Читать книгу Peintres et dessinateurs de la mer - Louis de Veyran - Страница 3
INTRODUCTION
ОглавлениеLa peinture de marine forme à elle seule un genre très distinct qui exige les études les plus sérieuses, les plus difficiles. Valenciennes dit, dans son traité de perspective , que «pour être peintre de marines, il faut connaître la construction, le gréement, l’équipement des navires de toute espèce, la forme des rochers, la nature des dunes, étudier les ciels et les eaux, sous leur aspect et rapports, suivant les occurrences des phénomènes dans l’atmosphère ou sur la mer. Il faut avoir acquis une grande habitude de peindre du premier coup, pour faire en un jour le ciel, le fonds et une partie des eaux, dans la même pâte de couleur, surtout lorsqu’il y a de l’orage et du brouillard. Enfin il est nécessaire d’avoir navigué non seulement sur les côtes, mais en pleine mer.»
Les peintres de marines se divisent en trois catégories:
1° Ceux qui vivent à la mer, avec la préoccupation de rendre fidèlement le spectacle qu’ils ont sous les yeux.
2° Ceux qui habitent une plage plusieurs mois de l’année et copient du rivage ou du quai d’un port les effets ou les incidents qui les frappent.
3° Les paysagistes qui peignent par hasard la mer ou s’en servent pour agrémenter un tableau, lui donner de la profondeur.
Les peintres de marines deviennent rares, parce que la peinture de mer est très ingrate et qu’elle ne profite guère à son interprète. Les amateurs recherchent peu les tableaux de marines, et lorsqu’un peintre atteint quelque célébrité en ce genre, ils achètent son œuvre pour que le nom soit représenté dans leurs collections; le sujet guide rarement l’acheteur. Les admirateurs de la mer se rencontrent surtout parmi un petit groupe de poètes, de lettrés et de marins.
L’éducation d’un peintre de marines est des plus rudes et des plus pénibles. Pour peindre la mer, il faut avoir navigué en toutes saisons, avoir passé des journées et des semaines au large, avoir fait des études entre le ciel et l’eau, et quand on a tous les documents nécessaires on peut, au retour dans l’atelier, exécuter des œuvres vraisemblables. Gudin, Garneray, Durand-Brager, etc., etc., ont mené cette vie, et quelle que soit la façon dont on apprécie leur talent, on reconnaîtra que leurs tableaux sont bien marins, qu’ils sentent la mer et qu’on peut s’embarquer sans crainte sur leurs navires.
Une des grandes difficultés du métier est de dessiner des vaisseaux d’une structure parfaite, de donner aux voiles leur forme, de faire de bons apparaux suivant les époques. La plupart des gréements sont tracés un peu au hasard. Les artistes ne connaissent guère l’usage de toutes les cordes qui garnissent la mâture. Nous leur conseillons de ne pas trop se fier à certaines publications pittoresques dont les navires sont inexacts, mais d’aller au musée de marine du Louvre où ils trouveront des modèles d’une rigoureuse exactitude.
On voit souvent des marins critiquer un gréement de vaisseau, dans un très bon tableau. Pour eux, le bateau ne ferait pas cent mètres, dans un port, tant les agrès paraissent invraisemblables, et cependant l’œuvre obtient du succès.
Il faut également savoir mettre un bateau dans l’eau: Combien de tableaux où le navire, coupé par la ligne de mer, semble un joujou d’enfant posé sur une glace qui le reflète, car l’eau ne le mouille pas, il n’est pas dedans, il est posé dessus.
Il est aussi difficile de bien saisir l’anatomie des vagues et de les rendre dans leur mouvement de va-et-vient, de représenter des falaises dans leurs formes pittoresques, dans leur structure géologique.
On pourrait énumérer à l’infini mille observations de cette sorte.
Il est plus difficile de représenter la pleine mer par un beau ou mauvais temps ou de peindre des plages pittoresques, sur lesquelles on voit s’agiter un monde d’élégants, de marins, de pêcheuses de crevettes plus ou moins retroussées, jolies femmes fort agréables à voir. Les premiers tableaux exigent de grands efforts, les seconds se font aisément.
En résumé, ce n’est qu’en menant la vie des gens de mer qu’un peintre de marines apprend son métier et peut étudier sérieusement ce modèle éternellement changeant et insondable qu’on appelle l’océan. Mais ceux qui ont le courage de vivre ainsi été et hiver, de travailler au vent et à la pluie, sont très rares. Cela explique pourquoi, à notre époque, on trouve tant de tableaux de marines si peu marins.
Les maîtres du genre ont été les Hollandais. Ils vivaient sur leurs canaux, dans leur mer intérieure, leur atelier s’ouvrait sur le modèle même et ils l’avaient constamment sous les yeux. Van de Velde le vieux avait un atelier sur un radeau et y travaillait au milieu de la flotte de son ami Ruyter. Dès qu’il entendait parler d’un combat qui allait se livrer, il s’embarquait aussitôt, dans l’unique but d’assister à l’action et d’en représenter les mouvements avec plus de vérité. Ludolf Bakhuyzen s’embarquait par un gros temps, dans une chaloupe, malgré les avertissements des matelots, pour étudier les effets d’une tempête. Van de Velde le jeune sortait par tout espèce de temps, pour étudier le ciel. Avec de tels moyens, on comprend que ces maîtres aient atteint la perfection.
Les artistes qui veulent se consacrer à ce genre, feront bien d’étudier les œuvres de Joseph Vernet, qui, malgré leur convention, leur apprendront à rendre les effets de la mer et du ciel. Qu’ils aillent au musée de marine du Louvre admirer les dessins de Pierre et de Nicolas Ozanne, ils atteignent une perfection d’art difficile à égaler; ils y verront aussi les aquarelles de François Roux dont les navires ont une telle exactitude qu’un faiseur de modèles a pu dire qu’il lui suffirait d’ajouter quelques mesures à leur aspect pour pouvoir les exécuter en relief. A la bibliothèque nationale, les gravures de Baugean, de Mayer, de Morel-Fatio sont des documents à consulter.
Si aujourd’hui la peinture de marine semble tourner vers le paysage marin, c’est qu’elle a perdu beaucoup de son intérêt par la disparition de la marine à voiles, par la transformation du vaisseau qui est maintenant tout, hormis pittoresque, par la rareté des combats navals.
Les peintres de marines doivent se contenter actuellement d’un domaine plus restreint et porter leurs efforts sur l’étude sincère de la nature, et cette étude sincère ne s’obtiendra qu’en vivant à la mer.