Читать книгу Toutes les Oeuvres Majeures du Marquis de Sade - Маркиз де Сад - Страница 32

I - INTRODUCTION

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Les guerres considérables que Louis XIV eut à soutenir pendant le cours de son règne, en épuisant les finances de l’État et les facultés du peuple, trouvèrent pourtant le secret d’enrichir une énorme quantité de ces sangsues toujours à l’affût des calamités publiques qu’ils font naître au lieu d’apaiser, et cela pour être à même d’en profiter avec plus d’avantages. La fin de ce règne, si sublime d’ailleurs, est peut-être une des époques de l’empire français où l’on vit le plus de ces fortunes obscures qui n’éclatent que par un luxe et des débauches aussi sourdes qu’elles. C’était vers la fin de ce règne et peu avant que le Régent eût essayé, par ce fameux tribunal connu sous le nom de Chambre de Justice, de faire rendre gorge à cette multitude de traitants, que quatre d’entre eux imaginèrent la singulière partie de débauche dont nous allons rendre compte.

Ce serait à tort que l’on imaginerait que la roture seule s’était occupée de cette maltôte ; elle avait à sa tête de très grands seigneurs. Le duc de Blangis et son frère l’évêque de ***, qui tous deux y avaient fait des fortunes immenses, sont des preuves incontestables que la noblesse ne négligeait pas plus que les autres les moyens de s’enrichir par cette voie. Ces deux illustres personnages, intimement liés et de plaisirs et d’affaires avec le célèbre Durcet et le président de Curval, furent les premiers qui imaginèrent la débauche dont nous écrivons l’histoire, et l’ayant communiquée à ces deux amis, tous quatre composèrent les acteurs de ces fameuses orgies.

Depuis plus de six ans ces quatre libertins, qu’unissait une conformité de richesses et de goûts, avaient imaginé de resserrer leurs liens par des alliances où la débauche avait bien plus de part qu’aucun des autres motifs qui fondent ordinairement ces liens ; et voilà quels avaient été leurs arrangements :

Le duc de Blangis, veuf de trois femmes, de l’une desquelles il lui restait deux filles, ayant reconnu que le président de Curval avait quelque envie d’épouser l’aînée de ces filles, malgré les familiarités qu’il savait très bien que son père s’était permises avec elle, le duc, dis-je, imagina tout d’un coup cette triple alliance. « Vous voulez Julie pour épouse, dit-il à Curval ; je vous la donne sans balancer et je ne mets qu’une condition : c’est que vous n’en serez point jaloux, qu’elle continuera, quoique votre femme, à avoir pour moi les mêmes complaisances qu’elle a toujours eues, et, de plus, que vous joindrez à moi pour déterminer notre ami commun Durcet de me donner sa fille Constance, pour laquelle je vous avoue que j’ai conçu à peu près les mêmes sentiments que vous avez formés pour Julie. — Mais, dit Curval, vous n’ignorez pas sans doute que Durcet, aussi libertin que vous… — Je sais tout ce qu’on peut savoir, reprit le duc. Est-ce à notre âge et avec notre façon de penser que des choses comme cela arrêtent ? Croyez-vous que je veuille une femme pour en faire ma maîtresse ? Je la veux pour servir mes caprices, pour voiler, pour couvrir une infinité de petites débauches secrètes que le manteau de l’hymen enveloppe à merveille. En un mot, je la veux comme vous voulez ma fille : croyez-vous que j’ignore et votre but et vos désirs ? Nous autres libertins, nous prenons des femmes pour être nos esclaves ; leur qualité d’épouses les rend plus soumises que des maîtresses, et vous savez de quel prix est le despotisme dans les plaisirs que nous goûtons. »

Sur ces entrefaites Durcet entra. Les deux amis lui rendirent compte de leur conversation, et le traitant, enchanté d’une ouverture qui le mettait à même d’avouer les sentiments qu’il avait également conçus pour Adélaïde, fille du président, accepta le duc pour son gendre aux conditions qu’il deviendrait celui de Curval. Les trois mariages ne tardèrent pas à se conclure, les dots furent immenses et les clauses égales. Le président, aussi coupable que ses deux amis, avait, sans dégoûter Durcet, avoué son petit commerce secret avec sa propre fille, au moyen de quoi les trois pères, voulant chacun conserver leurs droits, convinrent, pour les étendre encore davantage, que les trois jeunes personnes, uniquement liées de biens et de nom à leur époux, n’appartiendraient relativement au corps pas plus à l’un des trois qu’à l’autre, et également à chacun d’eux, sous peine des punitions les plus sévères si elles s’avisaient d’enfreindre aucune des clauses auxquelles on les assujettissait.

On était à la veille de conclure lorsque l’évêque de ***, déjà lié de plaisir avec les deux amis de son frère, proposa de mettre un quatrième sujet dans l’alliance, si on voulait le laisser participer aux trois autres. Ce sujet, la seconde fille du duc et par conséquent sa nièce, lui appartenait de bien plus près encore qu’on ne l’imaginait. Il avait eu des liaisons avec sa belle-sœur, et les deux frères savaient à n’en pouvoir douter que l’existence de cette jeune personne, qui se nommait Aline, était bien plus certainement due à l’évêque qu’au duc : l’évêque qui s’était, dès le berceau, chargé du soin d’Aline, ne l’avait pas, comme on imagine bien, vu arriver à l’âge des charmes sans en vouloir jouir. Ainsi il était sur ce point l’égal de ses confrères, et l’effet qu’il proposait dans le commerce avait le même degré d’avarie ou de dégradation ; mais comme ses attraits et sa tendre jeunesse l’emportaient encore sur ses trois compagnes, on ne balança point à accepter le marché. L’évêque, comme les trois autres, céda en conservant ses droits, et chacun de nos quatre personnages ainsi liés se trouva donc mari de quatre femmes.

Il s’ensuivit donc de cet arrangement, qu’il est à propos de récapituler pour la facilité du lecteur : que le duc, père de Julie, devint l’époux de Constance, fille de Durcet ; que Durcet, père de Constance, devint l’époux d’Adélaïde, fille du président ; que le président, père d’Adélaïde, devint l’époux de Julie, fille aînée du duc ; et que l’évêque, oncle et père d’Aline, devint l’époux des trois autres en cédant cette Aline à ses amis, aux droits près qu’il continuait de se réserver sur elle.

On fût à une terre superbe du duc, située dans le Bourbonnais, célébrer ces heureuses noces, et je laisse aux lecteurs à penser les orgies qui s’y firent. La nécessité d’en peindre d’autres nous interdit le plaisir que nous aurions de peindre celles-ci. À leur retour, l’association de nos quatre amis n’en devint que plus stable, et comme il importe de les faire bien connaître, un petit détail de leurs arrangements lubriques servira, ce me semble, à répandre du jour sur les caractères de ces débauches, en attendant que nous les reprenions chacun à leur tour séparément pour les mieux développer encore.

La société avait fait une bourse commune qu’administrait tour à tour l’un d’eux pendant six mois ; mais les fonds de cette bourse, qui ne devait servir qu’aux plaisirs, étaient immenses. Leur excessive fortune leur permettait des choses très singulières sur cela, et le lecteur ne doit point s’étonner quand on lui dira qu’il y avait deux millions par an affectés aux seuls plaisirs de la bonne chère et de la lubricité.

Quatre fameuses maquerelles10 pour les femmes et un pareil nombre de mercures11 pour les hommes n’avaient d’autres soins que de leur chercher, et dans la capitale et dans les provinces, tout ce qui, dans l’un et l’autre genre, pouvait le mieux assouvir leur sensualité. On faisait régulièrement ensemble quatre soupers par semaine dans quatre différentes maisons de campagne situées à quatre extrémités différentes de Paris. Le premier de ces soupers, uniquement destiné aux plaisirs de la sodomie, n’admettait uniquement que des hommes. On y voyait régulièrement seize jeunes gens de vingt à trente ans dont les facultés immenses faisaient goûter à nos quatre héros, en qualité de femmes, les plaisirs les plus sensuels. On ne les prenait qu’à la taille du membre, et il devenait presque nécessaire que ce membre superbe fût d’une telle magnificence qu’il n’eût jamais pu pénétrer dans aucune femme. C’était une clause essentielle, et comme rien n’était épargné pour la dépense, il arrivait bien rarement qu’elle ne fût pas remplie. Mais pour goûter à la fois tous les plaisirs, on joignait à ces seize maris un pareil nombre de garçons beaucoup plus jeunes et qui devaient remplir l’office de femmes. Ceux-ci prenaient depuis l’âge de douze ans jusqu’à celui de dix-huit, et il fallait, pour y être admis, une fraîcheur, une figure, des grâces, une tournure, une innocence, une candeur bien supérieures à tout ce que nos pinceaux pourraient peindre. Nulle femme ne pouvait être reçue à ces orgies masculines dans lesquelles s’exécutait tout ce que Sodome et Gomorrhe12 inventèrent jamais de plus luxurieux. Le second souper était consacré aux filles du bon ton qui, obligées là de renoncer à leur orgueilleux étalage et à l’insolence ordinaire de leur maintien, étaient contraintes, en raison des sommes reçues, de se livrer aux caprices les plus irréguliers et souvent même aux outrages qu’il plaisait à nos libertins de leur faire. On y en comptait communément douze, et comme Paris n’aurait pas pu fournir à varier ce genre aussi souvent qu’il l’eût fallu, on entremêlait ces soirées-là d’autres soirées, où l’on n’admettait uniquement dans le même nombre que des femmes comme il faut, depuis la classe des procureurs jusqu’à celle des officiers. Il y a plus de quatre ou cinq mille femmes à Paris, dans l’une ou l’autre de ces classes, que le besoin ou le luxe oblige à faire de ces sortes de parties ; il n’est question que d’être bien servi pour en trouver, et nos libertins, qui l’étaient supérieurement, trouvaient souvent des miracles dans cette classe singulière. Mais on avait beau être une femme honnête, il fallait se soumettre à tout, et le libertinage, qui n’admet jamais aucune borne, se trouvait singulièrement échauffé de contraindre à des horreurs et à des infamies ce qu’il semblait que la nature et la convention sociale dussent soustraire à des telles épreuves. On y venait, il fallait tout faire, et comme nos quatre scélérats avaient tous les goûts de la plus crapuleuse et de la plus insigne débauche, cet acquiescement essentiel à leurs désirs n’était pas une petite affaire. Le troisième souper était destiné aux créatures13 les plus viles et les plus souillées qui pussent se rencontrer. A qui connaît les écarts de la débauche, ce raffinement paraîtra tout simple ; il est très voluptueux de se vautrer, pour ainsi dire, dans l’ordure avec des créatures de cette classe ; on trouve là l’abandonnement le plus complet, la crapule la plus monstrueuse, l’avilissement le plus entier, et ces plaisirs, comparés à ceux qu’on a goûtés la veille, ou aux créatures distinguées qui nous les ont fait goûter, jettent un grand sel et sur l’un et sur l’autre excès. Là, comme la débauche était plus entière, rien n’était oublié pour la rendre et nombreuse et piquante. Il y paraissait cent putains dans le cours de six heures, et trop souvent toutes les cent ne sortaient pas entières. Mais ne précipitons rien ; ce raffinement-ci tient à des détails où nous ne sommes pas encore. Le quatrième souper était réservé aux pucelles. On ne les recevait que jusqu’à quinze ans depuis sept. Leur condition était égale, il ne s’agissait que de leur figure : on la voulait charmante, et de la sûreté de leurs prémices : il fallait qu’elles fussent authentiques. Incroyable raffinement du libertinage : Ce n’était pas qu’ils voulussent assurément cueillir toutes ces roses, et comment l’eussent-ils pu, puisqu’elles étaient toujours offertes au nombre de vingt et que, de nos quatre libertins, deux seulement étaient en état de pouvoir procéder à cet acte, l’un des deux autres, le traitant, n’éprouvant plus absolument aucune érection, et l’évêque ne pouvant absolument jouir que d’une façon qui peut, j’en conviens, déshonorer une vierge, mais qui pourtant la laisse toujours bien entière. N’importe, il fallait que les vingt prémices14 y fussent, et celles qui n’étaient pas endommagées par eux devenaient devant eux la proie de certains valets aussi débauchés qu’eux et qu’ils avaient toujours à leur suite pour plus d’une raison. Indépendamment de ces quatre soupers, il y en avait tous les vendredis un secret et particulier, bien moins nombreux que les quatre autres, quoique peut-être infiniment plus cher. On n’admettait à celui-là que quatre jeunes demoiselles de condition, enlevées de chez leurs parents a force de ruse et d’argent. Les femmes de nos libertins partageaient presque toujours cette débauche, et leur extrême soumission, leurs soins, leurs services la rendaient toujours plus piquante. À l’égard de la chère faite à ces soupers, il est inutile de dire que la profusion y régnait autant que la délicatesse ; pas un seul de ces repas ne coûtait moins de dix mille francs et on y réunissait tout ce que la France et l’étranger peuvent offrir de plus rare et de plus exquis. Les vins et les liqueurs s’y trouvaient avec la même finesse et la même abondance, les fruits de toutes les saisons s’y trouvaient même pendant l’hiver, et l’on peut assurer en un mot que la table du premier monarque de la terre n’était certainement pas servie avec autant de luxe et de magnificence.

Revenons maintenant sur nos pas et peignons de notre mieux au lecteur chacun de ces quatre personnages en particulier, non en beau, non de manière à séduire ou à captiver, mais avec les pinceaux mêmes de la nature, qui malgré tout son désordre est souvent bien sublime, même alors qu’elle se déprave le plus. Car, osons le dire en passant, si le crime n’a pas ce genre de délicatesse qu’on trouve dans la vertu, n’est-il pas toujours plus sublime, n’a-t-il pas sans cesse un caractère de candeur et de sublimité qui l’emporte et l’emportera toujours sur les attraits monotones et efféminés de la vertu ? Nous parlerez-vous de l’utilité de l’un ou de l’autre ? Est-ce à nous de scruter les lois de la nature, est-ce à nous de décider si le vice lui étant tout aussi nécessaire que la vertu, elle ne nous inspire pas peut-être en portion égale du penchant à l’un ou à l’autre, en raison de ses besoins respectifs ? Mais poursuivons.

