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BISMARCK ET GUILLAUME II.
ОглавлениеLa guerre franco-allemande de 1870 démontra l’impéritie monstrueuse du gouvernement de Napoléon III, et la complète organisation du bloc teuton qui avait pris corps au lendemain de Sadowa.
Depuis cette catastrophe, le vaillant peuple français, jadis capable d’affronter le choc de plusieurs nations coalisées, subit une dure hégémonie consacrée par le traité de Francfort.
Sous le régime de la République libérale, si bien représentée par le grand patriote Thiers, notre France ne fut point lente à reprendre quelque prestige.
Bismark aussitôt médita une nouvelle agression; Gortschakof sut lui interdire pareille tentative de massacre .
L’homme qui attisa des discordes civiles chez nous, et procura aux meneurs de la Commune quelques milliers de chassepots, n’allait point être à court d’expédients. Diviser une nation c’est l’affaiblir. Gambetta, Ferry, Brisson, par leur malencontreuse haine du catholicisme, avaient mis en émoi le clairvoyant Thiers; or celui-ci mourut; sauf le comte do Mun, aucun debater ne pouvait mettre en garde la France contre les sinistres dispositions de ces farouches sactaires. Bismarck leur donna l’exemple du Kultur Kampf; il fit même de discrètes politesses au vaniteux Gambetta, et volontiers l’eut entraîné dans une brutale persécution du catholicisme. Que si Gambetta craignit de se compromettre par une prompte entente avec le chancelier allemand, il émit toutefois comme signal des persécutions, dites légales, cette sentence grandiloquente; “ Le cléricalisme, c’est l’ennemi!”
Plus tard un parti radical-socialiste, faisant sienne la formule de Rabagas, et opprimant les catholiques jusque dans l’armée française, allait fournir à l’élève de Bismarck une co-opération aveugle, ou criminelle.
Lorsqu’il découvrit les inconvénients du Kulturkampf pour l’Allemagne, notre subtil ennemi ne persista point dans l’expérience; fort satisfait d’avoir en France des imitateurs sans discernement, à loisir il observa l’œuvre de démolition que nos verbeux politiciens poursuivaient avec un incroyable manque d’esprit civique.
Bismarck suggéra des expéditions coloniales aux hommes d’état français, pour leur donner du souci. Prévoyant l’alliance franco-russe, il crut fourvoyer irrémédiablement la République Française dans des aventures contre l’Italie, la Chine et l’Angleterre.
Ces expéditions nous donnèrent la Tunisie, le Tonkin, Madagascar, et plusieurs autres territoires. On y gaspilla des millions de francs, par la faute des ministres, de leurs bureaucrates. Elles furent parfois meurtrières et faillirent coûter bien plus. Néanmoins l’agrandissement du domaine colonial stimula d’heureuse façon l’énergie française, procura quelques débouchés pour notre industrie, alors que les marchandises allemandes faisaient irruption chez nous.
Sous la présidence de Sadi Carnot, le gouvernement républicain regagna l’estime européenne, qu’il avait perdue tant soit peu, au cours du précédent septennat; l’empire des tsars soutenait d’une manière définitive la diplomatie française.
Guillaume II signifia tout-à-coup, en mars 1890, au prince de Bismarck, son intention de diriger lui-même la politique allemande.
Durant plusieurs années, ce nouveau souverain donna l’illusion aux naïfs qu’il était pacifique, bavard, fanfaron, malade, fantasque. En 1893 le kaiser ne commit pas l’imprudence de chercher noise aux deux peuples qui fraternisèrent à Cronstadt et à Toulon; car les ambassadeurs d’Allemagne, d’Angleterre et d’Autriche-Hougrie représentèrent au gouvernement italien, très hostile à la République Française, que des provocations seraient inopportunes. En décembre 1391, par l’organe du chancelier Caprivi, les déclarations relatives à la politique teutonne prirent un caractère de sereine bienveillance à l’égard des voisins de l’ouest comme des voisins de l’est.
Guillaume II prépara néanmoins le triomphe du pangermanisme, rêvant de poursuivre la politique bismarckienne jusqu’aux plus extrêmes conséquences. Bismarck voulut régenter le monde, Guillaume II médite de l’asservir.
