Читать книгу Canal maritime de Dieppe à Paris : Paris port de mer - Louis Dugdale Richard - Страница 4
INTRODUCTION
ОглавлениеL’idée de doter Paris d’un port, à la fois militaire et marchand, n’est pas nouvelle. Henri IV, Louis XIV, Louis XVI, Napoléon 1er, Louis XVIII et Charles X, ont beaucoup désiré la réalisation de ce projet.
Alors, comme aujourd’hui, on se préoccupait des graves enseignements fournis par l’histoire, on savait que la marine avait bien souvent décidé du sort des Etats auxquels la mer fournit une partie de leurs frontières. On n’ignorait pas, que Thémistocle affranchit la Grèce à Salamines, que les destinées du monde furent fixées à Actium, que la vraie suprématie navale et commerciale ne peut appartenir qu’aux peuples dont la capitale est le principal port: Tyr, Carthage, Gênes, Venise et Londres en fournissent la démonstration.
C’est sous l’empire de cette conviction, que Louis XIV ordonna à Colbert de lui conduire une flotte sous les croisées du Louvre. Seul, le grand ministre vit une idée profonde, là où le plus grand nombre n’entrevoyait qu’une satisfaction à la vanité du monarque.
Le problème de Paris port de mer devait donc être l’objet d’études et de recherches persévérantes; il devait avoir le privilége d’être toujours national, de ne point vieillir, de traverser toutes les commotions politiques qui ont agité la France.
Pour que Paris soit, en réalité, un port militaire et marchand, il faut pouvoir disposer d’une voie navigable, assez large, assez profonde pour que, en tout temps et à toute heure, les navires puissent arriver aux bassins de ce port.
On connaît l’état actuel de la Seine: malgré les travaux déjà exécutés et les barrages établis, ce fleuve ne fournit, à peine, qu’un tirant d’eau de deux mètres de profondeur; à partir de Rouen, on connaît, aussi, sa terrible barre et ses bancs de sable mobiles, cause de la perte de tant de navires. La Seine n’est pas la voie navigable qui puisse jamais permettre aux navires et aux escadres d’arriver jusqu’à Paris.
Je ne chercherai pas, ici, à indiquer les immenses difficultés et les calamiteuses conséquences qui se rattachent au projet de canaliser la Seine, pour lui procurer un tirant d’eau normal de huit mètres de profondeur. Ces difficultés et ces conséquences équivalent à des impossibilités d’ailleurs démontrées, dans ce Mémoire, par des voix bien plus autorisées que la mienne, et qui auront pour elles l’autorité de Colbert, de Vauban, de Riquet, d’Andréossy, qui repoussèrent ce système.
Comme il est unanimement admis, aujourd’hui, que cette canalisation du fleuve ne peut être faite dans des conditions convenables, il faut donc recourir à un autre moyen pour faire de Paris un grand port. Ce moyen consiste à créer un canal, indépendant du fleuve et le plus court possible.
Or, tel est notre projet: le canal proposé partirait de Dieppe, passerait à Arques, Neufchatel, Saint-Saire, Forges où serait son point de partage, Gournay, Beauvais, Creil, Pontoise, Herblay, Saint-Gratien, Epinay, et atteindrait Paris par Genevilliers, dont l’immense plaine serait occupée, en partie, par les ports militaire et marchand de la capitale. Pour permettre aux grands navires de commerce et aux bâtiments de la marine militaire d’arriver jusqu’à Paris, ce canal aurait quarante-six metres de largeur au plan d’eau et un tirant de huit mètres.
Ici se présentent d’abord deux questions principales: le canal est-il pratiquement exécutable, son alimentation sera-t-elle sûrement obtenue?
Relativement à la possibilité d’exécution, il suffira d’observer que le tracé proposé est le même que celui qui fut vérifié et approuvé en 1822 par le Conseil général des ponts et chaussées. La configuration du terrain est donc reconnue favorable.
