Читать книгу Bluette et Coquelicot : conte instructif pour les enfants - Maurice Barr - Страница 5
ОглавлениеBATAILLE DES QUATRE-ÉLÉMENTS ET COUP D’AIR QUI S’ENSUIVIT
Nos deux voyageurs à la recherche de l’inconnu s’avancèrent d’abord sur une route unie, bordée à droite de bois verts et touffus, et à gauche de plaines fertiles parsemées d’habitations neuves et riantes.
Le soleil dardait ses mille flèches d’or; les insectes bruissaient et bourdonnaient au milieu des herbes et des fleurs épanouies; les oiseaux emplissaient l’air de leurs chants harmonieux.
La campagne était en joie.
Les deux enfants, le cœur ouvert à toutes les magies de cette fête de la nature, couraient à la poursuite des papillons aux ailes diaprées, s’arrêtaient devant les petites sources murmurantes du vallon, pour se rafraîchir, et amassaient une gerbe de mignonnes fleurettes qu’ils n’avaient jamais vues.
Mais voilà que bientôt la campagne devint moins gaie, les habitants devinrent plus rares, les arbres moins verts et moins nombreux.
Aux herbes épaisses et drues semées de fleurs avaient succédé les mousses jaunies, les lichens grisâtres, les immortelles aux ombelles safranées, les buis au feuillage triste...
Plus ils avançaient, plus le paysage s’assombrissait.
Maintenant c’étaient de grands vilains rochers gris et dénudés qui bordaient la route; c’étaient des arbres aux troncs noirs, aux branchages desséchés, qui se dressaient comme des ombres aux grands bras menaçants...
Enfin ils virent en face d’eux, barrant le chemin, une énorme montagne au flanc noir garni d’un échafaudage de roches granitiques entassées pêle-mêle dans un désordre effrayant, et s’élevant jusqu’au ciel.
Au pied de la montagne s’élargissait une ouverture plus sombre que la bouche d’un tunnel des Vosges ou que l’entrée de l’enfer.
Ils étaient sérieusement inquiets, lorsqu’ils virent au-dessus de l’ouverture ces mots écrits en grandes lettres bleues et rouges:
SI VOUS ÊTES VÊTUS DE CES DEUX COULEURS, ENTREZ; SINON, RETOURNEZ SUR VOS PAS
La lecture de cette sorte d’enseigne les rassura.
Coquelicot raffermit sur son chapeau la branche de tilleul qui devait les rendre invisibles, et ils franchirent le seuil de l’entrée d’un pas assez hardi, la curiosité les poussant en avant.
Mais bientôt ils s’arrêtèrent au milieu d’une vaste enceinte, antichambre de la sombre caverne, autour de laquelle s’ouvraient quatre portes rondes largement béantes.
Laquelle devaient-ils prendre?
Comme ils se posaient cette question, ils virent sortir de chaque porte un personnage si étrange et si singulier, qu’ils reculèrent stupéfaits.
Le premier semblait une masse de feu. Des flammes brillantes couronnaient son visage ardent et rouge comme le brasier d’un haut fourneau.
Des charbons incandescents formaient sa ceinture, des bûches et des fagots flambants composaient sa longue robe; enfin une écharpe de feu électrique voltigeait autour de lui comme une auréole.
Autant cet être singulier était brillant, autant le second était terne, laid et triste.
Imaginez une grosse boule de terre mouvante. Il est vrai que cette boule était accompagnée de deux grands bras et supportée par deux longues jambes informes.
Le petit œil noir de sa large figure pétillait de malice en regardant avec dédain les trois brillants personnages qui l’entouraient.
Le troisième paraissait tellement léger et diaphane (surtout à côté de la motte de terre), qu’il devenait parfois insaisissable à l’œil.
Bluette et Coquelicot remarquèrent qu’il venait beaucoup d’air de la porte d’où il était sorti.
Enfin le quatrième était charmant.
Son costume se fondait en eau verte, bleue et argentée.
Ses cheveux semblaient de petites vagues qui bruissaient le long de son cou.
Sa robe bleue ondulait en nappe transparente, terminée par une frange d’écume neigeuse.