Organisateur émérite, le Kaiser tripla méthodiquement ses forces militaires, stimula l’industrie et le commerce de son empire au moyen de cartels, institua l’ubiquiteux espionnage boche, tout en décuplant la richesse allemande. Ses banquiers juifs devinrent omnipotents aux pays voisins. Et tandis que nos parlementaires, ambitieux, sectaires, veules, jaloux, voleurs, interdisaient aux hommes d’élite l’accès aux fonctions suprêmes ou délicates, opprimaient nos généraux, sans leur laisser la moindre initiative, de crainte d’un coup d’état, l’empereur d’Allemagne choisissait avec discernement ses principaux collaborateurs.
Les scandaleux tripotages du Panama inspirèrent à ce monarque une géniale combinaison. Assurément son rôle dans l’affaire Dreyfus est mystérieux; en tous cas il réussit, de façon machiavélique, à mettre le désarroi, dans l’état-major français d’abord, puis dans toute la nation, avec l’aide suspecte de Zola et d’autres métèques. Le parti radical-socialiste lui doit les démissions du président Casimir-Périer, des généraux Mercier, Billot, Chanoine, Zurlinden, du ministre Cavaignac, et l’avènement au pouvoir de Bris son, de Combes, d’André, de Clemenceau, de Picquart, dignes prédécesseurs de Monis et de Berteaux, de Caillaux et de Messimy, d’Augagneur et de Painlevé. En témoignage d’une gratitude profonde, sans doute, le contre-espionnage français fut aboli.
Avec le parlementarisme gambettiste, selon Waldeck-Rousseau, et surtout Combes, il ne restait plus au Kaiser grand’chose à obtenir. De ces ministres, les successeurs prirent l’habitude, en l’exagérant au Palais-Bourbon et ailleurs, d’oublier l’ennemi d’outre-Rhin, et de découvrir dans les ordres religieux tout “suspect” d’attachement au Saint-Siège; même nos généraux et nos amiraux, en raison de leurs croyances catholiques, n’eurent point la confiance d’une république inféodée à la franc-maçonnerie. Par surcroît, des naturalisations faciles, puis l’accès partout, furent le privilège des juifs allemands, de par le patronage des loges. Guillaume II eut ainsi le bonheur d’être servi par Combes autant que Bismarck espéra voir Gambetta bouleverser la France.
L’empereur d’Allemagne avait toujours craint la perspicacité du tsar Alexandre III; il se réjouit de découvoir en Nicolas II un philanthrope sans méfiance. Rien n’était plus facile à l’élève du faussaire d’Ems que d’avoir des représentants aux grandes parlottes de la Haye, pour promettre en son nom, quitte à ne rien tenir plus tard. Il dissiperait ainsi les préventions du nouvel autocrate assez longtemps pour accomplir quelques perfidies. L’évènement justifia son espoir. Nicolas II eut l’occasion d’admirer sa troublante intelligence. Guillaume II affecta de féliciter la diplomatie russe d’avoir mis fin aux malentendus qui exaspéraient la méfiance du gouvernement britannique et il suggéra l’occupation des territoires chinois de Mandchourie. L’astucieux Kaiser était d’autant mieux averti de la puissance japonaise que des officiers-instructeurs allemands le renseignèrent. Mais il démontra au tsar combien la Russie, bloquée par des glaces polaires, étouffant pour ne point heurter diverses limites imposées par le Foreign Office, prendrait un puissant essor quand elle annexerait ce rivage sur une mer libre: Moukden, Port Arthur et Dalny seraient villes russes dans le voisinage des Nippons craintifs, résignés, affirma Guillaume II.
Il intrigua longtemps, comme Bismarck, pour amener un conflit entre la France et l’Angleterre; les incidents de Bangkok et de Fachoda stimulèrent son activité ; lord Salisbury manqua lui donner ce spectacle.
Les guerres du Transvaal et de Mandchourie fournirent à Guillaume II l’occasion d’accroître eu France et en Russie des rancunes fort légitimes contre l’impérialisme anglais dont Palmerston, Beaconsfield, Salisbury, Chamberlain, représentèrent avec une morgue peu attrayante l’idéal accapareur. Mais l’avènement d’un grand monarque interrompit les succès diplomatiques du Kaiser; tout-à-coup Edouard VII dirigea les affaires européennes avec une intelligence loyale et bienfaisante qui rappelait celle de son beau-frère Alexandre III.
Devant la Russie, qu’une campagne malheureuse venait d’affaiblir, et la France gouvernée par les loges maçonniques, une impérieuse tentation de frapper son grand coup agita Guillaume II.
