et de ses désirs.
L'homme qui a compris la doctrine du Christ se sent comme un oiseau qui, ignorant la présence de ses ailes, aurait compris brusquement qu'il pouvait voler, être libre et ne rien craindre.
V.—La conscience, voix de l'âme.
1
Dans chaque homme il y a deux êtres: l'un: aveugle, matériel; l'autre: voyant clair, spirituel. L'un—l'être aveugle—mange, boit, travaille, se repose, se reproduit et fait tout comme une horloge réglée. L'autre—l'être spirituel—ne fait rien lui-même, mais ne fait qu'approuver ou désapprouver les actes de l'être aveugle et animal.
On appelle conscience la partie éclairée, spirituelle de l'homme. Cette partie spirituelle agit de même que les branches d'un compas. Celles-ci ne changent de place que lorsque celui qui tient les compas abandonne la direction qu'elles indiquent. Il en est de même de la conscience: elle se tait tant que l'homme fait ce qu'il doit, mais dès qu'il abandonne la bonne voie, elle lui montre où et à quel point il s'est trompé.
2
Lorsque nous apprenons qu'un homme a fait une mauvaise action, nous disons: il n'a pas de conscience. Qu'est-ce que la conscience? La conscience est la voix de l'être unique et spirituel qui réside en nous tous.
3
La conscience, c'est la manifestation de l'être spirituel qui vit dans tous les hommes. Et ce n'est que lorsqu'elle se manifeste qu'elle devient un directeur sûr de la vie des hommes. Car souvent les hommes prennent pour la conscience non pas la manifestation de l'être spirituel, mais simplement ce qui est considéré comme bon ou mauvais par les gens dont ils sont entourés.
4
La voix de la passion peut être plus forte que celle de la conscience; mais elle est tout autre que la voix calme et persuasive de la conscience. Celle-ci est la voix de l'Éternel, du divin qui vit en l'homme.
CHANNING [1].
5
Le philosophe Kant disait que deux choses l'étonnaient le plus: les étoiles au ciel et la loi du bien dans l'âme humaine.
6
La vraie bonté est en toi-même, dans ton âme. Celui qui cherche le bien en dehors de lui-même, agit comme le pâtre qui cherche dans son troupeau l'agneau qu'il a caché sur sa poitrine.
VIMANA HINDOUE.
VI.—La divinité de l'âme.
1
L'homme a, d'abord, le sentiment de la séparation de son essence du reste de sa substance, c'est-à-dire de sa chair; ensuite, la conscience de ce qui est séparé, c'est-à-dire de son âme; enfin, la conscience de ce dont cette base spirituelle de la vie est séparée: la conscience du Tout, de Dieu.
C'est précisément cet élément, conscient d'être séparé du Tout, de Dieu, qui est l'unique être spirituel qui vit en chaque homme.
2
Reconnaître qu'on est un être séparé, c'est reconnaître l'existence de ce dont on est séparé, reconnaître l'existence du Tout, de Dieu.
3
«En vérité, en vérité, je vous le dis: celui qui écoute «Ma parole et qui croit à Celui qui m'a envoyé, a la vie «éternelle et il ne vient point en jugement, mais il est «passé de la mort à la vie. En vérité, en vérité, je vous «le dis, le temps vient, et il est déjà venu, que les morts «entendront la voix du Fils de Dieu et que ceux qui l'auront «entendue vivront. Car comme le Père a la vie en «lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même.»
JEAN, V, 24-25.
4
Une goutte qui tombe dans la mer, devient mer. L'âme qui communie avec Dieu devient Dieu.
ANGÉLUS
5
Lorsque l'homme dit une vérité, cela ne veut pas dire que la vérité émane de l'homme. Toute vérité vient de Dieu. Elle ne fait que passer par l'homme. Si elle passe par l'un plutôt que par l'autre, c'est uniquement parce que cet homme a su se rendre suffisamment transparent pour que la vérité puisse passer à travers lui.
PASCAL.
6
Dieu dit: Je n'étais un trésor connu de personne. J'ai voulu être connu, et j'ai créé l'homme.
