Читать книгу La civilisation japonaise conférences faites à l'école spéciale des langues orientales - Léon de Rosny - Страница 7
II
COUP-DâÅIL
SUR LA
GÃOGRAPHIE DE LâARCHIPEL
JAPONAIS
ОглавлениеVANT de nous occuper de lâétude ethnographique et historique de lâémigration qui sâest établie au Japon, près de sept siècles avant notre ère et y a répandu les germes de la civilisation extraordinaire que nous y rencontrons aujourdâhui, il me semble nécessaire de jeter un coup-dâÅil rapide sur la constitution géographique de lâarchipel japonais.
Sâil était possible de plonger les regards jusque dans les profondeurs géologiques de lâExtrême-Orient, vers ces lointains pays, au-delà desquels toute terre disparaît pour laisser le champ libre à un océan immense, un spectacle imposant viendrait, à coup sûr, frapper notre imagination. Du sein dâun vaste foyer souterrain, un fleuve de lave et de feu, sillonnant les artères du sol, contourne, aux environs de lâéquateur, lâarchipel Malay, dâoù il atteint, par les Molusques et les Philippines, la pointe méridionale de Formose quâil traverse longitudinalement pour gagner ensuite, par lâarchipel des Lieou-kieou, les trois grandes îles du Japon, et aller, en se bifurquant au-delà des Kouriles, à la pointe du Kamtchatka, se perdre dans les glaces éternelles des régions polaires. De distance en distance, la force de ce brasier souterrain, qui entoure comme dâune ceinture de feu les confins orientaux du vieux monde, se manifeste, soit par des soulèvements telluriques, soit par de nombreux cratères dâoù sâexhale une haleine de soufre et de fumée. Ainsi sâexplique le système orographique de ces étranges contrées, et les phénomènes hydrographiques qui se manifestent non-seulement dans lâintérieur des terres, mais encore et surtout au sein des eaux tourbillonnantes des mers de la Chine et du Japon.
Åuvre de longues et terribles commotions géologiques, lâarchipel japonais, ce long cordon de plus de 3,850 îles et îlots, qui ne compte pas moins de onze cents lieues dâétendue, depuis lâextrémité septentrionale de Formose jusquâau cap Lopatka, se caractérise par une succession de chaînes de montagnes, dont plusieurs présentent encore de nos jours dâénormes cratères en ébullition. Ces bouches, sans cesse béantes et toujours prêtes à vomir des torrents de lave et de cendres, peuvent être considérées comme des soupapes de sûreté sans lesquelles le pays serait exposé périodiquement aux plus épouvantables révolutions.
Lâissue que fournissent ces bouches ne suffit cependant pas pour calmer le tempérament impétueux de la fournaise sans cesse en travail dans les profondeurs de ces régions. Des tremblements de terre dâune violence extrême viennent de temps à autres, signaler les crises du fléau emprisonné dans les entrailles du sol.
Un des plus anciens cataclysmes de ce genre dont lâhistoire fasse mention, est le soulèvement de la colossale montagne ignivome nommée le Fuzi-yama[14], lâan 286 avant notre ère, époque avec laquelle coïncide lâarrivée de la première émigration chinoise au Japon rapportée dans lâhistoire. Cette montagne, située un peu au sud-ouest de la ville de Yédo, sur la frontière des provinces de Sourouga et de Kaï, a la forme dâune pyramide tronquée, dont lâélévation atteint près de 4,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. «Sous le règne de lâempereur Kwanmou, la 19e année de lâère Yen-reki, une éruption du Fuzi-yama dura plus dâun mois[15]. Pendant le jour, lâatmosphère était obscurcie par la fumée du cratère en combustion; pendant la nuit, lâéclat de lâincendie illuminait le ciel. On entendait des détonations semblables au tonnerre. Les cendres que lançait le volcan, tombaient comme de la pluie. Au bas de la montagne, les rivières étaient de couleur rouge[16]».
En 864, le 5e mois, une éruption encore plus épouvantable vint répandre la terreur dans la contrée. Le Fouzi-yama fut en feu pendant dix jours, et son cratère lança à de grandes distances dâénormes éclats de roches, dont quelques-uns tombèrent dans lâocéan, à une distance de trente ri. De nombreuses habitations furent détruites, et une centaine de familles riveraines furent ensevelies dans le désastre.
Les annales japonaises citent une autre éruption de ce volcan, au XVIIIe siècle. Durant la nuit du 23e jour du 11e mois de lâannée 1707, on ressentit successivement deux tremblements de terre, à la suite desquels le Fouzi-yama sâenflamma. Des tourbillons de fumée, accompagnés de violentes projections de cendres, de terre calcinée et de pierres, se répandirent dans les campagnes avoisinantes à une distance de plus de dix ri.