LE DUC DE BLANGIS, maître à dix-huit ans d’une fortune déjà immense et qu’il a beaucoup accrue par ses maltôtes depuis, éprouva tous les inconvénients qui naissent en foule autour d’un jeune homme riche, en crédit, et qui n’a rien à se refuser : presque toujours dans un tel cas la mesure des forces devient celle des vices, et on se refuse d’autant moins qu’on a plus de facilités à se procurer tout. Si le duc eût reçu de la nature quelques qualités primitives, peut-être eussent-elles balancé les dangers de sa position, mais cette mère bizarre, qui paraît quelquefois s’entendre avec la fortune pour que celle-ci favorise tous les vices qu’elle donne à de certains êtres dont elle attend des soins très différents de ceux que la vertu suppose, et cela parce qu’elle a besoin de ceux-là comme des autres, la nature, dis-je, en destinant Blangis à une richesse immense, lui avait précisément départi tous les mouvements, toutes les inspirations qu’il fallait pour en abuser. Avec un esprit très noir et très méchant, elle lui avait donné l’âme la plus scélérate et la plus dure, accompagnée des désordres dans les goûts et dans les caprices d’ou naissait le libertinage effrayant auquel le duc était si singulièrement enclin. Né faux, dur, impérieux, barbare, égoïste, également prodigue pour ses plaisirs et avare quand il s’agissait d’être utile, menteur, gourmand, ivrogne, poltron, sodomite, incestueux, meurtrier, incendiaire, voleur, pas une seule vertu ne compensait autant de vices. Que dis-je ? Non seulement il n’en révérait aucune, mais elles lui étaient toutes en horreur, et l’on lui entendait dire souvent qu’un homme, pour être véritablement heureux dans ce monde, devait non seulement se livrer à tous les vices, mais ne se permettre jamais une vertu, et qu’il n’était pas non seulement question de toujours mal faire, mais qu’il s’agissait même de ne jamais faire le bien. « Il y a tout plein de gens, disait le duc, qui ne se portent au mal que quand leur passion les y porte ; revenue de l’égarement, leur âme tranquille reprend paisiblement la route de la vertu, et passant ainsi leur vie de combats en erreurs et d’erreurs en remords, ils finissent sans qu’il puisse devenir possible de dire précisément quel rôle ils ont joué sur la terre. De tels êtres, continuait-il, doivent être malheureux : toujours flottants, toujours indécis, leur vie entière se passe à détester le matin ce qu’ils ont fait le soir. Bien sûrs de se repentir des plaisirs qu’ils goûtent, ils frémissent en se les permettant, de façon qu’ils deviennent tout à la fois et vertueux dans le crime et criminels dans la vertu. Mon caractère plus ferme, ajoutait notre héros, ne se démentira jamais ainsi. Je ne balance jamais dans mes choix, et comme je suis toujours certain de trouver le plaisir dans celui que je fais, jamais le repentir n’en vient émousser l’attrait. Ferme dans mes principes parce que je m’en suis formé de sûrs dès mes plus jeunes ans, j’agis toujours conséquemment à eux. Ils m’ont fait connaître le vide et le néant de la vertu ; je la hais, et l’on ne me verra jamais revenir à elle. Ils m’ont convaincu que le vice était seul fait pour faire éprouver à l’homme cette vibration morale et physique, source des plus délicieuses voluptés ; je m’y livre. Je me suis mis de bonne heure au-dessus des chimères15 de la religion, parfaitement convaincu que l’existence du créateur est une absurdité révoltante que les enfants ne croient même plus. Je n’ai nullement besoin de contraindre mes penchants dans la vue de lui plaire. C’est de la nature que je les ai reçus, ces penchants, et je l’irriterais en y résistant ; si elle me les a donnés mauvais, c’est qu’ils devenaient ainsi nécessaires à ses vues. Je ne suis dans ses mains qu’une machine qu’elle meut à son gré, et il n’est pas un de mes crimes qui ne la serve ; plus elle m’en conseille, plus elle en a besoin : je serais un sot de lui résister. Je n’ai donc contre moi que les lois, mais je les brave ; mon or et mon crédit me mettent au-dessus de ces fléaux vulgaires qui ne doivent frapper que le peuple. » Si l’on objectait au duc qu’il existait cependant chez tous les hommes des idées de juste et d’injuste qui ne pouvaient être que le fruit de la nature, puisqu’on les retrouvait également chez tous les peuples et même chez ceux qui n’étaient pas policés, il répondait affirmativement à cela que ces idées n’étaient jamais que relatives, que le plus fort trouvait toujours très juste ce que le plus faible regardait comme injuste, et qu’en les changeant tous deux de place, tous deux en même temps changeaient également de façon de penser ; d’ou il concluait qu’il n’y avait de réellement juste que ce qui faisait plaisir et d’injuste que ce qui faisait de la peine ; qu’à l’instant où il prenait cent louis dans la poche d’un homme, il faisait une chose très juste pour lui, quoique l’homme volé dût la regarder d’un autre œil ; que toutes ces idées n’étant donc qu’arbitraires, bien fou qui se laisserait enchaîner par elles. C’était par des raisonnements de cette espèce que le duc légitimait tous ses travers, et comme il avait tout l’esprit possible, ses arguments paraissaient décisifs. Modelant donc sa conduite sur sa philosophie, le duc, dès sa plus tendre jeunesse, s’était abandonné sans frein aux égarements les plus honteux et les plus extraordinaires. Son père, mort jeune, et l’ayant laissé, comme je l’ai dit, maître d’une fortune immense, avait pourtant mis pour clause que le jeune homme laisserait jouir sa mère, sa vie durant, d’une grande partie de cette fortune. Une telle condition déplut bientôt à Blangis, et le scélérat ne voyant que le poison qui pût l’empêcher d’y souscrire, il se détermina sur-le-champ à en faire usage. Mais le fourbe, débutant pour lors dans la carrière du vice, n’osa pas agir lui-même : il engagea une de ses sœurs, avec laquelle il vivait en intrigue criminelle, à se charger de cette exécution, en lui faisant entendre que si elle réussissait, il la ferait jouir d’une partie de la fortune dont cette mort le rendrait le maître. Mais la jeune personne eut horreur de cette action, et le duc, voyant que son secret mal confié allait peut-être être trahi, se décida dans la minute à réunir à sa victime celle qu’il avait voulu rendre sa complice. Il les mena à une de ses terres d’ou les deux infortunées ne revinrent jamais. Rien n’encourage comme un premier crime impuni. Après cette épreuve, le duc brisa tous les freins. Dès qu’un être quelconque opposait à ses désirs la plus légère entrave, le poison s’employait aussitôt. Des meurtres nécessaires, il passa bientôt aux meurtres de volupté : il conçut ce malheureux écart qui nous fait trouver des plaisirs dans les maux d’autrui ; il sentit qu’une commotion violente imprimée sur un adversaire quelconque rapportait à la masse de nos nerfs une vibration dont l’effet, irritant les esprits animaux qui coulent dans la concavité de ces nerfs, les oblige à presser les nerfs érecteurs, et à produire d’après cet ébranlement ce qu’on appelle une sensation lubrique. En conséquence, il se mit à commettre des vols et des meurtres, par unique principe de débauche et de libertinage, comme un autre, pour enflammer ces mêmes passions, se contente d’aller voir des filles. A vingt-trois ans, il fit partie avec trois de ses compagnons de vice, auxquels il avait inculqué sa philosophie, d’aller arrêter un carrosse public dans le grand chemin, de violer également les hommes et les femmes, de les assassiner après, de s’emparer de l’argent dont ils n’avaient assurément aucun besoin, et de se trouver tous trois la même nuit au bal de l’Opéra afin de prouver l’alibi. Ce crime n’eut que trop lieu : deux demoiselles charmantes furent violées et massacrées dans les bras de leur mère ; on joignit à cela une infinité d’autres horreurs, et personne n’osa le soupçonner. Las d’une épouse charmante que son père lui avait donnée avant de mourir, le jeune Blangis ne tarda pas de la réunir aux mânes16 de sa mère, de sa sœur et de toutes ses autres victimes, et cela pour épouser une fille assez riche, mais publiquement déshonorée et qu’il savait très bien être la maîtresse de son frère. C’était la mère d’Aline, l’une des actrices de notre roman et dont il a été question plus haut. Cette seconde épouse, bientôt sacrifiée comme la première, fit place à une troisième, qui le fut bientôt comme la seconde. On disait dans le monde que c’était l’immensité de sa construction qui tuait ainsi toutes ses femmes, et comme ce gigantesque était exact dans tous les points, le duc laissait germer une opinion qui voilait la vérité. Ce colosse effrayant donnait en effet l’idée d’Hercule ou d’un centaure : le duc avait cinq pieds onze pouces, des membres d’une force et d’une énergie, des articulations d’une vigueur, des nerfs d’une élasticité… Joignez à cela une figure mâle et fière, de très grands yeux noirs, de beaux sourcils bruns, le nez aquilin, de belles dents, l’air de la santé et de la fraîcheur, des épaules larges, une carrure épaisse quoique parfaitement coupée, les hanches belles, les fesses superbes, la plus belle jambe du monde, un tempérament de fer, une force de cheval, et le membre d’un véritable mulet, étonnamment velu, doué de la faculté de perdre son sperme aussi souvent qu’il le voulait dans un jour, même à l’âge de cinquante ans qu’il avait alors, une érection presque continuelle dans ce membre dont la taille était de huit pouces juste de pourtour sur douze de long, et vous aurez le portrait du duc de Blangis comme si vous l’eussiez dessiné vous-même. Mais si ce chef-d’œuvre de la nature était violent dans ses désirs, que devenait-il, grand dieu ! Quand l’ivresse de la volupté le couronnait. Ce n’était plus un homme, c’était un tigre en fureur. Malheur à qui servait alors ses passions : des cris épouvantables, des blasphèmes atroces s’élançaient de sa poitrine gonflée, des flammes semblaient alors sortir de ses yeux, il écumait, il hennissait, on l’eût pris pour le dieu même de la lubricité. Quelle que fût sa manière de jouir alors, ses mains nécessairement s’égaraient toujours, et l’on l’a vu plus d’une fois étrangler tout net une femme à l’instant de sa perfide décharge. Revenu de là, l’insouciance la plus entière sur les infamies qu’il venait de se permettre prenait aussitôt la place de son égarement, et de cette indifférence, de cette espèce d’apathie, naissaient presque aussitôt de nouvelles étincelles de volupté. Le duc, dans sa jeunesse, avait déchargé jusqu’à dix-huit fois dans un jour et sans qu’on le vît plus épuise à la dernière perte qu’à la première. Sept ou huit dans le même intervalle ne l’effrayaient point encore, malgré son demi-siècle. Depuis près de vingt-cinq ans, il s’était habitué à la sodomie passive, et il en soutenait les attaques avec la même vigueur qu’il les rendait activement, l’instant d’après, lui-même, quand il lui plaisait de changer de rôle. Il avait soutenu dans une gageure jusqu’à cinquante-cinq assauts dans un jour. Doué comme nous l’avons dit d’une force prodigieuse, une seule main lui suffisait pour violer une fille ; il l’avait prouvé plusieurs fois. Il paria un jour d’étouffer un cheval entre ses jambes, et l’animal creva à l’instant qu’il avait indiqué. Ses excès de table l’emportaient encore, s’il est possible, sur ceux du lit. On ne concevait pas ce que devenait l’immensité de vivres qu’il engloutissait. Il faisait régulièrement trois repas, et les faisait tous trois et fort longs et fort amples, et son seul ordinaire était toujours de dix bouteilles de vin de Bourgogne ; il en avait bu jusqu’à trente et pariait contre qui voudrait d’aller même à cinquante. Mais son ivresse prenant la teinte de ses passions, dès que les liqueurs ou les vins avaient échauffé son âme, il devenait furieux ; on était obligé de le lier. Et avec tout cela, qui l’eût dit ? Tant il est vrai que l’âme répond souvent bien mal aux dispositions corporelles, un enfant résolu eût effrayé ce colosse, et dès que pour se défaire de son ennemi, il ne pouvait plus employer ses ruses ou sa trahison, il devenait timide et lâche, et l’idée du combat le moins dangereux, mais à égalité de forces, l’eût fait fuir à l’extrémité de la terre. Il avait pourtant, selon l’usage, fait une campagne ou deux, mais il s’y était si tellement déshonoré qu’il avait sur-le-champ quitté le service. Soutenant sa turpitude avec autant d’esprit que d’effronterie, il prétendait hautement que la poltronnerie n’étant que le désir de sa conservation, il était parfaitement impossible à des gens sensés de la reprocher comme un défaut.

En conservant absolument les mêmes traits moraux et les adaptant à une existence physique infiniment inférieure à celle qui vient d’être tracée, on avait le portrait de L’ÉVÈQUE DE ***, frère du duc de Blangis. Même noirceur dans l’âme, même penchant au crime, même mépris pour la religion, même athéisme, même fourberie, l’esprit plus souple et plus adroit cependant et plus d’art à précipiter ses victimes, mais une taille fine et légère, un corps petit et fluet, une santé chancelante, des nerfs très délicats, une recherche plus grande dans les plaisirs, des facultés médiocres, un membre très ordinaire, petit même, mais se ménageant avec un tel art et perdant toujours si peu, que son imagination sans cesse enflammée le rendait aussi fréquemment que son frère susceptible de goûter le plaisir ; d’ailleurs des sensations d’une telle finesse, un agacement si prodigieux dans le genre nerveux, qu’il s’évanouissait souvent à l’instant de sa décharge et qu’il perdait presque toujours connaissance en la faisant. Il était âgé de quarante-cinq ans, la physionomie très fine, d’assez jolis yeux, mais une vilaine bouche et de vilaines dents, le corps blanc ; sans poil, le cul petit, mais bien pris et le vit de cinq pouces de tour sur dix de long. Idolâtre de la sodomie active et passive, mais plus encore de cette dernière, il passait sa vie à se faire enculer, et ce plaisir qui n’exige jamais une grande consommation de force s’arrangeait au mieux avec la petitesse de ses moyens. Nous parlerons ailleurs de ses autres goûts. A l’égard de ceux de la table, il les portait presque aussi loin que son frère, mais il y mettait un peu plus de sensualité. Monseigneur, aussi scélérat que son aîné, avait d’ailleurs par-devers lui des traits qui l’égalaient sans doute aux célèbres actions du héros qu’on vient de peindre. Nous contenterons d’en citer un ; il suffira à faire voir au lecteur de quoi un tel homme pouvait être capable et ce qu’il savait et pouvait faire ayant fait ce qu’on va lire.