Quant à l’alimentation, ce Mémoire établit qu’elle est plus que suffisante pour aire face aux besoins d’une navigation, dont le mouvement serait supérieur à celui qui existera réellement. La difficulté relative à la conduite de l’eau au bief de partage, est vaincue par l’emploi de machines à vapeur qui refouleront cette eau à une hauteur suffisante, d’où, à l’aide de rigoles, elle sera conduite au bief de partage. Cela est-il possible? La justification est visible à Lyon, à Glascow, à Manchester.....; dans ces populeuses cités l’eau est ainsi élevée à des hauteurs considérables, à un prix très-modique. On a acquis la conviction que ce système d’alimentation appliqué aux canaux est aussi rationnel qu’économique.
Le canal pouvant être créé, et son alimentation étant assurée par un système mécanique qui aura l’avantage de ne dépenser qu’en proportion des recettes, puisque la quantité d’eau à fournir sera en rapport direct avec le nombre des navires en circulation, il en résulte qu’on propose ici un système de voies navigables qui fonctionne et se rétribue d’une manière analogue aux chemins de fer. Ceux-ci ont leur voie, leurs rails, leurs stations, de même, notre canal aura sa voie, l’eau qui lui servira de rails, ses stations; les chemins de fer ont leur matériel de transport, le canal possédera des navires pour le transport des marchandises, des remorqueurs pour les traîner; les chemins de fer ont des rampes à franchir nécessitant l’emploi de plus de forces, d’une plus grande dépense de combustible, de même le canal aura des rampes, des chutes à racheter, ce qu’il fera avec ses écluses, cest-à-dire avec un surcroît de dépense d’eau. Il est donc incontestable qu’il y a similitude au point de vue de l’emploi d’un élément mécanique, que cet emploi est aussi rationnel pour l’un que pour l’autre, et qu’il ne reste plus à se préoccuper que de comparer, pour chacune de ces deux voies, leur revenu proportionnel. Or, nous affirmons que le canal effectuera les transports à un prix inférieur de cinquante pour cent à celui actuellement perçu par les chemins de fer, et cette réduction sert de base à la demande en concession dans laquelle il est dit, formellement, que l’État n’aura à fournir aucune subvention ni garantie d’intérêt.
Je n’entrerai pas dans d’autres détails sur la possibilité pratique d’exécution et d’alimentation. Ce soin incombe spécialement aux savants et habiles ingénieurs qui m’ont prêté leur concours, qui ont partagé ma foi, qui m’aident à procurer à notre France son plus fertile élément de prospérité et de puissance. Unis d’esprit et de cœur pour accomplir cette œuvre grande et patriotique, soutenus par des aides dévoués, par des capitaux suffisants, par des amis qui partagent nos espérances et nous accordent le prestige de leur haute honorabilité, par l’opinion publique, par la presse, par les populations et leurs représentants légaux, dont les vœux ont été légalement manifestés, nous sommes résolûment montés sur la brèche pour défendre notre projet, avec la conviction intime d’y recueillir un triomphe prochain, parce que notre œuvre est vraie, pratique, suffisamment rémunératrice, parce que sa réalisation est devenue nécessaire; enfin parce que nous aurons des juges impartiaux, désirant aussi la grandeur de notre patrie.
La création du canal maritime peut-elle nuire à des intérêts privés, entraînera-t-elle des conséquences dangereuses pour diverses villes, pour des entreprises considérables, violera-t-elle des droits acquis? Pour apprécier de si graves questions, pour qu’on ne puisse pas dire que j’élude la difficulté, que je n’ose aborder de front les récriminations qu’il est permis de prévoir, je me place en face de ces prétendus intérêts rivaux, et je demande hardiment au Havre, à Rouen, aux chemins de fer, quels sont leurs préjudices, leurs titres, les justifications de leurs plaintes et de leurs frayeurs chimériques.
Nul n’osera contester que ce sont, seuls, le génie et l’audace des entreprises commerciales, secondés par les bienfaits de la paix et le concours des capitaux, qui font la force et l’importance de l’industrie, comme celles d’un port marchand.