Actuellement le volcan le plus actif du Japon est le Wun-zen daké ou «Montagne des Sources dâeau chaude», situé dans la province de Hizen. Sa hauteur est de plus de 1,200 mètres. Une de ses plus terribles éruptions a eu lieu en 1792[17].
Lâîle de Yézo nâa pas encore été explorée dâune manière quelque peu satisfaisante. On sait cependant que cette île, très montagneuse, est essentiellement volcanique. M. Pemberton Hodgson, consul britannique a fait en 1860, dans cette île, lâascension dâun volcan qui ne mesurait pas moins de 4,000 pieds dâélévation. Lâarchipel des Kouriles renferme au moins douze volcans, dont la jonction souterraine est révélée par ceux qui se rencontrent au Kamtchatka, et parmi lesquels il en est actuellement quatorze en pleine activité.
Les Japonais, les habitants des campagnes surtout, vivent sous lâempire de la terreur que leur causent ces volcans qui menacent sans cesse de se rallumer, comme les anciens Mexicains vivaient dans la crainte perpétuelle de voir se renouveler les effroyables inondations diluviennes qui avaient jadis bouleversé leur pays. La légende nationale fait voir, dans les profondeurs des montagnes volcaniques, les divinités infernales de leur mythologie. Kæmpfer rapporte que les bonzes japonais ont profité de la crédulité populaire pour placer dans toutes les régions sulfureuses et volcaniques des lieux dâexpiation destinés aux hommes fourbes et méchants. Câest ainsi quâils attribuent aux marchands de vin qui ont trompé leurs pratiques, le fond dâune fontaine bourbeuse et insondable; aux mauvais cuisiniers, une source à écume blanche et épaisse comme de la bouillie; aux gens querelleurs, une autre source chaude où lâon entend sans discontinuer dâeffroyables détonations souterraines, etc., etc.[18].
La constitution essentiellement volcanique de lâExtrême-Orient a causé, à diverses époques, de brusques soulèvements de montagnes ou dâîles qui se sont conservées jusquâà nos jours. En 764 de notre ère, trois îles nouvelles apparurent soudainement au milieu de la mer qui baigne les côtes du district de Kaga-sima, et aujourdâhui on y trouve une population laborieuse qui sây adonne à lâagriculture et au commerce. Les écrivains japonais citent également une montagne qui sâélança du sein de la mer de Tan-lo (au sud de la Corée), vers lâan 100 de notre ère. Au moment où cette montagne commença à surgir du milieu des flots, des nuages vaporeux répandirent dans lâespace une profonde obscurité, et la terre fut ébranlée par de violents coups de foudre. Lâobscurité ne se dissipa quâau bout de sept jours et de sept nuits. Cette montagne mesurait mille pieds et avait une circonférence de quarante ri. Des vapeurs et de la fumée environnaient sans cesse son sommet, et elle ressemblait à un immense bloc de soufre.
Le Japon est un domaine neptunien. Le plus grand océan du monde, le frère aîné de notre Atlantique, baigne ses côtes orientales; et, du côté de lâoccident, la mer furibonde des typhons et des tempêtes mugit avec fracas sur les innombrables rochers qui hérissent ses bords. Dâénormes glaçons, détachés des eaux du Kamtchatka et du détroit de Behring, sâavancent vers ses côtes boréales, avant-garde des mers polaires; tandis que ses rivages du sud sont battus par les vagues gigantesques des mers tropicales.
Un courant dâeau chaude, sombre, noire, salée, parsemée de fucus flottants, vient promener sa course vagabonde sur les côtes du Japon et, de là , sur toute lâétendue du Pacifique, dans la direction du nord-est. Respectueux sur son passage, lâocéan retire ses ondes verdâtres et le laisse tracer librement sa route semblable à une voie lactée des mers terrestres, pour me servir dâune expression assez originale de lâhydrographe Maury.
Issu du grand courant équatorial, le Kuro-siwo, câest-à -dire le «Courant Noir», comme lâappellent les Japonais, commence à se manifester à la pointe méridionale de lâîle de Formose, dâoù il atteint dâun côté la mer de Chine, tandis que de lâautre il se dirige vers le nord, baignant ainsi toute la côte du Japon jusquâau détroit de Tsougar. La rapidité quâil donne aux navires emportés avec lui vers le nord-est est considérable. Dâabord, de 35 à 40 milles par jour, cette vitesse sâaccroît parfois jusquâà 72 et 80 milles par vingt-quatre heures, aussitôt quâon atteint la latitude de Yédo. Sa puissante influence sur le climat des îles du Japon sâétend jusquâaux rivages de la Californie et de lâOrégon. Des varechs flottants, dâune espèce assez semblable au fucus natans du Gulf-Stream (courant de lâocéan Atlantique), se rencontrent en quantité sur tout son parcours.
