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CHAPITRE IV.
ОглавлениеConversation de Jean-Paul avec la tête sans corps.
Son entrevue avec Petit-Jacques.
Jean-Paul fait jouer tous les ressorts d’une infernale politique pour
séduire ce dernier.
Leur évasion. — Première apparition du mystérieux géant.
Frayeur de nos héros. — Plan de voyage autour du monde.
Premiers incidents. — La foire du village voisin.
C’était une tète d’enfant, une bonne et large figure, aux gras contours, au teint rosé, une dé ces charmantes têtes comme les vôtres, sans doute, mes jeunes lecteurs.
Jean-Paul se rassura, et le dialogue suivant s’établit entre la tête et lui:
«Que veux-tu? dit Jean-Paul à la tête.
— Je ne veux rien, lui répondit la tête.
— Eh bien! alors, pourquoi me regardes-tu?
— Pour rien, tiens! Et puis aussi parce que mon père m’a dit de voir ce que tu deviens.
— Ah bien! c’est un joli métier que tu fais là ! Va donc, espion! va donc, rapporteur! Mais comment se nomme-t-il, ton père?
— Tiens, cette question! le père Roquille, donc!
— Je ne le connais pas. Qu’est-ce qu’il fait, ton père?
— Ce qu’il fait?... c’est lui qui est garde-champêtre, donc!
— Tiens! c’est lui qui...
— Oui, c’est lui qui... pourquoi donc ne serait-ce pas lui qui?...
— Oh bien! alors, il peut se vanter que je lui en veux furieusement, ton père; et si jamais!...»
Jean-Paul s’arrêta tout court: une idée bien funeste venait de lui traverser l’esprit. Comme il était naturellement fourbe, il dissimula aussitôt, changea de ton et continua ainsi:
«Mais c’est égal, je ne t’en veux pas, à toi; au contraire; tu me fais l’effet d’être un bon enfant, toi. Entre donc!
— Oh! non; mon père me l’a bien défendu.
— Ah bah! qu’est-ce que ça fait?
— Ça fait qu’il me l’a défendu.
— Jolie raison, par exemple!.... Mais où est-il donc, ton père?
— Il est chez nous, là-bas, vis-à vis, de l’autre côté de la cour, avec un grand monsieur, oh! mais bien grand, bien grand, que je ne connais pas, et qui est arrivé tout à l’heure.
— Eh bien! justement, ton père n’en saura rien. Allons, bah! viens donc! Tu ne resteras qu’un moment. Nous nous amuserons bien, va! tu verras. Je te montrerai une foule de jolies choses que tu ne sais pas; je t’apprendrai à faire des grimaces, et des cannes en papier.»
Petit-Jacques (ainsi se nommait le propriétaire de la tête sans corps) était un très-bon petit garçon, qui avait d’excellentes qualités, mais, par malheur, une curiosité excessive, une grande faiblesse de caractère et beaucoup de crédulité. Ce sont là, mes amis, de dangereux défauts. Lorsqu’on est curieux, qu’on croit aux mauvais conseils, et qu’on ne sait pas y résister, fût-on d’ailleurs un enfant accompli, il n’est sorte de fautes qu’on ne puisse commettre par entraînement.
Petit-Jacques ne sut pas se défendre des séductions de Jean-Paul; il ouvrit tout doucement la porte et se glissa dans la prison.
Nous verrons dans le courant de cette histoire quelles furent les tristes suites de cette première désobéissance.
«A la bonne heure, donc! tu es un bon entant!» lui dit alors Jean-Paul, dont je vous rapporte textuellement les paroles, pour vous apprendre à éviter ce langage trivial qui sied mal aux enfants bien élevés.
Ensuite, comme il l’avait promis, il enseigna une foule de tours à Petit-Jacques et lui fit ses grimaces les plus drôles, si bien que ce dernier en rit de tout son cœur, et qu’au bout d’un quart d’heure ils étaient les meilleurs amis du monde.
