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AVANT-PROPOS

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LES lettres ou fragments de lettres que nous offrons à la piété de ceux qui ont aimé Marguerite, nous ont été pour la plupart confiés par son intime amie, celle qui fut la confidente des années d’adolescence et de jeunesse, et qui l’est restée, même après le mariage, par une douce habitude de l’esprit et du cœur. C’est avec son assentiment et sous sa surveillance que ce précieux dépôt voit le jour, sinon tout entier, du moins dans ses parties les plus caractéristiques. Qu’elle soit remerciée pour ce sacrifice suprême de l’amitié qui renonce à la possession exclusive de ses trésors, afin d’exalter mieux le souvenir!

Ce n’est pas sans trembler que nous découvrons aux regards d’un petit nombre ce qui fut longtemps caché, ce que Marguerite n’avait livré de son vivant qu’à deux ou trois, pas davantage. Quels sont nos droits sur les confidences de nos disparus? La pudeur de leurs pensées intimes ne doit-elle pas être respectée jusque dans la tombe? Ce sont les questions que nous avons dû résoudre avant de nous décider à cette publication. Heureusement, les motifs encourageants ne nous ont pas manqué.

Nous le savions, Marguerite ne demandait pas mieux que d’être comprise, comprise jusqu’au fond de l’âme. Plus d’une fois elle a souffert de ce que sa réserve naturelle, voire sa timidité, l’empêchait de s’expliquer comme elle aurait voulu, devant ses proches ou devant ses amis. Plus d’une fois, elle a pu croire que «le meilleur d’elle-même », comme elle disait, resterait inaccessible à ceux-là même qui avaient le plus souvent les yeux fixés sur elle. Son besoin de s’affirmer n’allait pas jusqu’à heurter de front les opinions reçues, quand ces opinions étaient protégées contre elle par sa tendresse ou par sa piété. Le moment est venu, nous semble-t-il, d’avoir le double courage de la faire parler et de l’entendre, puisqu’aussi bien elle avait quelque chose à nous dire, un témoignage essentiel à nous livrer sur ses expériences et sur sa vie. Le moment est venu de soulever — délicatement — un coin du voile qui dissimulait le tréfonds de cette âme ardente, et n’en laissait apparaître, dans le geste et par le regard, que le reflet magnifique et toujours mouvant. Qui d’entre nous n’a fait l’expérience que la lumière des souvenirs transforme la physionomie de ceux que nous avons cru le mieux connaître, si bien que nous nous imaginons soudain les découvrir? Marguerite, sans le savoir, préparait par ses lettres — écrites d’élan, au courant de la plume, sans apprêt ni retouches, mais avec beaucoup de surcharges — toutes les pièces qui devaient aider à lui rendre, plus complète, cette justice définitive, ou plutôt ce suprême hommage.

Oui, sans doute, nous aurions pu garder pour nous ces lettres, les réserver uniquement à ceux dont elle fut, par la confiance ou par l’amour, la propriété en quelque sorte exclusive, durant sa courte existence! Mais comment résister à l’appel de tant d’âmes pour lesquelles elle fut un réconfort et une clarté dans les ténèbres, et qui l’ayant perdue aussi, tout comme nous, l’ont pleurée avec nous? A celles-là nous avons voulu conserver, autant qu’il était en notre pouvoir, sa chaleur de vie; mieux que cela: prolonger au delà du tombeau le sillon de lumière qui les a momentanément éclairées. Elles avaient su discerner en Marguerite les qualités les plus hautes; elles avaient subi son influence. Cela leur constitue, à ce qu’il nous semble, un droit sur sa succession.

C’est une chose étrange que pour la partie la plus importante de leur vie, les êtres qui se coudoient tous les jours, restent en définitive étrangers les uns aux autres. Ils ne communiquent que par les gestes les plus ordinaires, leurs pensées les plus communes et les plus banales. Mais ce qui s’agite en eux de vital demeure la plupart du temps dissimulé aux regards. Et pourtant, c’est ce qui créerait entre eux la solidarité la plus étroite. Chacun, replié sous sa carapace, vit et croit lutter dans un isolement à peu près complet. Ainsi les liens les plus forts qui unissent les représentants d’une même génération, c’est-à-dire leurs expériences morales, leur restent cachés et n’apparaissent qu’aux générations suivantes. Ils en perdent la raison d’un plus grand courage et d’un plus grand amour. Que les créatures appelées à vivre ensemble communiquent mieux entre elles, pour vivre mieux et plus vaillamment, c’eût été le vœu de Marguerite. Ce motif, inspiré de la fraternité des âmes sur la terre, est le principal que nous voulions invoquer au seuil de cette publication.

Il justifiera également le choix que nous avons cru pouvoir faire dans les confidences de Marguerite à son amie. Nous en avons éliminé les événements et les détails sur les personnes, pour ne conserver que le reflet de tout cela dans sa vie morale. Ce sont les sommets de la chaîne, si l’on veut, que nous portons au grand jour, et non pas ce qui les relie, ni l’humble matière qui les remplit durant cette période de treize années (1901-1914), décisive dans l’existence de Marguerite. Le reste, nous l’avons laissé de côté comme transitoire, individuel, et comme défendu d’ailleurs par la discrétion la plus élémentaire.