Un de ses amis, homme puissamment riche, avait autrefois eu une intrigue avec une fille de condition, de laquelle il y avait eu deux enfants, une fille et un garçon. Il n’avait cependant jamais pu l’épouser, et la demoiselle était devenue la femme d’un autre. L’amant de cette infortunée mourut jeune, mais possesseur cependant d’une fortune immense ; n’ayant aucun parent dont il se souciât, il imagina de laisser tout son bien aux deux malheureux fruits de son intrigue. Au lit de mort, il confia son projet à l’évêque et le chargea de ces deux dots immenses, qu’il partagea en deux portefeuilles égaux et qu’il remit à l’évêque en lui recommandant l’éducation de ces deux orphelins et de leur remettre à chacun ce qui leur revenait, dès qu’ils auraient atteint l’âge prescrit par les lois. Il enjoignit en même temps au prélat de faire valoir jusque-là les fonds de ses pupilles, afin de doubler leur fortune. Il lui témoigna en même temps qu’il avait dessein de laisser éternellement ignorer à la mère ce qu’il faisait pour ses enfants et qu’il exigeait qu’absolument on ne lui en parlât jamais. Ces arrangements pris, le moribond ferma les yeux, et monseigneur se vit maître de près d’un million en billets de banque et de deux enfants. Le scélérat ne balança pas longtemps à prendre son parti : le mourant n’avait parlé qu’à lui, la mère devait tout ignorer, les enfants n’avaient que quatre ou cinq ans. Il publia que son ami en expirant avait laisse son bien aux pauvres, et dès le même jour le fripon s’en empara. Mais ce n’était pas assez de ruiner ces deux malheureux enfants ; l’évêque, qui ne commettait jamais un crime sans en concevoir à l’instant un nouveau, fut, muni du consentement de son ami, retirer ces enfants de la pension obscure où l’on les élevait, et les plaça chez des gens à lui, en se résolvant dès l’instant de les faire tous deux bientôt servir à ses perfides voluptés. Il les attendit jusqu’à treize ans. Le petit garçon atteignit le premier cet âge ; il s’en servit, l’assouplit à toutes ses débauches, et comme il était extrêmement joli, s’en amusa près de huit jours. Mais la petite fille ne réussit pas aussi bien : elle arriva fort laide à l’âge prescrit sans que rien arrêtât pourtant la lubrique fureur de notre scélérat. Ses désirs assouvis, il craignit que s’il laisse vivre ces enfants, ils ne vinssent à découvrir quelque chose du secret qui les intéressait. Il les conduisit à une terre de son frère, et sûr de retrouver dans un nouveau crime des étincelles de lubricité que la jouissance venait de lui faire perdre, il les immola tous deux à ses passions féroces, et accompagna leur mort d’épisodes si piquants et si cruels que sa volupté renaquit au sein des tourments dont il les accabla. Le secret n’est malheureusement que trop sûr, et il n’y a pas de libertin un peu ancré dans le vice qui ne sache combien le meurtre a d’empire sur les sens et combien il détermine voluptueusement une décharge. C’est une vérité dont il est bon que le lecteur se prémunisse avant que d’entreprendre la lecture d’un ouvrage qui doit autant développer ce système.

Tranquille désormais sur tous les événements, monseigneur revint jouir à Paris du fruit de ses forfaits, et sans le plus petit remords d’avoir trompé les intentions d’un homme hors d’état, par sa situation, d’éprouver ni peine ni plaisir.

LE PRÉSIDENT DE CURVAL était le doyen de la société. Agé de près de soixante ans, et singulièrement usé par la débauche, il n’offrait presque plus qu’un squelette. Il était grand, sec, mince, des yeux creux et éteints, une bouche livide et malsaine, le menton élevé, le nez long. Couvert de poils comme un satyre, un dos plat, des fesses molles et tombantes qui ressemblaient plutôt à deux sales torchons flottant sur le haut de ses cuisses ; la peau en était tellement flétrie à force de coups de fouet qu’on la tortillait autour des doigts sans qu’il le sentît. Au milieu de cela s’offrait, sans qu’on eût la peine d’écarter, un orifice immense dont le diamètre énorme, l’odeur et la couleur le faisaient plutôt ressembler à une lunette de commodités qu’au trou d’un cul ; et pour comble d’appas, il entrait dans les petites habitudes de ce pourceau de Sodome de laisser toujours cette partie-là dans un tel état de malpropreté qu’on y voyait sans cesse autour un bourrelet de deux pouces d’épaisseur. Au bas d’un ventre aussi plissé que livide et mollasse, on apercevait, dans une forêt de poils, un outil qui, dans l’état d’érection, pouvait avoir environ huit pouces de long sur sept de pourtour ; mais cet état n’était plus que fort rare, et il fallait une furieuse suite de choses pour le déterminer. Cependant il avait encore lieu au moins deux ou trois fois de la semaine, et le président alors enfilait indistinctement tous les trous, quoique celui du derrière d’un jeune garçon lui fût infiniment plus précieux. Le président s’était fait circoncire, de manière que la tête de son vit n’était jamais recouverte, cérémonie qui facilite beaucoup la jouissance et à laquelle tous les gens voluptueux devraient se soumettre. Mais l’un de ses objets est de tenir cette partie plus propre : il s’en fallait beaucoup qu’il se trouvât rempli chez Curval, car aussi sale en cette partie-là que dans l’autre, cette tête décalottée, déjà naturellement fort grosse, là devenait plus ample d’au moins un pouce de circonférence. Egalement malpropre sur toute sa personne, le président, qui à cela joignait des goûts pour le moins aussi cochons que sa personne, devenait un personnage dont l’abord assez malodorant eût pu ne pas plaire à tout le monde : mais ses confrères n’étaient pas gens à se scandaliser pour si peu de chose, et on ne lui en parlait seulement pas. Peu d’hommes avaient été aussi lestes et aussi débauchés que le président ; mais entièrement blasé, absolument abruti, il ne lui restait plus que la dépravation et la crapule du libertinage. Il fallait plus de trois heures d’excès, et d’excès les plus infâmes, pour obtenir de lui un chatouillement voluptueux. Quant à la décharge, quoiqu’elle eût lieu chez lui bien plus souvent que l’érection et presque une fois tous les jours, elle était cependant si difficile à obtenir, ou elle n’avait lieu qu’en procédant à des choses si singulières et souvent si cruelles ou si malpropres, que les agents de ses plaisirs y renonçaient souvent, et de là naissait chez lui une sorte de colère lubrique qui quelquefois, par ses effets, réussissait mieux que ses efforts. Curval était si tellement englouti dans le bourbier du vice et du libertinage qu’il lui était devenu comme impossible de tenir d’autres propos que de ceux-là. Il en avait sans cesse les plus sales expressions à la bouche comme dans le cœur, et il les entremêlait le plus énergiquement de blasphèmes et d’imprécations fournis par la véritable horreur qu’il avait, à l’exemple de ses confrères, pour tout ce qui était du ressort de la religion. Ce désordre d’esprit, encore augmenté par l’ivresse presque continuelle dans laquelle il aimait à se tenir, lui donnait depuis quelques années un air d’imbécillité et d’abrutissement qui faisait, prétendait-il, ses plus chères délices. Né aussi gourmand qu’ivrogne, lui seul était en état de tenir tête au duc, et nous le verrons, dans le cours de cette histoire, faire des prouesses en ce genre qui étonneront sans doute nos plus célèbres mangeurs. Depuis dix ans, Curval n’exerçait plus sa charge, non seulement il n’en était plus en état, mais je crois même que quand il l’aurait pu, on l’aurait prié de s’en dispenser toute sa vie.

Curval avait mené une vie fort libertine, toutes les espèces d’écarts lui étaient familiers, et ceux qui le connaissaient particulièrement le soupçonnaient fort de n’avoir jamais dû qu’à deux ou trois meurtres exécrables la fortune immense dont il jouissait. Quoi qu’il en soit, il est très vraisemblable à l’histoire suivante que cette espèce d’excès avait l’art de l’émouvoir puissamment, et c’est à cette aventure qui, malheureusement, eut un peu d’éclat, qu’il dut son exclusion de la Cour. Nous allons la rapporter pour donner au lecteur une idée de son caractère.

Curval avait dans le voisinage de son hôtel un malheureux portefaix qui, père d’une petite fille charmante, avait le ridicule d’avoir des sentiments. Déjà vingt fois des messages de toutes les façons étaient venus essayer de corrompre ce malheureux et sa femme par des propositions relatives à leur jeune fille sans pouvoir venir les ébranler, et Curval, directeur de ces ambassades et que la multiplication des refus ne faisait qu’irriter, ne savait plus comment s’y prendre pour jouir de la jeune fille et pour la soumettre à ses libidineux caprices, lorsqu’il imagina tout simplement de faire rouer le père pour amener la fille dans son lit. Le moyen fut aussi bien conçu qu’exécuté. Deux ou trois coquins gagés par le président s’en mêlèrent ; et avant la fin du mois le malheureux portefaix fut enveloppé dans un crime imaginaire que l’on eut l’air de commettre à sa porte et qui le conduisit tout de suite dans les cachots de la Conciergerie. Le président, comme on l’imagine bien, s’empara bientôt de cette affaire, et comme il n’avait pas envie de faire traîner l’affaire, en trois jours, grâce à ses coquineries et à son argent, le malheureux portefaix fut condamné à être roué vif, sans qu’il eût jamais commis d’autres crimes que celui de vouloir garder son honneur et de conserver celui de sa fille. Sur ces entrefaites, les sollicitations recommencèrent. On fut trouver la mère, on lui représenta qu’il ne tenait qu’à elle de sauver son mari, que si elle satisfaisait le président, il était clair qu’il arracherait par là son mari au sort affreux qui l’attendait. Il n’était plus possible de balancer. La femme consulta : on savait bien à qui elle s’adresserait, on avait gagné les conseils, et ils répondirent sans tergiverser qu’elle ne devait pas hésiter un moment. L’infortunée amène elle-même sa fille en pleurant au pied de son juge ; celui-ci promet tout ce qu’on veut, mais il était bien loin d’avoir envie de tenir sa parole. Non seulement il craignait, en la tenant, que le mari sauvé ne vînt à faire de l’éclat en voyant à quel prix on avait mis sa vie, mais le scélérat trouvait même encore un délice bien plus piquant à se faire donner ce qu’il voulait sans être obligé de rien tenir. Il s’était offert sur cela des épisodes de scélératesse à son esprit dont il sentait accroître sa perfide lubricité ; et voici comme il s’y prit pour mettre à la scène toute l’infamie et tout le piquant qu’il put. Son hôtel se trouvait en face d’un endroit où l’on exécute quelquefois des criminels à Paris, et comme le délit s’était commis dans ce quartier-là, il obtint que l’exécution serait faite sur cette place en question. A l’heure indiquée, il fit trouver chez lui la femme et la fille de ce malheureux. Tout était bien fermé du côté de la place de manière qu’on ne voyait, des appartements où il tenait ses victimes, rien du train qui pouvait s’y passer. Le scélérat, qui savait l’heure positive de l’exécution, prit ce moment-là pour dépuceler la petite fille dans les bras de sa mère, et tout fut arrangé avec tant d’adresse et de précision que le scélérat déchargeait dans le cul de la fille au moment où le père expirait. Dès que son affaire fut faite : « Venez voir, dit-il à ses deux princesses en ouvrant une fenêtre sur la place, venez voir comme je vous ai tenu parole. » Et les malheureuses virent, l’une son père, l’autre son mari, expirant sous le fer du bourreau. Toutes deux tombèrent évanouies, mais Curval avait tout prévu : cet évanouissement était leur agonie, elles étaient toutes deux empoisonnées, et elles ne rouvrirent jamais les yeux. Quelque précaution qu’il prît pour envelopper toute cette action des ombres du plus profond mystère, il en transpira néanmoins quelque chose ; on ignora la mort des femmes, mais on le soupçonna vivement de prévarication dans l’affaire du mari. Le motif fut à moitié connu, et de tout cela sa retraite résulta enfin. De ce moment, Curval, n’ayant plus de décorum à garder, se précipita dans un nouvel océan d’erreurs et de crimes. Il se fit chercher des victimes partout, pour les immoler à la perversité de ses goûts. Par un raffinement de cruauté atroce, et pourtant bien aise à comprendre, la classe de l’infortune était celle sur laquelle il aimait le plus à lancer les effets de sa perfide rage. Il avait plusieurs femmes qui lui cherchaient nuit et jour, dans les greniers et dans les galetas, tout ce que la misère pouvait offrir de plus abandonné, et sous le prétexte de leur donner des secours, ou il les empoisonnait, ce qui était un de ses plus délicieux passe-temps, ou il les attirait chez lui et les immolait lui-même à la perversité de ses goûts. Hommes, femmes, enfants, tout était bon à sa perfide rage, et il commettait sur cela des excès qui l’auraient fait porter mille fois sa tête sur un échafaud, sans son crédit et son or qui l’en préservèrent mille fois. On imagine bien qu’un tel être n’avait pas plus de religion que ses deux confrères, il la détestait sans doute aussi souverainement, mais il avait jadis plus fait pour l’extirper dans les cœurs, car, profitant de l’esprit qu’il avait eu pour être comme elle, il était auteur de plusieurs ouvrages dont les effets avaient été prodigieux, et ces succès, qu’il se rappelait sans cesse, étaient encore une de ses plus chères voluptés.