C’était là ce qu’avait voulu l’astucieux Jean-Paul. Quand il crut avoir gagné toute la confiance de son compagnon, il entama enfin le sujet qui l’intéressait:
«Oh! dis donc, une bonne farce!... si je me sauvais de prison, hem?... ton père serait joliment attrappé !
— Oh! oui; mais il m’a bien défendu de t’ouvrir.
— Ah bah! tu dis toujours la même chose!
— Je le dis, parce que c’est vrai. Mon père, vois-tu, m’aime bien; mais quand il n’est pas content, ah! dame! il ne badine que tout juste.
— Parce que tu es un lâche. On s’en va, donc! Si tu savais quel bonheur d’être son maître, de courir autant qu’on veut, sans que personne vous dise: «Paul, vous vous échauffez trop; asseyez-vous ici, et ne bougez pas!» Ou bien, lorsqu’on a envie de s’amuser: «Allons, Paul, il faut aller étudier votre leçon; rentrez à la maison, monsieur!» Mais maintenant je suis libre, moi; je suis fièrement heureux, va!
— Heureux!... mais tu es en prison?
— Oh! j’y suis!... j’y suis!... je n’y serai pas longtemps. Et d’abord tu peux bien rester si tu veux, mais moi, je vais profiter de la porte...
— Oh! non, je t’en prie, ne t’en vas pas; tu me serais gronder.
— Tant pis pour toi! pourquoi veux-tu rester? Allons! une fois, deux fois, trois fois, veux-tu venir avec moi?
— Mais qu’est-ce que nous ferons?
— Nous nous amuserons! Sois tranquille. Nous ferons le tour du monde, nous vivrons à notre fantaisie, nous irons dans les bois, nous courrons dans les champs, nous mangerons des pâtés, nous ne manquerons de rien. J’ai de l’argent, moi; je suis riche; j’ai huit sous dans ma poche. Allons, viens! Qu’est-ce que tu risques? Et d’ailleurs, si tu t’ennuies, tu en seras quitte pour revenir: ton père sera encore trop content de te recevoir.»
Bref, Jean-Paul employa tout, promesses et menaces, afin de séduire ou d’effrayer Petit-Jacques, et, malheureusement pour tous deux, il n’y réussit que trop bien.
«Allons, touche là !» continua-t-il en lui tendant la main.
Petit-Jacques toucha là, le traité fut conclu.
L’évasion, toutefois, n’était pas une facile entreprise: il fallait traverser la cour pour arriver à la porte extérieure, et, dans ce long trajet, on risquait sort d’être aperçu. Nos deux fugitifs se glissèrent prudemment le long de la maison, retenant leur haleine, marchant d’un pied léger, et se baissant bien bas, bien bas, au-dessous des fenêtres.
Malgré tant de précautions, Pataud les entendit, s’élança de sa cabane et se mit à aboyer contre Jean-Paul.
Jean-Paul se crut perdu, mangé, ou tout au moins repris, comme la veille, par ce fidèle quadrupède, dont il s’était fait, pour ainsi dire, un ennemi personnel.
Ajoutez qu’en ce même instant la jambe de bois du père Roquille résonna brusquement sur l’escalier de la maison, et que sa grosse voix se fit entendre avec celle de l’inconnu dont avait parlé Petit-Jacques.
Jean-Paul eut beaucoup de peine à se traîner plus loin, tant sa peur était grande.
Ce n’était cependant qu’une fausse panique: Pataud était enchaîné, il ne put qu’aboyer cette fois; et quant au père Roquille et à son interlocuteur, ils n’arrivèrent dans la cour qu’après la disparition de Jean-Paul et de son trop docile compagnon.