MAHOMET.
7
On ne peut pas comprendre Dieu par la raison. Si nous savons qu'il existe, ce n'est pas parce que nous le concevons par la raison, mais parce que nous le sentons en nous-mêmes.
L'homme, pour être véritablement un homme, doit concevoir la présence de Dieu en lui-même.
Demander si Dieu existe, serait demander si j'existe. Ce par quoi je vis, est Dieu.
8
Le corps est l'aliment de l'âme; ce sont les chantiers qui servent à construire la vraie vie.
La plus grande joie que l'homme puisse concevoir, c'est la joie de reconnaître en soi un être libre, raisonnable, aimant, et par conséquent bienheureux de sentir Dieu en soi.
9
L'âme est un verre; Dieu est la lumière qui pénètre à travers ce verre.
10
Il n'y a que moi et Toi. Si nous n'existions pas tous deux, il n'y aurait rien sur la terre.
ANGÉLUS.
11
Il semble à l'homme toujours entendre une voix derrière lui, mais il ne peut pas tourner la tête et voir celui qui parle. Cette voix parle toutes les langues, gouverne tous les hommes, mais personne n'a jamais vu celui qui parle. Dès que l'homme commence à obéir strictement à cette voix et la recueille de façon à ne pas la séparer de lui-même dans ses pensées, il sent que cette voix et lui font un; et plus l'homme considérera cette voix comme lui-même, plus il sera heureux. Cette voix lui révélera la vie bienheureuse, parce que cette voix est celle de Dieu dans l'homme.
D'après EMMERSON.
Dieu veut le bonheur de tous; or, si tu veux du bien à tous, c'est-à-dire si tu aimes, Dieu vit en toi.
13
On dit: sauver son âme. On ne peut sauver que ce qui peut périr. L'âme ne peut pas périr parce qu'il n'y a qu'elle seule qui existe. Il ne faut pas la sauver, mais la purifier de ce qui l'obscurcit, la souille, il faut l'instruire pour que Dieu pénètre de plus en plus en elle.
14
On dit: «Aurais-tu oublié Dieu?» C'est une bonne parole. Oublier Dieu, c'est oublier Celui qui vit en toi et par qui tu vis.
15
De même que j'ai besoin de Dieu, Dieu a besoin de moi.
16
Lorsque tu t'affaiblis et que tu es malheureux, tu dois te rappeler que tu as une âme et que tu peux vivre par elle. Mais au lieu de cela, nous nous imaginons que des hommes pareils à nous-mêmes peuvent nous réconforter.
EMMERSON.
17
Celui qui est uni à Dieu, ne doit pas craindre Dieu. Dieu ne saurait se faire de mal à Lui-Même.
Les poissons de la rivière apprirent un jour que les hommes disaient qu'ils ne pouvaient vivre que dans l'eau. Et les poissons s'en étonnèrent et se mirent à s'interroger entre eux afin d'apprendre si quelqu'un savait ce que c'est que l'eau. Alors, un poisson intelligent dit: «On raconte qu'il y a dans la mer un vieux et sage poisson qui sait tout; allons le trouver et demandons-lui ce qu'est l'eau.» Et les poissons se dirigèrent vers l'endroit de la mer où habitait le sage et lui demandèrent ce qu'était l'eau. Et le sage poisson dit: «L'eau c'est ce qui nous fait vivre. Si vous ne la connaissez pas c'est parce que vous vivez dans l'eau et d'eau.»
De même, il semble parfois aux hommes qu'ils ne savent pas ce qu'est Dieu, mais ils vivent eux-mêmes en Lui.
SOUFI [2].
VII.—La vie de l'homme n'est pas dans le corps, mais dans l'âme, et non pas dans le corps et dans l'âme, mais dans l'âme seule.
1
«Celui qui m'a envoyé est véritable, et les choses que «j'ai entendues de Lui, je les dis dans le monde.»
Ils ne comprirent point qu'Il parlait du Père. Et Jésus leur dit: «Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'Homme, «vous connaîtrez qui Je suis, et que Je ne fais rien de «Moi-même, mais que Je dis les choses comme Mon «Père Me les a enseignées.