Plus nous multiplions les objets de nos jouissances…

Placez là le portrait de Durcet, comme il est au cahier l8, relié en rose, puis, après avoir terminé ce portrait par ces mots du cahier : … les débiles années de l’enfance, reprenez ainsi :

DURCET est âgé de cinquante-trois ans, il est petit, court, gros, fort épais, une figure agréable et fraîche, la peau très blanche, tout le corps, et principalement les hanches et les fesses, absolument comme une femme ; son cul est frais, gras, ferme et potelé, mais excessivement ouvert par l’habitude de la sodomie ; son vit est extraordinairement petit : à peine a-t-il deux pouces de tour sur quatre de long ; il ne bande absolument plus ; ses décharges sont rares et fort pénibles, peu abondantes et toujours précédées de spasmes qui le jettent dans une espèce de fureur qui le porte au crime ; il a de la gorge comme une femme, une voix douce et agréable, et fort honnête en société, quoique sa tête soit pour le moins aussi dépravée que celle de ses confrères ; camarade d’école du Duc, ils s’amusent encore journellement ensemble, et l’un des grands plaisirs de Durcet est de se faire chatouiller l’anus par le membre énorme du duc.

Tels sont en un mot, cher lecteur, les quatre scélérats avec lesquels je vais te faire passer quelques mois. Je te les ai dépeints de mon mieux pour que tu les connaisses à fond et que rien ne t’étonne dans le récit de leurs différents écarts. Il m’a été impossible d’entrer dans le détail particulier de leurs goûts : j’aurais nui à l’intérêt et au plan principal de cet ouvrage en te les divulguant. Mais à mesure que le récit s’acheminera, on n’aura qu’à les suivre avec attention, et l’on démêlera facilement leurs petits péchés d’habitude et l’espèce de manie voluptueuse qui les flatte le mieux chacun en particulier. Tout ce que l’on peut dire à présent en gros, c’est qu’ils étaient généralement susceptibles du goût de la sodomie, que tous quatre se faisaient enculer régulièrement, et que tous quatre idolâtraient les culs. Le duc cependant, relativement à l’immensité de sa construction et plutôt sans doute par cruauté que par goût, foutait encore des cons avec le plus grand plaisir. Le président quelquefois aussi, mais plus rarement. Quant à l’évêque, il les détestait si souverainement que leur seul aspect l’eût fait débander pour six mois. Il n’en avait jamais foutu qu’un dans sa vie, celui de sa belle-sœur, et dans la vue d’avoir un enfant qui pût lui procurer un jour les plaisirs de l’inceste ; on a vu comment il avait réussi. A l’égard de Durcet, il idolâtrait le cul pour le moins avec autant d’ardeur que l’évêque, mais il en jouissait plus accessoirement ; ses attaques favorites se dirigeaient dans un troisième temple. La suite nous dévoilera ce mystère.

Achevons des portraits essentiels à l’intelligence de cet ouvrage et donnons aux lecteurs maintenant une idée des quatre épouses de ces respectables maris.

Quel contraste ! CONSTANCE, femme du duc et fille de Durcet, était une grande femme mince, faite à peindre, et tournée comme si les Grâces eussent pris plaisir à l’embellir. Mais l’élégance de sa taille n’enlevait rien à sa fraîcheur : elle n’en était pas moins grasse et potelée et les formes les plus délicieuses, s’offrant sous une peau plus blanche que les lys, achevaient de faire imaginer souvent que l’Amour même avait pris soin de la former. Son visage était un peu long, ses traits extraordinairement nobles, plus de majesté que de gentillesse et plus de grandeur que de finesse. Ses yeux étaient grands, noirs et pleins de feu, sa bouche extrêmement petite et ornée des plus belles dents qu’on pût soupçonner ; elle avait la langue mince, étroite, du plus bel incarnat, et son haleine était plus douce que l’odeur même de la rose. Elle avait la gorge pleine, fort ronde, de la blancheur et de la fermeté de l’albâtre ; ses reins, extraordinairement cambrés, amenaient, par une chute délicieuse, au cul le plus exactement et le plus artistement coupé que la nature eût produit depuis longtemps. Il était du rond le plus exact, pas très gros, mais ferme, blanc, potelé et ne s’entrouvrant que pour offrir le petit trou le plus propre, le plus mignon et le plus délicat ; une nuance du rose le plus tendre colorait ce cul, charmant asile des plus doux plaisirs de la lubricité. Mais, grand dieu ! Qu’il conserva peu longtemps tant d’attraits ! Quatre ou cinq attaques du duc en flétrirent bientôt toutes les grâces, et Constance, après son mariage, ne fut bientôt plus que l’image d’un beau lys que la tempête vient d’effeuiller. Deux cuisses rondes et parfaitement moulées soutenaient un autre temple, moins délicieux sans doute, mais qui offrait au spectateur tant d’attraits que ma plume entreprendrait en vain de les peindre. Constance était à peu près vierge quand le duc l’épousa, et son père le seul homme qu’elle eût connu, l’avait, comme on l’a dit, laissée bien parfaitement entière de ce côté-là. Les plus beaux cheveux noirs, retombant en boucles naturelles par-dessus les épaules et, quand on le voulait, jusque sur le joli poil de même couleur qui ombrageait ce petit con voluptueux, devenaient une nouvelle parure que j’eusse été coupable d’omettre, et achevaient de prêter à cette créature angélique, âgée d’environ vingt-deux ans, tous les charmes que la nature peut prodiguer à une femme. A tous ces agréments, Constance joignait un esprit juste, agréable, et même plus élevé qu’il n’eût dû être dans la triste situation où l’avait placée le sort, car elle en sentait toute l’horreur, et elle eût été bien plus heureuse sans doute avec des perceptions moins délicates. Durcet, qui l’avait élevée plutôt comme une courtisane que comme sa fille et qui ne s’était occupé qu’à lui donner des talents bien plutôt que des mœurs, n’avait pourtant jamais pu détruire dans son cœur les principes d’honnêteté et de vertu qu’il semblait que la nature y eût gravés à plaisir. Elle n’avait point de religion, on ne lui en avait jamais parlé, on n’avait jamais souffert qu’elle en pratiquât aucun exercice, mais tout cela n’avait point éteint dans elle cette pudeur, cette modestie naturelle, indépendantes des chimères religieuses et qui, dans une âme honnête et sensible, s’effacent bien difficilement. Elle n’avait jamais quitté la maison de son père, et le scélérat, dès l’âge de douze ans, l’avait fait servir à ses crapuleux plaisirs. Elle trouva bien de la différence dans ceux que goûtait le duc avec elle ; son physique s’altéra sensiblement de cette distance énorme, et le lendemain de ce que le duc l’eut dépucelée sodomitement, elle tomba dangereusement malade : on lui crut le rectum absolument percé. Mais sa jeunesse, sa santé, et l’effet de quelques topiques salutaires, rendirent bientôt au duc l’usage de cette voie défendue, et la malheureuse Constance, contrainte à s’accoutumer à ce supplice journalier qui n’était pas le seul, se rétablit entièrement et s’habitua à tout.

ADÉLAÏDE, femme de Durcet et fille du président, était une beauté peut-être supérieure à Constance, mais dans un genre absolument tout autre. Elle était âgée de vingt ans, petite, mince, extrêmement fluette et délicate, faite à peindre, les plus beaux cheveux blonds qu’on puisse voir. Un air d’intérêt et de sensibilité, répandu sur toute sa personne et principalement dans ses traits, lui donnait l’air d’une héroïne de roman. Ses yeux, extraordinairement grands, étaient bleus ; ils exprimaient à la fois la tendresse et la décence. Deux grands sourcils minces, mais singulièrement tracés, ornaient un front peu élevé, mais d’une noblesse, d’un tel attrait, qu’on eût dit qu’il était le temple de la pudeur même. Son nez étroit, un peu serré du haut, descendait insensiblement dans une forme demi-aquiline. Ses lèvres étaient minces, bordées de l’incarnat le plus vif, et sa bouche un peu grande, c’était le seul défaut de sa céleste physionomie, ne s’ouvrait que pour faire voir trente-deux perles que la nature avait l’air d’avoir semées parmi des roses. Elle avait le col un peu long, singulièrement attaché, et, par une habitude assez naturelle, la tête toujours un peu penchée sur l’épaule droite, surtout quand elle écoutait ; mais que de grâce lui prêtait cette intéressante attitude ! Sa gorge était petite, fort ronde, très ferme et très soutenue, mais à peine y avait-il de quoi remplir la main ; c’était comme deux petites pommes que l’Amour en se jouant avait apportées là du jardin de sa mère. Sa poitrine était un peu pressée, aussi l’avait-elle fort délicate. Son ventre était uni et comme du satin ; une petite motte blonde peu fournie servait comme de péristyle au temple où Vénus semblait exiger son hommage. Ce temple était étroit, au point de n’y pouvoir même introduire un doigt sans la faire crier, et cependant, grâce au président, depuis près de deux lustres, la pauvre enfant n’était plus vierge, ni par là, ni du côté délicieux qu’il nous reste encore à tracer. Que d’attraits possédait ce second temple, quelle chute de reins, quelle coupe de fesses, que de blancheur et d’incarnat réunis ! Mais l’ensemble était un peu petit. Délicate dans toute ses formes, Adélaïde était plutôt l’esquisse que le modèle de la beauté ; il semblait que la nature n’eût voulu qu’indiquer dans Adélaïde ce qu’elle avait prononcé si majestueusement dans Constance. Entrouvrait-on ce cul délicieux, un bouton de rose s’offrait alors à vous et c’était dans toute sa fraîcheur et dans l’incarnat le plus tendre que la nature voulait vous le présenter. Mais quel étroit, quelle petitesse ! Ce n’était qu’avec des peines infinies que le président avait pu réussir, et il n’avait jamais pu renouveler que deux ou trois fois ces assauts. Durcet, moins exigeant, la rendait peu malheureuse sur cet objet, mais depuis qu’elle était sa femme, par combien d’autres complaisances cruelles, par quelle quantité d’autres soumissions dangereuses ne lui fallait-il pas acheter ce petit bienfait ! Et d’ailleurs, livrée aux quatre libertins, comme elle le devenait par l’arrangement pris, que de cruels assauts n’avait-elle pas encore à soutenir, et dans le genre dont Durcet lui faisait grâce, et dans tous les autres ! Adélaïde avait l’esprit que lui supposait sa figure, c’est-à-dire extrêmement romanesque ; les lieux solitaires étaient ceux qu’elle recherchait avec le plus de plaisir, et elle y versait souvent des larmes involontaires, larmes que l’on n’étudie pas assez et qu’il semble que le pressentiment arrache à la nature. Elle avait perdu depuis peu une amie qu’elle idolâtrait, et cette perte affreuse se présentait sans cesse à son imagination. Comme elle connaissait son père à merveille et qu’elle savait à quel point il portait l’égarement, elle était persuadée que sa jeune amie était devenue la victime des scélératesses du président, parce qu’il n’avait jamais pu la déterminer à lui accorder de certaines choses, et le fait n’était pas sans vraisemblance : Elle s’imaginait qu’on lui en ferait quelque jour autant, et tout cela n’était pas improbable. Le président n’avait pas pris pour elle la même attention, relativement à la religion, que Durcet avait prise pour Constance, il avait laissé naître et fomenter le préjugé, imaginant que ses discours et ses livres le détruiraient facilement. Il se trompa : la religion est l’aliment d’une âme de la complexion de celle d’Adélaïde. Le président eut beau prêcher, beau faire lire, la jeune personne resta dévote, et tous ces écarts qu’elle ne partageait point, qu’elle haïssait et dont elle était victime, étaient bien loin de la détromper sur des chimères qui faisaient le bonheur de sa vie. Elle se cachait pour prier Dieu, elle se dérobait pour remplir ses devoirs de chrétienne, et ne manquait jamais d’être punie très sévèrement, ou par son père, ou par son mari, dès que l’un ou l’autre s’en apercevait. Adélaïde souffrait tout en patience, bien persuadée que le Ciel la dédommagerait un jour. Son caractère d’ailleurs était aussi doux que son esprit, et sa bienfaisance, l’une des vertus qui la faisaient le plus détester de son père, allait jusqu’à l’excès. Curval, irrité contre cette classe vile de l’indigence, ne cherchait qu’à l’humilier, à l’avilir davantage ou à y trouver des victimes ; sa généreuse fille, au contraire, se serait passée de sa propre subsistance pour procurer celle du pauvre, et on l’avait souvent vue aller lui porter en cachette toutes les sommes destinées à ses plaisirs. Enfin Durcet et le président la tancèrent et la morigénèrent si bien, qu’ils la corrigèrent de cet abus et lui en enlevèrent absolument tous les moyens. Adélaïde, n’ayant plus que ses larmes à offrir à l’infortune, allait encore les répandre sur leurs maux, et son cœur impuissant, mais toujours sensible, ne pouvait cesser d’être vertueux. Elle apprit un jour qu’une malheureuse femme allait venir prostituer sa fille au président, parce que l’extrême besoin l’y contraignait. Déjà le paillard enchanté se préparait à cette jouissance du genre de celle qu’il aimait le mieux ; Adélaïde fit vendre en secret une de ses robes, en fit donner tout de suite l’argent à la mère et la détourna, par ce petit secours et quelque sermon, du crime qu’elle allait commettre. Le président venant à le savoir (sa fille n’était pas encore mariée) se porta contre elle à de telles violences qu’elle en fut quinze jours au lit, et tout cela sans que rien pût arrêter l’effet des tendres mouvements de cette âme sensible.