Le costume des quatre personnages disait assez ce qu’ils étaient.
La Terre, le Feu, l’Air et l’Eau.
Bluette et Coquelicot avaient, en effet, devant eux les quatre éléments personnifiés:
Le Feu, la Terre, l’Air et l’Eau.
«Ah! vous voilà, madame la Terre; comment va votre santé ? demanda le Feu.
— Mais fort bien, sans doute, fit le personnage nuageux, car madame engraisse de jour en jour.
— Quand cette rotondité croissante s’arrêtera-t-elle? » ajouta l’être flambant d’un air de dédain.
La grosse boule brune les regarda en souriant et leur dit:
«La terre est faite pour être ronde. C’est la nourrice du monde entier et de tout le genre humain. Moquez-vous de moi à votre aise, mes chers compagnons; je suis encore plus forte, plus utile et plus précieuse que vous.
«Feu, mon ami, vous êtes un ingrat, car non seulement je vous recèle et vous nourris dans mes entrailles, mais encore je vous supporte patiemment sur ma surface.
«Sans moi existeriez-vous? N’est-ce pas moi qui produis et fais croître le bois des buissons et des arbres, ce bois précieux qui vous alimente?
«Jeune Eau, ma chère, ne soyez pas si fière de votre transparente beauté !
«Je ne suis pas si vive et si mouvante que vous, mais je produis mille trésors plus précieux que ceux que vous gardez si avaricieusement tout au fond de vos entrailles.
«Ce n’est qu’avec des peines infinies que l’on va chercher chez vous les coraux et les perles. La mort s’ensuit souvent. Vous êtes aussi perfide que séduisante.
«Moi, je suis bonne femme et je me mets rarement en colère. Je ne demande qu’un peu de travail à ceux qui vivent du plus pur de mon sang: le blé, la vigne...
«Je ne veux pas vous humilier, Air orgueilleux, en vous énumérant tous les trésors que je possède au fond de mon cœur, l’or, l’argent et tant d’autres.
«Souvent vous êtes jaloux de mes fruits délicieux, des fleurs ravissantes dont je me pare.
«Vous arrivez comme un sournois, vous effeuillez mes fleurs, vous arrachez de leur tige ces fruits que j’entlais à plaisir, vous brisez ces arbres que j’avais eu tant de peine à faire naître et grandir; vous soufflez, méchant Air, de toute la rage de vos colères.
«Tenez, je suis le meilleur comme le plus utile des éléments.
— Ne dirait-on pas, s’écria l’Air, que madame la Terre fait à elle seule la vie et le bonheur des humains?
«Je vous demande un peu si l’on vivrait sans air!
«Et ces fleurs dont elle parlait tout à l’heure, à qui doivent-elles leurs belles couleurs? A moi, il me semble, à moi, qui pour cette œuvre m’unis au Soleil, mon simple collaborateur.
L’Air.
«C’est moi qui les caresse de ma brise douce et vivifiante, qui transporte à travers l’espace le pollen qui permet à ces fleurs de porter des fruits.
«C’est moi qui dépose sur le vieux mur des masures ces graines qui bientôt égayent les pierres noirâtres de giroflées jaunes ou de résédas odorants, — le jardin du pauvre.
«N’est-ce pas moi, charmante Eau, qui gonfle les voiles de ces gros navires que vous portez, et qui les envoie d’un continent à l’autre?...
«Je ne suis pas fier, du reste; car je souffle aussi bien pour le petit navire que l’enfant dépose sur le bassin des Tuileries ou du Luxembourg, que pour le grand trois-mâts que l’homme charge de transporter ses lourdes marchandises à travers les océans.
«La joie des enfants, la joie des hommes.
«Et l’élégant cerf-volant de l’écolier en vacances! et le gigantesque ballon de Nadar!
«Ah! la conquête de l’air est la conquête la plus enviée des hommes...
«C’est leur aveu, et cet aveu n’est-il pas le témoignage certain de ma supériorité sur vous tous?
«Enfin, qui soutient et fait vivre tout le monde des oiseaux, le plus joli petit peuple vivant?...