Mais il était temps que les déserteurs gagnassent du chemin. Le père Roquille et l’inconnu se rendirent aussitôt à la prison. Pourquoi? Quel était ce mystérieux personnage? C’est ce que je ne sais pas encore; mais je vous promets de m’en informer. Tout ce que je puis affirmer, c’est que cet étranger n’était ni M. le maire, ni le père de Jean-Paul, ni tel autre de ses parents, ni aucun des serviteurs, à moi connus, de cette respectable famille. Il est vrai que, grâce aux taquineries de Jean-Paul, le personnel de ces derniers se renouvelait incessamment, et que, la veille encore, ainsi que nous l’avons vu, il avait fait faire maison nette.
C’était, du reste, un homme d’une quarantaine d’années, ayant une taille de géant, de longues jambes, de longs bras, de longues mains, la voix retentissante, la parole brève, la démarche grave, l’air sévère, l’œil perçant.
«Eh bien? dit-il laconiquement, en parcourant des yeux. la prison sans prisonnier.
— Décampé ! répondit le père Roquille. Mais comment diable a-t-il pu faire?... Est-ce que Petit-Jacques aurait osé ?... Ohé ! Petit-Jacques! Ohé !...»
Petit-Jacques ne répondit pas; vous en savez la cause.
«Je gage qu’ils se seront envolés ensemble! reprit le garde-champêtre. Oh! le petit démon!... il me paiera celle-là !... En tout cas, ils ne peuvent pas être bien loin encore. Voyons donc.»
Le père Roquille conduisit l’inconnu à la petite lucarne de son pigeonnier, position fort élevée, d’où l’on découvrait la campagne à plus de trois lieues à la ronde.
Ils cherchèrent des yeux dans toutes les directions, et finirent par apercevoir là-bas, là-bas, à une grande distance, au milieu d’un nuage de poussière, deux tout petits points noirs qui s’agitaient dans l’espace, qui disparaissaient, reparaissaient, s’éloignaient, diminuaient, et enfin s’effacèrent tout à fait.
Étaient-ce nos fugitifs? c’est ce que pensa le père Roquille.
«Voyez, dit il à l’inconnu, voyez comme les gaillards arpentent le terrain!... Pour peu qu’ils continuent de ce train-là, ils arriveront bientôt au bout du monde. Quant à nous, nous ne risquons rien de nous dépêcher, si nous voulons les rattraper aujourd’hui.
— Ce n’est pas nécessaire, répliqua son interlocuteur.
— Mais cependant...
— A quoi bon?
— Mais si, là-bas, on veut...
— Du tout!
Mais est-ce que vous ne veniez pas tout à l’heure pour...
— Tout à l’heure, oui; mais maintenant, non.»
Cela dit, ils descendirent du pigeonnier et rentrèrent dans la maison, ou ils s’entretinrent quelque temps encore.
Le père Roquille ne s’était pas trompé : c’étaient nos évadés.
Ils avaient si grand’peur d’être poursuivis, rattrapés et punis, qu’ils coururent tout d’une haleine à plus d’une lieue de là, sans oser une seule fois regarder derrière eux. Le moindre bruit qui leur venait aux oreilles, le roulement des pierres que heurtait leur pied, le bruissement des branchages qu’ils accrochaient en passant, le frôlement des oiseaux qu’ils faisaient s’envoler, la chute même des grenouilles que leur subite approche faisait se replonger dans l’eau des fossés, tout leur causait des frayeurs extrêmes. Ils coururent tant, que le souffle à la fin leur manqua tout à fait, que leurs jambes s’alourdirent, et qu’ils se jetèrent sur le bord de la grand’route, sans force, sans voix, sans haleine et au risque de tout.
Quand il se fut un peu remis, Jean-Paul regarda à l’entour, et, ne voyant personne, reprit bientôt toute son assurance. Il poussa un grand éclat de rire:
«Elle est bonne, dit-il, la farce que nous venons de jouer à ton père! Il doit faire une vilaine moue maintenant! Oh! je voudrais bien être dans un petit coin, pour le voir sans qu’il me vît.
— Eh! laisse donc! répondit Petit-Jacques, qui paraissait avoir déjà assez de leur voyage autour du monde. Moi, d’abord, je ne vas pas plus loin; je suis fatigué ; je n’en veux plus; je vas retourner à la maison.