JULIE, femme du président et fille aînée du duc, eût effacé les deux précédentes sans un défaut capital pour beaucoup de gens, et qui peut-être avait décidé seul la passion de Curval pour elle ; tant il est vrai que les effets des passions sont inconcevables et que leur désordre, fruit du dégoût et de la satiété, ne peut se comparer qu’à leurs écarts. Julie était grande, bien faite, quoique très grasse et très potelée, les plus beaux yeux bruns possibles, le nez charmant, les traits saillants et gracieux, les plus beaux cheveux châtains, le corps blanc et dans le plus délicieux embonpoint, un cul qui eût pu servir de modèle à celui que sculpta Praxitèle17, le con chaud, étroit et d’une jouissance aussi agréable que peut l’être un tel local, la jambe belle et le pied charmant, mais la bouche la plus mal ornée, les dents les plus infectes, et d’une saleté d’habitude sur tout le reste de son corps, et principalement aux deux temples de la lubricité, que nul autre être, je le répète, nul autre être que le président, sujet aux mêmes défauts et les aimant sans doute, nul autre assurément, malgré tous ses attraits, ne se fût arrangé de Julie. Mais pour Curval, il en était fou : ses plus divins plaisirs se cueillaient sur cette bouche puante, il était dans le délire en la baisant, et quant à sa malpropreté naturelle, bien loin de la lui reprocher, il l’y excitait au contraire et avait enfin obtenu qu’elle ferait un parfait divorce avec l’eau. A ces défauts Julie en joignait quelques autres, mais moins désagréables sans doute : elle était très gourmande, elle avait du penchant à l’ivrognerie, peu de vertu, et je crois que si elle l’eût osé, le putanisme l’eût fort peu effrayée. Elevée par le duc dans un abandon total de principes et de mœurs, elle adoptait assez cette philosophie, et de tout point sans doute il y avait de quoi faire un sujet ; mais, par un effet encore très bizarre du libertinage, il arrive souvent qu’une femme qui a nos défauts nous plaît bien moins dans nos plaisirs qu’une qui n’a que des vertus : l’une nous ressemble, nous ne la scandalisons pas ; l’autre s’effraye, et voilà un attrait bien certain de plus. Le duc, malgré l’énormité de sa construction, avait joui de sa fille, mais il avait été obligé de l’attendre jusqu’à quinze ans, et malgré cela il n’avait pu empêcher qu’elle ne fût très endommagée de l’aventure, et tellement, qu’ayant envie de la marier, il avait été obligé de cesser ses jouissances et de se contenter avec elle de plaisirs moins dangereux, quoique pour le moins aussi fatigants : Julie gagnait peu avec le président, dont on sait que le vit était fort gros, et d’ailleurs quelque malpropre qu’elle fût elle-même par négligence, elle ne s’arrangeait nullement d’une saleté de débauche telle qu’était celle du président, son cher époux.

ALINE, sœur cadette de Julie et réellement fille de l’évêque, était bien éloignée et des habitudes et du caractère et des défauts de sa sœur. C’était la plus jeune des quatre : à peine avait-elle dix-huit ans ; c’était une petite physionomie piquante, fraîche et presque mutine, un petit nez retroussé, des yeux bruns pleins de vivacité et d’expression, une bouche délicieuse, une taille très bien prise quoique peu grande, bien en chair, la peau un peu brune, mais douce et belle, le cul un peu gros, mais moulé, l’ensemble des fesses le plus voluptueux qui pût s’offrir à l’œil du libertin, une motte brune et jolie, le con un peu bas, ce qu’on appelle à l’anglaise, mais parfaitement étroit, et, quand on l’offrit à l’assemblée, elle était exactement pucelle. Elle l’était encore, lors de la partie dont nous écrivons l’histoire, et nous verrons comme ces prémices furent anéanties. A l’égard de celles du cul, depuis huit ans l’évêque en jouissait paisiblement tous les jours, mais sans en avoir fait prendre le goût à sa chère fille qui, malgré son air espiègle et émoustillé, ne se prêtait pourtant que par obéissance et n’avait pas encore démontré que le plus léger plaisir lui fît partager les infamies dont on la rendait journellement victime. L’évêque l’avait laissée dans une ignorance profonde ; à peine savait-elle lire et écrire, et elle ignorait absolument ce que c’était que la religion. Son esprit naturel n’était guère que de l’enfantillage, elle répondait drôlement, elle jouait, aimait beaucoup sa sœur, détestait souverainement l’évêque et craignait le duc comme le feu. Le jour des noces, quand elle se vit au milieu de quatre hommes, elle pleura, et fit d’ailleurs tout ce qu’on voulut d’elle, sans plaisir comme sans humeur. Elle était sobre, très propre et n’ayant d’autre défaut que beaucoup de paresse, la nonchalance régnant dans toutes ses actions et dans toute sa personne, malgré l’air de vivacité que ses yeux annonçaient. Elle abhorrait le président presque autant que son oncle, et Durcet, qui ne la ménageait pourtant pas, était néanmoins le seul pour lequel elle eût l’air de n’avoir aucune répugnance.

Tels étaient donc les huit principaux personnages avec lesquels nous allons vous faire vivre, mon cher lecteur. Il est temps de vous dévoiler maintenant l’objet des plaisirs singuliers qu’on se proposait.

Il est reçu, parmi les véritables libertins, que les sensations communiquées par l’organe de l’ouïe sont celles qui flattent davantage et dont les impressions sont les plus vives. En conséquence, nos quatre scélérats, qui voulaient que la volupté s’imprégnât dans leur cœur aussi avant et aussi profondément qu’elle y pouvait pénétrer, avaient à ce dessein imaginé une chose assez singulière. Il s’agissait, après s’être entouré de tout ce qui pouvait le mieux satisfaire les autres sens par la lubricité, de se faire en cette situation raconter avec les plus grands détails, et par ordre, tous les différents écarts de cette débauche, toutes ses branches, toutes ses attenances, ce qu’on appelle en un mot, en langue de libertinage, toutes les passions. On n’imagine point à quel degré l’homme les varie, quand son imagination s’enflamme. Leur différence entre eux, excessive dans toutes leurs autres manies, dans tous leurs autres goûts, l’est encore bien davantage dans ce cas-ci, et qui pourrait fixer et détailler ces écarts ferait peut-être un des plus beaux travaux que l’on pût voir sur les mœurs et peut-être un des plus intéressants. Il s’agissait donc d’abord de trouver des sujets en état de rendre compte de tous ces excès, de les analyser, de les étendre, de les détailler, de les graduer et de placer au travers de cela l’intérêt d’un récit. Tel fut en conséquence le parti qui fut pris. Après des recherches et des informations sans nombre, on trouva quatre femmes déjà sur le retour (c’est ce qu’il fallait, l’expérience ici était la chose la plus essentielle), quatre femmes, dis-je, qui, ayant passé leur vie dans la débauche la plus excessive, se trouvaient en état de rendre un compte exact de toutes ces recherches. Et, comme on s’était appliqué à les choisir douées d’une certaine éloquence et d’une tournure d’esprit propre à ce qu’on en exigeait, après s’être entendues et recordées, toutes quatre furent en état de placer, chacune dans les aventures de leur vie, tous les écarts les plus extraordinaires de la débauche, et cela dans un tel ordre, que la première, par exemple, placerait dans le récit des événements de sa vie les cent cinquante passions les plus simples et les écarts les moins recherchés ou les plus ordinaires, la seconde, dans un même cadre, un égal nombre de passions plus singulières et d’un ou plusieurs hommes avec plusieurs femmes ; la troisième également, dans son histoire, devait introduire cent cinquante manies des plus criminelles et des plus outrageantes aux lois, à la nature et à la religion ; et comme tous ces excès mènent au meurtre et que ces meurtres commis par libertinage se varient à l’infini et autant de fois que l’imagination enflammée du libertin adopte de différents supplices, la quatrième devait joindre aux événements de sa vie le récit détaillé de cent cinquante de ces différentes tortures. Pendant ce temps-là, nos libertins, entourés, comme je l’ai dit d’abord, de leurs femmes et ensuite de plusieurs autres objets dans tous les genres, écouteraient, s’échaufferaient la tête et finiraient par éteindre, avec ou leurs femmes ou ces différents objets, l’embrasement que les conteuses auraient produit. Il n’y a aucun doute rien de plus voluptueux dans ce projet que la manière luxurieuse dont on y procéda, et ce sont et cette manière et ces différents récits qui vont former cet ouvrage, que je conseille, d’après cet exposé, à tout dévot de laisser la tout de suite s’il ne veut pas être scandalisé, car il voit que le plan est peu chaste, et nous osons lui répondre d’avance que l’exécution le sera encore bien moins.

Comme les quatre actrices dont il s’agit ici jouent un rôle très essentiel dans ces mémoires, nous croyons, dussions-nous en demander excuse au lecteur, être encore obligé de les peindre. Elles raconteront, elles agiront : est-il possible, d’après cela, de les laisser inconnues ? Qu’on ne s’attende pas à des portraits de beauté, quoiqu’il y eût sans doute des projets de se servir physiquement comme moralement de ces quatre créatures. Néanmoins, ce n’était uniquement leur esprit et leur expérience, et il était, dans ce sens-là, impossible d’être mieux servi qu’on ne le fut.

MADAMME DUCLOS était le nom de celle que l’on chargeait du récit des cent cinquante passions simples. C’était une femme de quarante-huit ans, encore assez fraîche, qui avait de grands restes de beauté, des yeux fort beaux, la peau fort blanche, et l’un des plus beaux culs et des plus potelés qu’on pût voir, la bouche fraîche et propre, le sein superbe et de jolis cheveux bruns, la taille grosse, mais élevée, et tout l’air et le ton d’une fille du très bon air. Elle avait passé, comme on le verra, sa vie dans des endroits où elle avait été bien à même d’étudier ce qu’elle allait raconter, et on voyait qu’elle devait s’y prendre avec esprit, facilité et intérêt.

MADAMME CHAMPVILLE était une grande femme d’environ cinquante ans, mince, bien faite, l’air le plus voluptueux dans le regard et dans la tournure ; fidèle imitatrice de Sapho18, elle en avait l’expression jusque dans les plus petits mouvements, dans les gestes les plus simples et dans ses moindres paroles. Elle s’était ruinée à entretenir des femmes, et sans ce goût, auquel elle sacrifiait généralement ce qu’elle pouvait gagner dans le monde, elle eût été très à son aise. Elle avait été très longtemps fille publique et, depuis quelques années elle faisait à son tour le métier d’appareilleuse19, mais elle était resserrée dans un certain nombre de pratiques, tous paillards sûrs et d’un certain âge ; jamais elle ne recevait de jeunes gens, et cette conduite prudente et lucrative raccommodait un peu ses affaires. Elle avait été blonde, mais une teinte plus sage commençait à colorer sa chevelure. Ses yeux étaient toujours fort beaux, bleus et d’une expression très agréable. Sa bouche était belle, fraîche encore et parfaitement entière ; pas de gorge, le ventre bien ; elle n’avait jamais fait d’envie, la motte un peu élevée et le clitoris saillant de plus de trois pouces quand il était échauffé : en la chatouillant sur cette partie, on était bientôt sûr de la voir se pâmer, et surtout si le service lui était rendu par une femme. Son cul était très flasque et très usé, entièrement mou et flétri, et tellement endurci par les habitudes libidineuses que son histoire nous expliquera, qu’on pouvait y faire tout ce qu’on voulait sans qu’elle le sentît. Une chose assez singulière, et assurément fort rare à Paris surtout, c’est qu’elle était pucelle de ce côté comme une fille qui sort du couvent, et peut-être, dans la maudite partie où elle s’engagea, et où elle s’engagea avec des gens qui ne voulaient que des choses extraordinaires et à qui par conséquent celle-là plut, peut-être, dis-je, sans cette partie-là, ce pucelage singulier fût-il mort avec elle.

LA MARTAINE, grosse maman de cinquante-deux ans, bien fraîche et bien saine et douée du plus gros et du plus beau fessier qu’on pût avoir, offrait absolument le contraire de l’aventure. Elle avait passé sa vie dans cette débauche sodomite, et y était tellement familiarisée qu’elle ne goûtait absolument de plaisir que par là. Une difformité de la nature (elle était barrée) l’ayant empêchée de connaître autre chose, elle s’était livrée à cette espèce de plaisir, entraînée et par cette impossibilité de faire autre chose et par de premières habitudes, moyennant quoi elle s’en tenait à cette lubricité dans laquelle on prétend qu’elle était encore délicieuse, bravant tout, ne redoutant rien. Les plus monstrueux engins ne l’effrayaient pas, elle les préférait même, et la suite de ces mémoires nous l’offrira peut-être combattant valeureusement encore sous les étendards de Sodome comme le plus intrépide des bougres. Elle avait des traits assez gracieux, mais un air de langueur et de dépérissement commençait à flétrir ses attraits, et sans son embonpoint qui la soutenait encore, elle eût pu déjà passer pour très usée.

