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CHAPITRE V.

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Table des matières

Jean-Paul se prend de dispute avec le singe d’une ménagerie.

Réapparition du géant. — Jean-Paul se livre à la funeste passion du jeu.

Un dernier sou. — Désespoir. — Grande bataille.

Fuite de nos héros. — Découragement de Petit-Jacques.

Nouveau sophisme de Jean-Paul.

Maigre festin. — Nos voyageurs s’embarquent sur un petit océan.

Affreuse tempête. — Encore le géant.

Un naufrage épouvantable. — Poignante incertitude.

Jusque-là nos deux étourdis se trouvaient assez bien des suites de leur équipée: ils allaient, venaient, regardaient, imitaient, riaient, en un mot se donnaient beaucoup d’aise. Mais, grâce au caractère de Jean-Paul, ce bien-être fut de courte durée. Celui-ci, qui ne se plaisait à rien tant qu’à taquiner les animaux, se prit à agacer le singe d’une baraque et à le tapoter du bout de sa baguette, tandis que l’attention du maître était fixée ailleurs. Le singe se borna d’abord à lui faire ses plus laides grimaces et à lui crier, dans son rauque et perçant langage, ses plus grosses injures; mais à la fin, poussé à bout, il s’élança sur lui et le saisit par les cheveux. Jean-Paul poussa des cris lamentables, et ce ne fut qu’à bien grand’peine qu’on parvint à le dégager.

Il avait eu toutefois plus de peur que de mal: il en fut quitte pour une petite morsure à l’oreille et quelques légers coups de griffes dans la figure.

Ce que voyant, un inconnu de taille gigantesque, qui se trouvait dans la foule, et qui depuis longtemps examinait attentivement Jean-Paul, prit de sa grande main la main de ce dernier, le conduisit dans une maison voisine, lui fit laver l’oreille et le visage, puis le ramena sur la place et disparut sans avoir dit, un mot.

Qui était-il? La suite de cette histoire nous l’apprendra peut-être...

Jean-Paul ne tarda pas à se consoler de sa mésaventure; car c’était un de ses pires défauts, que cette malheureuse facilité à oublier les désagréments que lui attirait sa conduite: tout passait avec la douleur.

Une autre préoccupation l’absorba d’ailleurs en ce moment. Il commençait à avoir faim, et Petit-Jacques aussi. Rien ne leur eût été plus facile que de se satisfaire, car Jean-Paul était riche de huit sous, et pour huit sous, à une foire de village, on a bien des gâteaux, bien des fruits, bien des friandises.

Par malheur, une loterie se trouvait là, où, pour rien, si l’on était heureux, on gagnait un excellent dîner, un dîner de dragées, de brioches, de pain-d’ épices, de macarons.

Tout cela pour rien! La séduction était grande. Jean-Paul s’y laissa prendre.

Jean-Paul joua!

Ah! mes jeunes amis, gardez-vous du funeste attrait qu’ont les jeux de hasard! Jouez, enfants, jouez à des jeux honnêtes qui exercent le corps, qui délassent l’esprit; mais à d’autres, jamais! Gardez-vous de bonne heure de l’affreuse passion que peuvent inspirer ceux-ci. C’est la pire de toutes, car elle les engendre toutes: elle dénature le cœur, elle abrutit l’intelligence, elle rend sot et méchant, elle conduit à tout, même au vice, même au crime. Il suffira, pour vous en préserver, de vous montrer les terribles angoisses qu’elle inflige à ses victimes.

Jean-Paul a donc posé son premier sou sur une espèce de table circulaire, rouge à gauche, noire à droite, au milieu de laquelle s’élève un pivot surmonté d’une aiguille horizontale qu’on lance violemment, qui tourne, tourne, tourne; puis se ralentit, puis s’arrête, çà ou là, et vous fait perdre ou gagner, selon qu’elle désigne, ou non, la couleur pour laquelle vous avez parié.