Mais il avait un partenaire timide: l’empereur François-Joseph d’Autriche ne voulut agir qu’en des circonstances évidemment favorables. Or le roi Edouard VII opérait la réconciliation de l’Angleterre avec la France; c’est donc vainement que Guillaume II provoqua le peuple français en 1905. Il dût se montrer ensuite souple, patient, lorsque la conférence d’Algésiras régla, ou plutôt enfouit, cette question marocaine soulevée par lui. Dès lors il résolut d’entraîner son brillant second, Habsbourg, au milieu des Balkans, pour le contraindre à perpétrer un horrible crime de lèse-humanité.
Quelques années auparavant, le Kaiser s’était rendu à Jérusalem; certes il ressemblait peu à Godefroy de Bouillon prosterné au Saint-Sépulcre après sa victoire; mais plufôt à quelque fastueux chef de brigands! Aussi l’impression qu’il produisit, en traversant Constantinople, dût être une sorte de magnétisme. Passer la revue discrète des contingents turcs, qu’il opposerait aux Russes dans une guerre prochaine, et non point accomplir un pélerinage, lui importait en l’occurrence. Toutefois il osa se poser en protecteur des chrétiens pour faire contraste avec le Président de la République Française dont les gestes protocolaires, à l’égard du Vatican, furent dictés par les loges.
Guillaume II avait choisi pour le représenter à Constantinople un diplomate éminent: Marshall de Bieberstein; et celui-ci était devenu grand-vizir occulte; les Turcs marcheraient donc an premier signal.
C’est pourquoi l’empereur allemand fit annexer d’une manière définitive la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie; en même temps Saxe-Cobourg, roi bulgare, prenait le titre de tsar, véritable bravade que la Russie n’eut point tolérée en d’autres époques. Mais, sagement Nicolas II subit l’affront, et engagea même le gouvernement serbe à se résigner en présence des mobilisations inquiétantes de la Double-Monarchie.
Le fourbe teuton n’avait point réussi à exaspérer contre l’Autriche-Hongrie deux Gouvernements slaves; son impatience d’obliger l’empereur d’Autriche à faire la guerre devint extrême. Il revint aux machinations en Occident, et déterra d’un tour de main la question marocaine. Son coup d’Agadir vaut une charge à fond. consortiums
Guillaume II profitait du régime des consortiums franco-allemands, qu’organisèrent Caillaux et de Schœn; et il pouvait choisir entre deux excellentes perspectives. Si la France eut résisté, sa préparation militaire, aussi défectueuse par la faute du ministre Messimy en 1911, que par celle de ses prédécesseurs André et Berteaux en 1905, aurait permis à l’envahisseur de pénétrer dans Paris avant que les armées du tsar Nicolas II fussent réunies aux abords de la frontière allemande. Autrement, céder aux injonctions teutonnes, jusqu’à renonveler, en d’autres termes, non moins ambigus, la convention d’Algésiras, et de plus faire abandon, par peur, d’un territoire colonial, n’était-ce pas le plus terrible aveu de décadence que formulerait, à la face du monde, le peuple français, quarante ans après la guerre de 1870?
Caillaux prépara une fusion franco-teutonne. Jaurès le soutint. Les pangermanistes se réjouirent d’avance. Un sculpteur boche, ayant atelier à Paris, modelait pour la venue triomphale du kaiser, en France, des bustes de toutes les grandeurs.
Pris d’inquiétude, parce qu’on ne sentait point, comme état-tampon, la France entre l’Allemagne et l’Angleterre, déjà sir Edward Grey disait: “ nous ne serons pas le chien qui se met dans la mangeoire pour empêcher le cheval de manger.”
Dans toute la France passa un frisson belliqueux. On s’émut des conséquences immédiates du traité marocain. Quelles alliances résisteraient à cet abaissement? Le peuple français, auquel dès lors ni les Russes, ni les Anglais, ni les Serbes, ni les Belges, ne pouvaient reconnaître le moindre courage, dégénérerait-il jusqu’au point où il serait mûr pour la kultur allemande, qu’on lui infuserait en confisquant son indépendance?