Pour la DESGRANGES, c’étaient le vice et la luxure personnifiés : grande, mince, âgée de cinquante-six ans, l’air livide et décharné, les yeux éteints, les lèvres mortes, elle donnait l’image du crime prêt à périr faute de force. Elle avait été jadis brune ; on avait prétendu même qu’elle avait un beau corps ; peu après, ce n’était plus qu’un squelette qui ne pouvait inspirer que du dégoût. Son cul flétri, usé, marqué, déchiré, ressemblait plutôt à du papier marbré qu’à de la peau humaine, et le trou en était tellement large et ridé que les plus gros engins, sans qu’elle le sentît, pouvaient y pénétrer à sec. Pour comble d’agréments, cette généreuse athlète de Cythère20, blessée dans plusieurs combats, avait un téton de moins et trois doigts de coupés ; elle boitait, et il lui manquait six dents et un œil. Nous apprendrons peut-être à quel genre d’attaques elle avait été si maltraitée ; ce qu’il y a de bien sûr, c’est que rien ne l’avait corrigée, et si son corps était l’image de la laideur, son âme était le réceptacle de tous les vices et de tous les forfaits les plus inouïs. Incendiaire, parricide, incestueuse, sodomite, tribade21, meurtrière, empoisonneuse, coupable de viols, de vols, d’avortements et de sacrilèges, on pouvait affirmer avec vérité qu’il n’y avait pas un seul crime dans le monde que cette coquine-là n’eût commis ou fait commettre. Son état actuel était le maquerellage ; elle était l’une des fournisseuses attitrées de la société, et comme à beaucoup d’expérience elle joignait un jargon assez agréable, on l’avait choisie pour remplir le quatrième rôle d’historienne, c’est-à-dire dans le récit duquel il devait se rencontrer le plus d’horreurs et d’infamies. Qui, mieux qu’une créature qui les avait toutes faites, pouvait jouer ce personnage-là ?

Ces femmes trouvées, et trouvées dans tous points telles qu’on pouvait les désirer, il fallut s’occuper des accessoires. On avait d’abord désiré de s’entourer d’un grand nombre d’objets luxurieux des deux sexes, mais quand on eut fait attention que le seul local où cette partie lubrique pût commodément s’exécuter était ce même château en Suisse appartenant à Durcet et dans lequel il avait expédié la petite Elvire, que ce château peu considérable ne pourrait pas contenir un si grand nombre d’habitants, et que d’ailleurs il pouvait devenir indiscret et dangereux d’emmener tant de monde, on se réduisit à trente-deux sujets en tout, les historiennes comprises ; savoir : quatre de cette classe, huit jeunes filles, huit jeunes garçons, huit hommes doués de membres monstrueux pour les voluptés de la sodomie passive, et quatre servantes. Mais on voulut de la recherche à tout cela ; un an entier se passa à ces détails, on y dépensa un argent immense, et voici les précautions que l’on employa pour les huit jeunes filles afin d’avoir tout ce que la France pouvait offrir de plus délicieux. Seize maquerelles intelligentes, ayant chacune deux secondes avec elles, furent envoyées dans les seize principales provinces de France, pendant qu’une dix-septième travaillait dans le même genre à Paris seulement. Chacune de ces appareilleuses eut un rendez-vous indiqué à une terre du duc auprès de Paris, et toutes devaient s’y rendre dans la même semaine, à dix mois juste de leur départ : on leur donna ce temps-là pour chercher. Chacune devait amener neuf sujets, ce qui faisait un total de cent quarante-quatre, huit seulement devaient être choisies. Il était recommandé aux maquerelles de ne s’attacher qu’à la naissance, la vertu et la plus délicieuse figure. Elles devaient faire leurs recherches principalement dans des maisons honnêtes, et on ne leur passait aucune file qui ne fût prouvée ravie, ou dans un couvent de pensionnaires de qualité, ou dans le sein de sa famille, et d’une famille de distinction. Tout ce qui n’était pas au-dessus de la classe de la bourgeoisie et qui, dans ces classes supérieures, n’était pas et très vertueuse, très vierge et très parfaitement belle, était refusé sans miséricorde. Des espions surveillaient les démarches de ces femmes et informaient à l’instant la société de ce qu’elles faisaient. Le sujet, trouvé comme on le désirait, leur était payé trente mille francs, tous frais faits. Il est inouï ce que ça coûta. A l’égard de l’âge, il était fixé de douze à quinze, et tout ce qui était au-dessus ou au-dessous était impitoyablement refusé. Pendant ce temps-là, avec les mêmes circonstances, les mêmes moyens et les mêmes dépenses, en mettant de même l’âge de douze à quinze, dix-sept agents de sodomie parcouraient de même et la capitale et les provinces ; et leur rendez-vous était indiqué un mois après le choix des filles. Quant aux jeunes gens que nous désignerons dorénavant sous le nom de fouteurs, ce fut la mesure du membre qui régla seule : on ne voulut rien au-dessous de dix pouces ou douze pouces de long sur sept et demi de tour. Huit hommes travaillèrent à ce dessein dans tout le royaume, et le rendez-vous fut indiqué un mois après celui des jeunes garçons. Quoique l’histoire de ces choix et de ces réceptions ne soit pas de notre objet, il n’est pourtant pas hors de propos d’en dire un mot ici, pour mieux faire connaître encore le génie de nos quatre héros. Il me semble que tout ce qui sert à les développer et â jeter du jour sur une partie aussi extraordinaire que celle que nous allons décrire ne peut pas être regardé comme hors-d’œuvre.

L’époque du rendez-vous des jeunes filles étant arrivée, on se rendit à la terre du duc. Quelques maquerelles n’ayant pu remplir leur nombre de neuf, quelques autres ayant perdu des sujets en chemin, soit par la maladie ou par l’évasion, il n’en arriva que cent trente au rendez-vous. Mais que d’attraits, grand dieu ! Jamais, je crois, on n’en vit autant de réunis. Treize jours furent consacrés à cet examen, et chaque jour on en examinait dix. Les quatre amis formaient un cercle, au milieu duquel paraissait la jeune fille, d’abord vêtue telle qu’elle était lors de son enlèvement. La maquerelle qui l’avait débauchée en faisait l’histoire : si quelque chose manquait aux conditions de noblesse et de vertu, sans en approfondir davantage la petite fille était renvoyée à l’instant, sans aucun secours et sans être confiée à personne, et l’appareilleuse perdait tous les frais qu’elle avait pu faire pour elle. Ensuite la maquerelle ayant donné son détail, on la faisait retirer et on interrogeait la petite fille pour savoir si ce qu’on venait de dire d’elle était vrai. Si tout était juste, la maquerelle rentrait et troussait la petite fille par-derrière, afin d’exposer ses fesses à l’assemblée ; c’était la première chose qu’on voulait examiner. Le moindre défaut dans cette partie la faisait renvoyer à l’instant ; si, au contraire, rien ne manquait à cette espèce de charme, on la faisait mettre nue, et, en cet état, elle passait et repassait, cinq ou six fois de suite, de l’un à l’autre de nos libertins. On la tournait, on la retournait, on la maniait, on la sentait, on écartait, on examinait les pucelages, mais tout cela de sang-froid et sans que l’illusion des sens vînt en rien troubler l’examen. Cela fait, l’enfant se retirait, et à côté de son nom placé dans un billet, les examinateurs mettaient : reçue, ou : renvoyée, en signant le billet ; ensuite ces billets étaient mis dans une boîte, sans qu’ils se communiquassent leurs idées ; toutes examinées, on ouvrait la boîte : il fallait, pour qu’une fille fût reçue, qu’elle eût sur son billet les quatre noms des amis en sa faveur. S’il en manquait un seul, elle était aussitôt renvoyée, et toutes inexorablement, comme je l’ai dit, à pied, sans secours et sans guide, excepté une douzaine peut-être dont nos libertins s’amusèrent quand les choix furent faits et qu’ils cédèrent à leurs maquerelles. De cette première tournée, il y eut cinquante sujets d’exclus. On repassa les quatre-vingts autres, mais avec beaucoup plus d’exactitude et de sévérité : le plus léger défaut devenait dès l’instant un titre d’exclusion. L’une, belle comme le jour, fut renvoyée, parce qu’elle avait une dent un peu plus élevée que les autres ; plus de vingt autres le furent, parce qu’elles n’étaient filles que de bourgeois. Trente sautèrent à cette seconde tournée : il n’en restait donc plus que cinquante. On résolut de ne procéder à ce troisième examen qu’en venant de perdre du foutre par le ministère même de ces cinquante sujets, afin que du calme parfait des sens pût résulter un choix plus rassis et plus sûr. Chacun des amis s’entoura d’un groupe de douze ou treize de ces jeunes filles. Les groupes varièrent de l’un à l’autre ; ils étaient dirigés par des maquerelles. On changea si artistement les attitudes, on se prêta si bien, il y eut en un mot tant de lubricité de faite que le sperme éjacula, que la tête fut calme et que trente de ce dernier nombre disparurent encore à cette tournée. Il n’en restait que vingt ; c’était encore douze de trop. On se calma par de nouveaux moyens, par tous ceux d’ou l’on croyait que le dégoût pourrait naître, mais les vingt restèrent : et qu’eût-on pu retrancher sur un nombre de créatures si singulièrement célestes qu’on eut dit qu’elles étaient l’ouvrage même de la divinité ? Il fallut donc, à beauté égale, chercher en elles quelque chose qui pût au moins assurer à huit d’entre elles une sorte de supériorité sur les douze autres, et ce que proposa le président sur cela était bien digne de tout le désordre de sa tête. N’importe, l’expédient fut accepté ; il s’agissait de savoir qui d’entre elles ferait mieux une chose que l’on leur ferait souvent faire. Quatre jours suffirent pour décider amplement cette question, et douze furent enfin congédiées, mais non à blanc comme les autres ; on s’en amusa huit jours complètement et de toutes les façons. Ensuite elles furent, comme je l’ai dit, cédées aux maquerelles, qui s’enrichirent bientôt de la prostitution de sujets aussi distingués que ceux-là. Quant aux huit choisies, elles furent mises dans un couvent jusqu’à l’instant du départ, et pour se réserver le plaisir d’en jouir à l’époque choisie, on n’y toucha pas jusque-là.

Je ne m’aviserai pas de peindre ces beautés : elles étaient toutes si également supérieures que mes pinceaux deviendraient nécessairement monotones. Je me contenterai de les nommer et d’affirmer avec vérité qu’il est parfaitement impossible de se représenter un tel assemblage de grâces, d’attraits et de perfections, et que si la nature voulait donner à l’homme une idée de ce qu’elle peut former de plus savant, elle ne lui présenterait pas d’autres modèles.

La première se nommait AUGUSTINE : elle avait quinze ans, elle était fille d’un baron de Languedoc et avait été enlevée dans un couvent de Montpellier.

La seconde se nommait FANNY : elle était fille d’un conseiller au parlement de Bretagne et enlevée dans le château même de son père.

La troisième se nommait ZELMIRE : elle avait quinze ans, elle était fille du comte de Terville qui l’idolâtrait. Il l’avait menée avec lui à la chasse, dans une de ses terres en Beauce, et, l’ayant laissée seule un instant dans la forêt, elle y fut enlevée sur-le-champ. Elle était fille unique et devait, avec quatre cent mille francs de dot, épouser l’année d’après un très grand seigneur. Ce fut celle qui pleura et se désola le plus de l’horreur de son sort.

La quatrième se nommait SOPHIE : elle avait quatorze ans et était fille d’un gentilhomme assez à son aise et vivant dans sa terre au Berry. Elle avait été enlevée à la promenade, à côté de sa mère qui, voulant la défendre, fut précipitée dans une rivière où sa fille la vit expirer sous ses yeux.

La cinquième se nommait COLOMBE : elle était de Paris et fille d’un conseiller au parlement ; elle avait treize ans et avait été enlevée en revenant avec une gouvernante, le soir, dans son couvent, au sortir d’un bal d’enfants. La gouvernante avait été poignardée.

La sixième se nommait HÉBÉ : elle avait douze ans, elle était fille d’un capitaine de cavalerie, homme de condition vivant à Orléans. La jeune personne avait été séduite et enlevée dans le couvent où on l’élevait ; deux religieuses avaient été gagnées à force d’argent. Il était impossible de rien voir de plus séduisant et de plus mignon.

La septième se nommait ROSETTE : elle avait treize ans, elle était fille du lieutenant général de Chalon-sur-Saône. Son père venait de mourir ; elle était à la campagne chez sa mère, près de la ville, et on l’enleva sous les yeux mêmes de ses parents, en contrefaisant les voleurs.

La dernière s’appelait MIMI ou MICHETTE : elle avait douze ans, elle était fille du marquis de Senanges et avait été enlevée dans les terres de son père, en Bourbonnais, à l’instant d’une promenade en calèche qu’on lui avait laissé faire avec deux ou trois seules femmes du château, qui furent assassinées.

On voit que les apprêts de ces voluptés coûtaient bien des sommes et bien des crimes. Avec de tels gens, les trésors faisaient peu de chose, et quant aux crimes, on vivait alors dans un siècle où il s’en fallait bien qu’ils fussent recherchés et punis comme ils l’ont été depuis. Moyen en quoi, tout réussit, et si bien que nos libertins ne furent jamais inquiétés des suites et qu’à peine y eut-il des perquisitions.