— Oui, c’est cela! pour que ton père te gronde, pour qu’il te batte de m’avoir fait me sauver!
— C’est vrai. Mais enfin, qu’est-ce que nous allons faire?
— Tu verras! Et d’abord, veux-tu jouer au cheval fondu?... Allons, tiens-toi bien: houpp!»
Jean Paul sauta alors sur le dos de Petit-Jacques. Celui-ci, ne s’attendant pas au choc, plia sous le fardeau, tomba et fit tomber son cavalier. Tous deux s’écorchèrent les mains sur le sable. Jean-Paul, qui ne pouvait endurer patiemment la plus faible douleur, s’en prit à Petit-Jacques de cette mésaventure, et voulut s’en venger sur lui par un grand coup de poing; mais il s’adressa mal. Petit-Jacques, qui était fort patient de sa nature, mais que le regret et surtout la fatigue avaient mis de mauvaise humeur, lui riposta si vigoureusement, que Jean-Paul perdit, cette fois pour toutes, l’envie de passer sur lui ses iniques boutades.
«Mais tu vois bien, dit-il pour l’apaiser, que ce n’était que pour rire. Est-il sournois, donc!... Allons, voyons, touche là, et pas de rancune!»
Petit-Jacques dit alors: «Mais enfin, où irons-nous?
— Où nous irons?... eh bien! mais... nous irons... nous irons... toujours devant nous.
— Mais après?
— Après?... ma foi!... Oh! vois donc là-bas, à l’entrée de ce gros village!... Qu’est-ce que c’est que tout ce monde-là ?
— Ce monde là-bas?... c’est une foire, pardine!
— Une foire!... vrai?... oh! quel bonheur!... C’est gentil, une foire!... Viens, viens!... Allons à la foire!... C’est là que nous allons nous amuser!... J’ai de l’argent, moi! j’ai huit sous dans ma poche! Viens!»
Petit-Jacques ne pouvait résister à une invitation si séduisante. Le mot magique de foire dissipa ses derniers regrets. Ils prirent, bras-dessus bras-dessous, le chemin du village, où ils arrivèrent gambadant, sautillant, ricanant et s’émerveillant.
C’était sur la grande place, devant le porche de l’église, que se tenait cette foire. On y voyait une foule de curiosités. Nos deux flâneurs s’en amusèrent beaucoup. Ils virent Paillasse; ils virent Polichinelle; ils virent des singes savants, des chiens savants, des canaris savants, et même des hommes savants. Polichinelle battait le diable; Paillasse avalait des couleuvres; les singes dansaient sur la corde; les canaris faisaient le mort, montaient la garde et tiraient le canon; les chiens calculaient comme s’ils eussent été des hommes; les hommes, au contraire, aboyaient comme s’ils eussent été des chiens; ou bien encore ils marchaient sur les mains, sautaient, se contournaient, se disloquaient de mille et mille façons, pour obtenir de l’assistance quelques pièces de monnaie!
Ils étaient forts, cependant, et sains de tous leurs membres; ils eussent pu travailler honnêtement, au lieu de ravaler ainsi leur qualité d’homme. Nous ne saurions trop les blâmer de leur indigne métier. Et voilà pourquoi, mes jeunes lecteurs, vous ferez bien de ne pas vous livrer, en amateurs, à l’imitation burlesque de ce genre de baladins; de ne point parodier leurs grimaces, leurs sauts, leurs contorsions, comme faisait Jean-Paul, qui ne pouvait rien voir de tel sans qu’à l’instant, et pour des mois entiers, il ne s’ingéniât à en essayer l’exacte reproduction; et comme font aussi une foule d’autres personnes, au risque, si elles sont enfants, de s’entendre appeler gilotins; ou bien, si elles sont grandes, de s’attirer le sobriquet de farceurs de société. Triste renommée! Mais continuons.