Tout-à-coup notre illustre vétéran de Rezonville décrivit les œuvres ténébreuses du ministère Caillaux: “ Je suis,
“ disait le comte de Mun, à la Chambre des Députés, un
“ très ancien et très déterminé partisan du protectorat de
“ la France au Maroc; je l’ai toujours considéré comme
“ une conséquence nécessaire de la domination de la
“ France sur l’Algérie et l’achèvement de l’œuvre accomplie
“depuis 80 ans par les gouvernements successifs
“ dans l’Afrique du Nord. J’ai soutenu devant l’opinion
“ les efforts qui nous ont été imposés, bien que je les aie
“ trouvés quelquefois dirigés sans une énergie suffisante, et
“ surtout sans une méthode vraiment efficace. J’ai cru, je
“ crois encore qu’on pouvait aboutir à un protectorat de
“ fait plus rapidement, avec beaucoup moins de complications,
“ si, à Paris on avait considéré la question marocaine
“ comme une question algérienne et non comme une question
“ européenne, et si, appuyés sur cette base de l’Algérie,
“ nous avions progressé à l’abri de la force militaire,
“ par la protection des intérêts.”
Cette fière critique émise, le comte de Mun hésitait à requérir la répudiation du traité Caillaux, sachant quel travail de désarmement, accompli par les blocards, valait aux patriotes la douleur de subir une si cruelle humiliation. Toute fois il concluait ainsi: “J’espère que l’expérience
“ pénible que nous venons de faire déterminera, à cet
“ égard, un courant d’idées nouveau et que la France
“ verra clair dans sa politique extérieure.”
Un autre héros, le général de Négrier, manifesta impétueusement son désir d’être un ouvrier, même obscur, de la grande œuvre de la revanche. Il espérait que, malgré tout, l’armée française triompherait, à force d’énergie. Ingambe quoiqu’il eut 73 ans, il écrivit au gouvernement, lorsque la guerre parut imminente: “Je suis trop vieux pour exercer
“ un commandement; nos soldats aiment à suivre des chefs
“ jeunes. Mais mes amis, qui me voient monter à cheval
“ tous les jours, disent que je me tiens encore bien en selle.
“ Je vous demande à contracter un engagement volontaire
“ comme cavalier au 4me régiment de chasseurs à cheval, à
“ Épinal. J’ai beaucoup étudié la région des Vosges et puis
“ rendre de bons services comme éclaireur.”
Le colonel Paty du Clam regimba contre l’inactivité que les blocards lui imposèrent et obtint de Messimy l’assurance qu’on lui ferait reprendre du service éventuellement.
La chûte de Caillaux, puis un réveil du pays sous le ministère Poincaré, assombrirent considérablement les horizons du kaiser, Dolcassé lui joua le tour de mettre aux prises l’Italie et la Turquie; du même coup une scission entre l’Italie et l’Autriche devait survenir en conséquence des acquisitions territoriales du gouvernemeut italien.
Puis ce furent la Bulgarie, la Grèce, la Serbie, et le Monténégro qui se coalisèrent pour écraser l’empire ottomau, (17 octobre 1912).
Malheureusement le Foreign Office retint les Bulgares loin de Constantinople; il est regrettable que la diplomatie européenne soit intervenue contre les Turcs et eux lors d’une rencontre aux lignes de Tchataldja.
Guillaume II s’en réjouit. Les diplomates autrichiens et allemands avaient persuadé au gouvernement roumain qu’il gagnerait, sans risques, en se réservant pour l’heure du partage. Ces mêmes conseillers tentèrent le monarque bulgare; et dans la nuit du 29 au 30 juin il assaillit à l’improviste ses alliés. Ferdinand Ier vit bientôt la déconfiture de sa traîtrise; il dût souscrire, par la paix de Bucarest, aux exigences des Roumains tandis que les Serbes et les Grecs, ne pouvant user de rigueur sans rompre l’équilibre balkanique, gardèrent seulement quelques localités pour être à l’abri d’une récidive. Au surplus, reprenant leurs armes, les Turcs obligèrent le gouvernement bulgare à rendre Andrinople .
Dans cet imbroglio, l’éloignement et le défaut de résolution, —pour ne pas dire l’intempestive divergence de vues entre les diplomates russes et anglais,—eurent pour la Triple Entente les plus fâcheuses conséquences. Par contre, la Wilhemstrasse et la Hofbourg assurèrent aux empires centraux un triomphe peu agréable au Quirinal; en effet, l’Italie dût concourir avec répugnance au développement de l’influence autrichienne en Albanie, où le prince de Wied fut installé. Supérieurement jouées, la Russie, l’Angleterre et la France entrèrent dans la voie des concessions, quelque peu aux dépens de la Serbie et du Monténégro, pour le maintien de la paix européenne.
