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60.—DE Mme DE SÉVIGNÉ A Mme DE GRIGNAN.

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Aux Rochers, dimanche 26 juillet 1671.

Je veux vous apprendre qu'hier, comme j'étais toute seule dans ma chambre avec un livre précieusement[168] à la main, je vois ouvrir ma porte par une grande femme de très-bonne mine; cette femme s'étouffait de rire, et cachait derrière elle un homme qui riait encore plus fort qu'elle: cet homme était suivi d'une femme fort bien faite, qui riait aussi; moi, je me mis à rire sans les reconnaître, et sans savoir ce qui les faisait rire. Quoique j'attendisse aujourd'hui madame de Chaulnes, qui doit passer deux jours ici, j'avais beau la regarder, je ne pouvais comprendre que ce fût elle: c'était elle pourtant, qui m'amenait Pomenars, qui en arrivant à Vitré lui avait mis dans la tête de me venir surprendre. La Murinette beauté était de la partie, et la gaieté de Pomenars était si extrême, qu'il aurait réjoui la tristesse même: ils jouèrent d'abord au volant; madame de Chaulnes y joue comme vous; et puis une légère collation, et puis nos belles promenades, et partout il a été question de vous. J'ai dit à Pomenars que vous étiez fort en peine de toutes ses affaires, et que vous m'aviez mandé que, pourvu qu'il n'y eût que le courant, vous ne seriez point en inquiétude; mais que tant de nouvelles injustices qu'on lui faisait vous donnaient beaucoup de chagrin pour lui: nous avons fort poussé cette plaisanterie, et puis cette grande allée nous a fait souvenir de la chute que vous y fîtes un jour; la pensée m'en a fait devenir rouge comme du feu. On a parlé longtemps là-dessus, et puis du dialogue bohême, et puis enfin de mademoiselle du Plessis, et des sottises qu'elle disait, et qu'un jour vous en ayant dit une, et son vilain visage se trouvant auprès du vôtre, vous n'aviez pas marchandé, et lui aviez donné un soufflet pour la faire reculer; et que moi, pour adoucir les affaires, j'avais dit: Mais voyez comme ces petites filles se jouent rudement; et que j'avais dit à sa mère: Madame, ces jeunes créatures étaient si folles ce matin, qu'elles se battaient: mademoiselle du Plessis agaçait ma fille, ma fille la battait; c'était la plus plaisante chose du monde; et qu'avec ce tour, j'avais ravi madame du Plessis, de voir nos petites filles se réjouir ainsi. Cette camaraderie de vous et de mademoiselle du Plessis, dont je ne faisais qu'une même chose pour faire avaler le soufflet, les a fait rire à mourir. La Murinette vous approuve fort, et jure que la première fois qu'elle viendra lui parler dans le nez, comme elle fait toujours, elle vous imitera, et lui donnera sur sa vilaine joue. Je les attends tous présentement: Pomenars tiendra bien sa place; mademoiselle du Plessis viendra aussi; ils me montreront une lettre de Paris faite à plaisir, où l'on mandera cinq ou six soufflets donnés entre femmes, afin d'autoriser ceux qu'on veut lui donner aux états, et même de les lui faire souhaiter pour être à la mode. Enfin je n'ai jamais vu un homme si fou que Pomenars: sa gaieté augmente en même temps que ses affaires criminelles; s'il lui en vient encore une, il mourra de joie. Je suis chargée de mille compliments pour vous; nous vous avons célébrée à tout moment. Madame de Chaulnes dit qu'elle vous souhaiterait une madame de Sévigné en Provence, comme celle qu'elle a trouvée en Bretagne; c'est cela qui rend son gouvernement beau, car quelle autre chose pourrait-ce être? Quand son mari sera venu, je la remettrai entre ses mains, et ne m'embarrasserai plus de son divertissement; mais vous, ma chère fille, que je vous plains avec votre tante d'Harcourt[169]! quelle contrainte! quel embarras! quel ennui! Voilà qui me ferait plus de mal mille fois qu'à personne, et vous seule au monde seriez capable de me faire avaler ce poison. Oui, mon enfant, je vous le jure et si j'étais à Grignan, j'écumerais votre chambre pour vous faire plaisir, comme j'ai fait mille fois: après cette marque d'amitié, ne m'en demandez plus, car je hais l'ennui plus que la mort, et j'aimerais fort à rire avec vous, Vardes et le seigneur Corbeau. Défaites-vous de cette trompette du jugement: il y a vingt ans qu'elle me déplaît, et que je lui dois une visite.

Je trouve votre vie fort réglée et fort bonne. Notre abbé vous aime avec une tendresse et une estime qu'il n'est pas aisé de dire en peu de mots; il attend avec impatience le plan de Grignan et la conversation de M. d'Arles; mais, sur toutes choses, il vous souhaiterait bien cent mille écus, soit pour faire achever votre château, soit pour tout ce qu'il vous plairait. Toutes les heures ne sont pas comme celles qu'on passe avec Pomenars, et même on s'ennuierait bientôt de lui: les réflexions qu'on fait sont bien contraires à la joie. Je vous ai mandé que je croyais que je ne bougerais d'ici ou de Vitré. Notre abbé ne peut quitter sa chapelle: le désert de Buron[170], ou l'ennui de Nantes avec madame de Molac, ne conviennent point à son humeur agissante. Je serai souvent ici; et madame de Chaulnes, pour m'ôter les visites, dira toujours qu'elle m'attend. Pour mon labyrinthe, il est net, il a des tapis verts, et les palissades sont à hauteur d'appui; c'est un aimable lieu: mais, hélas! ma chère enfant, il n'y a guère d'apparence que je vous y voie jamais.

Lettres de Madame de Sévigné

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