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A

JULIA MULLEM

Ma chère femme, il me paraît asasseziquant de vous dédier ce livre, qui nous a valu de si nombreuses et si douces querelles. Excusez ma malice, elle est cordiale, et laissez-moi vous répéter une dernière fois ici ce que je vous ai dit très souvent en mon cabinet de travail: «L’hypocrisie est entrée dans nos mœurs et Tartufe règne en France! Homme politique, il est rouge, ou blanc, ou bleu, parfois tricolore, toujours jésuite; écrivain, on le voit tremper dans toutes les rhétoriques; philosophe, il vit en athée et meurt, en chrétien Ne serait-il pas temps de mettre, à la porte cet effronté qui nous fait la loi? Débarrassés de lui, nous vivrions libres, chacun à notre gré. Quant à moi, je n’aprprréhende point. qu’allégée de ce pauvre saint homme, à qui nous devons autant de bénédictions que de malheurs, la République s’en portât pluss m: le tribun oserait, ce me semble, s’exprimer avec moins de reticeuces, le philosophe agir avec plus de logique, l’homme de lettres, enfin, écrire avec franchise et même, abesoin, avec une certaine brutalité.» Brutalité!… Voilà, ma charmante, le gros mot lâché! voilà le rustre, voilà le monstre instigateur de nos folles discordes. «Il faut être bienséant,» me disiez-vous sans cesse, ennemie irréconciliable de toute crudité, pendant que j’élaborais mon œuvre, et moi, fidèle amant de la nature, je vous répondais invariablement: «Il faut être vrai!» De là des gestes, des cris, des moues, des mines; chacun de nous soutenait mordicus sa propre opinion. Un soir, il men souvient, à bout d’arguments et dans la chaleur de la discussion, une apostrophe m’échappa; cette apostrophe, la voici: ««Parlons sincèrement, madame, m’écriai-je, admettez-vous que M. Sosthènes de La Rochefoucault eut raison autrefois de déshonorer nos marbres en couvrant leur nudité d’une feuille de vigne, et pensez-vous que, vêtus de la sorte, ils fussent plus décents?» Au lieu de me répondre, vous eûtes un sourire un peu mystérieux, et, ma foi je crus que vous vous résigniez à vous indigner avec moi contre ce bon duc. Erreur grande de ma part, vous me l’avez depuis lors, pardi! bien prouvé. C’est pourquoi, n’étant point très galant de mon naturel et ne voulant jamais avoir le dernier, je vous offre cet ouvrage, qui doit avoir quelque mérite, puisque vous le dites. Y découvrir a-t-on les qualités que vous y reconnaissez, vous, artiste exquise, mais timide? je ne sais et nous verrons bien! En tous cas, sans rancune; oubliez bien vite ce malencontreux recueil de tragiques histoires plébéiennes et surtout, de grâce, ô ma très chère, que je vous l’ai si sournoisement dédié.

Votre

LÉON CLADEL

Paris, mai1873.

Les Va-Nu-Pieds

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