Guillaume II comprit toutefois qu’il n’aurait pas longtemps l’Italie à ses ordres. Trop incertaine lui parut l’emprise germanique sur la Roumanie d’ailleurs.
La volonté d’en finir avec la France tendit toute son intelligence pour machiner une suprême perfidie. L’aveugle déférence que lui marquait l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et le rôle considérable de cet illuminé ambitieux dans l’empire austro-hongrois lui firent espérer d’obtenir l’assentiment du vieux monarque.
Mais lorsque Jaurès mit Poincaré en fâcheuse posture durant les débats relatifs à la réforme parlementaire, l’empereur d’Allemagne voulut bien attendre quelque nouveau plongeon du peuple voisin dans les consortiums. Et son flair tout bismarckien lui indiqua les avantages qu’en tirerait le pangermanisme quand l’élection du même Poincaré à la présidence donna lieu aux manœuvres écœurantes des groupes que Pams, Clémenceau, Combes, Jaurès et Caillaux dirigèrent.
Employer la sozial-démocratie teutonne à soutenir des palabres internationales, où Jaurès remplit un rôle étrange, fut la manœuvre ostensible du kaiser; à quels autres expédients doit-il cette opposition furieuse, contre laquelle Barthou, de Mun, Pau, Joffre, Driant, soutinrent une lutte magnifique pour faire passer l’indispensable loi du service militaire de trois ans?
Peut-on douter que Guillaume II fut l’occulte artisan de la chûte du ministère Barthou quand on médite sur la revanche du germanophile Caillaux?
Jaurès prît sur les cabinets Doumergue et Viviani l’ascendant qu’avait eu Gambetta sur les ministères dont il n’était pas le président.
Les radicaux socialistes et les socialistes français, tout en se disputant des portefeuilles dans les crises ministérielles, en vinrent à s’entendre sur la doctrine d’une politique d’entente avec l’Allemagne.
Caillaux gouvernait la haute-finance; et sur tous ses agissements louches, dans la banque internationale dominée par les juifs allemands, Jaurès avait mis, comme voile épais, l’onctueuse phraséologie d’un rapport évasif. Le journaliste Calmette, rédacteur du Figaro, entreprit une impitoyable dénonciation du ministre équivoque; il fut assassiné. Toutefois le procès de la femme Caillaux, qui s’ensuivit, dévoila au public des actes si méprisables qu’une réprobation générale se manifesta, quoique le jury eut acquitté la coupable. On sut bien que cet impudique ménage ne ressentait point une colère d’époux discrètement amoureux mais plutôt la crainte d’imminentes allusions au procès-verbal relatif à Rochette le banqueroutier. Ce procès-verbal que dressa le procureur général Fabre, témoigne de la corruption d’un gouvernement, dont les ordres violentèrent des consciences de magistrats.
Comme un fruit pourri, lourd de vers, la France devait-elle choir?
Guillaume II jugea qu’il pouvait agir. François Joseph 1er, d’accord avec l’archiduc François Ferdinand, n’éprouvait que du mépris pour les Français; car l’espionnage teuton signalait l’absolu manque de ressort dans toute la France livrée à la tyrannie maçonnique. Sans doute le Kaiser dissipa tous les scrupules du vieil empereur par d’insidieuses déclamations sur la brouillonne influence du nid de la démagogie dans les problèmes européens relatifs au péril socialiste. Rien n’était plus facile que de dépeindre Jaurès comme un autre Proudhon, capable d’orienter quelque ligue internationale des anarchistes. L’empereur d’Autriche écouta les arguments du Kaiser, quels qu’ils fussent, et rejeta les supplications du pape Pie X.
On devine le motif du téméraire voyage de l’archiduc-héritier à Serajevo; n’allait-il point mettre en œuvre les forces de l’empire austro-hongrois pour accabler la Serbie d’une manière foudroyante?
Si la mort imprévue de ce prince bizarre sert de prétexte aux empereurs, point n’était besoin qu’elle advînt pour que la guerre fût déchaînée en Europe; car on a tout prévu; l’explosion devait se produire d’une façon quelconque. Depuis que les troubles d’Albanie éclatèrent, le conflit était imminent.