Ce principe si vrai a servi de base à l’abolition de ces entraves surannées qui étaient mises à la liberté du commerce, aux transactions internationales, à l’équilibre des alimentations; il a engendré la plus utile, la plus légitime, la plus rationnelle de toutes les révolutions économiques, l’acte le plus grand et le plus intelligent qui ait été accompli depuis plusieurs siècles, acte qui illustre autant le Monarque que son Ministre, la proclamation du principe de la liberté du commerce. Ces traités ont aboli les ridicules et préjudiciables prohibitions d’autrefois, ils ont affirmé le principe de la libre concurrence, et les faits ont prouvé que les routiniers avaient tort, puisque l’industrie et le commerce de notre pays ont pris, depuis lors, un considérable accroissement.
En appliquant les principes qui précèdent au Havre et à Rouen, ces deux villes perdront-elles leur importance, leurs relations au delà des mers, leurs correspondants et leurs acheteurs sur les marchés nationaux et étrangers, par le seul fait que Paris deviendra un port marchand? Est-ce que un capitaliste, un négociant, un armateur, du Havre ou de Rouen, ne pourront plus faire le négoce, et perdront ipso facto leur génie commercial, leur elientelle européenne ou transatlantique parce que la France possédera un port de plus? Ce ne serait pas être sérieux que prétendre une telle chose. D’ailleurs examinons les droits du Havre à se faire le porte-drapeau du statu quo quand même: Le Havre raisonnait-il comme il le fait aujourd’hui lorsque, bourgade sans valeur, il apparaissait subitement, grâce à la protection de Louis XIV? Paraissait-il si bon chrétien envers Rouen, Nantes et Bordeaux? Le Havre, moins que tout autre ville, a le droit de se plaindre; ce que Louis XIV fit pour l’humble bourgade, Napoléon III a bien le droit de le faire pour Paris.
Malgré sa prospérité rapide, malgré sa grande importance, le Havre a-t-il anéanti Londres et Liverpool, Nantes et Bordeaux? Non, pas plus que Paris n’anéantira le Havre. Cette ville est comme tous les autres ports: chacun d’eux a des relations qui lui sont propres, ses points d’écoulement et d’approvisionnements, la création d’un nouveau port ne peut pas être plus contestée, que le droit qu’a tout citoyen d’acheter et revendre des articles semblables à ceux achetés et revendus par les habitants d’une ville voisine. S’il n’en était pas ainsi, Marseille devrait demander et obtenir qu’aucun navire n’eût le droit d’entrer dans le port de Cette, de même qu’une pareille interdiction devrait frapper le Havre au profit de Nantes et de Rouen, dont l’existence est bien antérieure.
Le Havre pourrait-il dire de quelle manière il défend les intérêts de la France, comment il paie sa dette à la patrie! Pendant que Londres et Liverpool ont en charge, chaque semaine, une moyenne de plus de cent mille tonnes pour l’Inde, l’Australie et la Chine, que fait le Havre? Rien..., pas une tonne pour ces lointains rivages; il n’a pas voulu ou su créer des services de transports réguliers et sérieux pour ces divers continents, et il contemple dans son impuissance et sa mollesse nos produits français obligés de s’anglicaniser pour parvenir à Calcuta ou à Canton; car ils ne trouvent que des bâtiments anglais pour se faire transporter dans ces lointaines métropoles commerciales de l’Asie. C’est en présence d’un état de choses si désolant pour notre commerce, pour l’orgueil national et pour l’accroissement de notre marine marchande, seule et unique pépinière du personnel de notre marine militaire, que le Havre protesterait contre Paris devenant port de mer, contre Paris où se réunissent tous les grands capitaux, contre cette immense ville, la seule de l’Empire qui puisse organiser de puissantes compagnies et de grandes entreprises! Paris industriel a fait tous nos chemins de fer; Paris ayant sous ses yeux le spectacle entraînant que procurent les navires, organiserait des lignes trans-océaniques, promenerait le pavillon national sur toutes les mers, transporterait nos produits sur tous les rivages, développerait, créerait le génie maritime qui manque à la France, en lui donnant le goût et l’audace des entreprises navales.
