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CHAPITRE IV MÊME ÂME CHEZ TOUS

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Table des matières

Tous les êtres vivants sont séparés par leurs corps les uns des autres; mais l'origine la vie est la même pour tous.

I.—La Conscience de la divinité de l'âme unit les hommes.

1

La doctrine chrétienne révèle aux hommes que le même principe spirituel vit en eux tous, qu'ils sont tous frères, et elle les unit ainsi pour une heureuse vie commune.

LAMENNAIS.

2

Il ne suffit pas de se dire que chaque homme a la même âme que moi; il faut se dire qu'en chaque homme vit le même principe qui vit en moi. Tous les hommes sont séparés les uns des autres par leurs corps, mais ils sont tous unis par le même principe spirituel qui donne la vie à tout.

3

C'est un grand bonheur que d'être en communion avec les hommes; mais comment faire pour s'unir à tous? Je peux m'unir aux membres de ma famille; mais aux autres? Je peux m'unir à mes amis, à tous les Russes, à tous mes coreligionnaires. Mais comment faire pour m'unir à ceux que je ne connais pas, les étrangers, ceux qui professent une autre religion? Il y a tant d'hommes et ils sont tous si différents! Comment faire?

Il n'existe qu'un moyen: oublier les hommes, ne pas penser à s'unir à eux, et ne songer qu'à s'unir au seul principe spirituel qui vit en moi et en tous les hommes.

4

On dit que chaque homme peut être très bon et très mauvais et qu'il manifeste l'un ou l'autre sentiment suivant ses dispositions. C'est parfaitement exact.

La vue des souffrances d'autrui provoque, non seulement chez des personnes différentes, mais chez le même homme des sentiments absolument contradictoires: parfois, la compassion, et, parfois, une sorte de mauvais plaisir qui va jusqu'à la plus cruelle méchanceté.

J'ai eu l'occasion de le constater sur moi-même: tantôt j'avais pour tous les êtres une profonde compassion, tantôt j'éprouvais la plus grande indifférence, et, parfois, de la haine même.

Cela, prouve clairement que nous avons deux façons, absolument opposées, de concevoir les choses: l'une, quand nous nous considérons comme des êtres séparés, quand tous les êtres nous sont absolument étrangers et qu'ils ne sont pas «moi». Dans ce cas, nous ne pouvons éprouver pour eux autre chose que de l'indifférence, de l'envie, de la haine, de la malveillance.

L'autre façon de concevoir est dans la conscience de notre unité avec tous. Dans ce cas, tous les êtres sont pour nous ce qu'est noire «moi», et alors, ils suscitent notre amour pour eux.

L'une nous sépare les uns des autres comme par un mur infranchissable, l'autre détruit ce mur, et nous ne faisons qu'un. La première nous apprend à reconnaître que tous les autres êtres ne sont pas «moi», la seconde nous enseigne que tous les êtres sont le même «moi» que celui que je sens en moi-même.

SCHOPENHAUER.

5

Plus l'homme vit pour son âme, plus il sent son unité avec tous les êtres vivants. Vis pour ton corps, et tu seras seul parmi des étrangers; vis pour ton âme, et tous te seront parents.

6

Un fleuve ne ressemble pas à un étang, un étang à un tonneau et un tonneau à un seau d'eau. Mais dans un étang, dans un fleuve, dans un tonneau et dans un seau il y a la même eau. De même, tous les gens sont différents, mais l'esprit qui vit en eux tous est le même.

7

L'homme ne comprend sa vie que lorsqu'il se voit dans chacun de ses semblables.

8

L'essentiel dans la doctrine du Christ c'est qu'il considérait tous les hommes comme frères. Dans chaque homme, il voyait un frère et, pour cette raison, aimait chacun, quel qu'il soit et qui que ce soit. Il ne s'occupait pas de son extérieur, mais de l'intérieur. Il ne voyait pas le corps, mais, à travers les beaux habits du riche et les haillons du misérable, il voyait l'âme immortelle. Dans l'homme le plus dépravé, il apercevait ce qui pouvait transformer l'être le plus déchu en l'homme sublime, aussi grand et aussi saint qu'il l'était lui-même.

9

Lorsque l'homme ne voit pas dans chacun le même esprit qui l'unit à tous les hommes, il vit comme dans un rêve. Celui qui voit Dieu et lui-même dans chacun, vit réellement.