Axel von Schwering reproduit dans son journal, cette opinion qu’émit le Kaiser au cours de leur entrevue du 1er juillet 1915: “ La Russie sera punie de sa participation
“ au drame. Elle en souffrira. Il lui faut être bien stupide,
“ ou bien vaine pour supposer que l’Autriche ne va pas
“ réclamer avec insistance le châtiment des coupables.
“ François Joseph ne permettra pas que les assassins de son
“neveu échappent à leur sort. Du meurtre résultera peut-être
“ le suprême triomphe de la civilisation et de la politique
“ germaniques.”
Tel un comédien qui répète quelque tirade à effet, Guillaume II voulait ainsi connaître l’impression que produirait dans le monde pareille thèse. Mais avec le comte, en l’intimité d’une causerie, ce misérable avait dit d’abord:
“ Les Russes s’en réjouiront. Il leur convient de voir sur
“ le trône d’Autriche un jeune homme inexpérimenté. Les
“ malheureux! Ils n’imaginent pas que ce jeune homme
“ peut se trouver dans une situation où il se voie contraint
“ d’endosser la politique de ceux dont il a pris la place.”
Le comte Axel von Schwering fut apparemment un des rares Teutons chez qui les doctrines de Clausewitz et de Bernhardi, mêlées à la philosophie de Nietzsche, n’ont pas entièrement corrodé le sens du droit, de l’humanité. Il crut aux dispositions pacifiques de son souverain et l’admira longtemps. La puissance croissante du pays allemand n’était point faite pour lui interdire une sorte de béate confiance. Et lorsqu’il avait entendu dire au Reichstag par le chancelier Bethmann-Hollweg: “ Nous n’avons rien donué au Maroc que nous n’eussions déjà donné, et nous avons gagné un accroissement de notre domaine colonial ”, le comte von Schevering pouvait croire l’empereur désireux de poursuivre envers la Frauce une politique d’intimidation si avantageuse, plutôt que de recourir aux méthodes bismarckiennes.
Le comte alla voir son vieil ami de Moltke, chef de l’état-major. Celui-ci revenait d’une longue audience chez l’Empereur; il était fort soucieux. Après quelques réponses embarrassées aux questions du comte, il révéla subitement ses angoisses dans une réplique nerveuse: “ Eh bien, si vous
“ voulez le savoir, je crains que depuis des années, l’empereur
“ ne nous trompe, et que, tandis qu’il se posait en ennemi
“ de la guerre, il ne songeait continuellement dans son for
“ intérieur, qu’au jour où il pourrait la déclarer.” Axel von Schwering pensait que Guillaume II prit la résolution fatale depuis le crime de Serajevo; mais il s’attendait peu aux paroles du stratégiste. “ Cela vous étonne, poursuivit
“ de Moltke, cela m’a étonné moi-même et peut-être encore
“ plus que vous. Je me flattais, jusqu’à ce jour, de con-
“ naître notre souverain, je croyais avoir fouillé tous les
“ replis de son caractère, et je m’aperçois de mon errenr.
“ J’ai causé tantôt avec un empereur que j’ignorais, avec un
“ homme qui m’est totalement nouveau. La mort violente
“ de l’archiduc l’a-t-elle à ce point transformé ? Ou jette-
“ t-il enfin un masque derrière lequel il se cachait depuis un
“quart de siècle? Je ne puis trancher la question et no
“ vais pas perdre de temps à m’y essayer. Qu’il vous suffise
“de savoir qu’il songe maintenant à la guerre, qu’il la pré-
“pare; et, Dieu me pardonne de vous le dire! il est décidé
“ à la déclarer, si on ne la lui déclare pas! ”—“. Dois-je
“ croire, demanda von Schwering, qne notre empereur
“ vieillisse et tombe sous l’influence du Kronprinz?”—“Plut
“ au Ciel qu’il se montre simplement sous son vrai jour. Il
“ nous avoue enfin ce qu’il nous a soigneusement dissimulé
“jusqu’ici: son désir de s’engager dans une lutte qui fasse
“ de lui le maître non-seulement de l’Europe, mais du
“ monde ”—“ Il verra que ce n’est pas une tâche aisée, dit
“ Schwering avec humeur, l’Europe ne s’inclinera pas si
“ rapidement devant lui, sans compter que c’est une ques-
“ tion de savoir si l’Allemagne, en dépit de ses immenses
“ ressources, sortira victorieuse d’un conflit où elle trouvera
“ liguées contre elle les plus puissantes nations de l’uni-
“ vers.”—“Gardez-vous de telles craintes, reprit de Moltke;
“ l’Allemagne vaincra. Ce n’est pas pour rien que Krupp
“Mais cette victoire même, voilà ce qui m’épou-
“ vante. Elle exigera tant de ruines, de deuils, de désastres,
“ que toute la civilisation, qui nous rend justement fiers,
“ périra dans une tourmente dont l’énormité dépassera de
“ beaucoup la grandeur de nos triomphes. Toutes les
“ pacifiques conquêtes dont s’enorgueillit notre pays, tous
“ ses progrès dans l’industrie et dans la science, tout le dé-
“ veloppement, si considérable en ces dernières années, de
“ ses facultés intellectuelles, tout cela disparaîtra sous l’igno-
“ minie et sous l’horreur dont l’Allemagne portera éter-
“ nellement la charge. C’est l’effroyable côté de toute
“ guerre d’aujourd’hui. Et nous ne pouvons nous permettre
“d’être vaincus, car ce serait la fin de l’Allemagne comme
“ nation indépendante.”