On le voit, le droit, les besoins de l’Etat, l’intérêt général portent à repousser énergiquement, toutes le protestations qui pourraient être faites contre la création d’un port à Paris, car, dans ces protestations, il ne faudrait voir qu’une mesquine jalousie de clocher, ou la ridicule prétention à un monopole aussi égoïste et immérité qu’il serait impossible à obtenir. Enfin qu’on se pose cette question: Est-ce que le Havre empêche la création du port marchand de Brest? Est-ce que le Havre intéresse plus l’Etat que Paris? Est-ce que Londres anéantit Liverpool?
Maintenant, voyons ce que pourront dire les chemins de fer:
En admettant que l’établissement du canal fasse diminuer les recettes de la ligne de l’Ouest, ce qui n’aura pas lieu et je le prouverai bientôt, sur quoi cette compagnie pourrait-elle baser ses protestations, et avec quoi justifierait-elle ses prétentions? Est-ce sur la foi des traités? Mais le gouvernement ne s’est jamais interdit le droit de construire le canal maritime, et, d’ailleurs, n’a-t-il pas autorisé le touage sur la Seine, concurrence bien plus voisine que celle du canal. Par cela seul que le chemin de fer existe, faudrait-il sacrifier à son intérêt, l’intérêt général, l’intérêt politique, faudrait-il qu’un veto injustifiable fut infligé au progrès, à l’économie des transports et par suite à l’industrie, à l’abaissement du prix des vivres, faudrait-il rester stationnaires alors que tout marche, se perfectionne où se complète? N’est-ce pas cette même compagnie qui a vu supprimer les maîtres de poste qui pourtant avaient un privilège, et qu’a-t-elle donné aux entreprises de diligence et de roulage qu’elle a totalement anéanties et qui fournissaient du travail et du pain à de si nombreuses familles? L’Etat n’hésita pas à sacrifier ces divers intérêts à l’intérêt général, et il fit bien: l’intérêt général recueillant de grands avantages de la création du canal qui procurera de notables économies sur les frais de transport, qui concourra au bien-être, à l’embellissement de la capitale, de Beauvais, de Gournay, de Neuf-châtel et de Dieppe, qui servira de refuge à la marine marchande et militaire contre la tempête ou contre les flottes ennemies, n’est-il pas logique que l’Etat, fasse pour ce canal ce qu’il fit pour le chemin de fer? Objectera-t-on qu’il y a un minimum d’intérêts garanti? L’objection ne serait pas heureuse, car elle se retournerait contre le chemin de fer lui-même; elle ne serait pas plus embarrassante si elle était faite par l’Etat, puisque les revenus et avantages immenses que lui procurera le canal dépasseront de beaucoup la garantie des intérêts promis au chemin de fer.
Mais, je conteste que le chemin de fer ait à souffrir de la création du canal, et je vois le prouver par des documents et des chiffres officiels.
En effet:
Il résulte de la comparaison des deux tableaux qui précèdent que plus la batellerie a été occupée et plus ont augmenté les transports effectués par le chemin de fer, ce qui donne le droit de formuler, en axiome, la proposition suivante: plus la navigation augmente, plus aussi augmentent les recettes des chemins de fer. Le canal maritime étant un élément nouveau pour l’importation et l’exportation, au lieu de nuire au chemin de fer, lui procurera donc de nouveaux éléments de prospérité.
Quant aux lignes de l’Est, du Bourbonnais, de Lyon, d’Orléans, du Midi, à coup sûr elles ne protesteront pas contre la création du canal maritime. Paris, devenu grand port de commerce, donnera une augmentation considérable au trafic de ces lignes et, spécialement aux deux premières, procurera des transports qui sont confiés actuellement aux chemins de fer Belges. Aujourd’hui, en effet, Paris n’étant pas accessible aux navires, ceux-ci ne vont point, pour les cotons par exemple, débarquer au Havre ou à Rouen les balles destinées au Luxembourg ou à l’Allemagne centrale; mais Paris étant un grand port et aussi rapproché de l’Allemagne centrale que l’est Anvers, c’est à Paris que viendraient décharger ces mêmes navires parce que notre capitale présenterait, beaucoup plus qu’Anvers, la probabilité d’un chargement pour le retour. Par suite donc, l’arrivée des navires à Paris procurera à nos chemins français les transports qui, en ce moment, sont obtenus par les chemins de fer belges. Paris grandira aux dépens de Londres, d’Anvers et de Trieste.
Cette question de rivalité d’intérêts n’a donc pas sa raison d’être, et d’ailleurs, ne faut-il pas reconnaître que les chemins de fer ont gravement compromis l’avenir de notre marine? Au moyen des embranchements qu’ils ont établis sur notre littoral, ils sont parvenus à relier et desservir tous nos ports, d’où est résultée la ruine du cabotage. Or, pas de cabotage, pas de marine au long cours, pas de personnel pour nos escadres!!!....
N’est-ce pas une puissante considération que de donner à Paris une suprématie commerciale et financière, comparable à celle de Londres, de provoquer un surcroît d’accroissement à sa population? Ne faut-il pas procurer à cette superbe ville de nouveaux revenus, qui compensent la diminution que vont éprouver ses recettes, par suite de l’application de la loi qui prescrit qu’en 1866 toutes les usines, actuellement dans l’intérieur de Paris, seront transportées hors des fortifications? Ce revenu ne résulterait-il pas de l’accroissement de consommation provoquée par l’abaissement des frais de transport? N’est-ce rien pour développer le génie maritime que d’offrir aux populations de la Normandie et aux Parisiens le spectacle émouvant de nos escadres, venant presque sous les croisées des Tuileries, hisser leurs pavillons et concourir à célébrer la nouvelle d’une de nos prochaines victoires? Possédant la plus belle armée de terre, pourquoi ne posséderions-nous pas la plus puissante des armées navales? Est-ce que l’enfant de Paris qui, sous le costume de zouave, noyait les Autrichiens à Palestro, ne saurait pas combattre sur l’Océan, si on offrait à ses impressions du premier âge le continuel spectacle de l’arrivage ou du départ des vaisseaux, comme on lui offre aujourd’hui les manœuvres et les revues du Champ de Mars? Est-ce que, surexcité et éclairé par la vue de nos flottes, il ne rêverait pas de Duquesne, de Jean-Bart et de Surcouf autant que de Bayard, de Turenne et de Ney? Est-ce que les rois de la finance ne subiraient pas l’entraînement général et ne se réveilleraient pas, un beau matin, évoquant le souvenir de l’ancienne compagnie des Indes, de l’association Louisianaise, de la colonisation de ce Canada, qui n’a pas oublié encore qu’il était un enfant de la France? Est-ce que Paris, devenu port de mer et tête de ligne des chemins de fer de l’Europe continentale, ne présenterait pas tous les éléments nécessaires pour devenir le grand marché et le rand entrepôt de l’Europe? Paris qui attire et donne les capitaux, les plaisirs, les innovations, la paix et la guerre, Paris obtiendrait, au moyen du canal, cet entrepôt et ce grand marché du monde, Paris organiserait de vastes entreprises, créerait de nombreuses compagnies dont les navires porteraient sur les plus lointains rivages le nom, le pavillon et les produits de la France. Alors même que Paris devenu port ne procurerait pas tous les résultats que je viens de signaler, pourquoi le canal ne serait-il pas construit, puisque, s’il est vrai que les vaisseaux cuirassés peuvent impunément braver les batteries de terre et entrer dans les ports pour y prendre ou détruire les navires marchands, ses cent quatre-vingt-dix kilomètres de longueur fourniraient un refuge inexpugnable à la marine marchande, au cas où de nouveaux malheurs viendraient frapper notre patrie? Pourquoi ne pas créer ce port de refuge qui n’a pas son pareil dans le monde? La dynastie Napoléonienne, seule, est capable de donner à la France ce complément de puissance, de richesse, de gloire et de sécurité, devant lequel il faudra bien que tous s’inclinent; elle peut le faire sans sacrifice, car il n’est pas demandé à l’Etat un centime de subvention.