— Après les hommes, toujours! murmura la Terre.
— Et moi, s’écria la petite Eau bleue avec vivacité, interrompant ce discours emphatique et vide comme une bulle... d’air, pour quoi me comptez-vous?
«Voilà madame la Terre qui se vante de porter les hommes et de les nourrir!
«Voilà l’Air qui crie bien haut qu’il les enlève dans son inaccessible empire!
«Je ne suis peut-être pas forte et puissante, moi qui soulève sur mes flots, aussi légèrement que des plumes ou des fétus de paille, de lourdes machines, d’énormes vaisseaux chargés de canons et cuirassés de fer!
— Vous oubliez que la surface de mon empire est sillonnée de chemins de fer, s’écria la Terre avec orgueil, et que les wagons, bien plus vite que vos vaisseaux, réunissent les peuples.
— Eh là ! ma mie, se récria le Feu, rouge de colère, ce n’est pas vous qui faites mouvoir les wagons; c’est moi.
«Sans feu point de vapeur, sans vapeur point de chemins de fer ni de bateaux. Les bateaux, en effet, se passent fort bien de Sa Majesté l’Air. Il souffle si maladroitement dans les voiles, que les hommes ont supprimé son aide.
— Mais, interrompit la Terre, j’ajouterai: Sans charbon de terre pas de vapeur; et où trouve-t-on le charbon de terre? Il porte assez mon nom, il me semble, pour qu’on sache qu’il sort de mes entrailles.
— La belle utilité que votre charbon tout noir, si le feu n’y est pas! Le feu, mais c’est le plus utile des quatre Éléments!
«Est-ce que l’hiver on peut vivre sans moi? Je réchauffe tout le monde, et Dieu sait si l’on fait cas de moi, là-bas, dans les bons pays de la Russie et de la Sibérie!
— Bons pays, murmura tristement la Terre, où la neige me glace ou me cache!
— Rien n’est si bon et si beau qu’un bon feu, reprit l’orgueilleux personnage; et vous pourriez donner aux humains des légumes, des fruits et du gibier, madame la Terre, et vous quelques maigres oiseaux, monsieur l’Air; vous, enfin, des poissons et des coquillages: si les hommes n’avaient pas le feu pour faire cuire tout cela, ils ne sauraient user des dons que vous êtes si fiers de leur offrir.
L’Eau.
— Qu’oses-tu dire! s’écria l’Eau. Tu sais bien que je t’éteins et te fais mourir!
— L’Eau, l’Air et le Feu dépendent de la Terre, s’écria cette dernière. La Terre est toute-puissante.
«Elle porte l’Eau et le Feu; elle résiste aux intempéries de l’Air.
— Ah! tu crois cela, souffla violemment celui-ci; mais si je le voulais, ma chère, non seulement je briserais tes dons, mais encore je t’éparpillerais miette à miette par la puissance de mon haleine!
— Oh! le vilain Air! à mort! à mort!» s’écria la Terre, furieuse de cette menace.
Et voilà les quatre Éléments qui fondent l’un sur l’autre avec une telle furie, que les humains durent trembler d’inquiétude et de frayeur.
«Sauvons-nous, dit Coquelicot, qui n’était pas très brave; il pourrait nous arriver quelque mésaventure.
«Ces êtres-là sont très forts et très puissants, sais-tu! Ce sont les premiers du monde.
— Bah! dit Bluette, nous sommes invisibles... Mais c’est égal, partons, car ce n’est pas ici que nous trouverons l’être doux et humble que nous cherchons.»
Et comme ils se prenaient par la main pour s’enfuir bien vite hors de la grotte, voilà qu’ils aperçurent l’Air qui accourait en soufflant derrière eux, et qu’ils se sentirent brusquement emportés.
Ils fermèrent les yeux, croyant être à leur dernière heure.
Mais, ne sentant aucun mal, ils se hasardèrent à les rouvrir.
Ils virent alors qu’ils voguaient dans l’espace entre le ciel et la terre.
C’était l’Air qui, sorti de la grotte pour aller respirer un peu au dehors, les avait par mégarde emportés avec lui.