L’instant de l’examen des jeunes garçons arriva. Offrant plus de facilités, leur nombre fut plus grand. Les appareilleurs en présentèrent cent cinquante, et je n’exagérerai sûrement pas en affirmant qu’ils égalaient au moins la classe des jeunes filles, tant par leur délicieuse figure que par leurs grâces enfantines, leur candeur, leur innocence et leur noblesse. Ils étaient payés trente mille francs chacun, le même prix que les filles, mais les entrepreneurs n’avaient rien à risquer parce que ce gibier étant plus délicat, et bien plus du goût de nos sectateurs, il avait été décidé qu’on ne ferait perdre aucun frais, qu’on renverrait bien, à la vérité, ce dont on ne s’arrangerait pas, mais que, comme on s’en servirait, ils seraient également payés. L’examen se fit comme celui des femmes. On en vérifia dix tous les jours, avec la précaution très sage et qu’on avait un peu trop négligée avec les filles, avec la précaution, dis-je, de décharger toujours par le ministère des dix présentés, avant de procéder à l’examen. On voulait presque exclure le président, on se méfiait de la dépravation de ses goûts ; on avait pensé être dupe, dans le choix des filles, de son maudit penchant à l’infamie et à la dégradation. Il promit de ne s’y point livrer, et s’il tint parole, ce ne fut vraisemblablement pas sans peine, car lorsqu’une fois l’imagination blessée ou dépravée s’est accoutumée à ces espèces d’outrages au bon goût et à la nature, outrages qui la flattent si délicieusement, il est très difficile de la ramener dans le bon chemin : il semble que l’envie de servir ses goûts lui ôte la faculté d’être maîtresse de ses jugements. Méprisant ce qui est vraiment beau et ne chérissant plus que ce qui est affreux, elle prononce comme elle pense, et le retour à des sentiments plus vrais lui paraîtrait un tort fait à des principes dont elle serait bien fâchée de s’écarter. Cent sujets furent unanimement reçus dès les premières séances achevées, et il fallut revenir cinq fois de suite sur ces jugements pour extraire le petit nombre qui devait seul être admis. Trois fois de suite il en resta cinquante, lorsqu’on fut obligé d’en venir à des moyens singuliers pour déparer en quelque sorte les idoles qu’embellissait encore le prestige, quoi qu’on pût faire, et ne se procurer que ce qu’on voulait admettre. On imagina de les habiller en filles : vingt-cinq disparurent à cette ruse qui, prêtant à un sexe qu’on idolâtrait l’appareil de celui dont on était blasé, les déprima et fit tomber presque toute l’illusion. Mais rien ne put faire varier le scrutin à ces vingt-cinq derniers. On eut beau faire, beau perdre du foutre, beau n’écrire son nom sur les billets qu’à l’instant même de la décharge, beau mettre en usage le moyen pris avec les jeunes filles, les vingt-cinq mêmes restèrent toujours, et on prit le parti de les faire tirer au sort. Voici les noms qu’on donna à ceux qui restèrent, leur âge, leur naissance et le précis de leur aventure, car pour les portraits, j’y renonce : les traits de l’Amour même n’étaient sûrement pas plus délicats et les modèles où l’Albane allait choisir les traits de ses anges divins étaient sûrement bien inférieurs.

ZÉLAMIR était âgé de treize ans ; c’était le fils unique d’un gentilhomme de Poitou qui l’élevait avec le plus grand soin dans sa terre. On l’avait envoyé à Poitiers voir une parente, escorté d’un seul domestique, et nos filous qui l’attendaient assassinèrent le domestique et s’emparèrent de l’enfant.

CUPIDON était du même âge ; il était au collège de La Flèche ; fils d’un gentilhomme des environs de cette ville, il y faisait ses études. On le guetta et on l’enleva dans une promenade que les écoliers faisaient le dimanche. Il était le plus joli de tout le collège.

NARCISSE était âgé de douze ans ; il était chevalier de Malte. On l’avait enlevé à Rouen où son père remplissait une charge honorable et compatible avec la noblesse. On le faisait partir pour le collège de Louis-le-Grand, à Paris ; il fut enlevé en route.

ZÉPHIRE, le plus délicieux des huit, à supposer que leur excessive beauté eût laissé la facilité d’un choix, était de Paris ; il y faisait ses études dans une célèbre pension. Son père était un officier général, qui fit tout au monde pour le ravoir sans que rien pût y réussir. On avait séduit le maître de pension à force d’argent, et il en avait livré sept dont six avaient été réformés. Il avait tourné la tête au duc, qui protesta que s’il avait fallu un million pour enculer cet enfant-là, il l’aurait donné à l’instant. Il s’en réserva les prémices, et elles lui furent généralement accordées. 0 tendre et délicat enfant, quelle disproportion ! Et quel sort affreux t’était donc préparé !

CÉLADON était fils d’un magistrat dé Nancy. Il fut enlevé à Lunéville où il était venu voir une tante. Il atteignait à peine sa quatorzième année. Ce fut lui seul qu’on séduisit par le moyen d’une jeune fille de son âge qu’on trouva le moyen de lui faire voir : la petite friponne l’attira dans le piège en feignant de l’amour pour lui, on le veillait mal, et le coup réussit.

ADONIS était âgé de quinze ans. Il fut enlevé au collège du Plessis où il faisait ses études. Il était fils d’un président de grand-chambre, qui eut beau se plaindre, beau remuer, les précautions étaient si bien prises qu’il lui devint impossible de jamais en entendre parler. Curval, qui en était fou depuis deux ans, l’avait connu chez son père, et c’était lui qui avait donné et les moyens et les renseignements nécessaires pour le débaucher. On fut très étonné d’un goût aussi raisonnable que celui-là dans une tête aussi dépravée, et Curval, tout fier, profita de l’événement pour faire voir à ses confrères qu’il avait, comme on le voyait, quelquefois le goût bon encore. L’enfant le reconnut et pleura, mais le président le consola en l’assurant que ce serait lui qui le dépucellerait ; et en lui administrant cette consolation tout à fait touchante, il lui ballottait son énorme engin sur les fesses. Il le demanda en effet à l’assemblée et l’obtint sans difficulté.

HYACINTHE était âgé de quatorze ans ; il était fils d’un officier retiré dans une petite ville de Champagne. On le prit à la chasse, qu’il aimait à la folie et où son père faisait l’imprudence de le laisser aller seul.

GITON était âgé de treize ans. Il fut enlevé à Versailles chez les pages de la grande écurie. Il était fils d’un homme de condition du Nivernais qui venait de l’y amener il n’y avait pas six mois. On l’enleva tout simplement à une promenade qu’il était allé faire seul dans l’avenue de Saint-Cloud. Il devint la passion de l’évêque, auquel ses prémices furent destinées.

Telles étaient les déités masculines que nos libertins préparaient à leur lubricité : nous verrons en temps et lieu l’usage qu’ils en firent. Il restait cent quarante-deux sujets, mais on ne badina point avec ce gibier-là comme avec l’autre : aucun ne fut congédié sans avoir servi. Nos libertins passèrent avec eux un mois au château du duc. Comme on était à la veille du départ, tous les arrangements journaliers et ordinaires étaient déjà rompus, et ceci tint lieu d’amusement jusqu’à l’époque du départ. Quand on s’en fut amplement rassasié, on imagina un plaisant moyen de s’en débarrasser : ce fut de les vendre à un corsaire turc. Par ce moyen toutes les traces étaient rompues et on regagnait une partie de ses frais. Le Turc vint les prendre près de Monaco, où on les fit arriver par petits pelotons, et il les emmena en esclavage ; sort affreux sans doute, mais qui n’en amusa pas moins bien complètement nos quatre scélérats.

Arriva l’instant de choisir les fouteurs. Les réformés de cette classe-ci n’embarrassaient point ; pris à un âge raisonnable, on en était quitte pour leur payer leur voyage, leur peine, et ils s’en retournaient chez eux. Les huit appareilleurs de ceux-ci avaient d’ailleurs eu bien moins de peine, puisque les mesures étaient à peu près fixées et qu’ils n’avaient aucune gêne pour les conditions. Il en arriva donc cinquante. Parmi les vingt plus gros, on choisit les huit plus jeunes et plus jolis, et de ces huit, comme il ne sera, dans le détail, guère fait mention que des quatre plus gros, je vais me contenter de nommer ceux-là.

HERCULE, vraiment taillé comme le dieu dont on lui donna le nom, avait vingt-six ans et il était doué d’un membre de huit pouces deux lignes de tour sur seize de long. Il ne s’était jamais rien vu de si beau ni de si majestueux que cet outil presque toujours en l’air et dont huit décharges, on en fit l’épreuve, remplissaient une pinte juste. Il était d’ailleurs fort doux et d’une physionomie très intéressante.

ANTINOÜS, ainsi nommé parce qu’à l’exemple du bardache22 d’Adrien23, il joignait au plus beau vit du monde le cul le plus voluptueux, ce qui est très rare, était porteur d’un outil de huit pouces de tour sur douze de long. Il avait trente ans et la plus jolie figure du monde.

BRISE-CUL avait un hochet si plaisamment contourné qu’il lui devenait presque impossible d’enculer sans briser le cul, et de là lui était venu le nom qu’il portait. La tête de son vit, ressemblant à un cœur de bœuf, avait huit pouces trois lignes de tour ; le membre n’en avait que huit, mais ce membre tordu avait une telle cambrure qu’il déchirait exactement l’anus quand il y pénétrait, et cette qualité bien précieuse à des libertins aussi blasés que les nôtres l’en avait fait singulièrement rechercher.

BANDE-AU-CIEL, ainsi nommé parce que son érection, quelque chose qu’il fit, était perpétuelle, était muni d’un engin de onze pouces de long sur sept pouces onze lignes de tour. On en avait refusé de plus gros pour lui, parce que ceux-là bandaient difficilement, au lieu que celui-ci, quelque quantité de décharges qu’il fit dans un jour, était en l’air au moindre attouchement.

Les quatre autres étaient à peu près de la même taille et de la même tournure. On s’amusa quinze jours des quarante-deux sujets réformés, et après s’en être bien fait donner et les avoir mis sur les dents, on les congédia bien payés.

Il ne restait plus que le choix des quatre servantes, et celui-ci sans doute était le plus pittoresque. Le président n’était pas le seul dont les goûts fussent dépravés ; ses trois amis, et Durcet principalement, étaient bien un peu entichés de cette maudite manie de crapule et de débauche, qui fait trouver un attrait plus piquant avec un objet vieux, dégoûtant et sale qu’avec ce que la nature a formé de plus divin. Il serait sans doute difficile d’expliquer cette fantaisie, mais elle existe chez beaucoup de gens. Le désordre de la nature porte avec lui une sorte de piquant qui agit sur le genre nerveux peut-être bien autant et plus de force que ses beautés les plus singulières. Il est d’ailleurs prouvé que c’est l’horreur, la vilenie, la chose affreuse qui plaît quand on bande : or, où se rencontre-t-elle mieux qu’en un objet vicié ? Certainement si c’est la chose sale qui plaît dans l’acte de la lubricité, plus cette chose est sale, plus elle doit plaire, et elle est sûrement bien plus sale dans l’objet vicié que dans l’objet intact ou parfait. Il n’y a pas à cela le plus petit doute. D’ailleurs la beauté est la chose simple, la laideur est la chose extraordinaire, et toutes les imaginations ardentes préfèrent sans doute toujours la chose extraordinaire en lubricité à la chose simple. La beauté, la fraîcheur ne frappent jamais qu’en sens simple ; la laideur, la dégradation portent un coup bien plus ferme, la commotion est bien plus forte, l’agitation doit donc être plus vive. Il ne faut donc point s’étonner d’après cela que tout plein de gens préfèrent pour leur jouissance une femme vieille, laide et même puante à une fille fraîche et jolie, pas plus s’en étonner, dis-je, que nous ne le devons être d’un homme qui préfère pour ses promenades le sol aride et raboteux des montagnes aux sentiers monotones des plaines. Toutes ces choses-là dépendent de notre conformation, de nos organes, de la manière dont ils s’affectent, et nous ne sommes pas plus les maîtres de changer nos goûts sur cela que nous ne le sommes de varier les formes de nos corps. Quoi qu’il en soit, tel était, comme on l’a dit, le goût dominant, et du président, et presque en vérité de ses trois confrères, car tous avaient été d’un avis unanime sur le choix des servantes, choix qui pourtant, comme on va le voir, dénotait bien dans l’organisation ce désordre et cette dépravation que l’on vient de peindre. On fit donc chercher à Paris, avec le plus grand soin, les quatre créatures qu’il fallait pour remplir cet objet, et quelque dégoûtant que puisse en être le portrait, le lecteur me permettra cependant de le tracer : il est trop essentiel à la partie des mœurs dont le développement est un des principaux objets de cet ouvrage.

La première s’appelait MARIE. Elle avait été servante d’un fameux brigand tout récemment rompu, et, pour son compte, elle avait été fouettée et marquée. Elle avait cinquante-huit ans, presque plus de cheveux, le nez de travers, les yeux ternes et chassieux, la bouche large et garnie de ses trente-deux dents à la vérité, mais jaunes comme du soufre ; elle était grande, efflanquée, ayant fait quatorze enfants qu’elle avait, disait-elle, étouffés tous les quatorze, de peur de faire de mauvais sujets. Son ventre était ondoyé comme les flots de la mer et elle avait une fesse mangée par un abcès.

La seconde se nommait LOUISON. Elle avait soixante ans, petite, bossue, borgne et boiteuse, mais un beau cul pour son âge et la peau encore assez belle. Elle était méchante comme le diable et toujours prête à commettre toutes les horreurs et tous les excès qu’on pouvait lui commander.

THÉRÈSE avait soixante-deux ans. Elle était grande, mince, l’air d’un squelette, plus un seul cheveu sur la tête, pas une dent dans la bouche et exhalant par cette ouverture de son corps une odeur capable de renverser. Elle avait le cul criblé de blessures et les fesses si prodigieusement molles qu’on en pouvait rouler la peau autour d’un bâton ; le trou de ce beau cul ressemblait à la bouche d’un volcan par la largeur, et pour l’odeur c’était une vraie lunette de commodités ; de sa vie Thérèse n’avait, disait-elle, torché son cul, d’où il restait parfaitement démontré qu’il y avait encore de la merde de son enfance. Pour son vagin, c’était lé réceptacle de toutes les immondices et de toutes les horreurs, un véritable sépulcre dont la fétidité faisait évanouir. Elle avait un bras tordu et elle boitait d’une jambe.

FANCHON était le nom de la quatrième. Elle avait été pendue six fois en effigie, et il n’existait pas un seul crime sur la terre qu’elle n’eût commis. Elle avait soixante-neuf ans, elle était camuse, courte et grosse, louche, presque point de front, n’ayant plus dans sa gueule puante que deux vieilles dents prêtes à choir ; un érésipèle24 lui couvrait le derrière, et des hémorroïdes grosses comme le poing lui pendaient à l’anus ; un chancre affreux dévorait son vagin et l’une de ses cuisses était toute brûlée. Elle était saoule les trois quarts de l’année, et dans son ivresse, son estomac étant très faible, elle vomissait partout. Le trou de son cul, malgré le paquet d’hémorroïdes qui le garnissaient, était si large naturellement qu’elle vessait25 et pétait et faisait souvent plus sans s’en apercevoir.