Le comte Von Schwering, torturé par de sombres pressentiments, accompagna Guillaume II qui, sur le yacht impérial, prit des vacances eu naviguant au large de la Norvège; et le Kaiser, bien qu’il affectât d’être indifférent aux graves questions agitées en Europe, avait parfois certain air étrange.
Dans un accès d’inconcevable espièglerie, le 26 juillet l’empereur allemand s’écria: “ Nous serions vieux de 10
“ jours que nous ferions peut être main-basse, d’un seul
“ coup, sur ce petit touche à-tout brouillon de Poincaré et
“ sur un aviso de guerre.“
Le surlendemain, von Schwering n’avait plus d’illusions; car Guillaume II chercha, selon la manière du comédiante Napoléon 1er, à rendre responsables de son manque d’humanité ceux dont la puissance était un obstacle à ses rêves de domination. Et comme son vieux maître Bismarck, qui ne pardonna point aux Russes une intervention pacifique en faveur de la France, le Kaiser impudemment accusa les slaves francophiles d’avoir provoqué un conflit.
“ J’avais donc à peser toutes les chances de défaite, dit-il,
“tant que j’en vis une seule, je différai l’exécution des
“ projets que je formais. Cela m’a pris 25 ans d’assurer
“ une base solide à la tentative que je vais faire; mais pas
“ un jour je n’ai oublié la mission qui m’incombe; et je dois
“ ou l’accomplir, ou périr en m’y efforçant. J’ai supporté
“ les insultes des panslavistes et des francophiles. J’ai toléré
“ qu’on jugeât mon armée avec la plus parfaite malveil-
“ lance, et qu’à droite comme à gauche on discutât mes
“ chances de défaite. Je n’ai pas bougé alors que des
“ alliances formidables se nouaient contre le prestige, et la
“ puissance de l’Allemagne. J’ai fermé l’oreille aux folles
“ bravades d’une presse idiote, qui dans tous les pays du
“ monde, dénonçait l’existence même de l’Allemagne comme
“un danger public, contre lequel l’humanité devait se
“ dresser pour se défendre. Ainsi attaqué de toute part, je
“ suis resté impassible. Croyez-vous que cela m’ait été facile?
“ Erreur, mon ami! Toutes ces injures, toutes ces provoca-
“ tions quotidiennes, m’entraient dans l’âme comme un fer
“ rouge. Mais je restais impassible, sachant que l’heure
“ des comptes allait sonner, que très vite les mêmes souve-
“ rains, qui avaient cru me faire honneur en daignant
“ assister au mariage de ma fille, ramperaient à mes pieds
“dans la poussière, abaisseraient sous le poids de mon épée
“ leurs têtes hautaines, reconnaîtraient dans l’allemagne la
“ plus grande et la plus puissante nation du monde, dans
“ son empereur le monarque dont on n’ose pas traverser ni
“ contrecarrer les desseins! ”
Une déclaration de guerre aux Serbes ne suffisait point comme acheminement vers la réalisation de l’idéal pangermaniste. Guillaume II n’allait pas se borner au rôle de complice dans cette querelle du loup et de l’agneau. Ayant mis la discorde entre l’Autriche et la Russie, le satanique monarque, avec un orgueil plus froidement criminel que l’insatiable despotisme de Napoléon Ier, voulut ceindre la couronne d’empereur d’Occident. Il se plaisait à embellir, maintes fois, son chiffre W. H. du prestigieux symbole qui évoque le souvenir de Charlemagne.