II—Le même principe spirituel vit non seulement dans tous les hommes, mais aussi dans tout ce qui vit.

1

Nous sentons dans notre for intérieur que ce par quoi nous vivons, ce que nous appelons notre vrai «moi», est le même non seulement dans chaque homme, mais aussi dans un chien, un cheval, une souris, une poule, un moineau, une abeille, et même dans une plante.

2

Quand on prétend que les animaux nous sont absolument étrangers, on peut en dire autant des sauvages, des noirs et des jaunes. Et si l'on estime que ces hommes nous sont étrangers, ils ont absolument le même droit de considérer les blancs comme des étrangers. Quel est donc notre prochain? II ne peut y avoir qu'une seule réponse à cette question: ne demande pas qui est ton prochain, mais agis envers tout ce qui vit comme tu voudrais que l'on agisse envers toi-même.

3

Tout ce qui vit, craint les souffrances; tout ce qui vit, craint la mort. Reconnais-toi non seulement dans un homme, mais aussi dans chaque être vivant; ne tue pas et ne cause pas de souffrance ni de mort. Tout ce qui vit veut la même chose que toi; reconnais-toi donc dans chaque être vivant.

Sagesse bouddhiste.

4

L'homme n'est pas supérieur aux bêtes parce qu'il les fait souffrir, mais parce qu'il est capable de les plaindre. Et il a pitié des bêtes, car il sent vivre en elles ce qui vit également en lui.

5

La pitié pour tout ce qui vit, est plus nécessaire que tout le reste pour pouvoir avancer vers la vertu. Un homme bon ne peut manquer de pitié. Si un homme est injuste et méchant, il est sûrement impitoyable. Sans pitié pour tout ce qui vit, il ne peut y avoir de vertu.

SCHOPENHAUER.

6

On peut se déshabituer de la pitié envers les bêtes. Cela se remarque tout particulièrement à la chasse. Les hommes bons qui y prennent goût, tourmentent et tuent les bêtes sans remarquer la cruauté qu'ils commettent.

7

Le commandement: «Tu ne tueras point» ne se rapporte pas à l'homme seul, mais à tout ce qui vit. Ce commandement avait été gravé dans le cœur de l'homme avant d'être inscrit sur la table.

8

Les hommes considèrent qu'il n'y a pas de mal à se nourrir de la chair animale, parce qu'on les a persuadés que Dieu l'avait permis. C'est faux. On a beau assurer qu'il n'y a pas de péché de tuer et démanger les animaux, il est gravé dans le cœur de l'homme, mieux que dans tous les livres, qu'il faut avoir pitié des animaux et qu'on ne doit pas les tuer, au même titre que les hommes. Nous le savons tous, si nous n'étouffons pas la voix de la conscience.

9

Si seulement tous ceux qui mangent les animaux, les tuaient eux-mêmes, un grand nombre parmi eux auraient renoncé à la viande.

10

Nous sommes étonnés de voir qu'il y ait eu et qu'il y a encore des hommes qui tuent leurs semblables pour les manger. Mais le temps viendra où nos petits enfants s'étonneront que leurs grands pères aient tué, tous les jours, des millions d'animaux pour les manger, alors qu'on peut avoir une nourriture saine et substantielle en se servant des fruits de la terre.

11

On peut se déshabituer de toute pitié, même envers les hommes, et on peut s'habituer à avoir pitié même d'un insecte.

Plus l'homme est pitoyable, mieux cela vaut pour son âme.

«Comment s'abstenir de tuer la mouche ou la puce? Chacun de nos mouvements supprime malgré nous la vie des êtres que nous ne voyons pas,» dit-on généralement pour justifier la cruauté humaine envers les animaux. Ceux qui parlent ainsi oublient qu'il n'est pas donné à l'homme d'arriver à la perfection en toutes choses. La tâche de l'homme est de se rapprocher de la perfection. Il en est de même lorsqu'il s'agit de la compassion envers les bêtes. Nous ne pouvons pas vivre sans faire mourir d'autres êtres, mais nous pouvons avoir pour eux plus ou moins de compassion. Et plus nous en aurons, mieux cela vaudra pour notre âme.

III.—Plus les hommes sont bons, mieux ils conçoivent l'unité du principe divin qui vit en eux.