Eh bien! voyez comme Jean-Paul semble hébété à force d’attention! voyez comme il pâtit, comme il rougit, comme il verdit, comme les veines de son front se gonflent, comme ses narines s’élargissent, Comme ses sourcils se disloquent, comme ses dents claquent, comme ses doigts se crispent dans ses cheveux ébouriffés! comme il tremble de chaud, de froid, d’espoir et de dépit! comme enfin il paraît souffrir, insensible qu’il est à tout ce qu’il entend et voit, hormis au mouvement et au bruit décroissants de la fatale aiguille! Voyez comme son mal augmente à chaque nouveau sou qu’il perd!

Enfin, il ne lui en reste plus qu’un, un seul!

Petit-Jacques, qui n’a cessé de l’engager à la retraite, le tire en ce moment de sa plus grande force; mais c’est en vain: il semble que Jean-Paul ait pris racine à cette funeste place.

Il hésite toutefois à exposer son dernier sou; il le tourne et retourne, d’une main convulsive, dans le fond de sa poche.

Mais ce sou peut tout réparer!... la chance aura changé, sans doute!...

Jean-Paul le jette enfin sur la table, puis tend vivement la main comme pour le ressaisir.

Il n’est plus temps: l’aiguille a fait ses mille tours; elle s’est arrêtée.

Tout est perdu!

Jean-Paul en doute d’abord. Une seconde partie est déjà commencée, que son regard aveugle attend encore le résultat de la première. Enfin il baisse tristement la tête; ses yeux se fixent à terre, ses bras pendent, et sa bouche est sans voix. On dirait d’une statue de marbre blanc, à sa pâleur, à son immobilité.

Ce fut seulement alors que Petit-Jacques parvint à entraîner Jean-Paul, qui se laissait faire sans résistance. Mais quand il fut un peu revenu de sa stupeur, il se mit à pousser subitement un de ces grands éclats de rire qui font mal à entendre, tant ils sont tristes et forcés; puis il pleura, puis il rit de nouveau, puis il pleura encore: c’était un moment de folie. Cela se termina par un violent accès de colère. Jean-Paul, selon son habitude, s’en prit à tout le monde des sottises qu’il venait de faire.

«C’est toi qui en es cause! dit-il à Petit-Jacques. Pourquoi m’as-tu fait jouer?

— Ah! par exemple! répliqua celui-ci: au lieu de te faire jouer, j’ai fait mon possible, au contraire, pour t’en empêcher.

— Ce n’est pas vrai!

— Si, c’est vrai!

— Je te dis que non!

— Je te dis que si!»

Je ne sais trop comment eût fini cette querelle, sans une querelle autrement grave qui attira toute leur attention.

Vous saurez, mes jeunes lecteurs, que, de village à village, il existe quelquefois de malheureuses rivalités qu’on ne saurait trop déplorer. Ces rivalités donnent lieu à des disputes individuelles, et même à des rixes générales, dont les foires et les fêtes sont l’occasion déterminante, et dont le prétexte est un rien le plus souvent. C’est surtout parmi les enfants que ces haines sont vivaces et produisent de nombreux différends.

Or, en ce moment même, une querelle s’engageait entre deux petits garçons, l’un de l’endroit, l’autre de la commune la plus proche. Peut-être se fussent-ils bornés à échanger quelques vilains mots, mais Jean-Paul les entendit, et l’on sent bien que leur affaire ne put dès lors se réduire à si peu. Poltron comme un lièvre, il se plaisait au danger des autres; et d’ailleurs il avait à se soulager, sur n’importe qui, de tout le poids de sa mauvaise humeur. Il s’approcha donc des querelleurs, se moqua d’eux, les excita si perfidement, que des paroles bientôt ils en vinrent aux coups.