Mais précisément parce que ce sont des sommets pointant vers l’infini de la vie morale, nous n’avons pas craint de dévoiler les plus hardis, ceux qui portent le témoignage le plus énergique sur la nature de Marguerite. Il n’aurait pas valu la peine de la faire parler après sa mort, si c’eût été pour déguiser son intonation, assourdir sa voix, atténuer son geste. Dans toutes ses pensées, dans tous ses sentiments, elle fut courageuse et hardie. Mais ni ce courage, ni cette hardiesse ne saurait offusquer personne, car toujours il s’y mêla la noblesse et la profondeur du sentiment. Pour ceux qui ont connu Marguerite, la passion n’a cessé d’habiter cette âme, une passion qui s’attachait à toutes choses, on peut dire, aux sujets les plus graves et les plus légers. Mais cette passion tendait toujours vers le large. Tout s’y résolvait en grandeur et en élévation. Marguerite en avait conscience elle-même; elle avait fait effort pour orienter sa vie dans ce sens, loin de toutes les petitesses et de toutes les mesquineries. C’est ce qui ôte le droit de l’estimer à une trop commune mesure. Pour que cette vie portât tous ses fruits, pour qu’elle pût nous instruire encore des rivages de l’éternité, il fallait qu’elle fût ainsi: aventureuse dans son essor.

Nous nous laisserions aller volontiers au plaisir douloureux de parler encore de celle qui nous a été si tôt ravie. Mais à quoi bon? Que pourrions-nous ajouter que ses lettres n’expriment mille fois mieux: elles parleront d’elles-mêmes, sans qu’il soit besoin d’aucun commentaire. Il nous sera permis toutefois de dire qu’à nous-même, ces lettres sont apparues comme un témoignage qui dépasse la personnalité de celle qui les a écrites, un témoignage sur son milieu et sur son époque. Il nous semble que de ce milieu et de cette époque, Marguerite, dans sa modeste sphère, reste expressive au plus haut point.

Une âme protestante, elle l’a été certes, comme on pouvait l’attendre de son éducation, par l’énergie morale, par le sérieux et la gravité — unis toujours, chez elle, à l’extrême fraîcheur du caractère, — par le sentiment du devoir et de la responsabilité personnelle, par la sincérité et par la hardiesse critique, par le respect et la préoccupation des choses religieuses, à travers lesquelles le cœur et l’esprit ne cessent de poursuivre l’affranchissement suprême. Mais plus encore, cette jeune fille et cette jeune femme nous apparaît comme une âme moderne, au beau sens, au sens émouvant de l’expression.

Qu’entendre par là, sinon qu’elle fut avide de tout connaître et de tout comprendre, et qu’elle comprit tout, facilement, dans un éclair d’intelligence et de passion — ou encore qu’elle aima la beauté sous toutes ses formes, nouvelles ou traditionnelles, dans les arts et dans la nature — dans l’ordre moral surtout. Elle admirait comme un idéal éternel la pureté du cœur, la discipline du caractère, l’héroïsme, le sacrifice, les convictions religieuses, à l’heure même où elle s’écartait le plus de la religion de son enfance. Que dis-je: elle admirait? Elle était attirée perpétuellement vers ces hautes cimes, elle soupirait après ces eaux vives. Mais elle n’y pouvait atteindre non plus par la voie ordinaire de la foi enfantine et du renoncement. Car pas plus qu’elle ne peut s’abstenir de critique, l’âme moderne ne saurait s’abstraire de la vie. Il faut que, placée au centre du monde qu’elle ordonne et qu’elle crée, elle confère à sa personnalité (un des mots favoris de Marguerite) une valeur illimitée; elle ne se reconnaît jamais le droit de mépriser sa nature, de faire violence à ses besoins essentiels, en un mot de se mutiler. D’où le conflit tragique entre les aspirations idéales et l’instinct vital envisagé non plus comme un ennemi qu’il faut vaincre, mais comme un trésor à exploiter pour soi-même et pour les autres. Ce conflit, qui de nous ne le sent en lui-même, au moins à l’état latent? Chez Marguerite, il est actif.

Chose remarquable et qu’elle nous révèle encore d’une manière touchante: dans cette lutte, les âmes nobles finissent par se complaire à leur insu; elles ne sauraient plus s’en passer; quand, par suite des circonstances, le conflit s’apaise, il leur donne l’impression de la paresse et de l’atonie, si bien que l’harmonie même, l’équilibre momentané des forces opposées détermine une sorte de malaise... Lame moderne, une fois troublée par l’inquiétude chrétienne, ne retrouvera jamais, complète, cette calme sérénité qui nous semble, aujourd’hui encore, avoir été le privilège des anciens.

C’est là son charme d’ailleurs, car, de tant d’oppositions et de contrastes, résulte un état d’esprit instable, si l’on veut, mais singulièrement varié, captivant, fécond, propre à susciter autour de soi la confiance et la sympathie, parce qu’il entretient la chaleur du foyer central et qu’il fait rayonner la vie. Qu’on y joigne les grâces propres à la femme, et l’on aura tout le secret, le secret profond du prestige de Marguerite auprès de ceux qui l’ont connue.

Souvenir de Mme Marguerite François 1885-1914

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