1

Pourquoi sommes-nous tout joyeux quand nous avons accompli une bonne action? Parce que chaque bonne action nous confirme que notre vrai «moi » ne se borne pas à notre personne seule, mais qu'il existe en tout ce qui vit.

Lorsqu'on vit pour soi-même, on ne vit que d'une parcelle de son vrai «moi». Lorsqu'on vit pour les autres, on sent son «moi» s'étendre.

Si tu vis pour toi seul, tu te sens entouré d'ennemis, tu sens le bonheur de chacun entraver le tien. Vis pour les autres, et tu te sentiras entouré d'amis et le bonheur de chacun deviendra ton bonheur à toi.

2

L'homme ne trouve le bonheur qu'en servant son prochain. Et il l'y trouve parce qu'en rendant service à ses prochains, il communie avec l'Esprit Divin qui vit en eux.

3

Toute bonne action véritable, celle que l'homme accomplit avec désintéressement et en ne pensant qu'au malheur d'autrui, serait un fait étonnant et inconcevable, s'il n'était pas aussi naturel et familier à l'homme.

En effet, pourquoi se priver de quelque chose, s'inquiéter, se déranger pour un étranger, un homme comme il y en a tant sur la terre? On ne peut pas expliquer cela autrement que par le fait que la personne qui fait du bien, sait que celui pour qui elle le fait n'est pas un être isolé de tous, mais le même être qu'elle, mais sous un autre aspect.

D'après SCHOPENHAUER.

4

Lorsqu'on vit de la vie spirituelle, on éprouve des souffrances morales chaque fois qu'on se sépare des hommes. Pourquoi cette souffrance? Parce que, de même que la souffrance physique démontre le danger qui menace la vie corporelle, la souffrance morale démontre le danger qui menace la vie spirituelle de l'homme.

5

Un sage hindou disait: «En toi, en moi, en tous les êtres vivants vit un seul et même esprit vital; et voici que tu te fâches contre moi, tu ne m'aimes pas. Souviens-toi que toi et moi, nous sommes un. Qui que tu sois, toi et moi, nous ne faisons qu'un.»

6

Bien qu'un homme soit méchant, injuste, bête et désagréable, souviens-toi qu'en ne le respectant plus, tu romps non seulement tout lien avec lui seul, mais avec tout le monde spirituel.

7

Pour qu'il te soit facile de vivre avec chaque homme, pense à ce qui t'unit à lui et non pas à ce qui te sépare de lui.

IV.—Les conséquences résultant de la conception de l'unité de l'âme de tous les hommes.

1

Il ne peut y avoir et il n'y aura pas de liberté et de bonheur véritable, tant que les hommes n'auront pas compris leur unité. Si seulement les hommes avaient compris cette vérité essentielle du christianisme,—la communauté spirituelle de tous les hommes—leur vie se serait transformée, et il s'établirait entre eux des rapports que nous ne saurions imaginer maintenant. Les insultes, les peines, les humiliations que nous faisons subir aux hommes-frères nous auraient révoltés plus que les plus grands crimes actuels.

Oui, il nous faut une nouvelle révélation, non pas sur le paradis et l'enfer, mais sur l'esprit qui vit en nous.

CHANNING.

2

L'amour appelle l'amour. Cela ne peut être autrement parce qu'en se révélant en toi, Dieu se révèle également en un autre homme.

3

La branche coupée de son nœud est, par cela même, séparée de l'arbre entier. De même l'homme qui rompt avec un autre homme, se détache de toute l'humanité. Seulement, la branche est coupée par un bras étranger, alors que, par son mépris, l'homme se détache de son prochain, sans penser que, par cela même, il se détache de toute l'humanité.

MARC-AURÈLE.

4

Il n'y a pas de mauvaise action pour laquelle soit seul puni celui qui l'a faite. Nous ne pouvons nous isoler de façon à ce que notre méchanceté ne se répande pas sur les autres hommes. Nos actions, bonnes et mauvaises, sont comme nos enfants: elles vivent et agissent non plus par notre volonté, mais par elles-mêmes.

GEORGE ELLIOT.

5

La vie des hommes est pénible uniquement parce qu'ils ne savent pas que l'âme, qui est en chacun de nous, vit dans tous les hommes. C'est de là que provient l'animosité, que les uns sont riches, les autres pauvres, les uns sont maîtres, les autres ouvriers; de là que vient l'envie, la haine et tous les tourments humains.

La Pensée de l'Humanité

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