Un contre-courant aux eaux froides, et sans doute issu des mers glaciales, vient côtoyer le Kouro-siwo et rendre plus sensible la différence de température de ses eaux. Partout, en dehors des côtes de Chine, sur le parcours de ce contre-courant froid, les sondages constatent que la mer acquiert une grande augmentation de profondeur. Le Kouro-siwo jouit habituellement de 20 à 25 degrés de chaleur de plus que ce contre-courant. Dans la région du Kamtchatka et des Aléoutiennes, les différences de température entre ces deux courants sont encore plus sensibles.
Le climat des îles du Japon est beaucoup plus froid que celui des contrées de lâEurope occidentale placées sous les mêmes parallèles. Lââpreté relative du climat asiatique, comparé à celui de lâEurope, a dâailleurs été déjà plus dâune fois signalée. Le sud de lâîle de Yéso, sous la latitude de Madrid, endure des hivers très vifs, durant lesquels le thermomètre descend jusquâà 15 degrés au-dessous de zéro (Réaumur). Entre le 38e degré et le 40e degré de latitude Nord, sur le parallèle de Lisbonne, la glace recouvre les lacs et les fleuves jusquâà une profondeur suffisante pour quâon puisse les traverser à pied sans danger. Le riz ne croît déjà plus dans lâîle de Tsou-sima (34° 12â lat. bor.), et le blé ne parvient que difficilement à sa maturité dans les environs de Matsmayé (41° 30â lat. bor.). Sur la côte sud et sud-est du Japon, la température est plus douce, grâce à la haute chaîne de montagnes qui garantit le pays des vents glacés de lâAsie. On rencontre déjà le palmier, le bananier, le myrte et autres végétaux de la zone torride, entre le 31e degré et le 34e degré de latitude nord. Dans certaines localités, on cultive même la canne à sucre avec succès, et les rizières produisent annuellement deux récoltes.
Il a été établi, je crois, dâune manière incontestable, que les parties du Japon tournées du côté de lâAsie étaient beaucoup plus froides que celles qui regardent lâocéan Pacifique. Ainsi le Siro-yama ou Mont-Blanc japonais, situé sous le 36e degré de latitude est déjà couvert de neiges perpétuelles à une hauteur de 2,500 mètres au-dessus du niveau de la mer, tandis que le Fouzi-yama qui sâélève, comme je lâai dit tout à lâheure, à près de 4,000 mètres, est presque toujours dégagé de neiges pendant les beaux mois de lâannée. On cherche à expliquer ce phénomène en disant que la partie occidentale du Nippon se trouve exposée aux vents froids du continent asiatique, tandis que la partie orientale, abritée par les hautes montagnes de lâintérieur, en est, au contraire, généralement garantie. Cette explication ne me paraît pas péremptoire, et je crois quâil faut la chercher dans une foule dâautres actions, parmi lesquelles celle du Kouro-siwo nâest peut-être pas la moins considérable.
La température de Yézo est dâordinaire très froide. Dans le nord de lâîle, la neige recouvre souvent le pays en plein mois de mai, et les arbres ne donnent encore aucun feuillage. On endure, lâhiver, de grandes pluies accompagnées de coups de vents tempêtueux, et dâépais brouillards se répandent sur le sol, où ils continuent souvent à épaissir pendant des semaines entières. En été même, il est bien rare que le ciel ne soit pas obscurci par quelque brume. Ces brouillards sont funestes aux navigateurs qui, au milieu de lâobscurité quâils produisent, vont se perdre sur les innombrables récifs que renferme lâOcéan dans ces parages.
A Matsmayé, lâune des localités les plus méridionales de lâîle, située sous la latitude de Toulon, les étangs et les marais gèlent pendant lâhiver. La neige ne disparaît plus pendant la période comprise entre novembre et mai, et il nâest pas rare que le thermomètre descende à 15 degrés au-dessous de zéro (Réaumur).
Dans lâîle de Nippon, lâatmosphère est moins variable. Les étés sont très chauds, et, certaines années, ils seraient même insupportables, si la mer nâapportait une brise qui rafraîchit la température de lâair. Par un remarquable contraste, les hivers, au mois de janvier et de février, sont très durs; et, lorsque le sol est couvert de neige, la réverbération produit une sensation de froid fort aiguë, surtout quand le vent souffle du nord et du nord-est.
Les pluies sont fréquentes au Japon, principalement vers le milieu de lâété, à lâépoque dite des «mois pluvieux[19]». Ces pluies, accompagnées de coups de tonnerre, durent quelquefois toute lâannée. On dit quâon leur doit en grande partie la fertilité du pays, dont la terre, dâailleurs pauvre, ne produirait que dâassez maigres végétaux, si elle nâétait sans cesse ranimée par des arrosements naturels. Toujours est-il que ces abondantes ondées contribuent à entretenir une humidité très sensible qui pénètre ceux qui sortent et se répand partout dans lâintérieur des habitations. Câest ce qui a fait dire à un poète-roi, au mikado Ten-dzi: