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CHAPITRE IV.

Table des matières

Adalbert était bien loin.

Tout fait événement au village, même une poule qui imite le chant du coq, et que l’on se hâte de tuer parce qu’on se figure qu’elle porterait malheur. On peut juger de ce qu’avait produit à Valneige la disparition du jeune Adalbert.

Il n’était question que de cette triste aventure, et chacun se livrait à des suppositions sans fin. Il y avait même du merveilleux dans les suppositions des bonnes gens, car les bonnes gens sont crédules et superstitieux.

Un jour, une femme vint trouver Rosette pour lui dire:

«Mamselle Rosette, écoutez, votre petit n’est pas perdu.»

A ce mot, la vieille bonne releva ses lunettes jusqu’au milieu du front, c’était pour elle un moyen de voir plus clair. En vain lui aurait-on conseillé de les enfermer dans un tiroir, elle s’en serait bien gardée. Depuis quinze ans, au moins, elle avait des lunettes, et les mettait sur son nez à poste fixe dès le matin. Dans le courant du jour, elle s’en servait pour aller au jardin, pour monter et descendre l’escalier; mais quand il s’agissait de faire attention, de distinguer positivement les couleurs ou les physionomies, vite les lunettes grimpaient au milieu du front. La chère femme paraissait y tenir à peu près comme à ses yeux.

La mère Godinette prit un siége parce que le discours promettait d’être long.

On l’appelait Godinette par la raison que son mari s’appelait Godin. On avait dans ce pays la singulière habitude de féminiser tous les noms On disait par exemple le père Galet, la mère Galette; le père Cotel, la mère Côtelette; le père Cani, la mère Caniche; et comme l’esprit humain se porte naturellement à la raillerie, les malins faisaient en sorte d’ajouter toujours ce qu’il fallait pour donner du piquant. Du père Jaquart, on avait fait tout bonnement la mère Jacasse; du père Lane, la mère l’Anesse; du père Lasseau, la mère la Sotte, etc., etc., etc.

Votre petit n’est pas perdu (Page 41.)


Pour cette fois, il s’agissait de la mère Godinette. (Entre soi on disait simplement mère Godiche.)

«Eh ben, mamselle Rosette, je m’en vas vous dire une chose que je n’ai dite à personne.»

Tous les discours de Godinette, qui parlait fort lentement, commençaient de même, et l’on savait à quoi s’en tenir sur sa discrétion. Quand la bonne femme ne disait pas ses affaires à tout le monde, cela prouvait qu’elle était seule.

«Ecoutez, mamselle Rosette, voilà ce qui m’est arrivé, à moi qui vous parle. J’ai rêvé la nuit dernière.... D’abord, faut vous dire que j’avais mal dans les jambes, mais mal comme il n’est pas possible. Ça me tenait, ma chère, dans les deux mollets! oh! Écoutez.... c’était.... des chiens qui me mangeaient, quoil J’étais là qui me retournais dans mon lit comme une crêpe dans une poêle, et je frottais, et je frottais.... faut toujours frotter, voyez-vous, quand on a mal dans les jambes: des fois c’est le sang qui s’arrête. Qu’est-ce que vous faites, vous, mamselle Rosette, quand vous avez mal dans les jambes?

— Eh ben, je frotte. Et après? voyons l’histoire!

— Voilà : Pendant que je me retournais, je me dis: quelle heure donc qu’il est? Il doit être tard, que je m’en vas. Je suis sûre qu’il est plus de minuit, censément; je ne savais pas l’heure qu’il était, moi; quand on ne sait pas, vous savez, on tâtonne comme on dit. Voilà que j’entends sonner l’heure à la paroisse. Je compte sur mes doigts: Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix....

— Onze, douze, ajouta précipitamment Rosette qui était sur le gril.

— Justement, dix, onze, douze. Tiens, vous aviez deviné ça, vous; elle a de l’esprit jusqu’au bout des ongles!

— Et après? vous disiez que notre petit....

— Attendez donc, mamselle Rosette, faut pas aller plus vite que les violons.

— C’est qu’ils vont bien doucement, les violons! et alors?

— Alors, quand j’ai vu qu’il n’était que minuit, je me suis dit: Ah ben, par exemple, je croyais qu’il était plus tard que ça! La nuit, c’est fait pour dormir, faut que je dorme. Tant pis pour mes jambes! Je me suis donné une peine pour me rendormir, une peine! J’ouvrais les yeux, puis je les fermais, et je les rouvrais, et puis je toussais, et je me mouchais, et puis je crachais, et je me frottais, ça n’en finissait plus!

— Vous dites que....

— Je dis que ça n’en finissait plus.

— Oui, mais notre petit?

— Attendez donc! Enfin je me rendors!

— Ah! tant mieux!

— A peine endormie, je me réveille.

— Ah! tant pis! Et ensuite?

— Ensuite, je me remets à tâcher de me rendormir, je me tourne, je me retourne, j’ouvre les yeux, je les referme, je tousse, je crache, je me mouche, je me frotte....

— Et enfin?

— Enfin je me rendors, et je rêve que je me promène dans un beau jardin, où il y avait un grand bassin, mais grand, grand comme il n’est pas possible! Censément, vous savez, dans les rêves, n’est-ce pas?

— Oui, oui. Et après, mère Godinette?

— Après? Eh ben, il était long, ce bassin, mais long, long comme d’ici à la croix du chemin. Qu’est-ce que je dis donc? Comme d’ici, voyons... comme d’ici au.... au...

— Au bout du monde. Allons, mère Godinette?...

— C’est ça! Elle a toujours la réplique! Alors, j’aperçois à côté du bassin un renard, je me dis: Tiens, un renard? Oui, c’est bien un renard. Et en même temps je vois votre petit qui avait sur la tête un panier, vous savez ces paniers dans lesquels on met....

— Oui, oui, je vois ça d’ici.

— Vous voyez ça d’ici, n’est-ce pas? On y met.... on y met....

— On y met tout ce qu’on veut.

— Vous avez raison dans le fait, du moment que c’est un panier, on y met ce qu’on veut. D’ailleurs, au bout du compte, ça ne fait rien à mon histoire.

— Dans ce cas, passons-le donc, voulez-vous? et alors?...

— Alors il aperçoit le renard, il a peur, son panier tombe, et le voilà qui se jette dans le bassin la tête la première....

— Pauvre petit!

— Comment, pauvre petit? C’est le panier.

— Ah! bon! C’est que vous disiez la tête la première!

— C’était pour de rire. Voilà le renard qui vient à moi en traînant la patte, pauvre bête! Je me dis: Tiens, il aura eu la patte cassée par des chasseurs.... Ah! à propos de chasseurs, vous ne savez pas?

— Quoi donc?

— On dit qu’il y a deux chasseurs qui s’en revenaient l’autre soir par les bois; ils ont rencontré un chien perdu qui s’est battu avec leurs chiens, et qui les a mordus.

— Pauvres bêtes!

— Mais, qu’est-ce que vous dites donc, mamselle Rosette? C’est des gens que je parle.

— Alors, pauvres gens!

— Et il a mordu les chiens aussi.

— Eh bien, pauvres bêtes et pauvres gens!... Et notre petit?

— Attendez donc. Alors ils ont vu dans le noir une grosse boule jaune, comme une petite lune, qui filait tant qu’elle pouvait dans le ciel; on appelle ça un métore.... métélore.... je ne sais comment, le nom ne fait rien à la chose.

— Heureusement, mais quel rapport y a-t-il entre la boule et notre cher petit?

— Quel rapport? C’est tout clair. Ça prouve qu’on le retrouvera. Une boule jaune qui file dans le ciel, ça n’est pas pour des prunes! Et puis, écoutez donc, ça n’est pas fini: comme il marchait à reculons, voilà que le renard....

— Comment? Encore le renard? C’est donc votre rêve que vous reprenez?

— Mais, bien sùr; le renard, c’est pour de rire.

— Et la rage?

— C’est pour de bon.

— Ah! tant pis!

— Alors le renard....

— Tenez, faites-moi le plaisir de laisser le renard où il est; parlons plutôt de mon pauvre cher petit blondin. Dites-moi ce que vous savez de lui?

— De lui? Eh! je ne sais rien de lui. Que voulez-vous que j’en sache, moi? Puisqu’on l’a perdu en Allemagne! Mais, c’est égal, on a beau dire que c’est loin, quand on voit des signes dans le ciel, on peut être sûr que l’enfant n’est pas perdu.»

On en était là de cette insipide conversation, lorsque M. de Valneige vint à passer. Toujours sombre et inquiet, l’air affairé de la mère Godinette le frappa, et la fidèle Rosette, remarquant sa préoccupation, crut devoir lui répéter les paroles de la bonne femme, en passant l’insomnie, l’horloge, les jambes et le renard. Le maître répondit tristement qu’il n’y avait, hélas! aucune relation entre ce météore et le pauvre enfant perdu, que le fait dont il était question n’avait rien de prodigieux, étant dû à un phénomène atmosphérique fort connu, et sur lequel on avait tort d’appuyer de vaines superstitions.

Godinette, un peu piquée, mais nullement convaincue, tira sa révérence, et s’en alla conter à d’autres son rêve et sa boule jaune. Quant à la bonne Rosette, voyant l’entretien terminé, elle fit tranquillement redescendre ses bienheureuses lunettes sur son nez et reprit son éternel tricot.

La maison roulante

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