Ce fut alors un spectacle horrible! Les enfants du pays prirent parti pour leur camarade, et les petits compatriotes de l’autre, pour leur compatriote à eux. La mêlée devint générale; les pierres sifflaient de tous côtés; les femmes se sauvaient à l’écart, en poussant des cris d’effroi; les hommes cherchaient à séparer les combattants, soit en se posant entre eux, soit en les menaçant, soit même en cinglant les plus acharnés de quelques coups de fouet ou de mince baguette. Ce fut ainsi que Jean-Paul se sentit tomber sur le dos plusieurs coups de noisetier qui le pincèrent fort. D’où lui venaient-ils? C’est une question historique qui ne restera pas moins obscure que beaucoup d’autres. Il s’en inquiéta peu, du reste, appela Petit-Jacques, se sauva du champ de bataille, d’autant plus prestement qu’au gros du bruit et de la bagarre, ils avaient cru entendre l’aboiement de Pataud, et reconnaître l’austère figure du père Roquille, que sa qualité de garde appelait naturellement à mettre le holà parmi les tapageurs.


Jean-Paul et Petit-Jacques coururent ainsi jusqu’à ne plus rien entendre, et quand ils furent loin du village, Petit-Jacques dit encore à Jean-Paul:

«Si ce sont là les plaisirs que tu me promettais, tu pouvais bien les garder pour toi, et me laisser à la maison!


— Mon Dieu! que tu es donc fastidieux! Est-ce qu’il faut se décourager pour si peu? Est-ce que nous ne nous sommes pas bien amusés?

— Ah! si tu appelles cela s’amuser!... Recevoir des coups à droite et à gauche!... perdre tout son argent!... ne rien manger du tout!...

— Ne rien manger! ne rien manger!... Tu ne penses qu’à faire un dieu de ton estomac!... Eh! tiens, mange donc, goulu!»

Jean-Paul dit et prêcha d’exemple. Ils étaient près d’un buisson chargé de mûres et de toutes sortes de petits fruits sauvages. Ils l’en dépouillèrent entièrement. C’était un bien maigre repas, mais ce n’est pas la faim qui a inventé la bonne chère: c’est la gourmandise.

Quand ils eurent apaisé leur appétit, ils se remirent en route, errant à l’aventure et continuant de se gronder l’un l’autre.

«Eh bien! disait Petit-Jacques, où vas-tu me mener maintenant?

— Sois tranquille, répondait Jean-Paul, et suis-moi toujours.

— Mais où ?

— Tu le verras,

— Tu m’attrapes encore! Tu m’avais dit que nous nous amuserions bien, et cependant...

— Oui, nous nous amuserons; sois tranquille!» Comme vous le voyez, Petit-Jacques se repentait fort d’avoir suivi Jean-Paul, mais il ne savait comment rompre avec lui, ni comment retourner chez son père. Il continuait donc de se laisser conduire partout où Jean-Paul lui promettait bon asile, friandise et plaisir.

Tant il est vrai, mes jeunes amis, que les conseils du méchant ressemblent à la toile dont l’araignée se sert pour envelopper ses prises. Aussitôt qu’une pauvre petite mouche a frôlé ce gluant tissu, c’en est fait d’elle. L’imprudente a beau se débattre: le fil l’enlace, la presse, la roule, l’enchaîne, de plus en plus inextricable. Il est bien rare qu’elle parvienne à s’en tirer.

Ainsi de l’enfant trop crédule qui s’est laissé prendre aux piéges d’un mauvais conseiller.

Ce fut en grommelant de la sorte que nos deux fuyards arrivèrent sur le bord d’une grande rivière. Jean-Paul dit alors:

«Tiens! voici justement où je voulais t’amener. C’est ici que nous allons nous amuser!... Tiens!... vois-tu déjà ?... Regarde comme c’est joli!...»

Il lançait de petites pierres plates, légères, qui sautillaient sur l’eau, bien loin.

Petit-Jacques, qu’un rien consolait, se mit à en lancer aussi. C’était à qui ferait les plus longs ricochets.

Quand ils se furent disloqué le bras à ce violent exercice, Jean-Paul s’avisa d’un plaisir bien plus rare, mais bien plus dangereux.

«Oh! vois donc, dit-il à Petit-Jacques, vois donc ce petit bateau qui est attaché au rivage! Aimes-tu à te promener en bateau, toi?

— Je ne sais pas: je n’ai jamais essayé.

— C’est bien drôle, va! Entrons dans celui-ci; tu verras!»