JEAN, VIII, 26-28.
Élever le Fils de l'Homme, c'est avoir conscience de l'esprit qui vit en nous et l'élever au-dessus de la chair.
2
L'âme et le corps sont ce que l'homme considère comme sien, ce dont il s'occupe constamment. Mais on doit savoir que le vrai «toi» n'est pas ton corps, mais ton âme. Souviens-toi de cela, élève ton âme au-dessus de ta chair, préserve-là de toute souillure humaine, ne permets pas à ta chair de l'étouffer—et tu auras une vie heureuse.
MARC-AURÈLE.
3
On dit qu'on ne doit pas s'aimer soi-même. Mais sans l'amour de soi-même, il n'y aurait pas de vie. Il s'agit de savoir ce qu'il faut aimer en soi: son âme ou son corps.
4
Il n'est pas de corps vigoureux qui n'aura jamais été malade; il n'est pas de richesses qui ne disparaîtront jamais; il n'est pas de pouvoir qui n'aura pas de fin. Si l'on consacre toute sa vie à devenir vigoureux, riche, puissant, et qu'on arrive à obtenir ce à quoi l'on aspire, on devra tout de même s'inquiéter, craindre et s'attrister, parce qu'on verra tout ce qu'on a cherché dans sa vie vous échapper, parce qu'on constatera que l'on se fait vieux et que l'on approche de la mort.
Que faire pour ne pas s'inquiéter, pour ne pas avoir peur?
Il n'y a qu'un seul moyen: il consiste à consacrer sa vie non pas à ce qui passe, mais à ce qui ne périt pas et ne peut périr, à l'esprit qui vit dans l'homme.
5
Accomplis ce que ton corps exige de toi: cherche à obtenir la gloire, les honneurs, la richesse, et ta vie sera un enfer. Fais ce que veut l'esprit qui réside en toi: cherche l'humilité, la clémence, l'amour, et tu n'auras pas besoin de paradis. Le paradis sera dans ton âme.
6
Tout homme a des devoirs envers le prochain et des devoirs envers lui-même, envers l'esprit qui vit en lui; ces devoirs consistent à ne pas souiller, à ne pas supprimer, à ne pas étouffer cet esprit et à le cultiver sans cesse.
VIII—Le vrai bonheur de l'homme n'est que la joie spirituelle.
1
L'homme vit par l'esprit et non par le corps. Lorsque l'homme le sait et qu'il a voué sa vie à l'esprit et non au corps, on peut le mettre aux fers, le verrouiller derrière des lourdes portes, il sera toujours libre.
2
Tout homme connaît deux vies: la vie charnelle et la vie spirituelle. Dès qu'elle atteint sa plénitude, la vie charnelle commence à faiblir. Et elle faiblit de plus en plus et arrive à la mort. La vie spirituelle, au contraire, grandit et devient toujours plus ferme, depuis la naissance jusqu'à la mort.
Si l'homme ne vivait que de la vie charnelle, toute son existence serait celle d'un condamné à mort. S'il vivait pour son âme, le bonheur qu'il y trouverait grandirait de jour en jour, et la mort ne l'effrayerait pas.
3
Pour mener une existence heureuse, point n'est besoin de savoir d'où tu es venu et ce que tu deviendras dans l'autre monde. Pense uniquement à ce que veut ton âme, et tu n'auras pas besoin de t'inquiéter d'où tu es issu et ce qui t'arrivera après la mort. Tu n'auras pas besoin de tout cela, parce que tu éprouveras le bonheur complet qui ne s'inquiète ni du passé ni de l'avenir.
4
Lorsque le monde commença à exister, la raison fut sa mère. Celui qui est conscient du fait que la base de sa vie est l'esprit, sait qu'il se trouve hors de tout danger. Lorsqu'à la fin de sa vie, ses lèvres se fermeront et les portes de ses sens retomberont, il n'éprouvera aucune inquiétude.
LAO-TSEU
[1] Théologien américain. (N. du trad.)
[2] Confrérie musulmane. (N. du trad.)