Aussi, je ne puis, je ne dois, je ne veux pas douter, parce que l’intérêt de la France entière, comme celui de la capitale, se réunissent à l’orgueil national pour demander et obtenir la création du canal.
Cette idée, que rien n’a pu faire abandonner, aurait déjà l’autorité du fait accompli, si, aux époques où elle était le plus énergiquement poursuivie, la science de l’hydraulique avait été, comme de nos jours, en mesure de vaincre les difficultés opposées par la nature. Paris port de mer est donc une dette que depuis deux cents ans la France réclame; aujourd’hui elle en demande le payement a celui de ses monarques qui a réellement prouvé qu’il ne laisse jamais protester l’intérêt, la puissance, la gloire et l’honneur de notre patrie.
J’ai affirmé que le problème de Paris port de mer demandait une solution entière et non pas partielle, parce que ce problème ne doit pas seulement satisfaire les yeux, car les vaisseaux qui viendront saluer la capitale porteront dans leurs flancs l’élément fécondant du génie maritime et de la suprématie financière et commerciale de Paris et de la France.
Sous l’empire de cette conviction profonde, nous avons résolument proposé comme solution de ce problème, la construction d’un canal indépendant de tout fleuve, dont les dimensions et la profondeur d’eau permettraient aux plus grands géants de la mer de venir saluer l’Arc de Triomphe sur lequel l’aigle des Napoléon a écrit nos gloires nationales.
Nous avons demandé à la vapeur, à la mécanique hydraulique, à la science des constructions de nous laisser emprunter aux merveilleux trésors qu’elles ont ramassés dans les trente dernières années.
C’est ce qui a permis d’asseoir le projet sur deux principes nouveaux:
1° Imperméabilité du canal;
2° Alimentation totale ou complémentaire, à bas prix, par des machines.
Le canal aurait un point de partage dont la hauteur absolue et relative est de beaucoup inférieure à celle des points de partage de la plupart des autres canaux français, et les ressources d’alimentation suffiraient à un mouvement de navires supérieur à tous les besoins du commerce le plus actif.
Le revenu net, produit par le canal, permettrait de réduire les frais de transport à un prix bien moins élevé que celui des chemins de fer; ce produit net serait tellement rémunérateur, que les demandeurs en concession ne réclament à l’Etat ni subvention ni garantie d’intérêt.
Je crois avoir démontré qu’aucun intérêt rival n’avait de raisons sérieuses ni légales pour s’opposer à la création de ce canal, et j’ai justifié que l’intérêt général, que l’Etat, que la ville de Paris, que l’orgueil national, que les éventualités de guerre commandaient l’établissement de cette belle voie de navigation.
Et ma voix, écho fidèle de la voix de la France, dit à Napoléon III:
Sire, votre patriotisme nous donnera
PARIS PORT DE MER....!!!
Puis, n’ai-je pas le droit d’ajouter:
Le percement de l’isthme de Suez est une œuvre grande, utile, mais elle n’est que partiellement française. Sans doute, elle raccourcit le chemin qu’auront à parcourir le commerce, la civilisation et le christianisme pour apporter leurs bienfaits au vaste continent asiatique; mais... doter Paris d’un port militaire et marchand; ajouter aux merveilles, que possède déjà cette capitale, l’animation magique que les flottes donnent à Londres et à Constantinople; à la suprématie que l’univers entier lui reconnaît pour les sciences, les arts, les lettres, le bon goût et les plaisirs, ajouter aussi la suprématie commerciale et financière, en faire la dispensatrice du bien-être de l’Europe, placer le monde dans ses mains pour qu’elle lui distribue, à son gré, la richesse, la paix ou la guerre, et, au milieu de tant de puissance et de tant. de splendeurs, y entretenir le phare de la liberté, c’est faire une œuvre entièrement nationale, suffisante à immortaliser un règne, c’est noblement affirmer le génie de la France!
E. SABATTIÉ.