Ils entrèrent dans le petit bateau, qu’ils firent se balancer tant et tant, les imprudents! que le câble qui le retenait se dénoua peu à peu. Ils ne s’aperçurent de l’accident qu’en voyant le rivage s’éloigner de plus en plus.

Ils eurent peur, mais c’était trop tard. Chaque mouvement qu’ils faisaient, chaque secousse que leur main inhabile imprimait à la rame, lançait leur frêle esquif plus loin dans le courant.

Le courant, à la fin, les saisit tout à fait, les promena, les entraîna je ne sais où.

Ce qui augmentait leur danger, c’étaient les bourrasques d’un vent chaud et humide, qui grandissait, grandissait toujours.

Ils eurent beau appeler: personne!

Si fait, pourtant.

Un homme d’une taille gigantesque apparut tout à coup, en face d’eux, sur la rive. Cet inconnu se disposait peut-être à les secourir; mais en ce moment, l’orage, qui s’apprêtait depuis longtemps, éclata tout à fait. La nuit vint, nuit profonde, nuit terrible!

Leur fragile embarcation ne pouvait résister à la violence des vagues, qui en disloquaient les parois, et parfois même bondissaient par-dessus et l’engloutissaient peu à peu.

Si l’on ajoute à l’imminence de ce danger tout ce qui, dans cette grande crise de la nature, était capable de glacer d’épouvante le cœur des plus hardis: et le sifflement des vents contraires, et l’obscurité d’autant plus profonde que de longs éclairs la sillonnaient de moment en moment, et les roulements de mille tonnerres qui, se succédant, se croisant, se confondant sans cesse, ôtaient à nos deux naufragés l’espoir d’être entendus, d’être secourus, et même (chose affreuse!) les empêchaient d’entendre leurs propres cris; et cette pluie qui les glaçait, et enfin cette grêle d’orage qui les frappait au visage, les meurtrissait, les déchirait, on concevra alors toute l’horreur de leur situation.


Je me hâte de le dire à leur louange, ils éprouvèrent en ce moment le regret sincère de tout le mal qu’ils avaient fait, surtout Jean-Paul, dont la conscience avait à se repentir bien plus encore que celle de Petit-Jacques.

C’est qu’en effet il y a des moments dans la vie ou toutes les mauvaises passions se taisent, où les seules bonnes reprennent leur empire. Ces moments solennels, ce sont les grands dangers inévitables, ceux-là contre lesquels la science, le talent, le courage, rien ne peut rien, et qui placent l’homme, dans toute sa faiblesse, face à face avec l’omnipotence de Dieu. La crainte s’évanouit alors pour faire place à la résignation. Il se fait dans l’âme une sorte d’illumination, une revue infiniment rapide et pourtant complète de la vie, même la plus longue, et dans ses moindres détails: c’est comme un vaste point de vue que l’on embrasse d’un coup d’œil. Cet instant, d’ordinaire, est le dernier qu’accorde la Providence au repentir possible du méchant. Après cela, souvent, l’éternité ; l’éternité telle qu’on vient de se la choisir irrévocablement.

Jean-Paul et Petit-Jacques avaient su profiter de ce moment suprême, de cette dernière halte entre la vie qui va finir et celle qui va commencer: ce qui prouve que leur cœur n’était point perverti sans remède.

De temps en temps, à la lueur rougeâtre des éclairs, le géant pouvait les voir au loin, à genoux tous les deux, tantôt les mains levées au ciel pour implorer pardon, tantôt les bras tendus vers la rive pour demander assistance.

Et puis, dans l’intervalle des coups de tonnerre, il entendait leurs cris, leurs inutiles appels.

Comment leur porter secours?

Un coup de vent furieux renversa enfin leur bateau et le fit s’engloutir. Jean-Paul et Petit-Jacques poussèrent un dernier cri et disparurent au milieu de l’eau, qui se referma sur eux en tournoyant!

On cessa de rien voir, on cessa de rien entendre.

L’homme à la taille de géant avait disparu lui-même.


Les Aventures de Jean-Paul Choppart

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