Conquérir la Belgique et la France, il s’y préparait bien; et depuis longtemps! Mais son ambition ne s’arrêtait point là. Soumettre également les Iles Britanniques lui parut chose faisable. C’est pourquoi il avait pris patience. Du même coup, une fois mobilisés, deux millions d’Allemands feraient toute la besogne. Les surhommes s’emploieraient à prendre Bruxelles et Paris, ensuite une côte où se trouvent Anvers, Ostende, Nieuport, Dunkerque; Calais, Boulogne, Dieppe, le Hâvre; cette première phase de la guerre se prolongerait peu. Après quoi les sous-marins et la grosse artillerie interdiraient aux escadres anglaises toute croisière dans le Pas-de-Calais, non sans avoir torpillé, d’abord, une vingtaine d’ironclads. Surpris sans armée au mois d’octobre 1914, par l’invasion de 800,000 boches, le gouvernement britannique, n’eut point opposé, avant de mettre en ligne des milices coloniales, une résistance vigoureuse que ses populations, laborieuses et riches, peuvent enfin offrir. Ainsi l’erreur séculaire, système Pitt et Cobourg, de compter sur l’Allemagne pour combattre la France, eut coûté au Royaume-Uni son rang d’état libre; elle aurait eu sa condamnation par l’œuvre des Allemands mêmes.
Le monde entier pressentit une catastrophe quand de Schoen, mystifiant Bienvenu-Martin, lui parla des conséquences incalculables de la guerre austro-serbe et requit ce ministre d’engager le gouvernement russe à ne pas intervenir. On se demanda outre-Manche, avec un peu d’émotion, qu’elle serait l’issue de la rencontre des armées françaises et allemandes. Plusieurs hommes d’état du Royaume-Uni, lents à découvrir les problèmes nouveaux, crurent néanmoins qu’il serait possible au gouvernement anglais d’offrir ses conseils vers la fin d’une guerre européenne.
Guillaume II et sa diplomatie gagnèrent plusieurs jours, pendant lesquels s’effectua méthodiquement la mobilisation boche, commencée depuis le 25 juillet; en France l’ordre de mobilisation générale fut donné, vers 3 heures du soir le 1er août. Viviani eut la sottise d’obéir à Jaurès, qui réclama un recul de 10 kilomètres sur toute l’étendue de notre frontière, —même les crètes des Vosges,—sous prétexte qu’on supprimait ainsi aux Allemands l’occasion d’y machiner un incident. Néanmoins l’ennemi passa, le 2 août, sur notre territoire, à Cirey, en Lorraine, et opéra une autre incursion près de Longwy; le lendemain, se plaignant à faux que des avions français bombardèrent Nuremberg et Carlsruhe, Guillaume II déclarait la guerre (3 août 1914).
Précautionneux d’endormir la méfiance britannique, le Kaiser promit à l’ambassadeur anglais sir E. Goschen qu’il ne démembrerait point la France, mais lui enlèverait seulement ses colonies, Aux questions relatives à l’article 5 du traité de Londres, tardivement von Jagow répondit que des raisons stratégiques obligeaient von Moltke à traverser le territoire belge.
Moltke faisait partir le 8e corps allemand de Trêves, pour occuper le Luxembourg, ce qui fut accompli le 2 août: Puis les 7e, 9e, 10e, corps, (120,000 hommes) réunis sous les ordres de von Emmich, pénétraient en Belgique de force,—car le roi Albert 1er rejeta l’ultimatum allemand,—et la place de Liège fat investie. Brusquant l’attaque, von Emmich sacrifia 42,000 boches devant cette ville, où le valeureux Léman avait à peine 40,000 soldats. Maître de Liège et de Namur au 24 août, ayant rejeté sur Anvers les débris de la petite armée du roi, l’innombrable horde déferlait vers nos frontières.
En vain le Kaiser dira aux peuples qui le suivent, dans son œuvre de barbare orgueilleux, qu’il compte sur la protection divine. Fléau de l’humanité, il ne fut point choisi comme ange exterminateur, Ce luthérien concilia, suivant la politique de Bismarck, une haine du catholicisme avec son dessein d’assujétir le peuple français; il soutint clandestinement les maçons, juifs ou athées, avant la guerre. Nous le verrons finir sous le châtiment du Souverain Juge, qu’il défie par ses mensonges diaboliques.