Indépendamment du service de la maison au séjour que l’on se proposait, ces quatre femmes devaient encore prendre part à toutes les assemblées pour tous les différents soins et services de lubricité que l’on pourrait exiger d’elles.

Tous ces soins remplis et l’été déjà commencé, on ne s’occupa plus que du transport des différentes choses qui devaient, pendant les quatre mois de séjour à la terre de Durcet, en rendre l’habitation commode et agréable. On y fit porter une nombreuse quantité de meubles et de glaces, des vivres, des vins, des liqueurs de toutes les espèces, on y envoya des ouvriers, et petit à petit on y fit conduire les sujets que Durcet, qui avait pris les devants, recevait, logeait et établissait à mesure. Mais il est temps de faire ici au lecteur une description du fameux temple destiné à tant de sacrifices luxurieux pendant les quatre mois projetés. Il y verra avec quel soin on avait choisi une retraite écartée et solitaire, comme si le silence, l’éloignement et la tranquillité étaient les véhicules puissants du libertinage, et comme si tout ce qui imprime, par ces qualités-là, une terreur religieuse aux sens dût évidemment prêter à la luxure un attrait de plus. Nous allons peindre cette retraite, non comme elle était autrefois, mais dans l’état et d’embellissement et de solitude encore plus parfaite où les soins des quatre amis l’avaient mise.

Il fallait, pour y parvenir, arriver d’abord à Bâle ; on passait le Rhin, au-delà duquel la route se rétrécissait au point qu’il fallait quitter les voitures. Peu après, on entrait dans la Forêt-Noire, on s’y enfonçait d’environ quinze lieues par une route difficile, tortueuse et absolument impraticable sans guide. Un méchant hameau de charbonniers et de gardes-bois s’offrait environ à cette hauteur. Là commence le territoire de la terre de Durcet, et le hameau lui appartient. Comme les habitants de ce petit village sont presque tous voleurs ou contrebandiers, il fut aisé à Durcet de s’en faire des amis, et, pour premier ordre, il leur fut donné une consigne exacte de ne laisser parvenir qui que ce fût au château par-delà l’époque du premier novembre, qui était celle où la société devait être entièrement réunie. Il arma ses fidèles vassaux, leur accorda quelques privilèges qu’ils sollicitaient depuis longtemps, et la barrière fut fermée. Dans le fait, la description suivante va faire voir combien, cette porte bien close, il devenait difficile de pouvoir parvenir à Silling, nom du château de Durcet. Dès qu’on avait passé la charbonnerie, on commençait à escalader une montagne presque aussi haute que le mont Saint-Bernard et d’un abord infiniment plus difficile, car il n’est possible de parvenir au sommet qu’à pied. Ce n’est pas que les mulets n’y aillent, mais les précipices environnent de toutes parts si tellement le sentier qu’il faut suivre, qu’il y a le plus grand danger à s’exposer sur eux. Six de ceux qui transportèrent les vivres et les équipages y périrent, ainsi que deux ouvriers qui avaient voulu monter deux d’entre eux. Il faut près de cinq grosses heures pour parvenir à la cime de la montagne, laquelle offre là une autre espèce de singularité qui, par les précautions que l’on prit, devint une nouvelle barrière si tellement insurmontable qu’il n’y avait plus que les oiseaux qui pussent la franchir. Ce caprice singulier de la nature est une fente de plus de trente toises sur la cime de la montagne, entre sa partie septentrionale et sa partie méridionale, de façon que, sans les secours de l’art, après avoir grimpé la montagne, il devient impossible de la redescendre. Durcet a fait réunir ces deux parties, qui laissent entre elles un précipice de plus de mille pieds de profondeur, par un très beau pont de bois, que l’on abattit dès que les derniers équipages furent arrivés : et, de ce moment-là, plus aucune possibilité quelconque de communiquer au château de Silling. Car, en redescendant la partie septentrionale, on arrive dans une petite plaine d’environ quatre arpents, laquelle est entourée de partout de rochers à pic dont les sommets touchent aux nues, rochers qui enveloppent la plaine comme un paravent et qui ne laissent pas la plus légère ouverture entre eux. Ce passage, nommé le chemin du pont, est donc l’unique qui puisse descendre et communiquer dans la petite plaine, et une fois détruit, il n’y a plus un seul habitant de la terre, de quelque espèce qu’on veuille le supposer, à qui il devienne possible d’aborder la petite plaine. Or, c’est au milieu de cette petite plaine si bien entourée, si bien défendue, que se trouve le château de Durcet. Un mur de trente pieds de haut l’environne encore ; au-delà du mur, un fossé plein d’eau et très profond défend encore une dernière enceinte formant une galerie tournante ; une poterne basse et étroite pénètre enfin dans une grande cour intérieure autour de laquelle sont bâtis tous les logements. Ces logements fort vastes, fort bien meublés par les derniers arrangements pris, offrent d’abord au premier étage une très grande galerie. Qu’on observe que je vais peindre les appartements non tels qu’ils pouvaient être autrefois, mais comme ils venaient d’être arrangés et distribués relativement au plan projeté. De la galerie on pénétrait dans un très joli salon à manger, garni d’armoires en forme de tours qui, communiquant aux cuisines, donnaient la facilité d’être servi chaud, promptement et sans qu’il fût besoin du ministère d’aucun valet. De ce salon à manger, garni de tapis, de poêles, d’ottomanes, d’excellents fauteuils, et de tout ce qui pouvait le rendre aussi commode qu’agréable, on passait dans un salon de compagnie, simple, sans recherche, mais extrêmement chaud et garni de fort bons meubles. Ce salon communiquait à un cabinet d’assemblée, destiné aux narrations des historiennes : c’était, pour ainsi dire, là le champ de bataille des combats projetés, le chef-lieu des assemblées lubriques, et comme il avait été orné en conséquence, il mérite une petite description particulière. Il était d’une forme demi-circulaire. Dans la partie cintrée se trouvaient quatre niches de glaces fort vastes et ornées chacune d’une excellente ottomane ; ces quatre niches par leur construction, faisaient absolument face au diamètre qui coupait le cercle. Un trône élevé de quatre pieds était adossé au mur formant le diamètre. Il était pour l’historienne : position qui la plaçait non seulement bien en face des quatre niches destinées à ses auditeurs. mais qui même, vu que le cercle était petit, ne l’éloignant point trop d’eux, les mettait à même de ne pas perdre un mot de sa narration ; car elle se trouvait alors placée comme est l’acteur sur un théâtre, et les auditeurs, placés dans les niches, se trouvaient l’être comme on l’est à l’amphithéâtre. Au bas du trône étaient des gradins sur lesquels devaient se trouver les sujets de débauche amenés pour servir à calmer l’irritation des sens produite par les récits : ces gradins, ainsi que le trône, étaient recouverts de tapis de velours noir garnis de franges d’or, et les niches étaient meublées d’une étoffe pareille et également enrichie, mais de couleur bleu foncé. A chaque pied des niches était une petite porte, donnant dans une garde-robe mitoyenne à la niche et destinée à faire passer les sujets qu’on désirait et qu’on faisait venir des gradins, dans le cas où l’on ne voulût pas exécuter devant tout le monde la volupté pour l’exécution de laquelle on appelait ce sujet. Ces garde-robes étaient munies de canapés et de tous les autres meubles nécessaires aux impuretés de toute espèce. Des deux côtés du trône, il y avait une colonne isolée et qui allait toucher le plafond ; ces deux colonnes étaient destinées à contenir le sujet que quelque faute aurait mis dans le cas d’une correction. Tous les instruments nécessaires à cette correction étaient accrochés en la colonne, et cette vue imposante servait à maintenir une subordination si essentielle dans des parties de cette espèce ; subordination d’où naît presque tout le charme de la volupté dans l’âme des persécuteurs. Ce salon communiquait à un cabinet qui se trouvait faire dans cette partie l’extrémité du logement. Ce cabinet était une espèce de boudoir ; il était extrêmement sourd et secret, fort chaud, très sombre le jour, et sa destination était pour les combats tête à tête ou pour certaines autres voluptés secrètes qui seront expliquées dans la suite. Pour passer dans l’autre aile, il fallait revenir sur ses pas, et une fois dans la galerie au fond de laquelle on voyait une fort belle chapelle, on repassait dans l’aile parallèle qui achevait le tour de la cour intérieure. Là se trouvait une fort belle antichambre, communiquant à quatre très beaux appartements ayant chacun boudoir et garde-robe. De très beaux lits à la turque, en damas à trois couleurs, avec l’ameublement pareil, ornaient ces appartements dont les boudoirs offraient tout ce que peut désirer la lubricité la plus sensuelle, et même avec recherche. Ces quatre chambres furent destinées aux quatre amis, et comme elles étaient fort chaudes et fort bonnes, ils y furent parfaitement bien logés. Leurs femmes devant occuper, par les arrangements pris, les mêmes appartements qu’eux, on ne leur affecta point de logements particuliers. Le second étage offrait une même quantité d’appartements, à peu près mais différemment divisés. On y trouvait d’abord, d’un côté, un vaste appartement orné de huit niches garnies chacune d’un petit lit, et cet appartement était celui des jeunes filles, à côté duquel se trouvaient deux petites chambres pour deux des vieilles qui devaient en avoir soin ; au-delà, deux jolies chambres égales destinées à deux des historiennes. Sur le retour, on trouvait un même appartement à huit niches en alcôve pour les huit jeunes garçons, ayant de même deux chambres auprès pour les deux duègnes que l’on destinait à les surveiller, et, au-delà, deux autres chambres également pareilles pour les deux autres historiennes. Huit jolis capucins, au-dessus de ce qu’on vient de voir, formaient le logement des huit fouteurs, quoique destinés à fort peu coucher dans leur lit. Dans le rez-de-chaussée se trouvaient les cuisines avec six cellules pour les six êtres que l’on destinait à ce travail, lesquelles étaient trois fameuses cuisinières. On les avait préférées à des hommes pour une partie comme celle-là, et je crois qu’on avait eu raison. Elles étaient aidées de trois jeunes filles robustes, mais rien de tout cela ne devait paraître aux plaisirs, rien de tout cela n’y était destiné, et si les règles que l’on s’était imposées sur cela furent enfreintes, c’est que rien ne contient le libertinage, et que la vraie façon d’étendre et de multiplier ses désirs est de vouloir lui imposer des bornes. L’une de ces trois servantes devait avoir soin du nombreux bétail que l’on avait amené, car, excepté les quatre vieilles destinées au service intérieur, il n’y avait absolument point d’autre domestique que ces trois cuisinières et leurs aides. Mais la dépravation, la cruauté, le dégoût, l’infamie, toutes ces passions prévues ou senties avaient bien érigé un autre local dont il est urgent de donner une esquisse, car les lois essentielles à l’intérêt de la narration empêchent que nous ne le peignions en entier. Une fatale pierre se levait artistement sous le marchepied de l’autel du petit temple chrétien que nous avons désigné dans la galerie ; on y trouvait un escalier en vis, très étroit et très escarpé, lequel, par trois cents marches, descendait aux entrailles de la terre dans une espèce de cachot voûté, fermé par trois portes de fer et dans lequel se trouvait tout ce que l’art le plus cruel et la barbarie la plus raffinée peuvent inventer de plus atroce, tant pour effrayer les sens que pour procéder à des horreurs. Et là, que de tranquillité ! Jusqu’à quel point ne devait pas être rassuré le scélérat que le crime y conduisait avec une victime ! Il était chez lui, il était hors de France, dans un pays sûr, au fond d’une forêt inhabitable, dans un réduit de cette forêt que, par les mesures prises, les seuls oiseaux du ciel pouvaient aborder, et il y était dans le fond des entrailles de la terre. Malheur, cent fois malheur à la créature infortunée qui, dans un pareil abandon, se trouvait à la merci d’un scélérat sans loi et sans religion, que le crime amusait, et qui n’avait plus là d’autre intérêt que ses passions et d’autres mesures à garder que les lois impérieuses de ses perfides voluptés. Je ne sais ce qui s’y passera, mais ce que je puis dire à présent sans blesser l’intérêt du récit, c’est que, quand on en fit la description au duc, il en déchargea trois fois de suite.

Enfin tout étant prêt, tout étant parfaitement disposé, les sujets déjà établis, le duc, l’évêque, Curval, et leurs femmes, suivis des quatre seconds fouteurs, se mirent en marche (Durcet et sa femme, ainsi que tout le reste, ayant pris les devants comme on l’a dit) et non sans des peines infinies arrivèrent au château le 29 octobre au soir. Durcet, qui était allé au-devant d’eux, fit couper le pont de la montagne sitôt qu’ils furent passés. Mais ce ne fut pas tout : le duc, ayant examiné le local, décida que, puisque tous les vivres étaient dans l’intérieur et qu’il n’y avait plus aucun besoin de sortir, il fallait, pour prévenir les attaques extérieures peu redoutées et les évasions intérieures qui l’étaient davantage, il fallait, dis je, faire murer toutes les portes par lesquelles on pénétrait dans l’intérieur, et s’enfermer absolument dans la place comme dans une citadelle assiégée, sans laisser la plus petite issue, soit à l’ennemi, soit au déserteur. L’avis fut exécuté ; on se barricada à tel point qu’il ne devenait même plus possible de reconnaître où avaient été les portes, et on s’établit dans le dedans, d’après les arrangements qu’on vient de lire. Les deux jours qui restaient encore jusqu’au premier novembre furent consacrés à reposer les sujets, afin qu’ils pussent paraître frais dès que les scènes de débauche allaient commencer, et les quatre amis travaillèrent à un code de lois, qui fut signé des chefs et promulgué aux sujets sitôt qu’on l’eût rédigé. Avant que d’entrer en matière, il est essentiel que nous les fassions connaître à notre lecteur, qui, d’après l’exacte description que nous lui avons faite du tout, n’aura plus maintenant qu’à suivre légèrement et voluptueusement le récit, sans que rien trouble son intelligence ou vienne embarrasser sa mémoire.

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